1.- Alternative à l’avortement, l’organisation de l’abandon des nouveaux nés est une tradition ancienne qui trouve ses racines dans la période médiévale. Les textes relatifs à l’accouchement sous X, qui ont vocation régir la procédure d’abandon ont quant à eux pour origine un décret-loi du 2 septembre 1941 sur la protection de la naissance. Ce texte du régime de Vichy permettait aux femmes enceintes d’accoucher anonymement et gratuitement. Ces grands principes ont ensuite été repris par la législation actuellement en vigueur. L’article 326 du Code civil précise ainsi que « lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé », l’article 57 du même code prévoyant que « si le père et la mère de l’enfant naturel, ou l’un d’eux, ne sont pas désignés à l’officier d’état civil, il ne sera fait sur les registres aucune mention à ce sujet ». La procédure elle-même d’accouchement sous X est régie par l’article L. 222-6 du code de l’action sociale et des familles. Ce texte avait été modifié par la loi n°2003-93 du 22 janvier 2002 qui remettait en cause, dans une certaine mesure, l’anonymat de l’accouchement sous X, en permettant aux personnes adoptées, selon des modalités très encadrées, d’avoir accès à leurs origines.
Ces dispositions ont été jugée conformes aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, par la Cour de Strasbourg, à l’occasion d’une décision Odièvre c/France (JCP 2003, II, 10049, note F. Sudre et A. Gouttenoire-Cornut.- V. également V. Bonnet, l’accouchement sous X et la Cour européenne des droits de l’homme : RTDH 2004, p. 406). En effet, le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que l’absence de discrimination en raison de la naissance reconnus par ces textes ne sont pas violés, dans la mesure où la législation française tend à atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause. Il à noter cependant, comme l’a rappelé plus tard la Cour dans un arrêt Mikulic c/ Croatie du 7 février 2002 (JCP 2002. I. 157, no 5, note F. Sudre), qu’il est nécessaire que « chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain et que le droit d’un individu à de telles informations est essentiel du fait de leurs incidences sur la formation de la personnalité ».
C’est le droit du respect à la vie privée et familiale de la mère et de l’enfant, qui sont ici en opposition, que tente de concilier l’article L. 226-6 du Code de l’action sociale et des familles qui précise notamment que la mère est « invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité ». En revanche, si la mère ne souhaite communiquer aucune information, son anonymat est préservé. Récemment saisi dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité le Conseil constitutionnel a considéré que la loi française garantit « les exigences constitutionnelles de protection de la santé » et qu’elle ne porte pas atteinte au respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale (Cons. const., 16 mai 2012, déc. n° 2012-248 QPC, Mathieu E.).
2.- Dans la présente affaire, cependant, la situation se présente autrement puisque c’est la mère qui a accouché sous X qui a voulu rétablir un contact avec son enfant adopté. Or, la procédure d’accouchement sous X implique non seulement l’anonymat de la mère à l’égard de l’enfant mais également l’anonymat de l’enfant à l’égard de sa mère.
Mme B. avait donné naissance dans l’anonymat à une fille le 7 novembre 1987 qui a été ultérieurement adoptée par M. et Mme B. Courant 2001, Mme. Buron avait obtenu des informations relatives au nouvel état civil de sa fille biologique et au nom de ses parents adoptifs. Elle a alors pris contact avec sa fille biologique, alors âgée de quatorze ans, et s’est manifestée de façon insistante et répétée, au cours de plusieurs années, tant auprès de cette dernière que des membres de sa famille et de son entourage. Elle s’est à plusieurs reprises exprimée dans la presse sur l’enquête personnelle qu’elle avait menée pour retrouver l’enfant. Les requérants ont alors recherché devant les juridictions administratives la responsabilité du département des Alpes-Maritimes à raison de la faute résultant de la divulgation par ses services à Mme Buron d’informations confidentielles relatives à la famille adoptive de sa fille biologique. Cette demande a été rejetée par le Tribunal administratif de Nice, puis par la Cour administrative d’appel de Marseille en l’absence de démonstration d’une faute commise par les services départementaux.
3. L’arrêt de la Cour est cassé par le Conseil d’Etat qui considère que :
La circonstance que la mère biologique d’un enfant confié à sa naissance au service de l’aide sociale à l’enfance, puis adopté, ait eu connaissance des informations relatives à la nouvelle identité de cet enfant et à celle de ses parents adoptifs révèle une faute dans le fonctionnement du service de l’aide sociale à l’enfance du département de nature à engager la responsabilité de ce dernier, sauf à ce qu’il établisse que la divulgation de ces informations est imputable à un tiers ou à une faute de la victime »
C’est donc une responsabilité pour faute présumée qui est retenue à l’égard du département, celui-ci pouvant néanmoins s’exonérer de cette responsabilité en cas de fait d’un tiers ou de faute de la victime.
Comme dans d’autres domaines, le recours au mécanisme présomptif se justifie pour deux raisons. D’une part, la difficulté pour la victime de démontrer qu’une faute a été commise par l’administration. D’autre part, la quasi certitude que le préjudice subi ne peut avoir d’autre cause qu’une faute. Or, l’article L. 224-7 du Code de l’action sociale et des familles interdit, sauf exception, au service de l’aide sociale de divulguer les documents qui lui sont confiés contenant des renseignement relatifs à l’identité des pères et mères biologiques de l’enfant mais également de ses parents adoptifs, le conseil général pouvant également détenir le consentement à l’adoption du conseil des familles. Compte tenu des circonstances de l’espèce et du fait que, très probablement, le conseil général était le seul à détenir ces renseignements, le dommage dont il est demandé réparation révèle bien une faute dans le fonctionnement du service public.