Contexte : Pour la première fois, dans cet arrêt du 22 novembre 2012, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme qu’un patient tenu dans l’ignorance de sa contamination par le VIH ou par le VHC ne peut pas subir de préjudice spécifique de contamination.
Litige : En avril 1984, une patiente subit une opération de chirurgie cardiaque au cours de laquelle elle reçoit des transfusions de produits sanguins. A la fin de l’année 1991, des examens révèlent qu’elle a été contaminée par le VIH et par le VHC. La patiente, qui a subi 146 hospitalisations à partir de 1984, est décédée le 2 janvier 2009 des suites d’une fibrose pulmonaire. Elle a été maintenue durant 25 ans dans l’ignorance de la nature exacte de sa pathologie par sa famille, qui a même présenté à son insu le 10 octobre 1992 une demande d’indemnisation au Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH. Le 21 janvier 2009, son mari et ses quatre enfants ont, exerçant l’action successorale, sollicité auprès de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) l’indemnisation du préjudice spécifique de contamination de la défunte. L’ONIAM, puis la cour d’appel, ayant rejeté cette demande, un pourvoi est formé.
Solution : La deuxième chambre civile approuve les juges du fond d’avoir rejeté la demande en réparation des héritiers de la patiente aux motifs :
« que l’arrêt retient que l’époux et les enfants de Rahma Y… ont fait le choix de ne pas informer celle-ci de la nature exacte de la pathologie dont elle a souffert pendant vingt cinq ans ; que le préjudice spécifique de contamination est un préjudice exceptionnel extra-patrimonial qui est caractérisé par l’ensemble des préjudices tant physiques que psychiques résultant notamment de la réduction de l’espérance de vie, des perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle ainsi que des souffrances et de leur crainte, du préjudice esthétique et d’agrément ainsi que de toutes les affections opportunes consécutives à la déclaration de la maladie ; que le caractère exceptionnel de ce préjudice est intrinsèquement associé à la prise de conscience des effets spécifiques de la contamination ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, a exactement déduit que Rahma Y…, tenue dans l’ignorance de sa contamination par le VIH et par le virus de l’hépatite C, n’avait pu subir de préjudice spécifique de contamination ».
Analyse : Le présent litige oppose les héritiers d’une victime contaminée à l’ONIAM. En effet, c’est désormais cet organisme qui est seul compétent pour connaître des demandes relatives aux contaminations par le VHC ou VIH causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang, en application de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 lui ayant confié la mise en place d’un nouveau dispositif de règlement amiable des contaminations transfusionnelles (C. santé publ., art. L. 1221-14).
En application des articles L. 3122-1 et L. 3122-2 du Code de la santé publique, les victimes ou leurs ayants droits doivent seulement établir la contamination par le VIH et l’existence d’une transfusion de produits sanguins ou d’une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française.
Une fois ces éléments prouvés, le principe de la réparation intégrale régit l’indemnisation des préjudices découlant de la contamination. Parmi les chefs de préjudice réparable figure le préjudice spécifique de contamination, découvert par la jurisprudence (Cass. 2e civ., 2 avr. 1996, n° 94-15676 : Bull. II, n° 88 ; JCP G 1996, I, 3985, n° 12, obs. G. Viney ; D. 1996, IR, p. 135) puis affinée par celle-ci dans ses contours au fil des décisions, notamment sous l’influence des travaux du groupe de travail Dintilhac.
Dans son dernier état, la jurisprudence retient que :
« le préjudice spécifique de contamination par le virus de l’hépatite C comprend l’ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant du seul fait de la contamination virale ; qu’il inclut notamment les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l’espérance de vie ainsi que la crainte des souffrances ; qu’il comprend aussi le risque de toutes les affections opportunistes consécutives à la découverte de la contamination ; qu’il comprend également les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle ; qu’il comprend enfin les souffrances, le préjudice esthétique et le préjudice d’agrément provoqués par les soins et traitements subis pour combattre la contamination ou en réduire les effets ; qu’il n’inclut pas le préjudice à caractère personnel constitué par le déficit fonctionnel, lorsqu’il existe » (Cass. 2e civ., 18 mars 2010, n° 08-16169 : Bull. II, n° 65 ; D. 2010, p. 892 ; RTD com. 2010, p. 776).
La question posée, par la présente affaire, était celle de savoir si les troubles ainsi énoncés doivent être réparés à partir de leur seul constat ou s’il est nécessaire que la victime ait eu connaissance de leur lien avec le VIH ou le VHC.
Le pourvoi a f ait valoir, en vain, que les différentes composantes du préjudice spécifique de contamination sont éprouvées par la victime qu’elle ait ou non connaissance de l’appellation exacte de la contamination qu’elle a subie.
En rejetant cette analyse pour subordonner l’existence du préjudice spécifique de contamination à la connaissance par la victime de sa contamination par le VIH et par le VHC, la Cour de cassation retient ici une conception résolument subjective du préjudice qui pourrait bien remettre en cause la solution acquise, non sans hésitation, au profit des victimes plongées dans un état végétatif chronique dont l’état n’exclut, jusqu’à présent, aucun chef d’indemnisation (Cass. 2e civ., 22 févr. 1995, n° 92-18731 : Bull. II, n° 61 ; RTD civ. 1995, p. 629, obs. P. Jourdain).