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1. L’action publique en faveur du développement de la production d’énergie à partir de sources d’énergie renouvelables suscite, vous le savez, dans notre pays des réticences fortes dès lors qu’elle déploie son action incitative au bénéfice des éoliennes. Elle repose sur un mécanisme de garantie de vente de l’électricité produite par les installations éoliennes à un tarif fixé prédéterminé supérieur à la valeur économique de cette électricité – mécanisme analogue à celui qui existe pour les autres sources d’énergie renouvelable. Les charges qui en résultent pour EDF et les distributeurs non nationalisés1 leur sont compensées. Depuis 20032, cette compensation est financée par la contribution au service public de l’électricité, ou CSPE, perçue directement sur les consommateurs finals et dont vous avez jugé qu’elle constituait un prélèvement de nature fiscale3 ; la charge n’en est plus répartie, comme c’était initialement le cas, entre différentes catégories d’entreprises – les producteurs d’électricité ou leurs filiales, les fournisseurs, les organismes de distribution et les clients finals importateurs d’électricité. Il s’agit d’un impôt très particulier, puisque son taux est en principe fixé, sur avis de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), par le ministre chargé de l’Énergie, en fonction d’un ensemble de charges à financer, dont les surcoûts liés aux obligations d’achat, les surcoûts de production dans les zones non interconnectées et le tarif social de l’électricité ; en outre, si le ministre n’arrête rien, c’est l’avis de la CRE qui devient décisoire, et ce dans la limite d’une augmentation de 3 € par MWh4. Les masses en jeu sont aujourd’hui de 6,2 Md€ annuels pour la CSPE avec un flux de charges à financer de 6,4 Md€; les deux-tiers des emplois sont liés aux obligations d’achat des énergies renouvelables, dont 35 points pour le photovoltaïque et 14 points pour l’éolien.
L’association Vent de colère, qui est l’un des porte-drapeau du combat contre la prolifération des éoliennes, vous a ainsi demandé d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 17 novembre 2008 du ministre de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et de la ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent, ainsi que l’arrêté du 23 décembre 2008 qui le complète; pris en application du décret du 10 mai 2001 relatif aux conditions d’achat de l’électricité produite par des producteurs bénéficiant de l’obligation d’achat précise les conditions de fixation des tarifs d’achat, ils sont toujours en vigueur.
L’association requérante a notamment fait valoir que ces arrêtés instituaient une aide d’État, au sens de l’article 87 du traité instituant la Communauté européenne – aujourd’hui l’article 107 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne –, qui n’avait pas été notifiée préalablement à la Commission européenne, en violation de son article 88, § 3.
Décision de la CJUE
Dans son arrêt du 11 décembre dernier5, la Cour de justice de l’Union européenne, que vous aviez saisie de cette question à titre préjudicielle par une décision du 15 mai 2012, a jugé que tel était en effet le cas. Sans grande surprise: dans ses conclusions sur votre décision avant-dire droit, Pierre Collin avait en effet proposé d’annuler les arrêtés attaqués pour défaut de notification à la Commission.
Vous avez, dans votre décision avant-dire droit, rejeté tous les moyens autres que celui tiré de ce que le mécanisme de l’obligation d’achat serait constitutif d’une aide d’État non notifiée et, partant, illégale. Vous aviez, par ailleurs, jugé que trois des quatre conditions nécessaires pour retenir la qualification d’aide d’État6 étaient réunies: l’obligation d’achat constitue un avantage pour les producteurs éoliens, qui, compte tenu de la libéralisation du marché de l’électricité, affecte la concurrence, d’une part, les échanges entre États membres d’autre part.
L’arrêt de la CJUE juge en sus que l’obligation d’achat constitue une intervention financée au moyen de ressources d’État et en déduit que la notification du dispositif s’imposait. Son raisonnement est simple: si, dans son arrêt Preussen Elektra7, relatif au mécanisme allemand d’obligation d’achat de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelable, elle avait pu juger qu’une telle obligation, à des tarifs supérieurs aux prix du marché, n’était pas en soi une aide accordée au moyen de ressources d’État, dès lors que c’étaient les acheteurs qui en supportaient le coût, sans contrôle de l’État sur les flux financiers correspondants, il y a en revanche, avec le dispositif français actuel, imputabilité de l’aide à l’État – c’est le législateur qui l’a instituée –, existence de contributions obligatoires dont les taux sont fixés par des organes d’État – la CRE ou le ministre – et transit des fonds par la Caisse des dépôts, qui est contrôlée par l’État. Les deux critères cumulatifs permettant de dire qu’une aide est « accordée par un État ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit » sont donc remplis : la mesure contestée est imputable à l’État; et elle est financée par des moyens pécuniaires sous contrôle public.
Ces motifs fragilisent rétrospectivement votre décision UNIDEN8, qui, prenant appui sur l’arrêt Preussen Elektra, avait jugé que le dispositif de soutien aux énergies renouvelables n’avait pas pour effet d’instituer une aide d’État : ils auraient en effet commandé une solution inverse – mais cela n’a plus d’importance.
Il est en revanche certain que les arrêtés attaqués doivent être annulés pour défaut de notification à la Commission européenne.
Indiquons enfin que la décision de la CJUE, et même sa seule perspective, a eu un impact significatif sur l’opinion publique: en effet, plusieurs milliers de courriers auraient déjà été adressés tantôt à la CRE, tantôt au ministre des Finances, tantôt aux deux réclamant un remboursement de la CSPE ou tout du moins, le recalcul du montant de celle-ci sans la part liée à l’énergie éolienne ou, plus largement, aux énergies renouvelables.
2. Ce point étant acquis, deux questions méritent encore votre attention.
Conséquences de l’annulation
2.1. La première a trait aux conséquences de l’annulation que vous prononcerez.
Comme on pouvait s’y attendre, compte tenu des ambitions fixées par le droit communautaire en matière d’énergie renouvelable9, la Commission européenne, à laquelle le gouvernement français a notifié le régime octroyant un soutien à la production d’électricité à partir d’éoliennes terrestres, a estimé que l’aide qu’il instituait était compatible avec les règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État. Par un communiqué du 27 mars dernier, annonçant la publication à venir d’une décision, elle a annoncé qu’elle reconnaissait cette compatibilité sans émettre de réserve – elle n’a notamment pas estimé que le tarif d’achat avait été fixé à un niveau trop élevé, introduisant une surcompensation, point sur lequel il nous semble que l’on pouvait légitimement nourrir un doute10. Les professionnels du secteur de l’éolien ont donc tout lieu d’être soulagés. En parallèle, la Commission a indiqué qu’elle avait ouvert une enquête approfondie afin d’examiner si trois types de réductions de la somme due au titre de la CSPE accordées aux grands consommateurs d’énergie étaient conformes aux mêmes règles – mais cela demeure sans incidence sur le présent litige.
Dans ces conditions, quelles sont les conséquences de l’annulation que vous prononcerez ? Et quel rôle pouvez-vous tenir dans leur explicitation ?
Vous vous êtes déjà interrogés sur les conséquences qu’il convenait de tirer de ce qu’un litige portait sur des aides illégales, car octroyées avant leur autorisation par la Commission européenne, mais compatibles en vertu d’une décision postérieure à leur versement. Et vous avez choisi, au stade de l’un des premiers épisodes du feuilleton du Centre d’exportation du livre français, ou CELF, de poser cette question, à titre préjudiciel, à la Cour de Luxembourg11. Ce, alors même que, sous l’empire de son fameux arrêt Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon ((21 novembre 1991, aff. C-354/90.)), il semblait assez catégoriquement établi que l’obligation des juridictions internes d’ordonner la récupération des aides illégales demeurait intacte nonobstant une décision de compatibilité adoptée par la Commission postérieurement à leur mise à exécution. La Cour avait seulement admis de réserver l’hypothèse de circonstances exceptionnelles dans lesquelles la restitution de l’aide ne serait pas appropriée, par exemple parce qu’elle porterait une atteinte excessive à la confiance légitime du bénéficiaire de l’aide12.
Et de fait, la Cour a clairement atténué la rigueur de la jurisprudence Saumon : dans son arrêt dit CELF I13, elle a jugé que le droit communautaire ne s’opposait pas à ce que le bénéficiaire d’une aide puisse conserver la disposition de l’aide octroyée antérieurement à une décision positive de la Commission et ce, même en l’absence de circonstances exceptionnelles. Mais le juge national, qui était saisi en l’espèce d’une demande en ce sens, doit ordonner au bénéficiaire de l’aide le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité, correspondant à ceux qu’il aurait supportés s’il avait dû emprunter les fonds correspondants au taux du marché. Il peut en outre, précise l’arrêt, ordonner la récupération de l’aide illégale, sans préjudice du droit de l’État membre de mettre celle-ci à nouveau à exécution ultérieurement; et il peut également être amené à accueillir des demandes d’indemnisation de dommages causés en raison du caractère illégal de l’aide.
Cette décision est justifiée par le souci de distinguer les conséquences d’une déclaration d’incompatibilité d’une aide, qui impose à l’État membre en cause de demander sa restitution, les circonstances exceptionnelles étant appréciées de manière très étroite, comme le rappelle l’arrêt CELF II de la CJUE14, de celles d’une déclaration de compatibilité. Certes, celle-ci ne vaut que pour l’avenir et ne régularise pas a posteriori les aides accordées en méconnaissance de l’article 88, § 3 : voyez, à cet égard, l’arrêt Saumon, précité, ou les arrêts Xunta de Galicia et Transalpine Ölleitung in Österreich ((21 juillet 2005, aff. C-71/04 et 5 octobre 2006, aff. C-368/04.)). Mais la Cour explique que l’objectif « conservatoire » de l’obligation de notification et de suspension de la mise en œuvre de projets d’aide d’État est de « garantir qu’une aide incompatible ne sera jamais mise à exécution », ce qui justifie une position plus accommodante lorsque la Commission admet finalement la compatibilité de l’aide versée prématurément.
Indéniablement, cette décision, rendue sur des conclusions nettement contraires de l’avocat général, atténue fortement l’effet dissuasif des conséquences d’une non-notification ; ce, d’autant qu’il est extrêmement douteux que des concurrents du bénéficiaire de l’aide illégalement versée avant que sa compatibilité ait été admise puissent obtenir réparation selon la voie envisagée par la CJCE : ainsi que l’a fait valoir le représentant du gouvernement français dans l’affaire CELF I, il est improbable qu’il soit en mesure de prouver le lien de causalité entre le versement prématuré de l’aide et le préjudice qu’il dira avoir subi. Ajoutons qu’il nous aurait personnellement paru pertinent, à cet égard, de distinguer entre une aide ponctuelle, pour laquelle « l’effet net » d’un versement illégalement anticipé est en effet une simple question d’intérêts, et la mise en œuvre anticipée d’un régime d’aide pérenne, comme celui organisé en faveur des producteurs d’énergie éolienne, mais que l’arrêt CELF de 2008 ne donne aucune clé en ce sens.
Au cas d’espèce, seul le paiement d’intérêts sur la somme correspondant à la différence entre le prix réglementé et le prix de marché de l’énergie produite au titre de la période d’illégalité est donc exigé. Et la décision positive de la Commission met fin à l’interdiction de mise à exécution de l’aide.
Mais les conséquences de l’illégalité commise par l’État sont en revanche pleines et entières, à notre sens, pour ce qui est de la remise en cause de la CSPE acquittée par les consommateurs finals d’électricité, qui constitue la modalité de financement de l’aide accordée aux producteurs d’énergie éolienne. À cet égard, il est intéressant de se reporter à l’arrêt Wienstrom15, dans lequel la Cour indique bien que la portée de l’arrêt CELF I est limitée dès lors que l’on s’intéresse au financement fiscal de l’aide. Dans l’affaire Van Calster16, elle avait jugé que l’article 88, § 3 s’opposait à la perception de cotisations destinées à financer un régime d’aide déclaré compatible avec le marché commun par la Commission, dans la mesure où ces cotisations étaient imposées pour une période antérieure à la date de cette décision. Dans l’arrêt Weinstrom, elle explique que la situation des bénéficiaires de l’aide prématurément versée ne doit donc pas être appréciée de la même manière que celle d’opérateurs soumis à des cotisations destinées à la financer : en effet, souligne la Cour, « du point de vue du tiers qui se voit imposer une charge financière avant une décision positive de la Commission, le seul moyen de remédier à son égard à l’illégalité d’une mise à exécution d’une mesure d’aide est d’aboutir au remboursement de ladite charge ».
La restitution de la CSPE acquittée, dans la mesure où elle a financé l’aide illégalement versée aux producteurs d’énergie éolienne – mais il nous semble que la situation est analogue en tant qu’elle finance les autres sources d’énergie renouvelable – qui, nous vous l’avons dit, fait l’objet de très nombreuses demandes contentieuses, devrait donc être incontournable – à supposer toutefois, mais nous n’avons guère de doute à cet égard, que vous reconnaissiez que la CSPE est un mode de financement de l’aide qui fait partie intégrante de cette dernière, selon le critère rappelé notamment par l’arrêt Van Calster. Selon la Cour, en effet, « pour qu’une taxe puisse être considérée comme faisant partie intégrante d’une mesure d’aide, il doit exister un lien contraignant entre la taxe et l’aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l’aide »17,18. Ces conditions seront vraisemblablement réunies s’agissant de la CSPE ou au moins d’une partie de cette contribution.
Faut-il que vous preniez sur vous, en l’absence de toute demande en ce sens, d’aller au-delà de l’annulation sèche des arrêtés en litige et d’expliciter dans votre décision les conséquences des obligations communautaires en matière de recouvrement des intérêts sur les aides versées pendant le temps où elles l’ont été illégalement ? Ce serait inédit en cette matière, mais à notre avis justifié en l’espèce. Vos décisions annulant des aides d’État pour excès de pouvoir faute de notification à la Commission sont des annulations « sèches »19. Et de manière générale, en matière d’exécution d’une décision de justice annulant un acte réglementaire, vous ne vous livrez pas à cet exercice. Votre Avis de Section Mme Vindevogel20 juge ainsi que « s’il appartient à l’autorité administrative de tirer toutes les conséquences du jugement par lequel un acte réglementaire a été annulé, l’exécution de ce jugement n’implique pas que le juge, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 8-4 précitées, enjoigne à l’administration de revenir sur les mesures individuelles prises en application de cet acte. Il s’ensuit notamment que ce juge n’a pas à ordonner le remboursement d’une somme perçue sur le fondement d’une délibération à caractère réglementaire annulée pour excès de pouvoir ».
Nous pensons toutefois que l’injonction prétorienne serait opportune dans un cas comme celui dont vous avez à connaître. On peut se référer ici à votre décision d’Assemblée Vassilikiotis21, dans laquelle, inspirés par le souci de garantir la pleine efficacité du droit communautaire, vous avez enjoint au ministre de prendre des mesures individuelles propres à garantir la conformité à ce droit de la réglementation de l’exercice de la profession de guide dans les musées et monuments historiques, alors que vous n’étiez saisis d’aucune demande en ce sens. Au cas d’espèce, nous n’avons aucun doute sur le fait que le paiement des intérêts doit être recherché auprès des producteurs d’énergie éolienne ; et, eu égard à l’importance de la clause de suspension dans le régime communautaire de contrôle des aides d’État et à l’obligation qui pèse sur les juridictions nationales d’en tirer toutes les conséquences, bien rappelé dans l’arrêt CELF, nous pensons que vous devriez déplier dès à présent les conséquences de votre décision et ne pas attendre d’être saisis d’un éventuel refus opposé par l’administration à une hypothétique demande tendant à ce que le paiement des intérêts soit exigé des bénéficiaires de l’aide, ou une action en manquement de la Commission.
Modulation dans le temps des effets de la décision ?
2.2. Les éléments développés nous arment pour répondre à la dernière question que pose ce litige : faut-il moduler dans le temps les effets de votre décision en application de la jurisprudence AC ! ?
Vous êtes saisis de trois demandes à cet effet, émanant du ministre, du Syndicat des énergies renouvelables et de l’Association France Énergie Éolienne, intervenants en défense. Le ministre soutient qu’une décision d’annulation conduirait à la « mise à l’arrêt de toute la filière éolienne », compromettant la poursuite des contrats déjà conclus, la conclusion de nouveaux contrats et donc de nombreux emplois.
Ces propos catastrophistes, faiblement étayés, nous semblent en tout état de cause peu convaincants dans le contexte présent, c’est-à-dire après que la Commission a admis la compatibilité de l’aide allouée aux producteurs d’électricité éolienne.
D’une part, la Commission s’étant prononcée, le pouvoir réglementaire est en mesure de prendre un nouvel arrêté qui prendra la suite de celui que vous avez annulé. Et il nous semble qu’il est conforme à la logique de l’arrêt CELF I que cet arrêté puisse intervenir au besoin rétroactivement. En outre, la fixation d’un tarif de rachat est une obligation légale et on pourrait aussi prendre appui sur l’article 10 de la loi du 10 février 2000 qui encadre le niveau des tarifs et impose leur révision périodique: selon le cours du président Odent (p. 2040 et s.), l’annulation d’un acte peut en effet imposer à l’administration d’agir, au besoin rétroactivement, non seulement si l’annulation a créé un vide juridique, mais aussi si l’administration était tenue de prendre une décision. Et, au cas présent, il est difficile de considérer que le précédent arrêté, en date du 8 juin 2001, abrogé par l’arrêté de 2008 pour les contrats conclus à compter du 17 novembre 2008, revivrait du fait de l’annulation de ce dernier, car il nous semble entaché de la même illégalité que celui qui vous occupe aujourd’hui, l’arrêt de la CJUE ayant fragilisé votre décision UNIDEN selon laquelle il n’instituait pas une aide d’État.
D’autre part, les conséquences de votre annulation, que nous vous avons décrites, sont certes importantes mais pas « manifestement excessives en raison tant des effets que l’arrêté a produit et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets », pour reprendre les termes de votre décision d’Assemblée du 11 mai 2004. Sous l’empire de l’arrêt CELF I, seul s’impose selon nous le remboursement, par les bénéficiaires de l’aide, apparemment un peu plus de 400, de l’équivalent des intérêts qu’ils auraient dû acquitter sur le marché bancaire entre le versement de l’aide et la déclaration de compatibilité par la Commission. Par ailleurs, EDF continue d’être liée par les contrats en cours et il est peu vraisemblable qu’elle cesse de payer l’électricité produite ; quant au surcoût déjà payé, dans la mesure où il est en principe compensé par la CSPE, la restitution des sommes illégalement mises à la charge d’EDF se heurterait à la prohibition de l’enrichissement sans cause22.
Reste le remboursement partiel aux consommateurs finals de la CSPE qu’ils ont acquittée, qui occupera le juge dans les mois à venir – rappelons que vous avez jugé que, du fait de la restriction de votre compétence en premier et dernier ressort opérée par le décret du 22 février 2010, le contentieux du remboursement de la CSPE relevait désormais de la compétence du tribunal administratif de Paris, dans le ressort duquel se trouve le siège de la CRE23,24 . Il nous semble difficile de voir la perspective de ce remboursement, malgré sa portée financière, comme manifestement excessive dans la mesure où il ne tenait qu’à l’État de l’éviter. La nature d’aide d’État du dispositif en litige ne faisait guère de doute, ainsi que Pierre Collin l’avait bien expliqué il y a deux ans. Des contentieux tendant à la restitution de la CSPE regardée comme indûment versée du fait de l’absence de notification de l’aide ont été engagés il y a plusieurs années déjà25. Et l’administration a pourtant attendu le dernier moment pour notifier le régime d’aide en cause, laissant s’amplifier les conséquences de son inaction… Eu égard aux sommes en jeu, cela ne peut que surprendre.
Dans ces conditions, nous ne saurions vous inviter à différer l’annulation au motif que l’illégalité ne serait constituée « que » du défaut de notification; cela reviendrait à priver cette obligation de toute portée, en tout cas pour ce qui est des bénéficiaires de l’aide.
Or cela ne vous est selon nous pas loisible : cela reviendrait à retailler le vademecum défini par la CJUE à l’intention des juridictions nationales dans l’affaire CELF I alors que, comme le rappelle avec constance le juge de Luxembourg, elles doivent garantir que toutes les conséquences d’une violation de l’obligation de notification des projets d’aide d’État seront tirées, conformément à leur droit national, tant en ce qui concerne la validité des actes d’exécution des mesures d’aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette règle.
On peut ici se référer à votre décision Viniflhor ((28 octobre 2009 : Rec., p. 400.)) dans laquelle vous avez jugé, s’agissant des modalités de récupération d’une aide indûment versée sur le fondement d’un texte communautaire, qu’elles sont soumises aux règles de droit national, sous réserve que l’application de ces règles se fasse de façon non discriminatoire et qu’elle ne porte pas atteinte à l’application et l’efficacité du droit communautaire ou n’ait pas pour effet de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la récupération des sommes octroyées.
La question de principe de savoir si le recours à la modulation dans le temps est exclue lorsqu’est en cause le droit communautaire n’est pas clairement tranchée dans votre jurisprudence.
Malgré la jurisprudence Douglas Harvey Barber26, dans lequel la CJCE a jugé que le traité lui conférait une compétence exclusive pour limiter dans le temps la possibilité pour les justiciables d’invoquer la méconnaissance du droit communautaire par les États membres, certains de vos commissaires du gouvernement – Didier Casas dans ses conclusions sur votre décision Association pour la transparence des marchés publics ((23 février 2005 : Rec., p. 71.)) ou Christophe Devys concluant sur l’affaire Dellas ((28 avril 2006 : Rec., p. 206.)) – ont pu vous inviter à juger que l’application de la jurisprudence AC ! n’est pas nécessairement proscrite en toute hypothèse en cas de violation du droit communautaire27. On peut toutefois se demander si une telle recommandation est encore de mise depuis que la Cour a délimité de manière extrêmement stricte, dans un arrêt Inter-Environnement Wallonie28, les conditions dans lesquelles elle pouvait exceptionnellement autoriser le maintien, par une juridiction nationale, d’une norme contraire au droit de l’Union29.
Quoi qu’il en soit, nous sommes convaincue que l’application positive de la jurisprudence AC ! est exclue lorsqu’il s’agit de tirer les conséquences du défaut de notification d’une aide d’État, qui doivent respecter le guide donné par la Cour dans l’affaire CELF I, à tel point que, dans cette matière, la recevabilité même de conclusions tendant à la modulation dans le temps des effets d’une décision d’annulation pourrait être niée.
Ajoutons qu’au cas d’espèce, la CJUE elle-même a refusé de moduler dans le temps les effets de sa décision du 19 décembre 2013, comme le gouvernement français le lui demandait.
Certes, elle ne s’est prononcée que sur l’une des conditions permettant de caractériser une aide d’État. Et elle approche avec plus de sévérité que vous la possibilité de moduler dans le temps les effets de ses décisions. Il reste que cela annihile encore un peu plus votre marge de manœuvre, la Cour s’étant prononcée explicitement non seulement sur la question d’interprétation que vous lui soumettiez, mais aussi sur la date d’effet de cette interprétation.
Nous vous invitons donc, après avoir admis l’intervention de l’association France énergie éolienne, à annuler les arrêtés attaqués en précisant les obligations qui pèsent en conséquence sur l’État. Et vous pourrez faire droit à la demande de l’association requérante relative à ses frais d’instance à hauteur de 3500 €. Tel est le sens de nos conclusions.
- Devenus entreprises locales de distribution, cf. article L. 314-1 du code de l’énergie. [↩]
- Avec la loi du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie. [↩]
- CE 13 mars 2006, RFF, RJF 6/06 n° 803 ; CE 9 novembre 2011, SNC Stop hôtel Villeneuve d’Ascq : RJF 2/12 n° 191. [↩]
- Cf. l’article 37 de la loi de finances initiale de 2011. [↩]
- AJDA 2014, p. 926, note Pr. Claudie Boiteau. [↩]
- Cf. CJCE 21 mars 1990, Belgique c/ Commission, dit « Tubemeuse », aff. C-142/87 ; 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Mgdeburg, aff. C-280/00 ; 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/Ufex e.a., aff. C-341/06 P et C342/06 P. [↩]
- 13 mars 2001. [↩]
- 21 mai 2003 : Rec., T., p. 696. [↩]
- La promotion des énergies renouvelables est une obligation européenne (cf. la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE dont l’article 3, § 2 dispose : « 2. Les États membres mettent en place des mesures conçues de manière efficace pour garantir que leur part d’énergie produite à partir de sources renouvelables est au moins égale à celle prévue dans la trajectoire indicative établie dans l’annexe I, partie B »). Voir aussi les lignes directrices fr l’UE de 2008 sur les aides en faveur de l’environnement. [↩]
- Voir, en ce sens, l’avis de la CRE de 2008 sur le projet de tarif contesté, qui souligne que le tarif, excessivement avantageux, pourrait entraîner des rentes de situation indues. [↩]
- CE 29 mars 2006, CELF : Rec., p. 173. [↩]
- CJCE 11 juillet 1996, Syndicat français de l’Express international, aff. C-39/94. [↩]
- 12 février 2008, aff. C-199/06. [↩]
- 11 mars 2010, aff. C-1/09. [↩]
- 18 décembre 2008, aff. C-384/07. [↩]
- 21 octobre 2003, aff. C-261/01. [↩]
- CJCE 15 juin 2006, Air Liquide Industries Belgium, aff. C-393/04. [↩]
- Voir aussi CE 27 juillet 2009, Société Boucherie du Marché et Société Montaudis : RJF 12/09 n° 1177, nos concl. BDCF 12/09 n° 148. [↩]
- Voyez, par exemple, vos décisions du 2 juin 1993, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon : Rec., p. 164 ou, plus récemment, du 26 juillet 2011, Société Air France : Rec., T., p. 734-830-1176. [↩]
- 13 mars 1998 : Rec., p. 78. [↩]
- 29 juin 2001 : Rec., p. 303. [↩]
- Cf. CE 15 juillet 2004, Ministre c/ SA Gemo : Rec., p. 341. [↩]
- CE 5 mars 2012, Société Ciments Calcia : RJF 5/12 n° 538, concl. P. Collin ; BDCF 5/12 n° 64. [↩]
- Le bien-fondé de la jurisprudence reconnaissant la compétence de la juridiction administrative pour connaître des actions en décharge de la CSPE ne va pas de soi : la perception sur l’usager final d’un prélèvement proportionnel à sa consommation d’électricité aurait raisonnablement pu ou dû être regardée comme une imposition indirecte relevant de la compétence du juge judiciaire (CE S. 24 février 1978, Société Sogeparc : RJF 3/78 n° 207). Mais elle a été confirmée récemment. [↩]
- Cf. TA Paris 6 juillet 2012, SAS Praxair. [↩]
- Du nom de l’arrêt du 17 mai 1990, aff. C-262-88. [↩]
- La seule décision qui prend parti est très spécifique. Elle se fonde sur l’idée que le résultat de l’annulation sans modulation serait en l’espèce encore plus contraire au droit de l’Union européenne que le maintien en vigueur temporaire de l’arrêt annulé : il s’agit de votre décision Canal Plus du 17 juin 2011 : au Recueil, qui annule des décisions de la commission de rémunération de la copie privée. [↩]
- 28 février 2012, aff. C-41/11. [↩]
- AJDA 2012, p. 995, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat. [↩]