A la différence des procédures engagées devant le juge judiciaire, l’appel initié devant les cours administratives d’appel n’est pas suspensif sauf texte contraire (article R.811‑14 du code de justice administratif).
Le juge d’appel, sur demande de l’appelant, peut toutefois ordonner la suspension de la décision administrative litigieuse (référé-suspension en cas de jugement de rejet, cf. article L.521-1 du code de justice administrative) ou qu’il soit sursis à l’exécution du jugement entrepris (en cas de jugement d’annulation, de réformation ou de condamnation, cf. articles R.811‑15 et s. du code). Il existe à cette fin plusieurs possibilités de sursis à exécution d’une décision de justice qui sont complexes et apparaissent dépassées au regard des avancées des procédures de référé depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000.
Dans le cadre de la procédure de sursis à exécution prévue par l’article R.811‑15 du code de justice administrative, la juridiction d’appel peut prononcer le sursis du jugement entrepris si les moyens présentés devant lui permettent de justifier son annulation ou sa réformation ainsi que le rejet de la demande présentée aux premiers juges. Ceci implique en réalité que l’appelant démontre non seulement que le jugement doit être annulé, soit pour irrégularité soit au fond, mais également que les conclusions de première instance auraient dû être rejetées ; le prononcé du sursis est donc exceptionnel. Ces restrictions illustrent bien la conception générale qu’a le juge administratif suprême de l’exercice des voies de recours dans lesquelles on ne saurait tenir pour dépourvues d’existence les décisions antérieures dans l’exercice des voies de recours (cf. Conseil d’Etat, Section, 11 juin 1999, OPHLM de la ville de Caen, requête numéro 173972, publié au recueil).
Le Tribunal administratif de Besançon avait annulé une délibération d’un établissement public de coopération intercommunale créant une zone d’aménagement concerté par un jugement du 12 décembre 2012. Il a été alors interjeté appel de ce jugement par cet établissement et, par requête distincte (conformément à l’article R.811-17-1 du code), il a été sollicité le sursis à exécution de ce jugement. La Cour administrative d’appel de Nancy a fait intégralement droit aux conclusions tendant au sursis par un arrêt du 27 juin 2013 qui a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
Le Conseil d’Etat n’était donc saisi que de la seule question du sursis à exécution du jugement entrepris et non du fond de l’affaire qui demeure pendant devant la cour de Nancy.
Il va préciser, à cette occasion, les limites inhérentes à l’office du juge d’appel statuant comme juge du sursis. Ce raisonnement peut être parfaitement transposé à toutes les autres procédures de sursis à exécution dirigées contre une décision juridictionnelle devant le juge d’appel, y compris les juridictions spécialisées, que devant le juge de cassation.
1°) En préalable, il convient de préciser que si le sursis à exécution peut être sollicité par une partie, ce n’est qu’une faculté et non une obligation. Par voie de conséquence, l’exécution « provisoire » du jugement entrepris ne saurait, en aucune manière, être assimilée à un quelconque acquiescement envers son contenu comme cela est le cas devant le juge judiciaire (CE Sect. 15 décembre 1961, Ministre de l’Industrie et du commerce, Rec. p. 712).
De plus, le prononcé du sursis par le juge supérieur ne constitue qu’une faculté et non une obligation. Cela est d’ailleurs illustré par les articles R.122-12 et R.222-1 du code de justice administrative qui prévoient que si le sursis ne peut être accordé que par une décision collégiale (arrêt pour les cours, décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux), le rejet de ces conclusions peut être effectué par simple ordonnance (du président de la Cour, de la section du contentieux ou des formations de jugement).
2°) Ensuite, le Conseil d’Etat prend soin de préciser que le juge du sursis se prononce au vu de la requête spécialement formée à cette fin et du dossier de première instance qui lui est transmis par le soins du greffe du tribunal administratif. Il en résulte deux conséquences.
Dans un premier temps, à l’image de l’examen durant la procédure d’admission des pourvois en cassation ou de l’examen des requêtes de référé-suspension, le juge d’appel n’a pas à rechercher si les moyens invoqués au fond seraient susceptibles de prospérer lorsqu’ils ne sont pas repris dans la requête distincte formée à l’occasion de la procédure de sursis. Ceci implique que le juge d’appel n’a pas à suppléer les carences procédurales de l’appelant en la matière y compris dans le cadre particulier des recours en matière d’urbanisme dans lesquels, le principe d’économie des moyens est neutralisé (article L.600-4-1 code de l’urbanisme).
Dans un second temps, le juge d’appel méconnaîtrai son office s’il ne soulève pas, suivant la procédure prévue par l’article R.611-7 du code de justice administrative, les moyens d’ordre public qui ressortent du dossier même s’ils ne sont pas repris formellement dans la procédure de sursis (CAA Lyon, 9 novembre 2006, SIVOM de Merceray et Lerrey, n° 05LY01724, concl. D. Besle, AJDA 2007 p. 44).
En effet, de tels moyens sont invocables à tout stade de la procédure y compris pour la première fois en appel (Conseil d’Etat, SSR., 29 septembre 2000, Société Dezellus Métal industrie, requête n° 186916, rec. p. 381). Toutefois, ces moyens doivent résulter du dossier mais l’appelant peut parfaitement les invoquer par un mémoire complémentaire produit dans l’instance tendant au sursis à exécution.
3°) Les effets du jugement de la procédure de sursis sont ici doubles.
En cas de prononcé du sursis, du fait de la présence d’un « moyen sérieux », le sort réel de l’appel entrepris est susceptible d’être provisoirement fixé et l’intimé devra nécessairement combattre ce « pré-jugement ». Les effets du sursis sont ainsi limités dans le temps et prennent fin lors de la lecture de la décision statuant sur le fond de l’appel. Ceci implique que les parties peuvent faire état, dans l’intervalle, de tout élément de droit ou de fait nouveau et peuvent produire toutes pièces utiles. Il s’agit ici du même raisonnement que celui qui doit être opéré par les parties en cas de prononcé d’une suspension par le juge des référés dans l’attente du jugement au fond par un tribunal administratif.
Mais il convient de préciser que la requête en matière de sursis est jugée « en l’état de l’instruction » ce qui permet également d’entrevoir d’autres alternatives procédurales suivant les contentieux.
Il peut être sollicité, à titre subsidiaire, le prononcé d’une substitution de base légale (Conseil d’Etat, Section, 9 décembre 1983, Gasparini, requête n° 54382, rec. p. 495) ou d’une substitution de motifs (Conseil d’Etat Section, 6 février 2004, Hallal, requête n° 240560, Rec. p 48) au vu du moyen retenu par le juge du sursis pour obtenir gain de cause en appel.
Il peut être également invoqué des moyens de défense nouveaux. Ainsi en plein contentieux indemnitaire, il peut être fait état du comportement des autres parties comme éléments d’atténuation ou d’exonération de la responsabilité.
De même, il peut être sollicité la mise en œuvre des jurisprudences Danthony (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, requête n° 335033, rec. p. 649) et Ville de Béziers (Conseil d’Etat, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, requête n°304802, rec. p. 509 ; Conseil d’Etat, Section, 21 mars 2011, Commune de Béziers, requête n° 304806, rec. p. 117) au bénéfice de l’appelant. Ceci permet d’obtenir la requalification du vice sanctionné par le juge du sursis comme « non substantiel » ce qui pourrait éventuellement ne pas conduire à une annulation de la décision administrative litigieuse.
4°) Le juge du sursis est donc susceptible de prendre en compte les moyens invoqués devant lui. Sa motivation peut être sommaire en cas de rejet du sursis ou limitée au seul moyen qui apparaît fondé (Conseil d’Etat, SSR, 6 juillet 2007, Ville de Paris, requête n° 298032, mentionné aux tables). Les jurisprudences relatives à l’office du juge du référé semblent, pour partie du moins, transposables même si les conditions d’instruction et d’octroi du sursis diffèrent de ceux du référé-suspension.
Cela implique également que le juge du sursis peut avoir fait état de sa position sur le fond même du litige. En ce cas, le contenu même de cette décision peut être de nature à justifier un apparence de « partialité » contraire à l’article 6 §.1 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Une telle incidence doit cependant être appréciée au cas par cas compte tenu des motifs de la décision statuant sur le sursis et du comportement des parties notamment lorsque la position du juge n’est que la sanction mécanique de l’absence de défense de l’intimé dans la procédure de sursis.
Enfin, il est regrettable que les juges des référés des cours administratives d’appel ne puissent pas prononcer directement le sursis comme cela se pratique dans l’ordre judiciaire en cas d’exécution provisoire (article 524 du code de procédure civile) ou devant le juge administratif spécialisé (formation restreinte du CNESER, article R.232-34 du code de l’éducation) ; une réforme serait la bienvenue sur ce point. Il est en effet paradoxal que les juges des référés des cours administratives d’appel peuvent se prononcer sur la suspension d’un acte administratif et ne peuvent que rejeter la demande de suspension d’un acte juridictionnel (cf. F. Rolin, « A quand une réforme des procédures d’urgence contre les décisions juridictionnelles », AJDA 2004 p. 1897).