L’actualité juridique fiscale semble faire écho à la croisette et à sa version imagée et romancée des relations fiscales franco-monégasques.
M. Giorgis, est né français à Monaco en 1986 et a toujours résidé en Principauté depuis lors sans discontinuité. Il a cependant été assujetti à l’impôt sur le revenu français pour les années 2006 à 2008 sur le fondement des dispositions de l’article 7 de la Convention fiscale conclue entre la France et la Principauté qui « assimile » cette dernière au territoire national pour l’imposition des nationaux français.
Il a alors contesté ces droits devant le Tribunal administratif de Nice qui va l’en décharger par un jugement n° 10‑02661 du 14 avril 2011 qui a été ensuite annulé, sur recours du ministre, par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 26 juin 2012 (CAA Marseille, 26 juin 2012, Giorgis, requête numéro 11MA02397). Le contribuable a alors saisi le Conseil d’Etat qui a statué sur son pourvoi en formation de plénière fiscale eu égard aux questions de principe soulevées. La haute assemblée a précisé à cette occasion deux points de droit.
En premier lieu, le Conseil d’Etat a déterminé si les citoyens français nés à Monaco, et y demeurant toujours, peuvent être assujettis aux impôts français en vertu de la Convention du 18 mai 1963 dans les mêmes conditions que ceux qui s’y sont établis.
En second lieu, il a précisé quelle est la « juridiction » de la France, au sens de l’article 1er de la Convention européenne des droits de l’Homme, en ce qui concerne Monaco sur le plan fiscal.
1°) La fiscalité monégasque personnelle est atypique a bien des égards. Il n’existe ni impôt sur le revenu des personnes physiques, ni imposition sur la fortune. Toutefois, et faisant suite à la « crise franco-monégasque » (Cf. pour les éléments politiques et historiques : J.‑P. Gallois, Le régime international de la Principauté de Monaco, Pédone, 1964, 298 p. not. p. 36 et s.), ces deux Etats ont conclu une convention internationale le 18 mai 1963 (JO p. 8679, cf.
<http://www.impots.gouv.fr/portal/deploiement/p1/fichedescriptive_1967/fichedescriptive_1967.pdf>.) qui est originale à bien des égards (Cette convention fiscale ne doit en aucune manière être assimilée purement et simplement à une convention fiscale visant à réduire les doubles-impositions ; elle est atypique et doit être regardée comme sui generis) car elle vise principalement à appliquer le droit fiscal national aux français qui y sont établis (Ch. Louit, « Les relations fiscales franco-monégasques : le droit du plus fort », Droit fiscal 2014 n° 216.) et donc à étendre le territoire fiscal de la République.
Ainsi, les français établis après le 13 octobre 1957 lLa preuve en la matière est libre : Conseil d’Etat, Section, 5 octobre 2007, Ministre de l’Economie c. Mori-Bodin, requête n° 292388, Rec. p. 414) en Principauté sont assujettis aux impositions françaises dans les mêmes conditions qu’en métropole. Il existe également certaines dispositions spécifiques relatives aux personnes morales à objet lucratif qui ne sont pas en cause ici. Ce territoire souverain est assimilé au territoire national et fictivement intégré à la compétence territoriale des services fiscaux de Menton (article 121 Z quinquies de l’annexe IV du code général des impôts). Si les conventions conclues par la France peuvent comprendre d’autres textes produisant les mêmes effets, ces derniers ne concernent que des installations techniques dépourvus d’habitants (par exemple : Convention du 25 avril 1956 entre la Suisse et la France concernant l’aménagement de l’aéroport de Genève-Cointrin et la création de bureaux à contrôles nationaux juxtaposés à Ferney-Voltaire et à Genève-Cointrin).
Il en résulte qu’un citoyen français ne saurait considérer le « rocher » comme un paradis fiscal, les principales impositions étant les mêmes en ce qui le concerne. Les impositions complémentaires sociales ne sont toutefois pas en vigueur à Monaco (cf. Conseil d’Etat, SSR., avis, 10 novembre 2004, Cichero-Erbel et autres, requête n° 268852, Rec. p. 422). En revanche, un citoyen monégasque, ou un résident ayant la nationalité d’un Etat tiers, bénéficiera pleinement de l’absence de fiscalité personnelle. Ceci peut parfois justifier de la volonté de certains contribuables de se voir naturaliser par des Etats tiers lorsque cela implique la perte de la nationalité française.
La Convention de 1963 visait à pacifier les relations de voisinage avec le micro-Etat voisin qui offrait un « havre de paix » fiscal alors que le taux marginal de l’impôt sur le revenu des personnes physiques était à cette époque supérieur à 70 % du revenu net. Il a été néanmoins volontairement exclu de ce mécanisme, les personnes installées à Monaco de longue date (5 années de résidence au 13 octobre 1962 sont en effet requises), les personnes rattachées à la « maison souveraine » (Une partie de la famille princière est en effet binationale et a la citoyenneté américaine) et les agents publics locaux qui étaient établis à Monaco en 1962.
Toutefois, le code général des impôts français ne s’applique à Monaco que pour autant que les conventions internationales le prévoient et s’agissant d’une exception à la règle territoriale de l’impôt, elle ne peut que s’entendre strictement.
2°) Le Conseil d’Etat interprétait traditionnellement l’article 7 de la Convention fiscale du 18 mai 1963 comme n’exemptant de l’impôt sur le revenu français que les citoyens de cet Etat qui peuvent justifier s’être installés en Principauté, avant le 13 octobre 1957, et y demeurer continuellement depuis (Conseil d’Etat, SSR., 2 novembre 2011, Rapetto, n° 340438, Rec. T. p. 860-890, obs. Dieu Droit fiscal 2011 n° 637.). Cette solution n’était pas partagée par la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 1er septembre 2009, Boffa, requête n° 06MA02917, obs. Dieu Droit fiscal 2009 n° 593) qui, malgré une position de principe du Conseil d’Etat, avait expressément maintenu sa jurisprudence (CAA Marseille, 26 juin 2012, Giorgis, requête n° 11MA02397) dans la mesure où l’administration fiscale n’avait pas estimé devoir se pourvoir à l’encontre de l’arrêt rendu en ce sens.
La Commission mixte intergouvernementale chargée d’interpréter la lettre de la Convention (article 25 de la Convention) a admis, à la demande de la France, certaines évolutions qui ont été consacrées par la voie de la doctrine fiscale en ce qui concerne les binationaux ayant la citoyenneté française. Ceux-ci sont normalement réputés français aux yeux des autorités de la République et, de ce fait, demeurent assujettis aux impôts français à Monaco (Réponse ministérielle Bachelet, JO AN 9 mai 1988 p. 1966.) Il a cependant été admis que certains binationaux nés ou installés avant 1995 pouvaient être exemptés d’impôts français sous la réserve de certaines obligations déclaratives (Instruction du 6 avril 2010 14 B‑1‑10, BOI n° 42 du 15 avril 2010). M. Giorgis n’a pas bénéficié de ces dispositions au titre des années litigieuses.
Ce dernier soutenait qu’étant « né » en Principauté, et n’ayant jamais été fiscalement domicilié en dehors de cet Etat, il ne pouvait avoir « transport[é] à Monaco » son domicile ce qui est la condition requise par la lettre de la Convention fiscale pour relever du champ d’application de l’impôt sur le revenu français dans cet autre Etat. Le juge administratif, il est vrai, avait été pendant longtemps tenu par l’interprétation que des autorités de la République donnaient de ces dispositions, et qui le liait (CE Ass., 3 juillet 1931, Karl et Toto Samé, n° 91822 et 91823, Rec. p. 722, concl. Ettori obs. Rousseau S. 1932.III.129), mais il peut désormais interpréter directement et librement de telles conventions (Conseil d’Etat, Assemblée, 29 juin 1990, GISTI, requête n° 78519, concl. Abraham Rec. p. 191).
Or le terme de « transport » implique nécessairement un mouvement ce qui n’est pas le cas pour les personnes qui sont nées dans le territoire en cause. Le Conseil d’Etat recherche ici non l’intention des parties mais la lettre de la Convention tel qu’éclairée par les travaux parlementaires (Cf. obs. Dieu précitées sous Conseil d’Etat, 2 novembre 2011, Rapetto, op. cit.). Il n’y a pas lieu de donner à ce texte un sens que sa lettre ne prévoit pas.
Par voie de conséquence, M. Giorgis ne pouvait être rattaché à la territorialité de l’impôt français sur ce fondement. Le Conseil d’Etat a du rechercher, comme il se devait de la faire puisqu’il s’agit d’une question de champ d’application de la loi, que nul autre chef de rattachement fiscal (article 4 B du code général des impôts) au territoire français n’était possible (aucun n’était même invoqué par le ministre de l’Economie). Or M. Giorgis ne pouvait nullement être considéré comme ayant son domicile fiscal en France suivant les critères habituels ce qui impliquait la décharge des impositions en litige.
3°) Le Conseil d’Etat prend également le soin de préciser un point qui, s’il n’a pas une incidence centrale au cas présent, eu égard au motif de décharge retenu, est important quant à l’office du juge interne au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme. En effet, la « juridiction » de l’Etat se trouve être le critère d’application de cette dernière Convention (Article 1er de la Convention européenne des droits de l’Homme), or cette notion est « principalement territoriale » (CEDH, Grande chambre, 8 juillet 2004, Ilascu et autres c. Moldavie et Russie, affaire n° 48787/99, obs. F. Sudre RDP 2005 p. 759).
M. Giorgis invoquait l’existence d’une discrimination présente à Monaco entre les citoyens français et les autres résidents du fait du silence de la Convention fiscale sur ce point. C’est en réalité la responsabilité conjointe des deux Etats qui était invoquée, le contribuable estimant que ceux-ci auraient du prévoir une clause de non discrimination dans leur accord de 1963.
En premier lieu, le Conseil d’Etat confirme expressément qu’il est possible d’invoquer dans l’ordre interne la contrariété entre accords internationaux au profit de la Convention européenne des droits de l’Homme (il s’agit là d’un développement fondé sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme dont la portée reste toutefois à déterminer en pratique (Cf. CEDH, Grande chambre, décision, 23 janvier 2002, Slivenko et autres c. Lettonie, décision n° 48321/99, obs. Ph. Weckel RGDIP 2002 p. 449) sous la réserve des règles relatives à l’Union européenne qui pourraient justifier, le cas échéant, un renvoi préjudiciel en appréciation de validité du droit dérivé (Article 267 b. TFUE).
En deuxième lieu, la contestation devant le juge interne du contenu de la négociation diplomatique elle-même est inopérante car cela relève des actes de Gouvernement (CE, 2 mars 1966, Cramencel, Rec. p. 157, chron. Puissochet et Lecat AJDA 1966 p. 349 ; Conseil d’Etat, Assemblée, 29 septembre 1995, Association Greenpeace France, n° 171277, concl. Sanson RDP 1996 p. 256).
En troisième lieu, un tel raisonnement aurait pu être soutenu devant la Cour européenne des droits de l’Homme saisi d’une requête individuelle dirigée contre les deux Etats à titre solidaire (Cour EDH, 7 janvier 2010, Rantsev c. Chypre et Russie, n° 25965/04), mais il semble triplement compromis au fond. D’abord car la France ne saurait être tenue pour responsable des actes des autorités monégasques (ceci indépendamment de la question de la compétence juridictionnelle pour en connaître. Cf. CE, 23 décembre 1947, Société des grands magasins du Louvre, Rec. p. 495 ; CE, 12 juin 1951, Société des étains et Wolframs du Tonkin, Rec. p. 213) ; ensuite car la Principauté a émis une réserve lors de la ratification de la Convention suivant laquelle elle exclut toute responsabilité pour les actes et actions réalisées avant le 30 novembre 2005 (La Convention fiscale litigieuse date de 1963) ; enfin car elle a émis une déclaration dans l’instrument de ratification en ce que les conventions signées avec la France primeraient sur la Convention elle-même (La déclaration consignée dans l’instrument de ratification est ainsi rédigée : « La Principauté de Monaco reconnaît le principe de la hiérarchie des normes, garantie essentielle de l’Etat de droit. Dans l’ordre juridique monégasque, la Constitution, (…) constitue la norme suprême (…), tout comme les autres normes à valeur constitutionnelle constituées par les conventions particulières avec la France, les principes généraux du droit international relatifs à la souveraineté et à l’indépendance des Etats, ainsi que les Statuts de la Famille Souveraine. Les traités et accords internationaux régulièrement signés et ratifiés par le Prince ont une autorité supérieure à celle des lois. Par conséquent, la Convention européenne des droits de l’homme a une force infra-constitutionnelle mais supra-législative. »).
L’argument n’était pourtant pas dépourvu de logique (et de fondement !) mais le Conseil d’Etat français ne peut que constater que ce moyen, en réalité, relève plus des autorités monégasques que françaises à supposer que le Tribunal suprême (Le Tribunal suprême est la juridiction constitutionnelle et administrative la plus élevée de la Principauté, cf. R. Drago, « Le Tribunal suprême de la Principauté de Monaco », Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8‑2000, p. 44) soit compétent pour connaître d’un tel litige.
Toutefois M. Giorgis ayant obtenu gain de cause sur un autre fondement, il ne pourra pas porter cette question de principe à Strasbourg ayant perdu le statut de victime (Articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’Homme) concomitamment avec la décharge intégrale prononcée.