La protection fonctionnelle dont bénéficient les agents publics traduit le lien étroit qui les unit à l’administration dans l’intérêt du service, et notamment de sa continuité.
Le Conseil d’État vient apporter des précisions sur son régime à l’occasion d’une affaire dans laquelle un militaire était mis en examen dans le cadre d’une information pour prêt illégal de main d’œuvre, escroquerie et corruption, concernant des marchés d’approvisionnement de la direction des constructions navales. Sur demande du requérant, l’administration avait accordé sa protection sur le fondement des dispositions de l’article 4123-10 du code de la défense, tout en prenant soin d’assortir son octroi d’une condition résolutoire dans l’éventualité où serait mise en évidence une faute personnelle. À la suite de la condamnation de l’intéressé par le tribunal de grande instance pour corruption passive, le ministre de la Défense procéda au retrait de la protection, estimant que le jugement avait établi l’existence d’une telle faute.
Avant de se prononcer sur les règles applicables au retrait de cette garantie, le Conseil d’État devait déterminer si l’administration pouvait légalement assortir la décision d’accorder sa protection d’une condition résolutoire. Répondant par la négative, la Haute juridiction annule le retrait de la garantie, celui-ci ayant été opéré hors délai. Ainsi, les modalités selon lesquelles l’administration peut accorder sa protection se trouvent précisées, et les conditions dans lesquelles elle peut y mettre fin délimitées.
1°) Le principe de la protection fonctionnelle des agents publics est posé à l’article 11 de la loi numéro 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (JO 14 juillet 1983, p. 2174). La garantie fonctionnelle couvre deux types de situations. Lorsque l’agent est victime d’un délit, l’administration a l’obligation de lui apporter sa protection. Seul un motif d’intérêt général peut lui permettre d’y déroger (CE Ass., 14 février 1975, Teitgen, requête numéro 87730 : rec. p. 111 ; CE Sect., 18 mars 1994, Rimasson, requête numéro 92410 : rec. p. 147 ; CE, 25 juillet 2001, Fédération des syndicats généraux de l’Éducation nationale et de la recherche publique (SGEN-CFDT), requête numéro 210797 : rec. p. 389). Dans le cas où c’est l’agent qui est l’auteur du délit, la protection est pour lui un droit s’il n’a commis aucune faute personnelle (CE, 28 juin 1999, Ménage, requête numéro 195348 : rec. t. 851). Sur ce point, la charge de la preuve incombe à l’administration, qui doit se prononcer au vu des éléments dont elle dispose à la date de sa décision et de ceux recueillis dans le cadre de la procédure pénale (CE, 12 février 2003, Chevalier, requête numéro 238969). S’il y a faute personnelle, que celle-ci soit ou non dépourvue de lien avec le service, l’agent n’aura pas de droit à la protection (CE, 28 décembre 2001, M. Valette, requête numéro 213931 : rec. p. 680).
En cas de faute de service, l’octroi de la garantie a pour effet de mettre à la charge de l’administration les frais liés tant aux condamnations civiles prononcées contre l’agent (CE Sect., 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon : rec. p. 243 ; article 11 de la loi numéro 83-634 du 13 juillet 1983, préc.), qu’aux poursuites pénales dont il peut faire l’objet (art. 50-I de la loi numéro 96-1093 du 16 décembre 1996, relative à l’emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d’ordre statutaire, JO 17 décembre 1996, p. 18512).
Sans être dans une situation de compétence liée, l’administration a l’obligation d’accorder sa protection lorsque les conditions exigées par la loi sont remplies et en dépit des incertitudes affectant, à la date de sa décision, la matérialité des faits. Par suite, celle-ci ne peut être assortie d’une quelconque condition. En effet, le propre de la condition est de subordonner à la survenance d’un événement de réalisation incertaine, l’application de l’acte (condition suspensive) ou sa disparition rétroactive (condition résolutoire). Il ne peut en être autrement que si un texte législatif l’autorise expressément ou si l’économie du texte la rend nécessaire. En l’espèce, faire dépendre l’octroi de la garantie des incertitudes que nourrit l’administration à l’égard des faits incriminés reviendrait à ce qu’elle puisse ultérieurement revenir discrétionnairement sur la garantie qu’elle a initialement accordée. La condition résolutoire était donc illégale, d’autant plus qu’elle n’avait, en réalité, d’autre objet que d’escamoter le droit du retrait des actes administratifs.
2°) La décision accordant la protection fonctionnelle est une décision administrative individuelle créatrice de droits. Par conséquent, elle ne peut être retirée, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois à compter de son édiction (CE Ass., 26 octobre 2001, Ternon, requête numéro 197018 : rec. p. 497 ; CE, 22 janvier 2007, Ministre des Affaires étrangères c/ M. Maruant, requête numéro 285710). En l’espèce, la condition résolutoire illégale ne pouvant faire obstacle à l’application de ces règles, l’administration se trouvait hors délai et ne pouvait plus procéder au retrait de la décision en cause.
Toutefois, le Conseil réserve expressément le cas, classique au demeurant, où celle-ci aurait été obtenue par fraude. Insusceptibles de créer des droits au profit de leur bénéficiaire, les actes obtenus par fraude peuvent être retirés à toute époque et pour tout motif (CE Sect., 17 juin 1955, Silberstein : rec. p. 334 ; CE Sect., 29 janvier 2002, Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, requête numéro 223027 : rec. p. 414). Cette précision laisse entendre que dans le cas où la présentation des évènements par le demandeur de la protection s’avérerait manifestement inexacte, partielle, ou ambiguë, la fraude serait alors caractérisée et le retrait possible au-delà des quatre mois. En tout état de cause, la simple méconnaissance de la réglementation ne suffit pas. Il faut qu’il y ait une volonté de tromperie. Tel est le cas lorsque le demandeur certifie sur l’honneur des renseignements inexacts concernant sa situation personnelle (CE, 10 avril 1974, Ministre de l’Agriculture et du Développement rural c/ Bouysset, requête numéro 90249 : rec. t. 844) ou lorsqu’il ne fait pas état d’un fait déterminant (CE Président de la section du contentieux, 23 juin 1995, Préfet de police c/ Mme Goncalves, requête numéro 143832 : rec. t. 644). Toutefois, en dehors des cas où la réalité est grossièrement travestie, on peut douter que la fraude sera retenue à l’encontre d’un agent qui ne fournit pas les informations permettant de mettre en évidence une faute personnelle, alors même qu’il prépare sa propre défense.
Quoi qu’il en soit, l’administration conserve toujours la faculté d’abroger la décision d’accorder sa protection si elle constate, à une étape quelconque de la procédure, l’existence d’une faute personnelle.