La distinction des établissements publics et des établissements d’utilité publique (V. au sujet de cette distinction notre Rép. gén. du dr. fr., v° Etablissements publics ou d’utilité publique, n. 7 et s.), qui, nous le croyons bien, avec la rigueur où nous l’entendons, est particulière à notre droit administratif français, n’est pas une de ses meilleures trouvailles; elle est plus conforme à la logique qu’aux exigences de la vie. C’est souvent du double emploi, par conséquent de l’administration coûteuse; c’est trop souvent un fossé creusé entre les institutions d’Etat et les institutions sociales, alors que l’Administration d’Etat devrait tendre à se fondre avec la société.
On est parti de cette idée que l’Etat devait avoir à lui des organismes destinés à la satisfaction des besoins spéciaux qui présentent un certain caractère d’intérêt public, et il y a du vrai dans cette idée. D’autre part, on a reconnu que l’Etat était impuissant à satisfaire tous les besoins qui présentent un caractère d’intérêt public, que l’initiative privée devait être laissée libre de travailler, elle aussi, au bien public, et pour cela de fonder des établissements durables sous la réserve de leur reconnaissance d’utilité publique; cela est également très juste. Mais il eût été naturel que, de ces prémisses posées : action parallèle des établissements publics appartenant à l’Etat et des établissements d’utilité publique appartenant à l’initiative privée, il découlât des habitudes de collaboration, d’entente entre les deux ordres d’établissements, mieux que cela, des combinaisons amenant dans bien des hypothèses la création d’établissements mixtes dont on ne saurait plus bien s’ils sont établissements publics ou établissements d’utilité publique. Dans bien des cas, ces établissements mixtes, combinant les forces gouvernementales avec les forces sociales, profitant des ressources de la générosité privée en même temps que des subventions administratives, auraient eu à moins de frais plus d’efficacité et plus d’action.
Il existe quelques-uns de ces établissements mixtes, et ce ne sont pas les moins vigoureux. Les caisses d’épargne ordinaires sont classées parmi les établissements d’utilité publique (V. Cass. 5 mars 1856, motifs. S. 1856.1.517; P. 1856.2.605; 7 déc. 1883, S. 1884.1.300; P. 1884.1.715), mais on sait à quelles discussions elles ont donné lieu et de combien près elles tiennent à l’Administration; en réalité, elles sont le produit fécond d’une collaboration des pouvoirs administratifs et de l’initiative privée. II en est de même des monts-de-piété (V. notre Rép. gén. du dr. Fr., v° Mont-de-piété, n. 4 et 194). Les associations syndicales ont été pendant longtemps considérées comme des établissements d’utilité publique, et sont encore des associations d’intérêt privé affublées du titre d’établissements publics (V. la note de M. Hauriou, sous Trib. des conflits, 9 déc. 1899, Association syndicale du canal de Gignac, S. et P. 1900.3.49). Les chambres de commerce (V. Cass. 28 oct. 1885, S. 1886.1.436; P. 1886.1.1053) obéissent sérieusement à l’esprit d’initiative des commerçants, parce que leurs membres sont élus et qu’elles ont des ressources alimentées par des impôts de classe. Les consistoires protestants et israélites, pour des raisons analogues, unissent l’esprit confessionnel à l’esprit d’Etat. Par conséquent, les établissements à allures mixtes sont en assez grand nombre, et ils ont assez bien réussi pour que le type en soit connu et s’impose à l’attention de quiconque, en administration comme en politique, estime que la préoccupation des résultats n’est pas inconciliable avec celle des principes.
Il est regrettable que le Conseil d’Etat ait perdu de vue ce type de l’établissement public mixte dans les trois arrêts par lesquels il vient de définir la condition des caisses des écoles. On le lui a dit pourtant, et des amis de la première heure de l’institution des caisses des écoles, comme M. Beurdeley, maire du VIII° arrondissement de Paris, ont fait entendre le cri d’alarme. Aucun établissement plus que la caisse des écoles n’a besoin de la sympathie agissante du public; par conséquent, aucun n’aurait eu besoin d’être conçu d’une façon plus large. Au lieu de cela, chacune de nos trois décisions en rétrécit un peu la notion; l’une déclare que ce sont, non pas des établissements de bienfaisance, mais des établissements scolaires, et que, par conséquent, leurs allocations ne peuvent aller qu’aux enfants qui fréquentent l’école primaire publique; l’autre refuse aux membres souscripteurs qualité pour former recours contre les décisions de l’autorité supérieure annulant une délibération du comité; la troisième enfin semble dénier l’existence d’un contentieux électoral pour la nomination des administrateurs des caisses, qui est pourtant une élection. Toutes les trois conspirent à faire des caisses des écoles de pures caisses en effet, et très administratives, sur lesquelles les membres souscripteurs n’auront aucune action directe; seulement nous craignons bien que, du même coup, elles n’en fassent des caisses vides, faute de souscripteurs, car, désormais, qu’est-ce qui intéressera là-dedans les souscripteurs ? N’étant maîtres de rien, sinon de donner leur argent, ils préféreront le réserver pour des associations libres que la loi du 1er juillet 1901 leur permet de fonder. Les amis de l’école publique eux-mêmes déserteront la caisse des écoles; et, s’ils ont du zèle, ils fonderont une de ces associations du type du sou des écoles laïques, dont le Journal officiel, dans la seule armée 1904, a enregistré près de cinquante déclarations. Et sans doute ces associations sont très zélées; mais, par cela même, elles ne présentent pas les mêmes garanties de sagesse et d’impartialité que la caisse des écoles; elles ne contribuent pas à créer autour de l’école publique l’atmosphère de calme qui conviendrait. Assurément, le salut de la France n’est pas lié à celui des caisses des écoles, mais il est toujours pénible de constater qu’en organisation administrative, nous ne guérissons pas de cette manie de logique qui nous fait dire : périsse l’institution plutôt qu’un principe !
I. — L’institution des caisses des écoles a son origine dans l’art. 15 de la loi du 10 avril 1867, ainsi conçu : « Une délibération du conseil municipal, approuvée par le préfet, peut créer, dans toute commune, une caisse des écoles, destinée à encourager et à faciliter la fréquentation de l’école par des récompenses aux élèves assidus et par des secours aux élèves indigents. Le revenu de la caisse se compose de cotisations volontaires et de subventions de la commune, du département ou de l’Etat. Elle peut recevoir, avec l’autorisation des préfets, des dons et des legs. Plusieurs communes peuvent être autorisées à se réunir pour la formation et l’entretien de cette caisse. Le service de la caisse des écoles est fait gratuitement par le percepteur. » Les caisses des écoles ont été rendues obligatoires dans chaque commune par l’art. 17 de la loi du 28 mars 1882, ainsi conçu : « La caisse des écoles instituée par l’art. 15 de la loi du 10 avril 1867 sera établie dans toutes les communes. Dans les communes subventionnées dont le centime n’excède pas 30 francs, la caisse aura droit, sur le crédit ouvert pour cet objet, au ministère de l’instruction publique, à une subvention au moins égale au montant des subventions communales. La répartition des secours se fera par les soins de la commission scolaire. » La disposition de cet article relative à la subvention de l’Etat a été à son tour abrogée par la loi du 19 juillet 1889, art. 54.
De cette législation résultent les règles suivantes :
1° Une caisse des écoles doit être établie dans chaque commune (L. 28 mars 1882, art. 17);
2° Elle sera créée par une délibération du conseil municipal approuvée par le préfet, et cet acte en contiendra les statuts, qui pourront varier d’une commune à l’autre (sauf en pratique la pression du préfet pour faire adopter des statuts-types) (L. 10 avril 1867, art. 15);
3° Le revenu de la caisse se compose de cotisations volontaires et de subventions de la commune, du département ou de l’Etat, mais qui, depuis l’abrogation de l’art. 17 de la loi du 28 mars 1882, § 1er, in fine, sont purement volontaires et par conséquent aléatoires; plus des dons et legs (L. 10 avril 1867, art. 15);
4° La caisse est destinée à encourager et à faciliter la fréquentation de l’école par des récompenses aux élèves assidus et par des secours aux élèves indigents (L. 10 avril 1867, art. 15);
5° La répartition des secours se fera par la commission scolaire, laquelle est un organe créé par la loi du 28 mars 1882, art. 5, dans chaque commune, pour surveiller et encourager la fréquentation des écoles, et par suite devra forcément faire partie du comité d’administration de la caisse des écoles.
Une circulaire du 29 mars 1882 contient un modèle de statuts de caisse qui a servi à l’organisation de toutes les caisses fondées depuis cette date, et qui est encore en vigueur, car il est rapporté dans le Nouveau Code de l’instruction primaire de Pichard, édition de 1903, p. 426; en voici le texte :
Article premier. Une caisse des écoles est instituée à… en exécution de l’art. 17 de la loi du 28 mars 1882. Elle a pour but de faciliter la fréquentation des classes par des récompenses sous forme de livres utiles et de livrets de caisse d’épargne aux élèves les plus appliqués et par des secours aux élèves indigents et peu aisés, soit en leur donnant les livres et fournitures de classe qu’ils ne pourraient se procurer, soit on leur distribuant des vêtements et des chaussures, et, pendant l’hiver, des vêtements chauds.
Art. 2. Les ressources de la caisse se composent : 1° Des subventions qu’elle pourra recevoir de la commune, du département et de l’Etat; 2° des fondations et souscriptions particulières; 3° du produit des dons, legs, quêtes, fêtes de bienfaisance, etc.; 4° des dons en nature tels que livres, objets de papeterie, vêtements, denrées alimentaires.
Art. 3. La société de la caisse des écoles comprend des membres fondateurs et des membres souscripteurs.
Art. 4. Le titre de fondateur de la caisse des écoles sera acquis par le versement minimum de … francs, une fois payés, ou des annuités de … francs chacune.
Art. 5. Le titre de souscripteur résultera d’un versement annuel de … francs au minimum.
Art. 6. La caisse des écoles est administrée par un comité composé des membres de la commission scolaire locale et de … autres membres, élus pour une période de … ans, par l’assemblée générale des sociétaires, et rééligibles.
Ce comité, présidé par le maire, élit chaque année un vice-président, un secrétaire et un trésorier. Il pourra s’adjoindre en nombre indéterminé les dames patronnesses.
Art. 7. Toutes les fonctions du comité de la caisse des écoles sont essentiellement gratuites.
Art. 8. Le comité arrête chaque année le budget des dépenses de la caisse des écoles et règle l’emploi des fonds disponibles. Il détermine la somme que le trésorier conservera pour les dépenses présumées de l’année, le surplus devant être placé sur l’Etat, en rentes 3 p. 100 amortissables.
Art. 9. Le comité se réunit au moins trois fois par an, savoir : dans le mois qui suit la rentrée des classes, dans celui qui précède Pâques, et dans le mois qui précède l’ouverture des vacances; il se réunit plus souvent si le président juge nécessaire de le convoquer ou si cinq de ses membres en font la demande.
Art. 10. Le comité aura la faculté de convoquer à ses réunions l’instituteur, l’institutrice et la directrice de l’école maternelle; mais ces fonctionnaires n’auront que voix consultative.
Art. 11. Dans l’intervalle des réunions du comité, les mesures urgentes peuvent être prises, sauf à en référer au comité lors de sa première séance, par le bureau dudit comité.
Art. 12. Aucune dépense ne peut être acquittée par le trésorier qu’en vertu d’un bon signé par le président et le secrétaire.
Art. 13. Dans une assembles générale annuelle des sociétaires, il est rendu compte des travaux du comité et de la situation financière de l’œuvre. Une copie de ce compte rendu est transmise à M. l’inspecteur d’académie.
Art. 14. Aucune modification aux présents statuts ne pourra avoir lieu sans l’approbation de l’autorité préfectorale.
Au point de vue de l’organisation des caisses des écoles, ces statuts modèles sont intéressants et nous apprennent un certain nombre de choses : 1° Les caisses des écoles sont considérées comme des sociétés qui ont des membres (art. 3); ces membres fondateurs ou souscripteurs paient des cotisations ou les rachètent par un versement; nous sommes donc en présence d’une association, d’une universitas personarum. 2° Non seulement il y a des associés ou sociétaires, mais il est tenu une assemblée générale annuelle de ces sociétaires, dans laquelle il est rendu compte des travaux du comité et de la situation financière de l’œuvre (art. 13). Cette assemblée générale des sociétaires est un des organes de l’association; elle ne se borne pas à écouter le compte rendu; sans doute elle l’approuve, et, dans tons les cas, elle élit les membres du comité d’administration qui sont à l’élection (art. 6). 3° La caisse des écoles est administrée par un comité composé : a) des membres de la commission scolaire locale; b) d’un certain nombre de membres élus pour une période de … par l’assemblée générale des sociétaires (art. 6).
Etant donnés ces traits d’organisation, si l’on cherche dans la nombreuse famille des établissements publics quels peuvent bien être les individus apparentés aux caisses des écoles, on songe tout de suite aux associations syndicales de propriétaires constituées en vue d’accomplir des travaux publics. Les associations syndicales, elles aussi, sont à la base des associations; elles aussi ont comme rouage fondamental une assemblée générale des associés qui élit un comité d’administration sous le nom de syndicat. La seule différence est que le syndicat de l’association syndicale est entièrement élu par l’assemblée générale, tandis que le comité de la caisse des écoles ne l’est pas entièrement, puisqu’il y a des membres imposés par l’Administration. Mais cette différence n’est pas de nature à détruire toute ressemblance ni à enlever aux caisses des écoles tout caractère d’association autonome. De ce que la commission administrative des hospices contient des membres délégués par le préfet à côté de ceux élus par le conseil municipal, conclut-on que cette commission n’a aucune autonomie et que les électeurs de la commune n’ont aucune action sur elle ? D’ailleurs, si les membres de la commission scolaire doivent faire partie du comité de la caisse des écoles, il ne faut pas oublier qu’eux-mêmes, en grande majorité, sont des élus, non pas des souscripteurs associés, mais des électeurs de la commune, puisque, aux termes de l’art. 5 de la loi du 28 mars 1882, la commission scolaire se compose du maire, président, de délégués du conseil municipal et d’un délégué cantonal choisi par l’inspecteur d’académie. Sauf cet unique délégué administratif, le comité de la caisse des écoles ne comptera donc que des élus. Son organisation est donc encore plus élective que celle de la commission administrative des établissements charitables; on peut dire que la caisse est sous la direction, pour moitié, du corps électoral de la commune, pour moitié de l’assemblée générale des souscripteurs; on espérait que ces deux groupes marcheraient d’accord, et, dans une large mesure, se confondraient, de sorte que le plan était de faire de la caisse des écoles un établissement largement décentralisé, confié au zèle et au dévouement de la population de la commune tout entière. A un certain point de vue, c’était une compensation due au particularisme local de cette population. La loi du 28 mars 1882 commençait une réforme qui, complétée par celles du 30 octobre 1886 et du 19 juillet 1889, devait centraliser aux mains de l’Etat le service de l’enseignement primaire, sur lequel jusque-là les communes avaient eu une action directe. Au moins, si la direction du service échappait totalement aux communes, et si elles n’avaient plus d’action sur l’instituteur, pouvait-on leur laisser la satisfaction de s’occuper des élèves, et d’améliorer la condition des enfants assujettis à l’obligation scolaire.
Ces considérations, ces déductions tirées des statuts-types, ces comparaisons, auraient dû porter le Conseil d’Etat à orienter l’institution de la caisse des écoles vers la décentralisation et la liberté, par conséquent à élargir la spécialité de l’établissement et à fixer au plus haut les droits des associés souscripteurs. Au contraire, il a rétréci la spécialité de l’établissement et il a fixé au plus bas les droits des associés souscripteurs, supprimant complètement leur qualité d’associés, ne tenant compte que de celle de souscripteurs, et les réduisant au seul droit de réclamer la restitution de ce qu’ils ont donné ou souscrit, si les secours de la caisse ne sont pas distribués suivant leur volonté. Par voie de conséquence, la caisse des écoles ne représente plus une population d’associés; elle est une caisse administrative existant en soi et par soi, à la manière de la caisse d’épargne postale, ou de celle des dépôts et consignations; elle reçoit des souscriptions, comme la caisse des dépôts reçoit des consignations, et la caisse d’épargne des placements; ces souscriptions sont sous condition et doivent être restituées si la condition n’est pas remplie.
On va voir se dessiner cette conception réfrigérante au cours des deux paragraphes suivants, dont l’un est consacré, avec l’affaire de la Caisse du VIe arrondissement, à la détermination de la nature de l’établissement et de sa spécialité administrative, l’autre, avec les affaires Fourcade et Dareste, à la détermination de la situation des souscripteurs et de leurs droits.
II. — L’affaire de la Caisse du VIe arrondissement de Paris a été provoquée par un arrêté du préfet de la Seine, en date du 12 décembre 1901, prononçant l’annulation d’une délibération du comité d’administration de la caisse tendant à assurer la distribution de bons aux élèves des écoles primaires privées. La caisse des écoles, représentée par son vice-président autorisé par le comité d’administration, a déféré au Conseil d’Etat cet arrêté du préfet pour excès de pouvoir. Le litige portait sur le droit pour les caisses des écoles de distribuer des secours aux enfants fréquentant les écoles privées aussi bien qu’à ceux fréquentant l’école publique. Par conséquent, il soulevait deux questions : 1° les caisses des écoles sont-elles des établissements publics dont la spécialité puisse être administrativement fixée, ou des établissements d’utilité publique libres de leurs allures; 2° si elles sont des établissements publics, leur spécialité administrative est-elle d’ordre charitable, auquel cas on concevrait que des secours fussent alloués aux enfants des écoles privées aussi bien qu’à ceux des écoles publiques; est-elle au contraire d’ordre scolaire, auquel cas leurs secours ne pourront être distribués qu’aux élèves de l’école publique dont elles constitueront une sorte d’annexe ?
Sur la première question, nous serons très bref, parce qu’elle ne présente qu’un intérêt pratique secondaire; peu importe que la caisse des écoles soit un établissement public, si celui-ci est conçu avec une suffisante largeur. Depuis la loi du 28 mars 1882, qui a rendu la caisse obligatoire dans chaque commune, il semble difficile de soutenir que ce ne soit pas un établissement public. (V. Avis Cons. d’Etat, 17 mai 1900, Rev. gén. d’admin., 1901, T. Ier, p. 301; Cons. d’Etat, 24 mai 1901, Barens, S. et P. 1904.3.42; Comp. Orléans, 4 août 1900, S. et P. 1904.2.129, la note et les renvois). Dans l’affaire de la Caisse du VIe arrondissement, qui avait été fondée avant 1882 sous l’empire de la loi de 1867, on pouvait se demander si les caisses fondées à cette époque n’étaient pas, au contraire, des établissements d’utilité publique. M. Romieu, commissaire du gouvernement, examine ce point dans ses conclusions (V. Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 395 et s., note), et ce qui le détermine pour la qualité d’établissement public, c’est que, dès cette première période, les caisses des écoles étaient créées par délibération du conseil municipal, donc fondées administrativement. On pourrait objecter que nombre de caisses d’épargne ordinaires ont été également fondées par délibération du conseil municipal, ce qui ne les a pas empêchées de rester simples établissements d’utilité publique, mais il faut reconnaître que le service de l’épargne n’a jamais été considéré comme municipal au même titre que le service scolaire ou le service de l’assistance; disons que le fait de la création par le conseil municipal, joint à cet autre fait que le service à gérer par la caisse des écoles peut être considéré comme étant de la compétence municipale, induit à penser que le service de la caisse est administratif, que la caisse elle-même est un établissement administratif et qu’elle l’a été dès le début. C’est la solution du Conseil d’Etat : « Considérant, lit-on dans la première espèce, que les caisses des écoles ont été instituées comme établissements publics, facultatifs à l’origine pour les communes (obligatoires depuis la loi de 1882), » et les deux autres décisions répètent : « Considérant que les caisses des écoles sont des établissements publics communaux, fonctionnant sous l’autorité des préfets. » La question est donc jugée, et, nous le répétons, nous ne voyons aucun inconvénient à la chose.
Mais reste à savoir quelle est la spécialité administrative de ces établissements publics. On pouvait hésiter entre deux opinions : ou bien les caisses des écoles sont purement scolaires, ou bien elles sont à la fois charitables et scolaires. Au point de vue des textes, il y avait des arguments dans les deux sens, l’art. 15 de la loi du 10 avril 1867 visant à la fois la fréquentation de l’école par des récompenses aux élèves assidus et les secours aux élèves indigents. C’était un parti à prendre, et pour ainsi dire une définition à donner, plus ou moins large ou plus ou moins étroite, selon qu’on appuyait sur l’idée de fréquentation de l’école ou sur l’idée de secours aux élèves indigents.
Le Conseil d’Etat a opté pour la définition étroite : « Considérant que les caisses des écoles ont été instituées… dans le but d’encourager et de faciliter la fréquentation des écoles primaires, que, leur fonction consistant à distribuer, soit des récompenses, soit des secours aux élèves indigents, les distributions ne sont que le moyen d’assurer la fréquentation de l’école, but unique de leur institution; qu’à ce titre, elles sont, non des établissements de bienfaisance, mais des établissements scolaires annexes » (Caisse du VIe arrondissement, 1ère espèce).
La conséquence, déduite par le reste de la décision, est que, depuis la loi du 30 octobre 1886, elles ne peuvent plus employer leurs ressources indistinctement en faveur des écoles privées et des écoles publiques, parce que, depuis cette loi, les établissements administratifs, comme les communes, ne peuvent subventionner que les écoles publiques. On trouvera des renseignements complets sur la déduction de cette conséquence dans les conclusions précitées de M. Romieu (Op. cit., p. 390 et s.). On y verra que, jusqu’en 1886, l’école privée a joué un rôle considérable dans le service de l’enseignement, mais que, depuis la loi de 1886, elle est hors du service public. Les communes ne peuvent plus subventionner d’école privée (V. Avis Cons. d’Etat, 29 juill. 1888, S. Lois annotées de 1888, p. 370; P. Lois, décr., etc., de 1888, p. 638; Cons. d’Etat, 20 févr. 1891, Ville de Vitré et Ville de Nantes, S. et P. 1893.3.24, avec les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Valabrègue; 4 mai 1894, Comm. de Nontron, S. et P. 1896.3.70, et le renvoi. V. aussi, Cass. 7 juin 1901, S. et P. 1902.1.513, et la note de M. Wahl), les caisses des écoles non plus.
A la vérité, les communes, qui, elles, ont une vocation charitable en même temps qu’une vocation scolaire, peuvent distribuer aux enfants pauvres des écoles privées des secours en argent ou en nature ayant le caractère de bienfaisance pure, parce que la charité et la bienfaisance ne doivent pas faire acception de catégories (V. Cons. d’Etat, 20 févr. 1891, Ville de Nantes, précité, avec les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Valabrègue; 6 août 1897, Ville de Dax, S. et P. 1899.3.80; 21 nov. 1902, Comm. de Daon, Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 678); et la fin de notre décision Caisse du VIe arrondissement nous rappelle que « la participation des élèves indigents fréquentant des écoles privées aux secours de l’assistance publique leur reste acquise, et que c’est à ses représentants qu’il appartient de leur venir en aide ». Mais la caisse des écoles, qui n’a qu’une vocation scolaire, n’a par là même qu’une vocation scolaire publique.
Le tout est de s’entendre. Une commune pourra créer directement ou par son bureau de bienfaisance une cantine scolaire où viendront se restaurer indifféremment enfants indigents de l’école privée et enfants indigents de l’école publique; mais, si la cantine est créée par la caisse des écoles, il n’y pourra venir que des enfants de l’école publique. Nul doute que, dans les communes où la population désire maintenir la paix entre les deux écoles, des organisations d’assistance pure ne soient préférées à celles de la caisse des écoles, qui sera délaissée. Dans les communes où la rivalité entre écoles libres et écoles publiques est à l’état aigu, elle sera délaissée pour une autre raison, parce que les souscripteurs n’y auront pas assez de liberté d’action.
III. — Les deux affaires Fourcade et Dareste (2e et 3e espèces) vont nous apprendre comment le Conseil d’Etat a enlevé aux membres souscripteurs tout moyen d’action sur l’administration de la caisse.
1° La décision Fourcade a été rendue dans les circonstances suivantes : le préfet de Seine-et-Oise avait annulé une délibération du comité de la Caisse des écoles de Monsoult, portant que cet établissement assurerait à tous les enfants de la commune, sans exception, la gratuité des fournitures scolaires et fournirait des chaussures aux enfants nécessiteux. Le comité de la caisse n’avait pas voulu se pourvoir lui-même contre cette annulation, comme dans l’hypothèse de la caisse du VIe arrondissement. C’est le maire de la commune qui, en sa seule qualité de souscripteur, intentait le recours pour excès de pouvoir. Il s’agissait de savoir s’il avait qualité. Le Conseil d’Etat répond à cette question par les deux propositions suivantes :
a) Le fait de verser ou de s’obliger à verser des cotisations volontaires à la caisse des écoles ne peut donner qualité pour déférer au Conseil d’Etat statuant au contentieux les actes de l’autorité sous le contrôle de laquelle les caisses des écoles sont placées; donc requérant non recevable;
b) Si le requérant se croit fondé, soit à demander le remboursement de cotisations par lui versées, soit à refuser le paiement de celles qu’il aurait promises, la présente décision ne fait pas obstacle à ce qu’il fasse reconnaître par la juridiction compétente que les conditions mises à son engagement ne sont pas remplies.
Le commentaire de ces deux propositions nous est donné dans les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Romieu en une discussion très ingénieuse. On avait soutenu pour le requérant que les souscripteurs ou membres des caisses des écoles ont des droits qu’ils tiennent des statuts, que notamment ils reçoivent les comptes du comité et qu’ils votent pour les élections à ce même comité; qu’ils sont donc associés par les statuts eux-mêmes à l’administration de la caisse; que, dès lors, ils ont un droit acquis en vertu du contrat d’association à exercer un contrôle sur la marche de l’association.
M. Romieu s’est immédiatement dégagé de ce thème de l’association, qui était gênant, et il a posé la conception suivante de la caisse des écoles : en soi, la caisse est un établissement public, par conséquent, un service public dont la création et le fonctionnement sous le contrôle de l’administration échappent absolument à l’action contentieuse des souscripteurs; à côté de ce service public et à son occasion se forment des contrats de souscription, dont l’inobservation ne peut avoir à l’égard de l’établissement public que des conséquences d’ordre exclusivement pécuniaire, dans des limites à déterminer par le juge du contrat. Ce juge sera, d’ailleurs, le Conseil d’Etat, juge de droit commun en matière administrative, car le contrat de souscription en faveur d’un service public est administratif de sa nature, aussi bien que le contrat d’offre de concours ou de souscription en faveur d’une opération de travaux publics.
Nous ne nions pas l’ingéniosité de cette construction juridique, et nous retenons l’idée du contrat de souscription en faveur d’un service public, qui au besoin pourra servir. Mais nous ne croyons pas que ce fût le lieu dans notre espèce. La thèse de M. Romieu est en somme celle de la transcendance du service public. Du moment que la caisse des écoles est érigée en établissement public, elle ne peut pas rester à base d’association; les deux éléments ne peuvent coexister, parce qu’ils ne sont pas de même ordre : le service public doit faire disparaître devant lui l’élément association, qui est de l’ordre de la vie privée et non pas de celui de la vie administrative; d’ailleurs, cette métamorphose est une transfiguration et comme une ascension dans un monde supérieur au seuil duquel expirent les droits des souscripteurs.
Ce qui empêche notre adhésion à cette très jolie théorie, c’est, d’une part, que les statuts modèles de 1882, que nous avons analysés plus haut, et que M. Romieu s’est bien gardé de citer, donnent incontestablement aux souscripteurs la qualité de membres associés, et c’est, d’autre part, qu’il existe déjà une catégorie d’établissements publics à base d’association, qui est celle des associations syndicales. Il y a même cette circonstance aggravante pour l’association syndicale qu’elle est souvent un syndicat d’intérêts privés. Cependant on en a fait un établissement public, et l’élément association n’a pu être refoulé et détruit par l’élément service public; au contraire, il a été incorporé au service public. Cela signifie que la transcendance du service public n’est pas complètement applicable dans la matière des établissements publics, et, en effet, dans cette région frontière, l’administration s’abaisse au niveau des procédés et des préoccupations particularistes de la vie privée.
Rien ne s’opposait donc à ce qu’on reconnût aux membres souscripteurs des caisses des écoles la qualité d’associés; c’était la solution libérale et en même temps la solution habile. Est-ce à dire que la qualité d’associé les rendait recevables à former recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du préfet annulant une délibération du comité d’administration de la caisse ? Le Conseil d’Etat, qui élargit tellement la recevabilité depuis quelque temps, aurait pu en décider ainsi. On ne pourrait pas directement tirer un argument d’analogie de la recevabilité du recours pour violation de droits individuels. M. Romieu fait observer très finement que les souscripteurs ne sont pas vis-à-vis de la caisse des écoles dans l’attitude de sujets, parce que cette caisse n’a sur eux aucun droit de puissance publique; n’étant pas des sujets, ils n’ont pas non plus de droits individuels proprement dits; mais, s’ils sont des associés, ils sont plus que des sujets, et de leur droit acquis d’associés ils tirent un intérêt suffisant pour justifier un recours pour excès de pouvoir. Nous donnerions la même solution pour les membres d’une association syndicale. Quant à l’objection tirée de ce que les associés sont représentés régulièrement par le comité qu’ils ont élu et ne doivent pas être admis à intenter d’action individuelle, le Conseil d’Etat serait mal venu à s’y arrêter ici, lui qui l’a écartée tant de fois; d’ailleurs, la jurisprudence civile, dans les sociétés en commandite et dans les sociétés anonymes, admet l’action individuelle des associés par application des art. 17 et 39 de la loi du 24 juillet 1867 (Cass. 6 août, 1894, S. et P. 1894.1.496, et le renvoi; Thaller, Tr. élém. de dr. comm., 3e éd., n. 674. V. aussi, Lyon-Caen et Renault, Tr. de dr. comm., 3e éd., T. II, n. 827); et le droit administratif se doit à lui-même de fournir au moins autant de garanties que le droit privé.
2° La décision Dareste (3e espèce) est relative à un recours contentieux contre le refus du préfet d’annuler l’élection des membres du comité d’administration de la Caisse des écoles : elle avait été précédée d’une décision Barens du 24 mai 1901, précitée, dont elle reproduit la jurisprudence. Voici les faits : MM. Dareste et autres avaient demandé au préfet de la Seine d’annuler les opérations électorales effectuées le 29 mars 1901 pour le renouvellement partiel du comité de la Caisse des écoles du XVIe arrondissement; le préfet, ayant gardé le silence pendant plus de quatre mois, a implicitement refusé de faire droit à cette réclamation. Cependant ces opérations électorales se présentaient comme très irrégulières; plusieurs centaines de personnes représentant la majorité des votants avaient pris part au vote, alors qu’aux termes des statuts, elles n’étaient pas électeurs à titre de sociétaires, n’ayant pas versé une cotisation minima de 6 francs, etc., etc. Le ministre de l’instruction publique défendait au fond, et par conséquent acceptait le débat sur le contentieux de l’élection. Le Conseil d’Etat n’admet pas cette position de la question, et rend une décision qui s’analyse clans les propositions suivantes :
a) II n’y a pas de disposition législative ou réglementaire sur l’organisation intérieure des caisses des écoles;
b) Mais cette organisation intérieure est soumise par la loi à l’approbation du préfet;
c) Il s’ensuit que c’est au préfet qu’il appartient de statuer sur les difficultés auxquelles cette organisation peut donner lieu;
d) Notamment les contestations relatives à la nomination des administrateurs doivent être tranchées par le préfet, sauf recours an ministre par la voie hiérarchique;
e) Ces contestations ne sont pas au nombre des réclamations électorales à porter devant la juridiction administrative;
f) Les requérants, qui reconnaissent que le silence gardé par le préfet de la Seine équivaut au rejet de leur réclamation, ne sont pas recevables à déférer ce rejet au Conseil d’Etat statuant au contentieux.
Si cette série de propositions signifiait que le Conseil d’Etat ne peut être saisi d’un recours contentieux que contre la décision du ministre et après que celui-ci aura été saisi d’un recours hiérarchique contre la décision du préfet, mais que, procédure à part, il s’agit bien d’une réclamation électorale, nous la comprendrions. Elle signifierait en somme ceci : cette élection très spéciale ne devient une opération administrative au sujet de laquelle puisse être créé un contentieux administratif que lorsqu’elle a été endossée pour ainsi dire par l’autorité administrative en une vérification préalable, et, pour que l’opération soit complètement endossée, il faut remonter jusqu’au ministre à partir du préfet qui avait autorité pour l’approbation des statuts. En même temps d’ailleurs que cet endossement permettra la création du contentieux, il suppléera à l’absence de texte réglementaire applicable, car il comportera une vérification préalable des statuts, d’après lesquels doit être jugée l’élection; la situation ainsi vérifiée par l’autorité hiérarchique équivaudra à une situation réglementaire. Il en sera de cette vérification administrative de l’élection en matière de caisse des écoles comme il en est en matière de chambres de commerce en vertu de l’arrêté du 3 nivôse an XI; comme il en est en matière du Conseil supérieur de l’instruction publique en vertu du décret du 16 mars 1880; comme il en est en matière de conseils presbytéraux ou de consistoires en vertu du décret du 12 avril 1880; avec cette seule différence qu’au lieu d’être prescrite par un texte, elle le sera par la jurisprudence.
Si ce n’est pas là la signification de notre décision, d’abord nous le déclarons regrettable, parce que les souscripteurs des caisses des écoles ont des raisons de désirer être considérés comme électeurs et seront déçus; ensuite, nous ne comprenons plus la combinaison.
Si l’opération par laquelle sont désignés les membres du comité de la caisse des écoles n’est pas une élection, c’est une nomination faite par l’assemblée des souscripteurs. Il appartient au préfet, sous l’autorité du ministre, d’approuver ou d’annuler cette délibération, soit; mais alors un recours pour excès de pouvoir peut être intenté contre ces décisions administratives, et il n’y a aucune raison pour qu’il ne puisse pas l’être omisso medio contre la décision du préfet; nous ne comprenons pas l’indication du recours hiérarchique devant le ministre.
Si l’opération est envisagée comme une élection, le recours hiérarchique se conçoit comme le préalable obligé du recours contentieux électoral pour les raisons exceptionnelles que nous avons développées plus haut, et par analogie avec ce qui se produit pour les élections aux chambres de commerce, etc…; mais, si l’opération n’est qu’une nomination soumise à l’autorité du préfet, le recours hiérarchique ne se conçoit plus comme le préalable obligé du recours pour excès de pouvoir, ce qui serait contraire à la jurisprudence bien établie de l’arrêt Bansais du 13 avril 1881.
D’un autre côté, si le Conseil d’Etat envisage le recours comme une réclamation électorale qui aurait dû être soumise au préalable au ministre, comment se montre-t-il formaliste au point de ne pas assimiler à une décision préalable du ministre les observations sur la requête par lesquelles celui-ci déclare accepter le débat et défend au fond la validité de l’élection ? On pourrait citer des hypothèses assez nombreuses dans lesquelles le Conseil a admis cette assimilation et s’est reconnu valablement saisi. (V. Cons. d’Etat, 3 févr. 1899, Beaudoin, Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 91; 24 mars 1899, Favril et Flacon [motifs], S. et P. 1901.3.107, et plus anciennement, Cons. d’Etat, 21 mars 1879, Mercier, S. 1880.2.306; P. chr; 27 nov. 1891, Morton, S. et P. 1893.3.111). On se demande pourquoi ici le Conseil d’Etat a montré tant de réserve, et l’incertitude s’en trouve accrue.