Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 novembre 2004 et 24 février 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE ATOM, dont le siège est 96, avenue de l’Aérodrome à Orly (94310) ; la SOCIETE ATOM demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 5 août 2004 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement du 24 février 2000 du tribunal administratif de Melun rejetant sa demande tendant à l’annulation de l’avis de mise en recouvrement du 25 janvier 1999 mettant à sa charge une amende de 272 216 F (41 499 euros) sur le fondement de l’article 1840 N sexies du code général des impôts, d’autre part, à l’annulation de cet avis en date du 25 janvier 1999 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de prononcer, à titre principal, la décharge ou, à titre subsidiaire, la réduction de cette amende ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu la loi du 22 octobre 1940 modifiée par l’article 80 de la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988 ;
Vu la loi n° 2005-882 du 5 août 2005 ;
Vu l’ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000 ;
Vu l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités ;
Vu l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Florian Blazy, auditeur,
– les observations de Me Blanc, avocat de la SOCIETE ATOM,
– les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public,
– les nouvelles observations de Me Blanc, avocat de la SOCIETE ATOM ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE ATOM, qui exerce une activité de négoce de fruits et légumes, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 20 janvier 1994 au 31 décembre 1996 ; que l’administration fiscale a constaté que la SOCIETE ATOM avait perçu de ses clients des paiements en espèces d’un montant supérieur à 5 000 F en infraction aux dispositions de l’article 1er de la loi du 22 octobre 1940 et que les opérations irrégulières s’élevaient à un montant total de 5 444 331 F (829 982,91 euros) ; que, par avis de mise en recouvrement en date du 25 janvier 1999, l’administration a, sur le fondement de l’article 1840 N sexies du code général des impôts, mis à la charge de la société une amende de 272 216 F (41 499 euros) égale à 5 % des sommes indûment réglées en numéraire ; que la SOCIETE ATOM se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 5 août 2004 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 24 février 2000 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande formée contre cette décision ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens du pourvoi ;
Considérant qu’il appartient au juge du fond, saisi d’une contestation portant sur une sanction que l’administration inflige à un administré, de prendre une décision qui se substitue à celle de l’administration et, le cas échéant, de faire application d’une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l’infraction a été commise et celle à laquelle il statue ; que, par suite, compte tenu des pouvoirs dont il dispose ainsi pour contrôler une sanction de cette nature, le juge se prononce sur la contestation dont il est saisi comme juge de plein contentieux ;
Considérant que la sanction encourue, en vertu des dispositions de l’article 1840 N sexies du code général des impôts alors applicable, pour inobservation des prescriptions de l’article 1er de la loi du 22 octobre 1940, a le caractère d’une sanction que l’administration inflige à un administré ; que, par suite, le recours formé contre une telle sanction est un recours de plein contentieux ; qu’il résulte des termes mêmes de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel de Paris a estimé que la demande formée par la SOCIETE ATOM devant le tribunal administratif de Melun contre l’amende qui lui avait été infligée en vertu de l’article 1840 N sexies du code général des impôts, relevait du contentieux de l’excès de pouvoir et qu’elle a statué sur l’appel contre le jugement de ce tribunal en se plaçant, non à la date de son arrêt, mais à celle de la décision de l’administration infligeant cette amende ; qu’il appartient au juge de cassation de relever d’office l’erreur ainsi commise par la cour sur l’étendue de ses pouvoirs ; que l’arrêt attaqué doit donc être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Melun a estimé qu’il était saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision infligeant à la SOCIETE ATOM l’amende prévue par l’article 1840 N sexies du code général des impôts, alors que, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, ce recours relevait du plein contentieux ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de la requête de la société, le jugement doit être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de la SOCIETE ATOM présentée devant le tribunal administratif de Melun ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 22 octobre 1940 modifié par l’article 80 de la loi du 23 décembre 1988 : (…) Les règlements qui excèdent la somme de cinq mille francs ou qui ont pour objet le paiement par fractions d’une dette supérieure à ce montant, portant sur les loyers, les transports, les services, fournitures et travaux ou afférents à des acquisitions d’immeubles ou d’objets mobiliers ainsi que le paiement des produits de titres nominatifs et des primes ou cotisations d’assurance doivent être effectués par chèque barré, virement ou carte de paiement ou de crédit ; qu’aux termes de l’article 1840 N sexies du code général des impôts, issu de l’article 3 de la même loi modifiée et dans sa rédaction applicable à la date de l’infraction relevée à l’encontre de la SOCIETE ATOM : Les infractions aux dispositions de l’article 1er de la loi du 22 octobre 1940 relatives aux règlements par chèques et virements, qui prescrit d’effectuer certains règlements par chèque barré ou par virement bancaire ou postal, sont punies d’une amende fiscale dont le montant est fixé à 5 % des sommes indûment réglées en numéraire. Cette amende, qui est recouvrée comme en matière de timbre, incombe pour moitié au débiteur et au créancier, mais chacun d’eux est solidairement tenu d’en assurer le règlement total ; que ces dispositions ont été modifiées par la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises et par l’ordonnance du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités, les infractions aux dispositions de l’article L. 112-6 du code monétaire et financier, qui ont procédé à la codification de l’article 1er de la loi du 22 octobre 1940, étant passibles désormais, en vertu des dispositions combinées de l’article 1840 J du code général des impôts et des deuxième et troisième phrases de l’article L. 112-7 du code monétaire et financier, d’une amende fiscale dont le montant ne peut excéder 5 % des sommes indûment réglées en numéraire ; que ces dispositions ont ainsi substitué une amende dont le montant maximum peut atteindre 5 % des sommes indûment réglées en numéraire à une amende qui était antérieurement égale à 5 % de ces sommes ; qu’en vertu de ces nouvelles dispositions, le montant de l’amende doit être modulé, en fonction des circonstances propres à chaque espèce, sans que celui-ci atteigne nécessairement le plafond fixé par la loi ; que, dès lors, ces nouvelles dispositions issues de la loi du 2 août 2005 et de l’ordonnance du 7 décembre 2005 prévoient des peines moins sévères que la loi ancienne ; que, par suite, il y a lieu pour le Conseil d’Etat, statuant comme juge de plein contentieux sur la demande de la SOCIETE ATOM, d’appliquer ces dispositions à l’infraction commise par cette société ;
Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 1840 N sexies du code général des impôts dans leur rédaction en vigueur à la date des faits seraient incompatibles avec les stipulations de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne peut être utilement invoqué dès lors, qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, pour fixer le montant de l’amende, il est fait application des dispositions de l’article 1840 J du code général des impôts et des deuxième et troisième phrases de l’article L.112-7 du code monétaire et financier dans leur rédaction en vigueur à la date de la présente décision ;
Considérant, en deuxième lieu, que le procès-verbal dressé par l’administration fiscale le 18 juin 1998 comporte en annexe la liste des virements en espèces, constitutifs de l’infraction, figurant sur les comptes ouverts par la SOCIETE ATOM auprès de trois organismes bancaires ; que si le défaut de désignation de l’identité du débiteur des sommes versées en espèces à la SOCIETE ATOM dans le procès-verbal établi par le service doit, le cas échéant, être pris en compte pour apprécier si l’administration apporte la preuve qui lui incombe des éléments constitutifs de l’infraction, ce défaut demeure, en revanche, par lui-même sans influence sur la régularité de la procédure suivie par le service ; qu’en tout état de cause, l’instruction du 23 mars 1983, dont se prévaut la SOCIETE ATOM, se borne à indiquer que le procès-verbal doit contenir, si possible, tous les éléments indispensables à l’identification de chaque contrevenant et ne met ainsi à la charge de l’administration aucune obligation dont la méconnaissance entacherait d’irrégularité la procédure qu’elle a suivie ;
Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’instruction que la SOCIETE ATOM a perçu des paiements en espèces pour des montants supérieurs aux seuils fixés par les dispositions combinées de l’article 1840 J du code général des impôts et des deuxième et troisième phrases de l’article L.112-7 du code monétaire et financier, en raison de transactions portant sur des fruits et légumes, qui sont des objets mobiliers entrant dans le champ d’application de ces dispositions ; que ces faits sont de nature à justifier la sanction, nonobstant la circonstance que les versements en cause provenaient d’un seul client, qualifié par la SOCIETE ATOM elle-même d’entreprise mauritanienne , dont le siège social est situé à l’étranger et qui n’était donc pas tenu de s’inscrire au registre du commerce et des sociétés en France en vertu du code de commerce français ;
Considérant, en quatrième et dernier lieu, qu’il résulte de l’instruction que l’infraction a porté sur un montant total de 5 444 311 F (829 982,91 euros), réparti sur trois exercices ; que, toutefois, la SOCIETE ATOM fait valoir, d’une part, que les sommes reçues en espèces ont été versées sur des comptes bancaires et portées en comptabilité, de sorte que les paiements en espèces n’auraient pas eu pour finalité de permettre à la société requérante de se livrer à la fraude fiscale, d’autre part, qu’il ne lui était pas possible d’obtenir de son client, compte tenu de la situation de celui-ci, un règlement par chèque ou par virement ; qu’il n’est pas allégué par l’administration que ces versements auraient été effectués dans le cadre d’un circuit de blanchiment d’argent ; que, par suite, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de fixer le montant de l’amende à 3 % des sommes indûment réglées en numéraire, soit 24 899 euros ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la procédure suivie tant devant le Conseil d’Etat que devant la cour administrative d’appel ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 5 août 2004 de la cour administrative d’appel de Paris et le jugement du 24 février 2000 du tribunal administratif de Melun sont annulés.
Article 2 : L’amende mise à la charge de la SOCIETE ATOM est fixée à un montant s’élevant à 3 % des sommes indûment réglées en numéraire, soit 24 899 euros.
Article 3 : La SOCIETE ATOM est déchargée de la différence entre le montant de l’amende mise à sa charge par l’avis de mise en recouvrement en date du 25 janvier 1999 et celui fixé à l’article 2 ci-dessus.
Article 4 : L’Etat versera à la SOCIETE ATOM une somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus de la demande présentée par la SOCIETE ATOM devant le tribunal administratif de Melun est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ATOM et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.