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Un rapport qui répond à une exigence démocratique à l’occasion de l’ouverture du débat budgétaire
Comme l’an passé à la même période, la Cour a publié en ce mois d’octobre 2014 son deuxième rapport consacré aux finances publiques locales. Fruit d’un travail associant à la fois la Cour et les chambres régionales des comptes, le rapport effectue la synthèse d’une vaste enquête rassemblant aussi bien les chiffres obtenus auprès des administrations centrales (intérieur, finances) que les constats opérés à partir d’un large échantillon de collectivités : de fait, 136 collectivités au total ont été contrôlées, parmi lesquelles 15 régions, 12 départements, 42 groupements à fiscalité propre et 67 communes. Outre les échanges avec les administrations centrales de l’État, il y a eu également des échanges avec cinq des principales associations nationales d’élus locaux. Le panorama ainsi dressé offre une vue synthétique et aussi complète que possible de la situation financière des administrations publiques locales (APUL1 ) au moment où s’ouvre le débat budgétaire au Parlement. Quoique la Cour ne réponde pas strictement en ceci à une obligation constitutionnelle équivalente à celle qui la conduit à élaborer, s’agissant du budget de l’État et de celui de la Sécurité sociale, ses rapports sur le budget de l’État (BDE) et sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (RALFSS)2, on ne peut que se féliciter d’une telle initiative, qui s’inscrit à l’évidence dans le même esprit d’information du législateur au moment du vote des autorisations en lois de finances. De fait, l’importance de la situation des finances locales quant au respect des engagements européens de la France en matière de trajectoire des finances publiques ne peut plus être éludée et l’initiative de la Cour répond ici à une exigence démocratique qui ne pourra que se renforcer à l’avenir.
Plus que l’an passé, le rapport intervient à un moment charnière quant à la situation des collectivités territoriales et invite à s’interroger sur l’incidence budgétaire des choix juridiques amenés par les options de réforme de la décentralisation. De fait, les changements induits par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM), tels que la création de nouvelles métropoles et la reconnaissance du rôle de chef de file des régions, ne sont pas encore effectifs ; et les projets de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République et relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral sont toujours en débat au Parlement.
Après un exposé sur la situation des finances locales en 2013 et les perspectives de maîtrise de ces finances (chapitres 1 et 2), le rapport entreprend une critique assez sévère des réaménagements du bloc communal et de l’intercommunalité (chapitre 3), évoque la situation budgétaire délicate des régions (chapitre 4) et se clôt sur une analyse approfondie des mécanismes de péréquation (chapitre 5). Le constat d’ensemble ne peut qu’inciter à la vigilance quant à la situation de finances publiques locales dont l’incidence sur les comptes publics du pays va croissante. C’est le sens des recommandations finales émises par la Cour.
I. La situation financière des APUL tend à se dégrader
A. Une progression des dépenses inadaptée à l’évolution des recettes
En 2013, les dépenses des administrations publiques locales se sont élevées à 252 Md€. Elles représentent ainsi 21 % de la dépense publique nationale (le reste se partageant entre 32 % de dépenses des administrations centrales et 47 % de dépenses des administrations sociales)
Les ressources des mêmes administrations publiques locales étaient de 242,8 Md€ en 2013. Elles sont constituées pour 49 % de fiscalité (impôts locaux, fiscalité transférée par l’État) et, pour 30 %, de dotations. La part des impôts locaux au sein des prélèvements obligatoires est de 13 % (les impôts nationaux représentant 34 % et les prélèvements sociaux, 52 %). Les transferts de l’État en direction des collectivités se chiffrent à plus de 100 Md€. La Cour observe que l’exercice 2013 marque une aggravation de la situation financière des collectivités territoriales. La progression des dépenses est supérieure à celle des recettes, ce qui engendre une diminution de l’épargne brute. Malgré ces capacités d’autofinancement en baisse, les dépenses d’investissement des administrations publiques locales ne se sont pas ralenties, mais se sont au contraire accrues, avec pour conséquence une augmentation de l’endettement. Ces évolutions interviennent alors que la Cour constate par ailleurs, comme l’an passé, un défaut de maîtrise inquiétant au sujet de l’évolution des dépenses de fonctionnement. La Cour relève donc la nécessité impérieuse, pour remédier à cette situation, d’une meilleure maîtrise de ces dépenses, au premier rang desquelles figurent les dépenses de personnel et les frais de gestion. La baisse annoncée des dotations de l’État en direction des collectivités territoriales crée en effet une situation nouvelle à laquelle il convient de se préparer. Sans un effort général de réduction de leurs dépenses de fonctionnement, les collectivités territoriales verront inéluctablement leur situation financière se dégrader encore. Or, les taux d’emprunt atteignent actuellement des niveaux historiquement bas et, si l’interdiction de financer les dépenses de fonctionnement par l’emprunt reste la règle d’or des finances publiques locales, la Cour ne manque pas d’alerter quant au risque budgétaire que cette situation fait peser en termes de tentation d’endettement.
B. Des disparités qui demeurent dans la situation des différentes catégories de collectivités
Au-delà de ce constat général, des disparités sont observables entre les différentes catégories de collectivités.
Au niveau du bloc communal, la Cour relève une corrélation entre l’évolution des dépenses et le cycle électoral. C’est ainsi que les communes ont accru leur effort d’équipement à l’approche des élections municipales, ce qui a conduit à une diminution de leur épargne brute (- 7,8 %). L’effort d’équipement a été financé sur la trésorerie de l’exercice 2012, avec pour conséquences une stabilisation du volume des emprunts nouveaux et un encours de la dette qui continue à augmenter. Les établissements publics de coopération intercommunale sont dans une situation plus favorable. S’ils ont connu une croissance de leurs charges de fonctionnement, leur taux d’épargne brute s’améliore légèrement grâce à la hausse des impôts directs ; leurs dépenses d’investissement ont augmenté grâce à la trésorerie accumulée au cours de l’exercice 2012.
Les départements semblent être dans la situation la plus défavorable, avec une baisse conséquente de leur épargne brute (- 9,9 %), dont la cause essentielle repose sur la croissance des dépenses sociales. Ils sont donc confrontés à une baisse de leur investissement, continue depuis 2009, sans parvenir à maîtriser l’encours de leur dette.
De prime abord, les régions paraissent être dans une meilleure posture, puisqu’elles ont réussi à accroître sensiblement leurs investissements (+ 5,3 %) en puisant dans la trésorerie accumulée au cours de l’exercice 2012. Cela s’est cependant fait en augmentant aussi sensiblement leur endettement (6 %). Confrontées comme les autres collectivités à la baisse annoncée des dotations de l’État, leur situation soulève des préoccupations spécifiques (cf. ci-après).
II. Des problèmes structurels qui appellent des solutions
Passé le constat d’ensemble sur la situation financière des APUL, la Cour propose comme l’an passé de s’intéresser à des problèmes spécifiques, générateurs de surcoûts et de difficultés notables. Ces coups de projecteur sont autant d’appels adressés au législateur, alors même que les projets de nouvelle organisation territoriale sont sur la table, afin que soit mieux prise en compte l’incidence budgétaire des choix juridiques qui sont en passe d’être effectués. Cette année, l’attention est particulièrement appelée sur le problème de l’intercommunalité, sur la situation des régions et sur les dispositifs de péréquation financière.
A. Le bilan en demi-teinte de l’intercommunalité
La France compte 36 881 communes en métropole et outre-mer, dont 95 % de moins de 5 000 habitants et 54 % de moins de 500 habitants. La loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, qui a permis l’essor de l’intercommunalité entre les années 2000 et 2005, avait vocation à répondre à cet émiettement communal et à ses effets pervers. L’objectif n’est cependant que partiellement atteint. Si l’intercommunalité a en effet progressé, les coûts se sont envolés. En 2005, 88,5 % des communes étaient couvertes par une intercommunalité, contre 58 % seulement en 2000. Mais, dans le même temps, la généralisation de la carte intercommunale s’est faite à un prix élevé. Malgré l’effort de rationalisation initié par la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, qui a voulu renforcer la cohérence des intercommunalités en instaurant les « schémas départementaux de coopération intercommunale », la carte intercommunale reste trop complexe. Au final, le montant de la dotation d’intercommunalité versée par l’État, qui n’était que de 1,07 Md€ en 2000, s’élève à 2,54 Md€ en 2014.
La Cour déplore donc que le développement de l’intercommunalité n’ait pas permis une véritable rationalisation et une limitation des dépenses du secteur communal. On constate au contraire une superposition et un enchevêtrement de structures et de compétences, accompagnés de hausses des dépenses de fonctionnement et de personnel incompatibles avec l’exigence de redressement des finances publiques.
La Cour relève qu’à côté des EPCI à fiscalité propre, il demeure encore 8 965 syndicats intercommunaux et 1 233 syndicats mixtes. Le résultat est un semi-échec tant en termes de qualité de service que de maîtrise budgétaire, avec une complexité contre-productive : « de trop nombreux syndicats intercommunaux et syndicats mixtes continuent de se superposer au maillage du territoire en EPCI. D’importants surcoûts administratifs pourraient être évités. L’offre de services publics de proximité pourrait être organisée de façon plus cohérente ».
Malgré cette situation préoccupante, tous les enseignements ne semblent pas encore être tirés. La Cour regrette ainsi que le ministère de l’Intérieur n’ait pas établi de bilan de l’application des dispositions de la loi du 16 décembre 2010. Elle observe également que le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, en examen au Parlement, s’il relève la taille minimale des EPCI à fiscalité propre (de 5 000 à 20 000 habitants), ne confie aucun moyen supplémentaire aux services de l’État pour faire aboutir une véritable rationalisation des intercommunalités existantes.
Au niveau du fonctionnement des EPCI, il subsiste donc encore de réelles marges de progrès. Les EPCI restent trop nombreux, de taille trop limitée et avec un degré insuffisant d’intégration aux structures communales, ne permettant pas de véritables économies d’échelle. La Cour relève également que l’interdépendance fiscale a été encore accrue à la suite de la réforme de 2010 sur la fiscalité des entreprises introduite par la loi n° 2009-1673 de finances pour 2010. Cette réforme s’est en effet traduite par une « déspécialisation » fiscale des EPCI. Au final, la Cour note que l’impact financier des compétences transférées est le plus souvent relativement faible : « Le degré d’intégration est parfois si faible que la première des compétences de l’EPCI paraît être la redistribution des ressources financières à ses communes-membres. »
Le bilan mitigé de l’intercommunalité n’est pas sans lien avec la croissance des dépenses de personnels des APUL, sur laquelle la Cour avait déjà alerté l’an passé. Il apparaît en effet que le développement de l’intercommunalité, qui aurait dû être à cet égard une occasion de rationalisation des dépenses et de mutualisations, accompagnées d’économies d’échelle, se présente comme une occasion manquée. On constate notamment que la réduction des attributions des communes s’est faite sans réduction de leurs effectifs. Au lieu de profiter des redistributions de compétences pour augmenter leur épargne et se désendetter, les communes ont saisi l’occasion de ce dessaisissement de leurs compétences dites « d’intérêt communautaire », pour renforcer leurs propres services, parfois jusque dans les champs d’intervention confiés aux groupements intercommunaux.
Le constat est donc sévère : au lieu d’être l’occasion d’une rationalisation et d’économies d’échelle, le développement de l’intercommunalité a accru les superpositions et n’a pas contribué à la rationalisation des coûts. Les effectifs des personnels des établissements publics de coopération intercommunale et des communes ont connu des hausses respectives de 146 et 13 % depuis 2000. Actuellement ils s’élèvent respectivement à 245 429 agents et 1 012 690 agents. La Cour constate que, globalement, le bloc communal a vu ses effectifs croître de 260 000 agents supplémentaires en 11 ans. Les dépenses de personnel des établissements publics à fiscalité propre sont passées de 1,59 Md€ en 2001 à 6,27 Md€ en 2012. Les dépenses de personnel des communes sont passées de 23,3 Md€ en 2000 à 34,1 Md€ en 2012, ce qui représente une hausse de 46 %. La masse salariale totale du bloc communal a augmenté pendant la période de 60 %, ce qu’il faut attribuer à la fois à la hausse des effectifs et à une politique de rémunération mal maîtrisée : revalorisation des régimes indemnitaires, rythme rapide d’avancement et de promotion, etc. Les contrôles des chambres régionales ont montré qu’assez souvent le temps annuel de travail restait inférieur à la durée légale (1 607 heures).
B. La situation des régions
Dans le contexte nouveau créé par le projet de refonte de la carte des régions, la Cour a souhaité attirer l’attention sur la situation de ces collectivités territoriales. La réforme de la fiscalité locale en 2010 a de fait mis les régions dans une situation singulière au regard des autres catégories de collectivités : quasiment privées de pouvoir de taux, leur dépendance vis-à-vis des dotations de l’État les place dans une situation délicate avec la baisse annoncée de celles-ci.
Le total des concours financiers de l’État aux régions, qui s’est élevé à 10,4 Md€ en 2013, représente en effet 40 % de leurs recettes de fonctionnement, soit une part nettement plus élevée que pour les départements et les communes, pour qui ces dotations représentent 24 % des recettes de fonctionnement (35 % pour les groupements intercommunaux à fiscalité propre). La situation des régions est donc particulière car désormais il y a peu d’impôts pour alimenter leur budget (essentiellement la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises CVAE et les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseau IFER).
Or, dans le même temps, leurs dépenses se sont accrues du fait des importants transferts de compétences opérés par l’État par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) et par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : par ces textes, ce sont de très importants transferts de compétences qui ont été réalisés (services régionaux de voyageurs, formation professionnelle, gestion des personnels techniques, ouvriers et de service des lycées). Les dépenses des régions sont ainsi passées de 17,4 Md€ en 2004 à 30 Md€ en 2012, ce qui représente un accroissement de 72 %.
La décorrélation entre le volume des dotations accordées par l’État et la croissance des dépenses correspondantes va en s’accentuant, plaçant les régions dans une situation de plus en plus délicate. C’est particulièrement le cas pour les dépenses de voyageurs et les services régionaux de transport. De 2006 à 2012, le montant des dotations accordées par l’État a ainsi augmenté de 4,2 %, quand, dans le même temps, la dépense réelle augmentait de 23 %. L’écart entre les dépenses des régions et leur droit à compensation est ainsi passé de 1 Md€ à 1,6 Md€ au cours de la période. D’une manière générale, la Cour constate que le mode de financement des régions, compte tenu de dotations d’État en baisse et de ressources fiscales sur lesquelles elles ont perdu la maîtrise effective, crée des conditions d’équilibre financier difficile.
Le seul levier d’action qui subsiste pour les régions semble être la régulation de leurs dépenses, ce qui place les exécutifs sous forte contrainte. La suppression de la clause générale de compétence prévue par le projet de loi portant réorganisation territoriale de la République pourrait être l’occasion d’un recentrage des différents blocs de collectivités territoriales sur leurs champs de compétence prioritaires et faciliter ainsi la rationalisation des dépenses.
Encore faudrait-il que les exécutifs régionaux ne manquent pas cette occasion pour opérer véritablement les choix nécessaires. La Cour relève ainsi que les dépenses de personnel des régions ont été multipliées par 4,5 entre 2005 et 2010. Comme pour le bloc communal, on constate, outre une augmentation des effectifs, une politique de personnel favorable (régimes indemnitaires, gestion de carrière, temps de travail effectif).
C. Des dispositifs de péréquation à parfaire
Le principe de la péréquation a été consacré par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République. La Cour relève cependant que l’augmentation des dispositifs qui y sont consacrés, et qui se caractérise par son manque de cohérence d’ensemble et une grande complexité, ne permet pas encore d’atteindre les objectifs recherchés.
Il faut distinguer péréquation « verticale », appliquée au niveau des dotations versées par l’État aux collectivités territoriales, et péréquation « horizontale » appliquée aux ressources perçues par les collectivités, entre elles.
La péréquation verticale repose essentiellement sur la modulation de la part dite « de péréquation » de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Si cette part a pu augmenter depuis quelques années (passant ainsi de 4,5 Md€ en 2004 à 7,5 Md€ en 2013), elle ne représente pour autant que
18 % du montant global de la DGF, la part forfaitaire de celle-ci restant largement majoritaire. La péréquation verticale joue donc un rôle minime par rapport à la masse des transferts financiers de l’État aux collectivités (plus de 100 Md€), à leurs produits réels de fonctionnement (191,2 Md€) et à leurs recettes fiscales (75 Md€).
La péréquation dite horizontale est d’apparition plus récente. Originellement, elle reposait essentiellement sur le fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France (FSRIF) créé en 1991. Depuis cette date, les fonds de péréquations horizontaux se sont multipliés3. Malgré leur développement, ces fonds de péréquation ne mobilisent encore qu’une masse financière limitée, d’environ 1 Md€ en 2013.
D’une manière générale, le système de péréquation se caractérise par sa complexité, son défaut de cohérence d’ensemble, et son manque d’efficacité. La Cour relève ainsi que les différents dispositifs ont été ajoutés les uns aux autres par sédimentation, sans cohérence d’ensemble. Dans la plupart des cas, les fonds ne sont pas véritablement distribués de façon discriminante. C’est ainsi que 75 % des communes de plus de 10 000 habitants sont éligibles à la dotation de solidarité urbaine (DSU) et près de 98 % des communes de moins de 10 000 habitants à la dotation de solidarité rurale (DSR). Au total il n’y a que 1 053 communes qui ne perçoivent que la part forfaitaire de la DGF.
En matière de péréquation horizontale, les défauts sont du même ordre. Ainsi, 80 départements sont bénéficiaires du fonds national de péréquation des DMTO et la moitié sont éligibles au fonds national de péréquation de la CVAE. Seize régions sur vingt-deux sont éligibles au fonds national des ressources des régions, et presque la moitié bénéficie du FSRIF. La Cour relève ainsi que, paradoxalement, la réduction des écarts de richesse au niveau des départements et des régions découle davantage des dotations forfaitaires versées que des dispositifs de péréquation eux-mêmes. Si le principe même de la péréquation apparaît souhaitable et nécessaire, le système dans son ensemble appelle donc une réforme en profondeur.
III. L’impact des finances locales dans la trajectoire de redressement des comptes publics
A. L’endettement des collectivités et de leurs établissements : une progression à surveiller
Conséquence du déséquilibre entre progression des dépenses et tassement des recettes, le déficit des collectivités territoriales s’est très sensiblement creusé en 2013, passant de 3,7 Md€ en 2012 à 9,2 Md€ en 2013, soit une augmentation de 248 %. Quoiqu’elles soient contraintes par la « règle d’or » à ne pas financer leur fonctionnement par l’emprunt, les collectivités n’ont manifestement pas renoncé à investir, malgré une situation financière de plus en plus tendue. Leur dette, qui était de 182,3 Md€ en 2013, représente désormais 9,5 % de la dette totale des administrations publiques.
L’importance de cet endettement et la part qu’il représente dans la dette publique générale induisent une responsabilité des administrations publiques locales qui ne peut plus être éludée. De fait, le solde général affiché par les administrations publiques locales s’ajoute au déficit de l’État et de la sécurité sociale. Il est intégré au déficit public français compris au sens des engagements européens (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de mars 2012). Ces engagements définissent une trajectoire de redressement des comptes publics et de retour à l’équilibre au sein de laquelle la contribution des administrations publiques locales ne peut être négligée. La Cour insiste donc sur la nécessité que les administrations publiques locales prennent leur part de l’effort de réduction des déficits publics et de redressement des comptes.
Comme il a été dit, le total des transferts financiers de l’État dépasse les 100 Md€ annuels. La contraction de ces dotations pourrait induire une volonté de report, de la part des exécutifs, sur le niveau d’effort fiscal des contribuables. Or, le niveau désormais atteint par les impôts locaux et la part qu’ils représentent des prélèvements obligatoires sur la richesse nationale affectent la situation d’ensemble des ménages et des entreprises et ont un impact direct sur l’économie.
B. Une discipline budgétaire qui doit être partagée autant par les collectivités que par l’État
La perspective de la baisse des dotations de l’État implique donc une discipline budgétaire accrue. Une partie des concours financiers de l’État aux collectivités locales, représentant une enveloppe de 50,5 Md€, était jusqu’à présent gelée. La loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, au motif de la participation des collectivités territoriales à l’effort général de redressement des comptes publics, a déjà prévu une baisse de 1,5 Md€ de ces dotations de l’État aux collectivités, imputée sur la plus importante d’entre elles, la dotation globale de fonctionnement. Par ailleurs, le programme de stabilité pour 2014-2017, adopté en conseil des ministres le 23 avril 2014, inscrit la France dans une trajectoire de réduction du montant annuel des dotations de l’État aux collectivités de 11 Md€ au terme de la période 2015-2017, soit une diminution annuelle de 3,67 Md€ pendant trois ans.
Cette diminution sera entamée avec la loi de finances pour 2015. L’État accentue ainsi la pression sur les collectivités territoriales, afin qu’elles accompagnent son propre effort de réduction de la dépense. La Cour met cependant en garde contre les signaux parfois contradictoires qui sont adressés. Il faut noter qu’en 2014, la baisse des dotations de l’État a été en partie compensée par de nouveaux transferts de ressources. Ainsi la baisse de la dotation globale de fonctionnement a-t-elle été plus que compensée par l’évolution de la fiscalité transférée qui, hors formation professionnelle, a augmenté de 1,54 Md€ en 2014 – dont 827 € de ressources nouvelles à destination des départements (transfert de frais d’assiette et de recouvrement de la taxe foncière sur les propriétés bâties). Ce transfert était justifié par la nécessité de financer la part du plan de lutte contre la pauvreté attribuée aux départements, notamment à travers la revalorisation exceptionnelle du revenu de solidarité active. De la même manière, la loi de finances pour 2014 a accordé aux régions de nouvelles ressources fiscales, à hauteur de 901 €, en substitution à la dotation générale de décentralisation « formation professionnelle ».
Par ailleurs, à ces transferts se sont ajoutées des augmentations de subventions en provenance des différents ministères (plus de 200 €), ainsi que des financements exceptionnels liés au programme des investissements d’avenir (plus de 200 € également). Et à ces facilités s’est ajoutée la possibilité, octroyée aux départements pour deux ans, de relever le taux des droits de mutation à titre onéreux.
Selon la Cour, on peut craindre que, sous l’effet des compensations ainsi consenties, la baisse des dotations globales attribuées par l’État aux collectivités territoriales n’affecte pas autant qu’espéré, dans l’immédiat, leur niveau de dépenses. La Cour attire donc l’attention sur la nécessité de maintenir la cohérence globale de la trajectoire de redressement définie, en renonçant à compenser par de nouveaux transferts la contraction des dotations qui a été décidée par ailleurs.
Enfin, la Cour attire l’attention sur la disparité de situation des niveaux de collectivités et la nécessaire modulation des réductions programmées. À partir de 2015, la contrainte devrait en effet se faire plus sensible, notamment du fait de l’augmentation de la réduction de dotations prévue (3,67 Md€). Or cette baisse générale de la dotation globale de fonctionnement, inscrite en loi de finances, sera répartie entre les différentes catégories de collectivités territoriales selon les mêmes modalités qu’en 2014, c’est-à-dire au prorata des ressources totales. La répartition devrait donc être de 2,071 Md€ pour le bloc communal, 1,148 Md€ pour les départements, et 451 € pour les régions. La Cour estime que ce mode de calcul ne tient pas assez compte des situations financières propres à chaque catégorie de collectivités territoriales. La Cour observe notamment la situation plus favorable propre au bloc communal, qui dispose de possibilités de manœuvre et de pouvoirs de taux assez étendus en matière fiscale et budgétaire. Ainsi, le bloc communal peut opérer une modulation sur le taux des impôts locaux, une part importante de ses ressources provenant de ces impôts : il peut moduler le taux des trois impôts « ménages » (la taxe d’habitation, la taxe sur le foncier bâti et la taxe sur le foncier non bâti) et celui de la cotisation foncière des entreprises. Par ailleurs le bloc communal bénéficie du dynamisme propre à ces ressources fiscales. Les départements, et a fortiori les régions, quant à eux, ne disposent pas de ressources fiscales aussi flexibles.
Les recommandations de la Cour
Le rapport de la Cour débouche sur une quinzaine de recommandations, touchant respectivement les perspectives de maîtrise des finances publiques locales, la rationalisation administrative et financière du bloc communal, les conditions d’équilibre structurel des régions et le développement de la péréquation financière.
S’agissant de la rationalisation administrative et financière du bloc communal, la Cour appelle à une clarification des partages de compétences, à des regroupements et à des mutualisations plus poussées. Une meilleure maîtrise des dépenses de personnel est attendue et la Cour propose la mise en place de « pactes de gouvernance financière et fiscale » pour les groupements à fiscalité propre.
Concernant les régions, la Cour appelle à un recentrage sur les politiques prioritaires et à une maîtrise des dépenses de personnel. Elle propose également de leur allouer davantage de ressources fiscales et appelle, en cas de regroupements de régions, à maintenir l’objectif de recherche de gains d’efficience.
Au sujet de la péréquation, c’est une réforme profonde qui est suggérée, avec une rationalisation, un développement de la péréquation horizontale et une mise en cohérence de dispositifs plus resserrés et ramenés à des indicateurs plus clairs et discriminants. Une réforme de la DGF dans le même sens est également proposée.
C’est évidemment autour du thème de la maîtrise des finances publiques locales que la Cour fait ses recommandations les plus fortes. Outre une meilleure répartition des baisses de dotations annoncées selon les niveaux de collectivités et un renforcement de la logique de péréquation pour en atténuer les effets, la Cour propose en effet de mettre en place une véritable loi de financement des collectivités territoriales, à l’image des lois de finances pour l’État et des lois de financement de la Sécurité sociale.
Conformément aux dispositions de l’article 72 de la constitution, les collectivités territoriales s’administrent librement « dans les conditions prévues par la loi ». La fixation de règles n’est cependant pas incompatible avec le principe de libre administration. À cet égard, la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a ouvert la possibilité, après concertation avec les élus locaux, de fixer dans la loi des règles plus contraignantes en matière d’évolution des recettes et dépenses des APUL.
La Cour propose donc qu’une loi de financement des collectivités territoriales soit votée chaque année par le Parlement : sur la base d’un recensement intégral des flux financiers entre l’État et les APUL ainsi que d’une estimation des évolutions de la fiscalité locale, elle définirait des objectifs d’évolution en matière de recettes et de dépenses, de solde budgétaire et de niveau d’endettement. Seraient également adjointes des prescriptions en matière de péréquation, de règles budgétaires et comptables applicables aux collectivités ainsi que de contrôle. Le vote d’une telle loi, chaque année, permettrait un contrôle de l’exécution en fin d’exercice et un meilleur suivi de la trajectoire de moyen terme définie par nos engagements européens. La mise en place d’un tel texte fournirait le troisième pilier, avec les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, de la gouvernance par le Parlement des finances publiques dans leur ensemble.
- La notion d’APUL recouvre, pour 90 %, les collectivités territoriales (communes, départements, régions) et leurs groupements à fiscalité propre (communautés urbaines, communautés d’agglomération, communautés de communes). Sont également inclus dans la notion les syndicats intercommunaux et les syndicats mixtes de services administratifs ainsi que, de façon plus marginale, les organismes divers d’administration locale (ODAL), organismes spécialisés, chambres consulaires, etc. La notion ne comprend pas, en revanche, les organismes classés en sociétés non financières, les régies à autonomie financière dotées de la personnalité morale, les syndicats intercommunaux relevant du secteur marchand, les offices publics de l’habitat ou les caisses de crédit municipal dont l’adjonction définit la notion de secteur public local. [↩]
- Ces rapports découlent du rôle d’assistance et d’information de la Cour défini par l’article 47-2 de la Constitution. [↩]
- Signalons ainsi pour l’essentiel le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) à destination du bloc communal ; le fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), le fonds national de péréquation de la CVAE des départements, le fonds de solidarité en faveur des départements de la région Île-de-France, à destination des départements ; le fonds national de péréquation des ressources des régions et de la collectivité territoriale de Corse, à destination des régions. [↩]
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