‘Une série d’arrêts concordants intervenus depuis quelques années conduit à se demander si le Conseil d’Etat n’a pas jugé l’heure venue de réduire le pouvoir d’appréciation des autorités disciplinaires en soumettant le choix des sanctions prononcées à un contrôle normal et non plus au contrôle de la seule erreur manifeste d’appréciation inauguré en la matière en 1978 […] ».
C’est ainsi que Margueritte Caned-Paris synthétisait l’évolution du contentieux administratif vers une généralisation du contrôle normal en matière disciplinaire (Canedo-Paris, (Marguerite), « Feu l’arrêt Lebon ? », AJDA 2010 pp. 921 s).
Cette évolution a marqué une étape décisive avec le prononcé de la décision d’Assemblée Dahan, par laquelle le Conseil d’Etat abandonne le contrôle restreint des sanctions disciplinaires à l’encontre des agents publics pour adopter le contrôle normal (Conseil d’Etat, Assemblée, 13 novembre 2013, M. A…B…, requête numéro 347704, publié au recueil).
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Cette évolution était attendue, et avait même été anticipée de peu par les juridictions du fond( TA Besançon, 24 septembre 2013, Madame D. c. Directeur de l’institut de formation des professions de santé de Besançon, requête numéro 1201277).
On le sait, le juge administratif a longtemps refusé d’exercer un quelconque contrôle sur les sanctions disciplinaires infligées aux agents publics (v. par exemple Conseil d’Etat, SSR., 1 octobre 1976, Sourcasse, requête numéro 00730, p. 386).
Ce n’est que par une décision Lebon du 6 juin 1978 (Conseil d’Etat, Section, 9 juin 1978, Lebon, requête numéro 05911, publié au recueil) que le Conseil d’Etat a ouvert son contrôle, mais en le cantonant à l’erreur manifeste d’appréciation.
Ce contentieux du contrôle des sanctions disciplinaires n’était pourtant pas uniforme. Si le contrôle restreint était appliqué, sauf exception, à tous les agents publics, le domaine des sanctions disciplinaires était peu à peu soumis au contrôle normal. Ainsi était soumis au contrôle normal le contentieux des sanctions infligées aux agents des sociétés de bourse (Conseil d’Etat, Assemblée, 1 mars 1991, M. Le Cun, requête numéro 112820, publié au recueil); par la même occasion le Conseil soumettait solennellement le contentieux disciplinaire au contrôle de l’excès de pouvoir.
Cette dernière solution sera ensuite abandonnée par la décision d’assemblée ATOM, qui consacre le principe du plein contentieux en matière dans sanctions administratives (Conseil d’Etat, Assemblée, 16 février 2009, Société ATOM, requête numéro 274000 : Rec. p.209 ; RFDA 2009, p.259, concl. Legras ; JCP A 2009, 2089, note Bailleul ; AJDA 2009, p.583, chron. Liéber et Botteghi).
Quant au contrôle sur les sanctions infligées aux agents publics, il restait un contrôle restreint (Conseil d’Etat, Section, 1 février 2006, Touzard, requête numéro 271676, publié au recueil), limité à l’excès de pouvoir (CE, 27 juillet 2009, requête numéro 313588, Ministre de l’Education nationale c.B. : JCPA 2009, 2245, note Jean-Pierre; V. Pierre Tifine Droit administratif français – Troisième Partie – Chapitre 3, Revue générale du droit on line, 2013, numéro 4417 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=4417)).
L’une des évolutions les plus notables sur le chemin de l’approfondissement du contrôle fut la décision Arfi (Conseil d’Etat, Section, 22 juin 2007, M. Patrick A, requête numéro 272650, publié au recueil) par laquelle le Conseil d’Etat optait pour un contrôle normal sur les sanctions infligées par les ordres professionnels.
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Par la décision Dahan ici rapportée, le Conseil d’Etat semble achever le processus d’extension de son contrôle. Le domaine des sanctions disciplinaires contre les agents semblait en effet être le seul qui, en bloc, échappait au contrôle normal.
Il n’est pas certain que cette évolution entraîne un bouleversement concret pour les agents et, d’une manière générale, toutes les personnes soumises au pouvoir disciplinaire d’une autorité administrative.
Il ne s’agit peut-être là que de nuances, mais il n’est pas certain en effet que le contrôle normal signifie toujours un contrôle de l’exacte proportion, comme en matière de police administrative. En assurant, dans le cadre de son contrôle normal, le « contrôle de la disproportion » (Conseil d’Etat, Section, 22 juin 2007, M. Patrick A, requête numéro 272650, publié au recueil) et non pas celui de la proportionnalité, le juge administratif semble indiquer qu’il laisse, en tout état de cause, une marge d’appréciation à l’administration. Ainsi, il n’est pas certain que le juge ne laissera pas, au sein d’une catégorie de sanctions, la marge d’appréciation nécessaire pour choisir la plus adaptée.
Il conviendra d’analyser attentivement la jurisprudence future pour mesurer l’étendue de la « révolution » en cours.