Contexte : Par cet arrêt rendu le 10 avril 2013, la Cour de cassation rappelle qu’en l’absence de certitude entre la faute et les séquelles invoquées par le patient, la réparation ne peut être que partielle au titre de la perte de chance.
Litige : Les 2 et 6 août 2004, un patient souffrant de douleurs lombaires consulte son médecin généraliste qui lui prescrit des anti-inflammatoires. Le 9 août suivant, les troubles s’étant aggravés, il consulte un spécialiste qui, ayant diagnostiqué une hernie discale, l’adresse en urgence dans un CHU où il est opéré le jour même. Le patient conserve des séquelles neurologiques dues au syndrome dit de la queue de cheval. Il saisit la CRCI des Pays de la Loire qui, sur la base d’une expertise ayant conclu à la faute de diagnostic du médecin généraliste, a émis un avis en faveur d’une indemnisation par son assureur de responsabilité au titre de la perte de chance. L’assureur fait une offre d’indemnisation sur la base de la perte de chance de 33 %. Le patient refuse l’offre et saisit les juges du fond. Le tribunal de grande instance, puis la cour d’appel d’Angers retiennent que le médecin est responsable de l’ensemble des préjudices subis par le patient.
Solution : La première chambre civile de la Cour de cassation donne raison au médecin généraliste et casse l’arrêt de la cour d’appel d’Angers aux motifs que :
« Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que, si l’intervention avait été tardive, faisant perdre à M. X… des chances d’une évolution sans séquelles, les complications survenues auraient pu se produire, même si elle était intervenue plus tôt, de sorte qu’il lui appartenait de mesurer le pourcentage de chances perdues par M. X… du fait du retard et de déterminer en conséquence la fraction de son dommage en lien de causalité certain et direct avec la faute de M. Y…, la cour d’appel a violé (l’article L. 1142-1, I du code de la santé publique, ensemble l’article 1382 du code civil) ».
Analyse : Sans surprise, l’analyse des juges du fond est censurée car, tout en relevant que l’incertitude affectant le lien causal entre la faute du médecin et la persistance des séquelles dommageables, ils ont ordonné la réparation de la totalité des préjudices invoqués par le patient au titre des séquelles qui ont persisté à l’issue de l’intervention chirurgicale tardive.
En effet, la cour d’appel a constaté que, selon les conclusions des experts et de la CRCI plus le diagnostic et la prise en charge du syndrome de la queue de cheval, qui survient dans 2 à 5 % des cas dans l’évolution naturelle de la hernie discale, sont précoces, plus grandes sont les chances de récupération des troubles sensitifs et notamment sphinctériens et qu’une chirurgie, au stade où avaient eu les consultations du médecin généraliste, pouvait entraîner une récupération complète des troubles sphinctériens sans séquelles majeures.
Les juges du fond ont ainsi mis en évidence que la faute du médecin généraliste, n’ayant pas immédiatement orienté le patient vers le service des urgences afin de réaliser une intervention chirurgicale, a entraîné « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable », ce qui caractère le préjudice résultant de la perte de chance (Cass. 1re civ. 1, 21 nov. 2006, n° 05-15.674 : Bull. I, n° 498 ; JCP 2007, I, 115,, n° 3, obs. Ph. Stoffel-Munck ; Cass. crim., 6 juin 1990, n° 89-83.703 : Bull. crim., n° 224, RTD. civ. 1991, p. 121, obs. P. Jourdain). En effet, une intervention chirurgicale réalisée quelques jours plus tôt aurait pu empêcher les séquelles, sans que cela soit absolument certain. L’incertitude affectant la réalisation de l’événement heureux aurait dû conduire les juges du fond à retenir que la faute du médecin généraliste n’a fait perdre au patient que des chances d’une évolution sans séquelles.
Dans ces conditions, comme elle l’a rappelé dans un arrêt rendu le même, « l’indemnité qui (…) est due (à la victime) doit être déterminée en fonction de son état et de toutes les conséquences qui en découlent pour lui et correspondre à une fraction, souverainement évaluée, de son dommage » (Cass. 1re civ. , 10 avr. 2013, n° 12-14813. V. égal. Cass. 1re civ., 7 déc. 2004, n° 02-10.957 : Bull. I, n° 302 ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. 60 ; D. 2005, p. 406, obs. J. Penneau ; Cass. 1re civ., 14 juin 2005, 04-14.878)). La cour d’appel de d’Angers ne pouvait donc pas condamner le médecin généraliste à supporter l’intégralité des conséquences dommageables découlant des séquelles invoquées par le patient, mais seulement une fraction déterminer en fonction des probabilités de récupération sans séquelles si l’intervention avait été réalisée plus rapidement.
La réparation du préjudice au titre de la perte de chance ne saurait s’étendre à l’intégralité des conséquences corporelles subies par la victime mais est nécessairement limitée à une fraction de celles-ci que la cour d’appel de renvoi sera tenue d’évaluer. En effet, comme le retient avec constance la Cour de cassation, le dommage résultant de la perte de chance « correspond alors à une fraction des différents chefs de préjudice subis qui est déterminée en mesurant la chance perdue et ne peut être égale aux atteintes corporelles résultant de l’acte médical » (Cass. 1re civ., 7 déc. 2004, n° 02-10957 : Bull. I, n° 302 ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. 60 ; D. 2005, p. 406, obs. J. Penneau. V. égal. Civ. 1re, 29 juin 1999, n° 97-14.254 : Bull. I, n° 220 ; D. 1999, p. 559, note D. Thouvenin ; D. 1999, p. 395, note J. Penneau ; RTD civ. 1999, p. 841, obs. P. Jourdain).