Contexte : Cet arrêt rendu le 10 avril 2013 porte sur la répartition du poids de l’indemnisation d’une victime d’une infection nosocomiale entre la clinique et le chirurgien condamnés in solidum à réparer son dommage.
Litige : Le 4 février 1997, un patient subit une intervention chirurgicale à l’œil droit pratiquée par un chirurgien dans les locaux exploités par une clinique. A la suite de cette opération, une infection s’est développée conduisant à l’énucléation de cet œil. La victime et son épouse ont agi en réparation de leur dommage contre le chirurgien et la clinique. Les premiers juges ont dit que la clinique et le médecin étaient responsables in solidum du préjudice résultant de l’infection nosocomiale. En outre, ils ont condamné la clinique à garantir le chirurgien. La cour d’appel de Chambéry ayant confirmé le jugement, un pourvoi en cassation est formé par la clinique qui reproche à l’arrêt de l’avoir condamnée à garantir le chirurgien de toute condamnation prononcée contre lui au profit des demandeurs.
Solution : La première chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel en jugeant :
« Qu’en statuant ainsi, quand la présence, dans l’organisme de M. X…, d’un germe habituellement retrouvé dans les infections nosocomiales, si elle était de nature à faire retenir la responsabilité de la clinique, tenue à son égard d’une obligation de résultat dont elle ne pouvait s’exonérer que par une cause étrangère, ne constituait pas à elle seule la preuve de ce que les mesures d’asepsie qui lui incombaient n’avaient pas été prises, la cour d’appel a violé (l’article 1147 du code civil) ».
Analyse : Devant la Cour de cassation, ni le caractère nosocomial de l’infection, ni les conditions de la responsabilité de la clinique ou du chirurgien ne sont contestées. La première chambre civile est donc saisie de la seule question de la répartition de la dette de réparation entre les deux responsables condamnés in solidum.
Les faits étant antérieurs au 5 septembre 2001, le litige relève des dispositions du droit commun et non de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique issu de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 (V. S. Hocquet-Berg, LexisNexis, Fasc. 440-55, n° 41 et s.).
Selon ces règles applicables avant la loi du 4 mars 2002, la clinique et le chirurgien sont tenus in solidum à réparation, étant tous deux débiteurs d’une obligation de sécurité de résultat dont ils ne peuvent se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère (Cass. 1re civ., 29 juin 1999, 3 esp., n° 97-14254 : Bull. civ. 1999, I, n° 220 ; D. 1999, jurispr. p. 559, note D. Thouvenin ; JCP G 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos ; Gaz. Pal. 1999, 3, doctr. p. 1619, note J. Guigue ; Gaz. Pal. 2000, 1, doctr. p. 624 par S. Hocquet-Berg ; LPA 15 nov. 1999, p. 5, note I. Denis-Chaubet ; Médecine et droit 1999, n° 37, p. 3, note P. Sargos ; La Revue du praticien 1999, n° 472, p. 1499, note F. Chabas ; F. Vialla, Médecine et droit 1999, n° 37 p. 4 ; JCP G 2000, I, 199, n° 15 s., obs. G. Viney ; RTD civ. 1999, p. 841, obs. P. Jourdain ; Resp. civ. et assur. 1999, chron. 20 par H. Groutel ; Defrénois 1999, p. 994, obs. D. Mazeaud ; D. 1999, somm. p. 395, obs. J. Penneau).
La répartition de la dette de réparation entre eux obéit aux règles de droit commun qui ont été dégagées par la jurisprudence (V. Ph. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2012/2013, n° 1752 et s.). Lorsqu’une faute a été retenue à l’encontre de chacun des coauteurs, la répartition a lieu en proportion de la gravité des fautes respectives. Lorsque les coauteurs sont tenus de plein droit à réparer le dommage qu’ils ont causés, le partage a lieu par parts viriles. Lorsqu’une faute a été commise par l’un des coauteurs, seul celui qui n’a commis aucune faute dispose d’un recours contre le codébiteur fautif.
Il résulte de l’application de ces principes en matière médicale que l’établissement de santé, condamné à réparer les conséquences dommageables d’une infection nosocomiale, dispose d’un recours subrogatoire à l’encontre du praticien également tenu d’une obligation de sécurité de résultat (Cass. 1re civ., 1er févr. 2005, n° 03-18052 : Resp. civ. et assur. 2005, comm. 101, note Ch. Radé ; Cass. 1re civ., 5 déc. 2006, n° 05-20.751). Si aucune faute n’est imputable à l’établissement et au médecin en matière d’asepsie ou s’il n’est pas possible de déterminer l’origine de l’infection, un partage égal de la charge de l’indemnisation du patient entre le médecin et l’établissement s’impose (Cass. 1re civ., 21 juin 2005, n° 04-12066 : Bull. I, n° 276 ; Rev. dr. san. soc., p. 870, obs. F. Arhab). En revanche, si le médecin a commis une faute, il peut être condamné à garantir la clinique non fautive de la totalité des condamnations prononcées contre elle (Cass. 1re civ., 7 juill. 2011, n° 10-19137). Enfin, si la clinique a commis une faute, elle peut être condamnée à garantir le médecin de la totalité des condamnations prononcées contre lui (Cass. 1re civ., 1er juill. 2010, n° 09-69151 : Bull. I, n° 155).
En l’espèce, les juges du fond n’ayant caractérisé aucun comportement fautif imputable à la clinique, celui-ci ne pouvant être déduit de la seule présence dans l’établissement du germe à l’origine de l’infection nosocomiale, c’est tout à fait logiquement que la première chambre civile censure l’arrêt ayant mis à sa charge la totalité du poids de l’indemnisation. Si l’infection nosocomiale ayant abouti à l’énucléation s’est effectivement produite sans qu’aucune faute ne puisse être relevée à l’encontre du chirurgien ou de la clinique, chacun d’eux supportera la moitié du montant de l’indemnisation allouée au patient et à son épouse.