REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 9 janvier 2001, présentée pour Mme Rose-Michèle X…, demeurant chez Mme Justemène Y…, … ;
Mme X… demande au juge des référés du Conseil d’Etat, sur le fondement du second alinéa de l’article L. 523-1 du code de justice administrative :
1°) d’annuler une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 2 janvier 2001 rejetant sa demande tendant à ce qu’il soit enjoint sous astreinte au préfet de la Seine-Saint-Denis, d’enregistrer sa demande d’admission au séjour et de lui délivrer le document provisoire de séjour prévu par l’article 11 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée ;
2°) d’enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis : a) de fournir à la requérante les documents nécessaires à l’établissement de sa demande d’admission au séjour en tant que réfugiée ; b) d’examiner cette demande ; c) de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, et ce, sous astreinte de 800 F par jour ;
3°) de condamner l’Etat à verser à la requérante une somme de 10 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et les articles 34 et 55 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, modifiée, relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, notamment ses articles 5, 19, 22, 27, 27 bis et 28 ;
Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée, relative au droit d’asile, notamment ses articles 2, 10, 11 et 12 ;
Vu le code de procédure pénale, notamment ses articles 395 et 506 ;
Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2 (alinéa 2), L. 521-2, L. 522-3, L. 523-1 et R. 522-5 (alinéa 3) ;
– Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, Mme X…, d’autre part, le ministre de l’intérieur (direction des libertés publiques et des affaires juridiques),
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 12 janvier 2001 à 14 heures à laquelle ont été entendus :
– Me A…, avocat au Conseil d’Etat et à la cour de cassation, avocat de Mme X…,
– les représentantes du ministre de l’intérieur,
Sur l’intervention du Groupe d’information et de soutien des immigrés :
Considérant que le Groupe d’information et de soutien des immigrés a intérêt à l’annulation de l’ordonnance attaquée ; qu’ainsi, son intervention est recevable ;
Sur les conclusions tendant au prononcé d’une injonction :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (…) aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale » ; que le respect de ces conditions revêt un caractère cumulatif ;
Considérant que Mme X…, ressortissante haïtienne, est arrivée à l’aéroport d’Orly le 30 novembre 2000 afin de rejoindre son compagnon, M. Z…, de même nationalité, demandeur du statut de réfugié politique, qui séjourne depuis plusieurs mois en France et dont elle attendait un enfant ; que ce dernier est né le 3 décembre 2000 lors du placement en détention provisoire dont sa mère avait fait l’objet ; qu’un jugement du tribunal de grande instance de Créteil, statuant en matière correctionnelle, du 19 décembre 2000, dont elle a relevé appel, l’a condamnée à une peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis et à deux ans d’interdiction du territoire français pour entrée et séjour irréguliers en France et usage de faux documents ; que cependant, l’intéressée qui entendait revendiquer, tout comme son compagnon l’avait fait précédemment, le bénéfice du statut de réfugié, a été mise dans l’impossibilité par les services de la préfecture de la Seine-Saint-Denis de présenter une demande d’admission au titre de l’asile régie par les dispositions de l’article 10 de la loi du 25 juillet 1952 modifiée ;
Considérant, d’une part, que la notion de liberté fondamentale au sens où l’a entendue le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, englobe, s’agissant des ressortissants étrangers qui sont soumis à des mesures spécifiques réglementant leur entrée et leur séjour en France, et qui ne bénéficient donc pas, à la différence des nationaux, de la liberté d’entrée sur le territoire, le droit constitutionnel d’asile qui a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié, dont l’obtention est déterminante pour l’exercice par les personnes concernées des libertés reconnues de façon générale aux ressortissants étrangers ;
Considérant, d’autre part, que selon le deuxième alinéa de l’article 10 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952, l’admission au titre de l’asile ne peut être refusée au seul motif que l’étranger est démuni des documents et des visas mentionnés à l’article 5 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 ; que si le septième alinéa (4°) de l’article 10 de la loi n° 52-893, énonce que l’admission en France d’un demandeur d’asile peut être refusée si la demande n’est présentée qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement de telles dispositions ne pouvaient justifier légalement les refus opposés à Mme X… les 26 et 29 décembre 2000 en raison notamment de l’antériorité de la présentation de la demande de statut de réfugié du compagnon de l’intéressée et du principe d’unité de la famille applicable en la matière ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, l’autorité administrative a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
Considérant, toutefois, que le ministre de l’intérieur a enjoint, le jour même de l’introduction de la présente requête, au préfet de la Seine-Saint-Denis d’enregistrer la demande d’asile présentée par Mme X…, ce qui implique son admission provisoire au séjour ; qu’en outre, eu égard à l’interdiction judiciaire du territoire français prononcée par le jugement du tribunal correctionnel de Créteil frappé d’appel, Mme X… a été assignée à résidence dans le département de la Seine-Saint-Denis dans l’attente de la décision de l’office français de protection des réfugiés et apatrides ;
Considérant que les mesures ainsi prises rendent sans objet le prononcé des injonctions sollicitées par la requérante ;
Considérant que la décision de non-lieu à statuer qui découle de ce qui précède dispense d’apprécier la recevabilité de la requête au regard des dispositions combinées des articles L. 521-2 et L. 523-1 du code de justice administrative lorsque, comme en l’espèce, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté selon la procédure simplifiée définie à l’article L. 522-3 du code, une demande dont il avait été saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de faire application des dispositions de cet article et de condamner l’Etat à verser à Mme X… la somme de 10 000 F qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L’intervention présentée par le Groupe d’information et de soutien des immigrés est admise.
Article 2 : Pour les motifs ci-dessus énoncés, il n’y a pas lieu pour le juge des référés administratifs de statuer sur les conclusions à fin d’injonction présentées par Mme X….
Article 3 : L’Etat versera à Mme X… la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Rose-Michèle X…, au ministre de l’intérieur et au préfet de la Seine-Saint- Denis.