Si le juge du référé-liberté (Article L.521‑2 du code de justice administrative) a très tôt dû intervenir en matière de droit des étrangers, notamment dans le cadre constitutionnel du droit d’asile (CE, ord., 12 janvier 2001, Hyacinthe, Rec. p. 12 ; obs. Morri et Slama AJDA 2001 p. 589), son intervention est plus discrète en matière de liberté de circulation et de séjour pour les citoyens de l’Union européenne car dans la mesure où ceux-ci disposent d’un droit de séjour sans accomplir la moindre formalité (Article 14 de la loi n° 2003‑1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité), le contentieux est nécessairement moindre que pour les étrangers « extra-européens ».
Mme A, de nationalité camerounaise, est arrivée en France depuis l’Espagne où elle résidait légalement sous couvert d’une carte séjour délivrée par les autorités de cet État. Elle était accompagnée de sa fille mineure qui est de nationalité espagnole.
Malgré sa demande, l’autorité préfectorale a cependant refusé le 26 septembre 2014 d’admettre Mme A. au séjour en France et a prononcé à son égard une obligation de quitter le territoire français. Cette dernière va alors saisir le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes qui va rejeter son référé-liberté par une ordonnance du 25 novembre 2014 (TA Nantes, ord., 25 novembre 2014, Mme A., n° 14‑09784). Appel en sera immédiatement interjeté devant le juge des référés du Conseil d’État (Article L.521‑3 du code de justice administrative) qui va, par une ordonnance du 9 décembre 2014, infirmer la position du premier juge et enjoindre au préfet de Loire-Atlantique de procéder au réexamen de la situation de Mme A. dans « les plus brefs délais ».
Les libertés européennes de circulation et de séjour concernent, au premier plan, les citoyens de l’Union mais peuvent également bénéficier aux ressortissants d’États tiers dans certaines conditions lorsqu’ils sont en situation régulière dans un autre État membre. Au cas présent, le juge des référés du Conseil d’État va appliquer directement le droit de l’Union, tel qu’interprété par la Cour de Luxembourg, en ce qu’il reconnaît aux parents d’un citoyen de l’Union un droit de séjour quand bien même ils auraient une nationalité ne leur conférant pas cette qualité. Il admet également que le référé-liberté peut être utilisé en pareilles circonstances ce qui était loin d’être acquis.
1°) Le droit de l’Union européenne a consacré un droit de séjour de courte et longue durée sur le territoire de l’ensemble des États membres au profit des citoyens de l’Union (Article 21 TFUE ; Directive n° 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres). A ce titre, la fille de Mme A., qui est de nationalité espagnole a le droit de séjourner en France sous la réserve de ne pas constituer un risque grave pour l’ordre public et de ne pas être une charge pour les mécanismes d’aide sociale durant ses études (Article 7 de la directive du 29 avril 2004 précitée).
La première condition ne soulevait ici guère de difficulté s’agissant d’un enfant âgé de 3 ans et du caractère exceptionnel de sa mise en œuvre en droit de l’Union (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn, n° 41/74).
La seconde condition est plus délicate à appréhender dans la mesure où cette disposition doit s’apprécier au regard de chaque situation subjective. La finalité affichée étant qu’un citoyen d’un État membre ne puisse user des libertés communautaires dans le but principal de bénéficier des aides sociales délivrées dans un autre État.
Le droit dérivé prévoit également que le « conjoint », les ascendants et descendants à la charge d’un citoyen européen peuvent également bénéficier de la liberté de séjour accordé à ce dernier (Article 3 de la directive du 29 avril 2004 précitée).
D’une manière particulièrement audacieuse, la Cour de Luxembourg a étendu le bénéfice de ce droit au séjour aux personnes qui sont les ressortissants d’un État tiers dès lors qu’ils assurent la garde (autrement dit la charge) d’un citoyen de l’Union et qu’ils bénéficient à la fois de ressources suffisantes et qu’ils ne constituent pas une charge anormale pour le système social de l’État de séjour (CJUE, 19 octobre 2004, Shu et Chen, n° C‑200/02). Autrement dit, le citoyen mineur peut ainsi ouvrir un droit au séjour au profit de ses parents lorsqu’ils sont ressortissants d’un État tiers.
C’est cette hypothèse particulière qui est ici mise en œuvre par le juge des référés du Conseil d’État. L’enfant étant scolarisé et sa mère étant citoyenne du Cameroun, les droits au séjour et sociaux en cause ne peuvent que s’apprécier globalement. Or à partir du moment où la mère pouvait bénéficier des prestations de la sécurité sociale française, ceci aurait normalement dû faire obstacle au refus du titre de séjour que le préfet de Loire-Atlantique a prononcé à son égard. Le juge des référés, n’a pu ainsi que constater que Mme A. disposait d’un contrat de travail à durée indéterminée et, par voie de conséquence, d’une possible couverture au titre de l’assurance maladie obligatoire.
Il est intéressant de noter que le Conseil d’État fait, une fois de plus, l’appropriation de la jurisprudence interprétative d’une juridiction européenne (J. Andriantsimbazovina, « L’autorité de la chose interprétée et le dialogue des juges. En théorie et en pratique, un couple juridiquement inséparable », Mélanges B. Genevois, Dalloz, 2009, p. 1) ce qui permet de constater que l’« autorité de chose interprétée » à laquelle il était originalement réticent est désormais pleinement intégrée par le juge administratif français (Cf. D. Girard, La France devant la Cour européenne des droits de l’Homme, L’Harmattan, 2015, § 1263).
2°) La notion d’urgence, en matière de référé-liberté, est appréciée d’une manière particulièrement stricte (CE, ord., 28 février 2003, Commune de Pertuis, Rec. p. 68, GACA n° 12).
A cet égard, l’expulsion d’une personne étrangère constitue l’un des cas pour lesquels le juge des référés présume de la présence d’une situation d’urgence (CE, 30 octobre 2001, Ministre de l’Intérieur c. Tliba, n° 238211, GACA n° 14), cette présomption pouvant être néanmoins tenue en échec par l’administration (CE, 1er octobre 2001, Meddah, n° 234918). A défaut, il peut être démontré que la condition d’urgence est remplie au regard du risque de traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (TA Toulouse, ord., 5 mars 2002, Sayah Habbaz, n° 02-546) ou, plus classiquement, au regard des effets qu’aura la mesure concernée sur la vie des requérants (CE Sect., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios-libres, Rec. p. 29). Au cas présent, l’appelante et sa fille résident habituellement en France, leur retour en Espagne bouleverserait ainsi leurs conditions d’existence (emploi et logement), la condition d’urgence était donc remplie (CE, ord., 2 mai 2001, Dziri, Rec. p. 227).
De plus, Mme A. qui est salariée exerce à titre exclusif l’autorité parentale sur sa fille (La Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 n’a pas été invoquée) qui est scolarisée à Nantes et dispose d’un logement, certes conventionné, mais qui n’est pas fourni à titre gracieux et donc qui ne constitue pas une « charge publique » envers le système d’aide sociale.
Toutefois, se posait également la question de la qualification de « liberté fondamentale » du droit au séjour communautaire. En effet, si le juge administratif privilégie une lecture constitutionnaliste des libertés fondamentales (O. Le Bot, La protection des libertés fondamentales par la procédure du référé-liberté, LGDJ, 2007, 698 p), ceci n’exclut pas pour autant un recours plus ponctuel à la Convention européenne des droits de l’Homme (CE, 22 décembre 2012, Section française de l’Observatoire international des prisons et autres, obs. O. Le Bot JCP (G) 2013.87) ou, le cas échéant, aux textes de forme législative (CE, 10 février 2012, Karamoko F. note G. Delmas JCP (G) 2012.581). Ici ce sont les Traités européens qui constituent le fondement d’une « liberté fondamentale », au sens autonome que confère l’article L.521‑2 du code de justice administrative à cette notion, ce qui est novateur. On regrettera cependant que le juge des référé ait omis, volontairement, de viser la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
On voit donc ici apparaître une extension des « sources normatives » des libertés fondamentales auquel le juge administratif peut faire appel pour fonder sa compétence au titre du référé-liberté. Le choix prétorien d’une approche casuistique de la notion de « liberté » confère ainsi une pleine maîtrise des sources normatives au juge ce qui n’est pas sans soulever des difficultés d’ordre théorique et pratique quant à une éventuelle unité du régime de protection des libertés (O. Le Bot, Le guide des référés administratifs, Dalloz 2013, p. 318 et s).