La lutte contre les discriminations est un élément sensible des politiques publiques et l’âge est l’un des critères qui, sous une apparente neutralité, peut largement influer sur les notions d’égalité et de liberté suivant la portée des limites instaurées et leur fondement.
L’exercice de certaines activités et professions peut directement avoir une incidence sur la sécurité des biens et des personnes et fait, de ce fait, l’objet d’une réglementation particulière propre à s’assurer des aptitudes des personnes en cause. C’est ainsi que les « aiguilleurs du ciel », en réalité les membres du corps de fonctionnaire des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne de l’Etat, font l’objet d’une limitation d’âge fixée à 57 ans augmentée depuis à 59 ans (article 3 de la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989 dans ses rédactions antérieures et issue de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010).
Toutefois, et à la différence de la plupart des autres activités faisant l’objet d’une telle restriction, le législateur a expressément exclu toute possibilité de report de cette limite même après un contrôle médical. Ainsi, les commandants et pilotes professionnels sont soumis à des contrôles périodiques d’aptitude médicale (article L.6521-4 du code des transport) et ne peuvent exercer leur activité en transport public au delà de 60 ans sauf dans certaines conditions médicales et d’exploitation dans lesquelles une prolongation est possible jusqu’à 65 ans.
C’est dans ce cadre que M. Lambois et 8 autres requérants, tous « aiguilleurs du ciels », ont demandé au ministre chargé de l’aviation civile d’être maintenu en activité au delà de la limite d’âge légale, alors fixée à 57 ans, compte tenu de leur aptitude médicale en se fondant sur l’article 1‑3 de la loi n° 84‑834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d’âge dans la fonction publique qui autorise un tel procédé. Toutes ces demandes ont été refusées et le Tribunal administratif de Marseille a été saisi d’autant de recours pour excès de pouvoir qui ont été rejetés par des jugements rendus les 10 novembre, 22 décembre 2010 et 20 janvier 2011.
La Cour administrative d’appel de Marseille, régulièrement saisie par ces fonctionnaires, va alors annuler l’ensemble de ces jugements par 9 arrêts rédigés en des termes identiques le 17 juillet 2012 (Cour administrative d’appel de Marseille, Dufilh et autres [9 espèces], requête n° 10MA04633, concl. A. Vincent-Dominguez, AJDA 2012 p. 2450 et s.) en estimant que cette limitation d’âge était contraire aux principes communautaires de non-discrimination.
Le ministre de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie saisira le Conseil d’Etat le 17 septembre 2012 par une série de pourvois dirigés contre ces arrêts qui seront joints, les questions de droit étant strictement identiques.
La principale question posée au juge administratif tenait à l’examen de l’« exception d’inconventionnalité » dirigée contre l’article 3 de la loi du 31 décembre 1989 instaurant la limite des 57 ans au regard de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Autrement dit, il devait être déterminé si le principe de prohibition des discriminations, notamment celles fondées sur l’âge, faisait obstacle en l’espèce à ce que certaines activités aient des limites d’âge impératives plus faibles fixées par les autorités nationales alors que la Cour de Luxembourg y voit une mesure contestable (CJUE, 12 janvier 2010, Stadt Frankfurt am Main, C-229/08).
L’importance et la complexité de cette question, qui est applicable autant aux salariés de droit privé qu’aux agents publics, justifiait le renvoi de son examen à la formation d’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat.
En effet, il résulte du droit européen que les discriminations professionnelles doivent être abolies, dont celles fondées sur l’âge, et que, normalement, sauf d’impérieux motifs publics, elles sont incompatibles avec les Traités (I.). Toutefois, le juge administratif va consacrer une faculté pour les autorités nationales de combiner les normes européennes afin de faciliter le maintien de tels dispositifs (II.).
I. Un cadre européen strict de lutte contre les discriminations fondées sur l’âge
Les principes juridiques d’égalité et de non-discrimination sont des éléments fondamentaux dans un Etat de droit car de leur effectivité peut dépendre la réalité et l’effectivité d’une société fondée sur le droit : ces questions sont donc très sensibles et le droit européen y a très tôt consacré une large place.
Les traités européens et le droit dérivé instaurent ainsi les bases de la suppression des discriminations en matière de travail notamment celles fondées sur l’âge (A.) et la jurisprudence européenne a pu déterminer comment d’autres objectifs d’intérêt général pouvaient justifier leur maintien (B.).
A. Un cadre normatif propice à la suppression progressive de toute discrimination fondée sur l’âge
1°) Le droit interne consacre doublement le principe d’égalité qui, bien que distinct, interagit avec celui de non-discrimination (B. Jorion, Egalité et non-discrimination en droit public français, in G. Koubi (dir.) L’égalité des chances, La Découverte, 2000 p. 139 et s.).
Sur un plan constitutionnel, les articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ainsi que l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 consacrent le principe d’égalité. La pratique prétorienne est cependant de privilégier un rattachement de la jurisprudence à l’article 6 de la Déclaration. Toutefois, le Conseil constitutionnel a interprété ces dispositions comme permettant de régir par des lois différentes des situations différenciées (Conseil Constitutionnel, 9 janvier 1980, « Loi portant aménagement de la fiscalité directe locale », n° 79‑112 DC, obs. L. Favoreu, RDP 1980 p. 1627) et de traiter différemment des situations identiques dans un but d’intérêt général lorsque la différence de traitement est l’objet même de la loi (Conseil Constitutionnel, 7 janvier 1988, « Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole », n° 87‑232 DC, chron B. Genevois, AIJC 1988 p. 404). Le législateur pouvait donc ici opérer un tel traitement et le recours à une question prioritaire de constitutionnalité semblait vain.
Sur un plan jurisprudentiel, le Conseil d’Etat a consacré le principe d’égalité comme principe général du droit (Conseil d’Etat, Section, 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire, requête numéro 92004, GAJA n° 63) et a précisé qu’il était possible de régir différemment des situations différentes (Conseil d’Etat, Section, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, requête numéro 88032 et 88148, rec. p. 274). Mais s’agissant de règles jurisprudentielles de « valeur infra-législative » (R. Chapus, Droit administratif général, Tome I, 15e éd., Montchrestien, 2001, §. 106), il était loisible au législateur d’y déroger.
L’article 1er du Protocole n° 12 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aurait pu être utilement invoqué, puisqu’il prohibe toute forme de discrimination, mais la France ne l’a ni signé, ni ratifié. Ce moyen aurait alors manqué en droit. Ceci justifie d’ailleurs que les requérants aient invoqués en lieu et place la violation des articles 8 et 14 combinés de ladite Convention européenne, or l’âge de mise à la retraite ne rentre pas dans le champ d’application de la « vie privée et familiale » ce qui rend ici superfétatoire l’invocation de la prohibition des discriminations dans les droits garantis (Cour EDH, 23 juillet 1968, Affaire linguistique belge, req. n° 1474, 1677, 1691/62, 1769, 1994/63 et 2126/64, obs. R. Pelloux AFDI 1968 p. 201).
Enfin, il était délicat d’invoquer la Charte sociale européenne dès lors que le souhait des requérants constituait en la renonciation du bénéfice d’une disposition réputée plus favorable que le droit commun.
2°) C’est donc en réalité la méconnaissance du droit de l’Union européenne par le législateur français qui constituait le cœur du litige soumis à l’Assemblée du Conseil d’Etat (cf. R. Hernu, Principe d’égalité et principe de non discrimination dans la jurisprudence de la CJCE, LGDJ, 2003, 568 p.).
En effet, dans le cadre des Traités européens, l’Union a reçu une compétence partagée en matière de politique sociale, en particulier à l’égard des travailleurs (articles 4, 9, 45 et s. TFUE), qui consiste à assurer la liberté de circulation dans l’Union et la réduction des inégalités (Article 8 TFUE).
C’est sur cette base juridique que le Conseil de l’Union européenne a adopté une directive portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail le 27 novembre 2000 (n° 2000/78/CE). Cette directive prévoit qu’elle a « pour objet d’établir un cadre général contre la discrimination fondée sur (…) l’âge (…) en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les Etats membres, le principe de l’égalité de traitement ». On notera qu’elle est applicable sur ce point aux fonctionnaires civils en vertu de son article 3, seules les forces armées pouvant en être exclues (en France, les fonctions de contrôle aérien militaire sont assurés par des sous-officiers des différentes armes qui sont régis par les code de la défense).
La Cour de justice de l’Union européenne a pu dégager sur ce fondement un principe général du droit de l’Union de non-discrimination fondée sur l’âge (CJUE, 22 novembre 2005, Mangold c. Helm, n° C‑144/04) et a été ensuite consacré par l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui a désormais valeur de « Traité » (article 6 §.1 TUE, CJUE grande chambre,19 janvier 2010, Seda Kücükdeveci c. Swedex GmbH & Co. KG, n° C‑555/07).
Depuis le célèbre arrêt Nicolo (Conseil d’Etat, Assemblée, 20 octobre 1989, Nicolo, requête numéro 108243, rec. p. 190, GAJA n° 90), il appartient au juge ordinaire d’écarter une loi, même postérieure, qui serait contraire à une convention internationale (ici les Traités sur l’Union européenne et sur son fonctionnement ainsi que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) ou à un acte de droit dérivé comme une directive (Conseil d’Etat, Assemblée, 28 février 1992, Société Rothmans international France et al., rec. p. 81).
Il était donc requis du juge administratif de l’excès de pouvoir de déterminer si les dispositions législatives opposées aux requérants étaient conformes aux objectifs de la directive et, en cas de besoin, d’appliquer directement les dispositions européennes (Conseil d’Etat, Assemblée, 30 octobre 2009, Perreux, rec. p. 407, GAJA n° 115).
Cependant, la Cour de Luxembourg a été saisie, par la voie préjudicielle, de l’interprétation de cette directive sur saisine du Tribunal fédéral du travail allemand (« Bundesarbeitsgericht ») dans le cadre d’un litige relatif aux pilotes de ligne de la compagnie aérienne allemande Lufthansa. Elle a ainsi donné une méthodologie de détermination de cette compatibilité à l’attention du juge national (CJUE, 13 Septembre 2011, Deutsche Lufthansa, n° C-447/09) sur la base de laquelle la Cour administrative d’appel de Marseille avait annulé les décisions administratives litigieuses.
B. Une compatibilité restreinte des discriminations fondées sur l’âge avec le droit européen
1°) L’avocat général, M. Cruz Villalón, avait ainsi conclu devant la Cour de justice de l’Union européenne qu’une réglementation nationale pouvait, sous certaines conditions restrictives, instaurer des mécanismes professionnels discriminants fondés sur l’âge d’une manière conforme au droit de l’Union.
Dans le cas des pilotes de ligne de la Lufthansa, l’obligation d’assurer la sécurité aérienne constituait un motif légitime d’intervention en la matière pour les autorités nationales mais non pour les partenaires sociaux qui ne sont pas en charge de la sécurité publique.
La finalité suivie est la même que celle soumise à l’attention de l’Assemblée du Conseil d’Etat : les contrôleurs du trafic aérien et les pilotes, chacun en ce qui les concernent, agissent de concert dans le but d’assurer les opérations de transport dans les meilleures conditions de sécurité. S’agissant des contrôleurs aériens français, ils se trouvent dans une situation statutaire légale et réglementaire (Conseil d’Etat, 4 mai 1960, Jaffray, rec. p. 291) qui échappe de ce fait au domaine de la convention collective au sens que lui donne le code du travail.
De plus, il doit exister un lien entre le critère de discrimination et la caractéristique recherchée. En matière de transport aérien, les aptitudes physiques et mentales sont susceptibles de varier avec l’âge ; il existe donc un tel lien.
Ensuite, l’exigence professionnelle recherchée doit être essentielle et déterminante. En effet, le principe demeure la prohibition de toute discrimination ce qui implique qu’il doit exister une nécessité impérieuse d’opérer une telle discrimination pour mettre en échec le droit fondamental ici invoqué (article 52 §. 1 de la Charte). Dans le cas particulier des contrôleurs aériens, il est difficilement concevable que les autorités nationales ne recherchent pas un niveau de sûreté et de sécurité les plus élevés possibles.
Enfin, il est requis une proportionnalité entre la mesure adoptée et l’objectif poursuivi. Or sur ce point, la Cour de Luxembourg avait jugé qu’une discrimination imposant un départ à la retraite dès l’âge de 60 ans consistait en une atteinte disproportionnée du fait de la différence de 5 années avec le droit commun. Il en aurait été autrement s’il avait été prévu le mécanisme inverse permettant un départ anticipé au profit des personnes reconnues inaptes comme cela existe dans le droit commun de la fonction publique.
C’est en suivant méthodiquement ce raisonnement que la Cour administrative d’appel de Marseille avait sanctionné l’administration de l’aviation civile.
2°) Il a ainsi été pris en compte les taches et missions qui peuvent être confiées aux « aiguilleurs du ciel » soit dans le cadre purement administratif (fonctions qualifiées d’« hors salle ») ou opérationnel. Il convient de préciser que ces activités s’organisent suivant des modalités complexes faisant apparaître une organisation entre des phases d’entraînement et formation ou d’application dans un cadre de service continu et permanent (jour et nuit) suivant des cycles irréguliers.
Ceci est de nature à justifier la recherche d’une aptitude physique et mentale qui est matérialisée par des examens et contrôles périodiques tant administratifs que médicaux dans la mesure où ce mode d’organisation est réputé être particulièrement éprouvant.
Le juge d’appel avait alors constaté que la limite d’âge était fixée par le législateur d’une manière telle ne pouvait souffrir d’aucune dérogation ou aménagement quand bien même l’agent serait reconnu médicalement et techniquement totalement apte à ces fonctions.
Il était d’ailleurs invoqué le fait que la législation antérieure à 1989 prévoyait un âge maximal de 65 ans, réduit à 57 ans à cette date, puis en voie d’augmentation progressive depuis dans le cadre de la réforme des retraites. Il y avait donc des incohérences logiques dans la démarches du Parlement au regard d’un objectif européen d’interdiction des discriminations fondées sur l’âge.
Toutefois, il était clairement réservé par le second juge les hypothèses dans lesquelles les personnels ne seraient plus aptes à exercer leurs fonctions totalement ou partiellement ; l’objectif était donc de permettre aux agents qui demeurent aptes à leurs fonctions, malgré l’âge, à continuer d’exercer celles-ci.
C’est en se fondant sur cette disproportion entre l’objectif de maintien de la sécurité aérienne et l’importante restriction quant à l’âge que les décisions litigieuses ont été annulées par le juge d’appel.
II. Une approche nationale bienveillante du juge dans le contrôle des discriminations fondées sur l’âge
A la différence du juge européen qui recherche à privilégier l’objectif de suppression de toute discrimination, le Conseil d’Etat opère une lecture différente du droit afin de préserver les marges d’action de l’administration.
C’est ainsi que la formation la plus solennelle du juge administratif suprême a consacré une possibilité limitée de maintien de certaines dispositions discriminantes fondées sur l’âge (A.) en particulier car les alternatives offertes demeuraient limitées (B.).
A. Une possibilité limitée de maintenir des dispositions générales discriminantes fondées sur l’âge
1°) Le Conseil d’Etat ne confirma nullement le raisonnement de la Cour de Marseille dans le fond de son appréciation même s’il fera également une application du droit européen suivant sa démarche usuelle de lecture globale du droit.
Il est ainsi considéré que les règles générales issues du droit de l’Union européenne imposent normalement l’absence de possibilité de discrimination fondée sur l’âge quant à la cessation des fonctions des agents publics sauf lorsqu’un objectif légitime le permet (Conseil d’Etat, SSR., 22 mai 2013, A, requête numéro 351183, AJDA 2013 p. 1079). Ceci ne fait pas obstacle à ce que l’aptitude médicale des agents soit régulièrement contrôlée et vérifiée avec, le cas échéant, la mise en œuvre des procédures de reclassement ou de cessation du service qui en sont la conséquence conforme à l’article 63 de la loi n° 84‑16 du 11 janvier 1984.
Au cas particulier des contrôleurs de la navigation aérienne, il est expressément prévu par le droit national des contrôles réguliers d’aptitude dont la périodicité et les modalités dépendent directement de l’âge de l’agent (décret n° 90-998 du 8 novembre 1990).
La recherche de la sécurité publique justifiait d’ailleurs parfaitement de l’existence d’une telle mesure au regard du droit communautaire.
Mais, en l’état des textes statutaires nationaux, l’aptitude médicale et technique est appréciée nécessairement sur l’intégralité des taches confiées à ce corps de fonctionnaire et non sur une fraction d’entre-elles. Il ne peut être délivré d’aptitude partielle ou fragmentée comme cela peut être le cas pour les personnels navigant ou pour les corps sédentaires suivant le droit commun (art. 63 de la loi du 11 janvier 1984 précitée).
Ceci était contesté par les requérants qui l’estimaient regrettable en opportunité. Cependant, la capacité de réaction rapide en cas d’aléas (météorologique, panne partielle d’installations au sol extérieures), d’incident (situation perturbée, …) ou d’accident est un élément déterminant de la sûreté aérienne et ce point était ici au cœur du débat. En effet, c’est dans les situations perturbées que la réactivité et la qualité des intervenants sont primordiales.
2°) Mais le Conseil d’Etat qui aurait dû suivre logiquement la Cour administrative d’appel de Marseille va faire appel à un autre texte de droit dérivé européen : la directive n° 2006/23/CE du Parlement et du Conseil relatif aux contrôleurs aériens et qui n’est pas applicable au personnel navigant.
En effet, si sur le seul terrain de la directive de 2000, la « censure » de la loi du 31 décembre 1989 était certaine, l’interférence de la directive du 5 avril 2006 va se révéler être déterminante.
Suivant une règle classique aux termes de laquelle la loi spéciale déroge à la loi générale, le Conseil d’Etat va assimiler les textes prohibant les discriminations fondées sur l’âge à une loi générale à laquelle la directive de 2006, loi spéciale, va, en tant que de besoin, altérer l’application. En effet, ce texte est postérieur à première directive et dispose de la même force juridique.
Or la lettre de l’article 10 de cette directive autorise expressément les Etats membres à fixer une limite d’âge pour les contrôleurs aériens ayant des fonctions opérationnelles ce qui est le cas de tous les membres de ce corps de fonctionnaires français. Dès lors, seule demeurait en litige la question de savoir si l’âge de 57 ans était proportionné au regard de la finalité poursuivie.
L’Assemblée du contentieux ne peut que constater que si les Etats membres peuvent ainsi fixer une telle limite, ils n’y sont pas obligés ce qui permet de déterminer qu’a contrario, les instances européennes ont entendu volontairement laisser une marge d’appréciation aux Etats membres sur ce point.
Pour rechercher l’adéquation entre cette mesure et les objectifs poursuivis, le Conseil d’Etat a pris en compte la variété des situations résultant du droit comparé, malgré ses réserves et ouvertures sur ce procédé (cf. F. Melleray (dir.), L’argument de droit comparé en droit administratif français, Bruylant, 2007, 374 p.), pour constater qu’il n’existe nul consensus mondial sur ces questions d’âge alors qu’il existe de multiples autres points de convergences.
De même, il ne pourra que constater que les possibilités de reclassement actuellement ouvertes de plein droit ne permettent pas le maintien de l’intégralité des agents en cause dans d’autres corps et que ce point, relevant de l’opportunité, ne peut être discuté devant le juge de l’excès de pouvoir.
Afin de s’assurer de son analyse, le Conseil d’Etat a organisé diverses mesures d’instruction, dont des visites sur place (cf. article R. 623-1 du code de justice administrative) afin de déterminer si l’organisation actuelle du contrôle aérien pouvait permettre des aménagements tenant compte de l’amoindrissement des performances du fait de l’âge, en particulier de nuit ou dans des situations critiques, ce qui n’est pas le cas.
Enfin, le fait que l’âge en question était initialement fixé à 65 ans avant d’être réduit à 57 ans aurait pu donner lieu à censure dans la mesure où le législateur a planifié son augmentation vers 59 ans. Mais le Conseil a pris le soin de noter que cette évolution est prévue en 2022 ce qui laisse le temps d’apprécier l’impact des évolutions médicales et administratives sur cette situation.
L’absence de disproportion justifiait en ce cas l’annulation des arrêts attaqués et le rejet de la demande par confirmation des jugements de première instance.
B. Les solutions alternatives offertes par le droit interne
1°) Il convient de relever que l’office du juge de l’excès de pouvoir se révèle ici inefficace pour pallier les contraintes textuelles.
En effet, le juge administratif ne connaît normalement pas de l’opportunité administrative et politique. Ceci exclut qu’il puisse statuer sur l’évolution future de textes lorsqu’aucun texte n’impose le sens du droit. Il n’en va autrement que dans des contentieux spécifiques suivant la volonté expresse du législateur (contentieux des installations classés et des édifices menaçant ruines, certains contentieux disciplinaires, etc.).
Ceci implique que lorsque les textes sont inadaptés, le Conseil d’Etat se révèle impuissant pour trouver une solution utile qui dépasse la simple résolution technique de la question juridique qui lui est directement soumise.
Seule une modification législative permettrait de mettre en échec cette disposition « couperet ». Cela existe dans d’autres corps de la fonction publique par la voie de « dérogations individuelles » en cas d’aptitude technique et médicale. Il pourrait ainsi être autorisé aux agents qui le souhaitent, et le peuvent, de poursuivre leur activité au delà de l’âge légal qui leur spécialement opposable.
On notera à cet égard qu’en pareille hypothèse l’administration peut accorder cette prolongation, elle n’y est jamais tenue et ne peut suppléer l’absence de volonté de l’agent en ce sens (Conseil d’Etat, SSR., 26 février 2007, ANPE, requête numéro 276863, rec. T. p. 665). Les exigences médicales peuvent également être revues à la hausse afin de s’assurer qu’aucune personne ne puisse en réalité en remplir les conditions ce qui de facto priverait cette option de toute effectivité (Le contentieux de l’aptitude médicale de l’aviation civile est à cet égard fourni, cf. parmi de nombreux exemples : Conseil d’Etat, SSR., 16 janvier 2006, X. c. Ministre des transports, requête numéro 267563).
De telles solutions pourraient avoir un aspect hypocrite et il rassurant que le Conseil d’Etat n’invite pas les autorités aéronautiques dans cette voie.
En réalité, c’est l’incohérence normative des textes qui frappe. Adoptée dans l’urgence après un conflit social majeur des contrôleurs aériens, la loi du 31 décembre 1989 est en décalage avec les autres textes relatifs aux limites d’âge des agents publics. Ainsi les agents chargés de la sécurité ferroviaire « non roulants » sont admis à la retraite dans les mêmes conditions que les autres agents sédentaires astreints à un tableau de service avec des possibilités de prolongation.
Si le Parlement pouvait instaurer une telle limite, force est de constater que ce choix n’est pas des plus heureux dans sa formulation.
2°) Il pourrait cependant être aisément mis en œuvre d’autres procédés de bonne administration afin de solutionner ces difficultés.
Le Conseil d’Etat avait étudié les possibilités de reclassement offertes dans le corps des ingénieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile (Décret n° 71-917 du 8 novembre 1971 relatif au statut particulier du corps des ingénieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile) qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes opérationnelles et, par suite, d’aptitude médicale et donc d’âge. Ces fonctions pouvaient donc être exercés par des agents dont l’aptitude au travail décalé et opérationnel serait problématique. Mais de telles opportunités sont limitées et ne permettent pas un reclassement intégral des agents en cause.
C’est ainsi que l’administration va être contrainte de radier des cadres dont la volonté est de prolonger leur activité de service public sans cependant y être contraint.
Il aurait pu être étudié le reclassement ou le détachement dans d’autres corps de la fonction publique d’Etat ou territoriale (ces personnels étant tous ingénieurs, leurs compétences peuvent s’étendre au delà du seul secteur de la circulation aérienne) en particulier dans le cadre de la formation, de l’exploitation des aérodromes ou des transports publics.
Ceci impliquerait de faire une application volontariste de l’article 63 de la loi du 11 janvier 1984 relative aux fonctionnaires de l’Etat qui ne sont plus aptes à exercer leurs fonctions. En effet, il n’est pas illogique que la limite d’âge soit nécessairement une limite d’aptitude (sinon elle serait irrégulière au regard du droit communautaire) et que, par voie de conséquence, il appartiendrait à l’administration, saisie à cette fin, d’étudier les possibilités de reclassement de ses agents de la manière la plus large qu’il soit (sachant que dans certains corps de catégorie A, la limite d’âge excède les 65 ans). Ceci va, de surcroît, dans le sens des ouvertures de mécanismes de mobilité entre les « fonctions publiques ».
Une telle solution aurait le mérite d’être réservée aux personnes qui le souhaitent et n’implique nulle modification des textes. Toutefois elle implique pour ces agents, malgré leurs compétences, de s’éloigner de leur corps de métier initial ce qui n’est pas probablement le but poursuivi.
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