301. Protection de l’individu, droits subjectifs et légalité. – L’observateur français est d’abord frappé par le fait que le contrôle de l’action de l’administration allemande est moins inspiré par le souci de la légalité que par celui de la nécessité de protéger les droits subjectifs de l’individu. Dans le commerce franco-allemand, il est fréquemment nécessaire de commencer par mettre en relief l’opposition paradigmatique entre le caractère subjectif du recours allemand en annulation (Anfechtungsklage) et le caractère objectif du recours français pour excès de pouvoir. L’effet de cette différence est que l’accès au prétoire est naturellement plus restrictif en Allemagne qu’en France. La constatation ne doit toutefois pas tourner au poncif. Comme tous les lieux communs, celui-ci mérite d’être nuancé ; d’abord parce que l’effectivité d’un système de protection juridictionnelle ne se mesure pas seulement d’après le critère de la recevabilité ; ensuite parce que le juge allemand a su parfois construire des cas de recevabilité là où celle-ci paraissait exclue. Ainsi en matière de recevabilité du recours de non-résidents en matière d’autorisation de construction de centrales nucléaires : l’idée selon laquelle ce serait porter atteinte au principe de territorialité que d’admettre qu’un étranger non-résident puisse tirer du droit allemand des droits invocables devant le juge administratif allemand a été abandonnée par la Cour fédérale administrative depuis un jugement du 17 décembre 1986 au nom de la réciprocité de fait qui existe dans les droits néerlandais, français ou suisse (BVerwGE 75, 285 [290] ; RJE 1988, 183, avec observ. M. Bothe, p. 186).
Section I – La protection extra-juridictionnelle
302. Contrôle interne, pétitions, délégué aux forces armées, délégués à la protection des données. – La protection extra-juridictionnelle peut d’abord prendre la voie d’un contrôle à l’initiative de l’administration elle-même : contrôle interne par l’organe suprême, le supérieur hiérarchique, des commissions ou une instance spécialisée. A l’intérieur d’une même administration, le contrôle exercé par une autorité de rang supérieur peut habituellement porter aussi bien sur la légalité que l’opportunité. A l’égard des formes d’administration indirecte, la panoplie de contrôle est plus réduite, se réduisant à celui de la légalité quand il s’agit d’administration de type communal.
La protection extra-juridictionnelle peut être exercée à l’initiative de l’administré par des voies diverses. On ne mentionnera que pour mémoire le droit très classique de pétition et le droit de saisine d’ombudsman spécialisé. L’article 17 LF dispose au niveau fédéral que toute personne a le droit d’adresser par écrit, individuellement ou conjointement avec d’autres, des requêtes ou des recours aux autorités compétentes et à la représentation du peuple : la plupart des Länder ont également reconnu ce droit. Au niveau fédéral, l’article 45c LF constitutionnalise l’existence d’une commission des pétitions au Bundestag. Le recours à la technique de l’ombudsman a été développé dans deux domaines particuliers, l’armée et la protection des données nominatives. Le délégué parlementaire aux forces armées (Wehrbeauftragter) est un organe auxiliaire du Bundestag introduit par la septième révision constitutionnelle du 19 mars 1956, au moyen d’un nouvel article (45b LF) ; il est chargé de la protection des droits fondamentaux des soldats et de soutenir le Bundestag dans son contrôle parlementaire de l’armée (cf. loi du 16 juin 1982). Le délégué à la protection des données n’est pas prévu par la loi fondamentale ; son existence repose au niveau fédéral sur la loi du 21 janvier 1977, qui a fait place à celle du 20 décembre 1990 sur la protection des données (Bundesdatenschutzgesetz). Il est nommé par le Bundestag sur proposition du gouvernement fédéral (Bundesbeauftragter für den Datenschutz, §§ 22 et s. BDSG). Des Länder ont également créé à leur niveau des délégués à la protection des données.
Sans vouloir minimiser le rôle joué par le système des pétitions et des ombudsmen, il est juste de dire que l’essentiel de la protection extra-juridictionnelle passe par les techniques plus pré-contentieuses que véritablement extra juridictionnelles, des recours informels et du contredit.
I | Les voies de recours informelles
303. Recours en réplique, recours à l’autorité de contrôle fonctionnel, recours à l’autorité de contrôle hiérarchique. – Ces recours informels n’ont d’autre fondement que l’article 17 LF qui prévoit de manière générale le droit d’adresser des recours aux autorités compétentes, à côté du droit de pétition stricto sensu, adressé à la représentation du peuple. Selon le destinataire du recours ou de la requête, on parlera de recours en réplique (Gegenvorstellung, cf. le recours gracieux du droit français) ou de recours à l’autorité de contrôle ; dans le dernier cas, on distinguera selon qu’il s’agit de l’autorité de contrôle fonctionnel (Fachaufsichtsbeschwerde) pour obtenir une révision de la décision au fond, ou qu’il s’agit de l’autorité de contrôle hiérarchique (Dienstaufsichtsbeschwerde) pour mettre en cause le comportement d’un agent public et entraîner éventuellement le déclenchement d’une procédure disciplinaire.
Ces recours informels n’ont pas d’effet suspensif, ni d’effet dévolutif ; ainsi le recours à l’autorité de contrôle fonctionnel ne débouche normalement pas sur autre chose qu’une instruction interne à l’autorité qui a pris la décision initiale, à moins qu’un texte spécial ne prévoie un pouvoir de réformation ou de substitution d’action. Conformément à la lettre de l’article 17 LF, l’autorité saisie n’est tenue à l’égard du pétitionnaire que d’accuser réception du recours d’une manière témoignant d’une réflexion sur le fond de la requête et sur la suite interne à l’administration qui lui est donnée : classement ou transmission à l’autorité qui a pris la décision initiale (BVerfGE 2, 225 et s.). Cette réponse ne peut pas être considérée comme le règlement du cas d’espèce et ne constitue donc pas un acte administratif au sens du § 35 VwVfG.
II | Les voies de recours formalisées – notamment : contredit (Widerspruch)
Les diverses voies de recours formalisées ont en commun d’être enfermées dans un délai, de devoir respecter une forme particulière et surtout d’exiger l’existence d’un grief personnel dans le chef du requérant. Outre le principe de légalité objective de l’action administrative, elles servent à assurer la protection de droits subjectifs. Si le recours est recevable, le requérant a droit à obtenir une décision au fond par l’administration ou par le juge, selon qu’il s’agit d’un recours extra-juridictionnel ou d’un recours juridictionnel. Le code des impôts organise des recours pré-juridictionnels dans la procédure fiscale, sous le nom d’opposition (Einspruch) ou de pourvoi (Beschwerde) ; mais la plus importante des voies de recours formalisées adressées à l’autorité administrative est celle du contredit, réglée au §§ 68 et s. de la loi sur la juridiction administrative (VwGO).
304. Rôle du contredit dans la procédure administrative. – Le § 68 VwGO pose le principe général selon lequel, avant l’introduction d’une action en annulation ou d’une action tendant à l’émission d’un acte administratif individuel refusé par l’administration, la régularité et l’opportunité de l’acte administratif individuel doivent être contrôlées dans le cadre d’un recours administratif préalable. Ce recours débute avec l’introduction du contredit, auquel l’administration peut décider de faire droit, ou qu’elle peut rejeter en ouvrant ainsi la voie à l’action contentieuse.
La nature du contredit est ambivalente. Recours préalable sur lequel tranche l’administration, on peut le considérer comme relevant de la procédure non contentieuse ; le § 79 VwVfG en fait d’ailleurs la procédure de droit commun pour les voies de recours formelles contre les actes administratifs de la Fédération. Préalable normalement imposé aux actions en annulation ou en émission d’un acte administratif, il est toutefois difficilement dissociable de la procédure juridictionnelle, ce qui explique d’ailleurs qu’il soit régi par une loi fédérale, relevant de la compétence législative concurrente (Art. 74 I nº 1 LF ; également : BVerfGE 35, 65 [72]).
Le fait que le contredit peut entraîner un réexamen de l’opportunité (Zweckmäßigkeit) et de la régularité (Rechtmäßigkeit) de la décision par une autorité supérieure ou une autorité autonome (§ 73 VwGO), permet de créditer la procédure de plusieurs avantages : elle permet un auto-contrôle de l’administration, de réduire la charge des tribunaux et finalement d’améliorer la qualité de la protection des droits de l’administré. Cette qualité de la protection des droits est encore accrue par l’effet suspensif du contredit, sauf les cas mentionnés au § 80 II VwGO.
305. Les deux temps de l’examen d’un contredit. – La procédure de contredit se déroule en deux temps. Le premier temps fait intervenir l’autorité qui a édicté l’acte et auprès de laquelle le contredit doit être introduit (Abhilfeverfahren). Dans ce premier temps, l’autorité qui a édicté l’acte peut, si elle estime le contredit fondé, y faire droit totalement ou en partie et statuer sur les dépens. La décision de faire droit au contredit (Abhilfebescheid, § 72 VwGO) intervient au terme d’un réexamen sous les deux aspects de la légalité et de l’opportunité.
Si l’autorité maintient sa décision initiale et ne fait pas droit au contredit, elle doit renvoyer celui-ci à l’autorité chargée de prendre la décision sur contredit (Widerspruchsbescheid). A défaut d’autres dispositions concernant en particulier la mise en place de commissions ou conseils consultatifs, l’autorité de décision sur contredit (Widerspruchsbehörde) est désignée par le § 73 I VwGO ; il s’agit habituellement de l’autorité hiérachique immédiatement supérieure.
Le respect des deux temps est une condition substantielle de légalité de la procédure de contredit au sens du § 79 II 2 VwGO ; elle peut faire l’objet d’un contentieux autonome en annulation dans la mesure où la décision sur contredit repose sur cette violation.
A/ Recevabilité du contredit
Le contredit n’est recevable que si la voie du contentieux administratif est ouverte (§ 40 VwGO, voir infra, nº 316), si la procédure de contredit est admissible, si l’auteur du contredit a qualité pour ce faire, si les conditions de forme et délai sont respectées et si l’auteur du contredit a un intérêt au contredit.
306. Admissibilité de la procédure (Statthaftigkeit). – Le § 68 I, II VwGO fait du recours administratif préalable un préliminaire aux actions en annulation et aux actions tendant à l’émission d’un acte administratif. Le contredit n’est donc admissible qu’en dépendance d’une éventuelle action à venir en annulation d’un acte administratif ou en émission d’un acte administratif refusé par l’administration.
A partir de là, l’admissibilité de la procédure peut être élargie ou restreinte par la loi. Exemple d’élargissement : le § 126 III BRRG fait du contredit une condition préalable de recevabilité de toute action contentieuse d’un fonctionnaire relative à sa situation de fonctionnaire. Exemple de restriction : le § 68 I VwGO lui-même qui après la première phrase posant le principe du recours préalable, dispose que le contrôle préalable n’est pas admissible si une loi en dispose ainsi, si l’acte a été édicté par une autorité administrative suprême fédérale ou fédérée – à moins qu’une loi n’exige le contrôle – ou si la première lésion de l’administré dans ses droits découle d’une décision de faire droit à un contredit ou d’une décision sur un contredit ; il en est de même en matière d’approbation de plan (§ 74 I 2 ensemble avec § 70 VwVfG) dans une perspective d’accélération de la procédure.
On distinguera soigneusement ces cas de non-admissibilité de la procédure par détermination du législateur, de la catégorie du contredit admissible, mais inutile (Entbehrlichkeit), développée par la jurisprudence et qui sera envisagée ultérieurement.
307. La qualité de l’auteur du contredit (Widerspruchsbefugnis). – La relation entre le contredit et la procédure contentieuse a pour conséquence que le contredit ne peut être introduit que par un administré lésé dans ses droits publics subjectifs (Beschwerter, cf. § 70 1 VwGO) : soit celui qui aurait qualité à agir contre l’acte administratif, soit celui qui estime que ses intérêts protégés par la loi ont été insuffisamment pris en compte lors de la mise en balance des intérêts inhérente à l’exercice de sa discrétionnarité par l’autorité administrative. Il ne s’agit là que de la mise en oeuvre de la notion de droit public subjectif dans la procédure contentieuse (voir chap. 9, section II).
308. Les conditions de forme et de délai. – Le contredit doit être introduit dans les conditions prévues au § 70 VwGO. L’exigence d’un écrit, ou d’un procès-verbal consigné sur les indications du requérant auprès de l’autorité qui a édicté l’acte administratif, a pour objet de s’assurer que le contredit exprime bien la volonté de son auteur. L’exigence de l’écrit sera donc satisfaite le cas échéant par la signature autographe de son auteur ou de son représentant, voire par le recours à la télégraphie ou à la télécopie. En revanche, une simple déclaration téléphonique de désaccord ne suffit pas, même si elle a fait l’objet d’une note écrite par un agent public, car une telle note ne peut avoir la valeur d’un procès-verbal consigné, relu et approuvé par l’auteur de la déclaration (cf. BVerwGE 17, 166 et s.).
Le contredit doit être introduit dans le délai d’un mois après que l’acte a été notifié à la personne lésée (§ 70 I 1 VwGO, in fine). Ce délai ne commence à courir que si la voie de recours, l’autorité administrative compétente, son siège et le délai à respecter lui ont été indiqués par écrit (§ 58 I VwGO). A défaut de ces indications, le § 58 II VwGO fixe un autre délai, d’une année à compter de la signification, de la publication ou du prononcé de l’acte administratif ; à défaut de publicité de l’acte, le contredit reste possible pendant une période illimitée (BVerwGE 44, 294 et s.). S’agissant du délai opposable à un tiers lésé, la jurisprudence fait usage du critère de la connaissance acquise pour faire courir le délai à compter de la date où il a eu effectivement ou aurait dû, avec un minimum de diligence, avoir connaissance de l’acte administratif (BVerwGE 44, 294 [300], 78, 85 [89 et s.]) ; même s’il fixe souvent le délai à une année à compter de la connaissance acquise par le tiers (par exemple le voisin d’une construction nouvelle), le juge ne fait pas ici application analogique du § 58 II VwGO, mais souligne l’autonomie de la déchéance (Verwirkung) ainsi prononcée au nom de la stabilité des situations juridiques et de la bonne foi du tiers concerné, en se réservant d’adapter le délai aux circonstances de l’espèce. Si l’auteur du contredit n’a pu observer le délai légal, sans faute de sa part, il peut demander relevé de la forclusion (§ 70 II ensemble avec § 60 I-IV VwGO).
Le contredit doit être introduit auprès de l’auteur de l’acte initial. Le délai est conservé s’il est déposé auprès de l’autorité chargée de décider sur le contredit.
309. L’intérêt à contredit (Rechtsschutzbedürfnis). – La jurisprudence admet l’irrecevabilité du contredit lorsque son auteur n’a pas d’intérêt véritable à obtenir par cette voie la révision de la décision initiale. Cette irrecevabilité est justifiée par le principe d’économie de l’action administrative ainsi que par la considération que la procédure administrative a pour objet de permettre un accomplissement simple, efficace et rationnel des tâches administratives, ce qui fait obstacle à un détournement anormal de la force de travail de l’administration. Il n’y a pas d’intérêt véritable si l’auteur du contredit n’a pas besoin d’une décision administrative pour faire valoir ses droits, si la décision ne permettrait pas de lever des obstacles de droit ou de fait, s’il n’a pas encore ou n’a plus d’intérêt actuel à la décision (par exemple, parce que l’acte contesté a épuisé ses effets), ou encore s’il recourt de façon abusive à l’activité de l’administration (par exemple, afin de satisfaire ses intérêts économiques et non pour faire respecter ses droits).
B / Bien-fondé du contredit
310. L’état du droit applicable. – Si le contredit est recevable, son bien-fondé s’apprécie selon les circonstances de fait et de droit au moment de la décision d’y faire droit ou de la décision sur contredit. Il est donc tenu compte des changements intervenus depuis la décision initiale (BVerwGE 2, 55 [62]). La décision de faire droit ne peut pas être plus désavantageuse pour le requérant ; en revanche, la décision sur contredit peut aussi bien lui être bénéfique que désavantageuse. Le droit de la construction fait exception, en ce sens que le contredit du voisin contre un permis de contruire s’apprécie selon la situation de fait et de droit au moment de la délivrance du permis. En dehors de cette exception qui s’explique par l’effet de la garantie constitutionnelle du droit de propriété du maître d’ouvrage, l’application du droit en vigueur au moment de la décision sur contredit s’explique par le fait que la procédure de décision administrative ne se termine qu’avec cette décision : une réalité dont tient compte le § 79 I nº 1 en précisant que l’action en annulation a pour objet l’acte administratif originel dans la forme que lui a donnée la décision sur contredit.
311. Irrégularité objective et violation des droits subjectifs : conditions cumulatives minimales de la reconnaissance du bien-fondé. – Le contredit est bien fondé lorsque l’acte administratif attaqué ou le refus d’émettre un acte administratif est irrégulier au moment où l’on doit se placer pour l’apprécier, et que de surcroît l’auteur du contredit subit une violation de ses droits subjectifs. Si l’acte initial est pris dans l’exercice de la discrétionnarité, le contredit est également fondé lorsque, sans être nécessairement irrégulier, l’acte initial est inadéquat à l’objectif poursuivi (unzweckmäßig) et que, par ailleurs, la norme ouvrant pouvoir discrétionnaire est destinée à protéger, sinon exclusivement du moins également, les intérêts de l’auteur du contredit. S’agissant de contredits portant sur des actes administratifs ayant des effets à l’égard de tiers, l’autorité de décision sur contredit du tiers ne peut contrôler que la violation de normes ayant précisément pour objet de protéger les tiers ; ainsi, le recours du voisin contre l’octroi d’un permis de construire ne peut conduire à l’annulation sur contredit d’un permis objectivement irrégulier que si une norme a été violée qui a pour objet de protéger les voisins (voir nº 212).
312. L’étendue des pouvoirs de l’autorité de décision sur contredit. -A la différence d’un tribunal, l’autorité de décision sur contredit n’a pas seulement la possibilité d’annuler l’acte initial irrégulier ; elle peut aussi réformer cet acte de manière à le rendre régulier ou adéquat, avec la conséquence que l’acte corrigé pourra éviter l’annulation contentieuse. Outre l’effet du § 79 I nº 1 VwGO, la doctrine voit là une manifestation de l’effet dévolutif du contredit qui confère à l’autorité de décision sur contredit la plénitude des pouvoirs de l’autorité de décision initiale. Elle peut dès lors « guérir » (voir nº 242) les vices de forme et de procédure en complétant une motivation insuffisante ou en procédant à une audition manquante. Elle peut également substituer son appréciation discrétionnaire à celle de l’autorité initiale, en explicitant les considérations qui la conduisent à opérer son choix de la conséquence juridique. Elle peut également substituer son appréciation des faits à celle de l’autorité initiale, dans la mesure où cette appréciation nouvelle repose sur des motifs de fait et non sur une appréciation d’une situation non reproductible ; ainsi, s’agissant de la question délicate du contrôle des prestations d’un candidat à un examen, elle ne peut que tirer les conséquences d’une erreur factuelle du correcteur ou du jury initial, mais non procéder purement et simplement à la modification d’une note attribuée en situation d’examen, faute de pouvoir reconstituer ce qui s’est passé le jour J.
L’autorité de décision sur contredit peut voir ses pouvoirs limités au contrôle de la seule légalité, lorsque son rapport à l’autorité initiale n’ouvre pas d’autre possibilité. L’exemple type est ici fourni par le droit des collectivités locales (respect de la libre-administration) ou encore par le droit de la construction : lorsqu’une autorisation requiert le concours des volontés de l’administration de la construction et de la commune concernée, l’absence d’accord de la seconde ne peut être amendé par l’autorité de décision sur contredit ; irrégulier, le refus de la commune ne pourrait être corrigé que par l’autorité de tutelle, et il s’agirait d’une procédure tout à fait distincte de celle de la décision sur contredit.
Le cas de la reformatio in pejus reste discuté. Une partie de la doctrine conteste que l’autorité de décision sur contredit puisse modifier l’acte initial au désavantage de l’auteur de contredit, en s’appuyant sur diverses dispositions de la loi sur la juridiction administrative qui expriment l’idée d’une interdiction de l’ultra petita (§§ 88, 129, 141 1 VwGO). La majorité de la doctrine ainsi que la jurisprudence estiment en revanche qu’il n’est pas possible d’élargir cette triple interdiction relative aux trois degrés de la juridiction administrative à la situation de l’autorité de décision sur le contredit ; par ailleurs, il est dans la logique de l’effet dévolutif du contredit que l’autorité de décision sur contredit dispose d’une entière liberté, y compris celle de la reformatio in pejus. Même si l’on admet la licéité de principe de la reformatio in pejus, il faut encore s’assurer que l’autorité de décision sur contredit dispose dans le cas d’espèce de la compétence sous l’angle du droit procédural et du droit matériel. La réponse est positive dans le cas assez peu courant où l’autorité initiale est également autorité de décision sur contredit ; en revanche s’agissant d’autorités distinctes (autorité hiérarchique en règle générale), la Cour fédérale administrative considère que la loi sur la juridiction administrative ne fournit aucune indication sur ce point et qu’il faut donc se reporter aux dispositions législatives de la Fédération et des Länder pertinentes dans le cas d’espèce pour vérifier si, par exemple, il n’existe pas un pouvoir d’instruction entre les deux autorités en cause, dont on puisse inférer au nom de l’économie dans l’action administrative une compétence de l’autorité de décision sur le contredit. Lorsque la compétence de principe est admise, encore faut-il qu’il existe une norme de droit matériel permettant d’aggraver la décision initiale sans en modifier la nature, ce qui heurterait des principes généraux tel que celui de la protection de la confiance légitime.
Section II – La protection par le juge
Près de neuf contredits sur dix ne sont pas suivis d’un recours contentieux. L’efficacité de ce mécanisme de protection extra-juridictionnelle des droits ne doit cependant pas faire oublier qu’en définitive, c’est la protection juridictionnelle qui est déterminante.
L’histoire de la juridiction administrative en Allemagne (I) fait apparaître que celle-ci n’a acquis ses traits contemporains qu’à partir de la Loi fondamentale. Le caractère résolument subjectif du contentieux administratif découle de l’article 19 IV LF (II) et la clause générale du § 40 I 1 VwGO placent la jurisprudence administrative au centre du dispositif de protection des administrés/citoyens. Les principes généraux du contentieux administratif (III) reflètent la priorité accordée à la protection des droits subjectifs.
I | L’histoire de la juridiction administrative
313. Comment soustraire l’administration à la volonté du prince ?. -Si la juridiction administrative n’a pu s’imposer définitivement en Allemagne que trois quarts de siècle après l’établissement de son homologue française, le point de départ au début du XIXº siècle fut le même : comment s’assurer que les fonctionnaires administratifs dans les divers Etats allemands, dépendant de ministres responsables devant la représentation populaire mais aussi du prince, vont exercer leurs attributions administratives de façon impartiale et ne pas interpréter le droit administratif naissant dans un esprit de parti ? Le § 60 de la constitution wurtembergeoise de 1819 cherchait la réponse dans la mise en place d’un conseil intime (Geheimer Rat), autorité collégiale placée au-dessus des ministres et renforcée de magistrats pour juger des recours contre les dispositions des ministres. En Hesse électorale, c’est aux tribunaux judiciaires que l’on donna à la même époque compétence pour juger des plaintes des citoyens contre les empiètements de l’autorité administrative sur les droits individuels. Pourtant les résistances sont nombreuses, autour de l’argument que le fonctionnaire qui applique le droit exerce une fonction qui n’est pas fondamentalement différente de celle du juge, et que le risque de partialité est exclu puisque le fonctionnaire administratif n’est pas juge dans sa propre cause. L’argumentation ne convainquait pas pleinement, et l’idée l’emporta au milieu du siècle que ce que l’on appellait la justice administrative, au sens d’un système de contrôle interne à l’administration, devrait céder la place à une protection des droits par des tribunaux indépendants. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le § 182 de l’éphémère constitution de l’empire allemand du 28 mars 1849 (« Constitution de l’église Saint-Paul » de Francfort) : « La juridiction administrative est supprimée ; les tribunaux connaissent de toutes les violations du droit. La police n’a aucune juridiction pénale ».
314. 1849-1949 : Juridiction de droit commun ou juridiction spécialisée ?. – Le rapide effondrement de la constitution de l’église Saint-Paul entraîna l’abandon provisoire de l’idée de confier la justice administrative aux tribunaux de droit commun ; en revanche, celle de la soumission des infractions administratives dans le domaine de la police et de la fiscalité au contrôle des tribunaux de droit commun (Justizstaat) s’imposa dans un petit nombre d’Etats allemands, notamment dans les villes hanséatiques. Ailleurs, on s’orienta plutôt vers la voie de la mise en place d’une juridiction spécifique, à la suite de la loi badoise du 5 octobre 1863. Le mouvement s’accéléra à partir de la création en Prusse d’un tribunal administratif supérieur par la loi du 3 juillet 1875, rapidement suivie par de nombreux autres Etats : Hesse (1875), Wurtemberg (1876), Bavière (1878), Anhalt (1888), Brunswick (1899), Saxe-Meiningen (1897), Lippe (1898), Saxe-Cobourg-Gotha (1899), Saxe (1900), Oldenbourg (1906), Etats de Thuringe (1912), Lubeck (1912). Ces juridictions différaient de la juridiction administrative contemporaine sur deux points : leur compétence d’attribution pour des matières limitativement énumérées et le caractère objectif du contentieux.
L’Empire lui-même ne créa pas de juridiction administrative centrale à caractère général. L’article 107 de la constitution de Weimar (1919) contenait une disposition programmatique selon laquelle « des tribunaux administratifs devront être créés dans le Reich et dans les Länder, conformément aux dispositions des lois, pour protéger les particuliers contre les arrêtés et prescriptions des autorités administratives ». La création du tribunal administratif du Reich en 1941 par ordonnance du Führer ne peut évidemment pas être considérée comme l’accomplissement de la promesse de la République de Weimar.
Après la Seconde Guerre mondiale, les juridictions administratives à deux degrés se mirent en place dans les Länder, selon des rythmes et conceptions divers selon les zones d’occupation. Ce n’est qu’avec la mise en place de la Loi fondamentale pour la République fédérale qu’est apparue en Allemagne une véritable juridiction administrative, avec ses trois degrés culminant dans la Cour fédérale administrative prévue à l’article 95 I LF. L’unification définitive du système a duré une dizaine d’années, depuis les premières réflexions de Jellinek et Naumann, en 1950, et la loi du 23 septembre 1952 sur la Cour fédérale administrative, jusqu’à l’adoption de la loi du 21 janvier 1960 sur la juridiction administrative (Verwaltungsgerichtsordnung, VwGO).
Conséquence de l’article 19 IV LF de la constitution : le souci de protection des droits subjectifs l’emporte sur celui de la protection de la légalité objective.
II | La garantie de l’article 19 IV LF
315. Les deux exigences de l’article 19 IV LF. – « Quiconque est lésé dans ses droits par la puissance publique dispose d’un recours juridictionnel. Lorsqu’aucune autre juridiction n’est compétente, le recours est porté devant la juridiction ordinaire ». On tire de cette disposition deux conséquences pour l’aménagement de la protection des droits subjectifs : la nécessaire exhaustivité de la protection juridictionnelle contre les actes du pouvoir exécutif agissant au titre de la puissance publique, et la garantie d’une protection effective.
L’exhaustivité (Lückenlosigkeit) est garantie par la règle du § 40 I 1 VwGO, qui va être étudiée ci-après, ainsi que par un système d’action qualifié d’ouvert, car permettant de faire face à toutes les hypothèses de violation des droits (cf. infra, section III).
L’exigence d’effectivité (Effektivität) a été mise en valeur par la jurisprudence constitutionnelle constante depuis la décision BVerfGE 35, 263 [274], selon laquelle l’exercice concret de la protection requiert la possibilité pour le juge d’intervenir à un stade précoce, avant que l’administration ait créé une situation irréversible ou des dommages irréparables. C’est cette exigence d’effectivité qui justifie le principe du caractère suspensif du contredit et de l’action en annulation et, surtout, est à l’origine des techniques de protection provisoire des droits (cf. infra, section IV).
316. La mise en oeuvre de l’exhaustivité par la clause générale du § 40 I 1 VwGO. – « La voie du contentieux administratif est ouverte pour tous les litiges de droit public qui ne sont pas de nature constitutionnelle, dans la mesure où la connaissance de ces litiges n’est pas expressément attribuée par une loi fédérale à une autre juridiction ». Cette disposition a pour effet de faire de la juridiction administrative le juge de droit commun du contentieux administratif, la garantie constitutionnelle de recours au juge ordinaire (Art. 19 IV 2 LF) ne fonctionnant plus qu’en dernière analyse.
La compétence de la juridiction administrative se combine avec une triple exclusion :
-exclusion des litiges relevant du droit privé parce que l’administration n’y apparaît pas sous le visage de la puissance publique, ou parce que la compétence de la juridiction ordinaire a été fixée par détermination de la loi, par exemple : litiges relatifs au montant de l’indemnité d’expropriation (Art. 14 III 4 LF), litiges portants sur la responsabilité des agents publics (Art. 34 3 LF), litiges relatifs à des prétentions de caractère patrimonial résultant d’une charge particulière imposée pour le bien commun ou d’un dépôt de droit public ainsi que ceux relatifs à des prétentions à dommages-intérêts fondées sur la violation d’obligations de droit public n’ayant pas leur origine dans un contrat de droit public (§ 40 II 1 VwGO), contestations des contraventions administratives (§§ 62 II 1 et 68 I 1 OWiG), etc…
-exclusion des litiges dont la connaissance appartient aux juridictions constitutionnelles des Länder ou de la Fédération. La juridiction de la Cour constitutionnelle fédérale porte sur les litiges énumérés à l’article 93 LF et au § 13 BVerfGG (cf. supra, chap. 3). Il ne suffit pas que le litige porte sur une norme de droit constitutionnel, il faut également que la contestation porte directement sur l’activité d’un organe constitutionnel ; ainsi un litige portant sur la violation par une mesure de l’administration d’un droit d’un administré/citoyen est d’abord un litige administratif, car il concerne la régularité de la mesure et la question de la violation éventuelle d’un droit fondamental ne se pose qu’en second rang ;
-exclusion des litiges de droit public dont la connaissance est attribuée à des tribunaux souvents qualifiés de spéciaux par opposition à la juridiction administrative stricto sensu : tribunaux des finances (§ 33 I FGO), tribunaux du contentieux social (§ 51 SGG), tribunaux disciplinaires des fonctionnaires de la Fédération et des Länder (§§ 15, 41 BDO et dispositions correspondantes dans les Länder), tribunaux disciplinaires des armées (§ 62 WDO), tribunaux disciplinaires des juges (§§ 62, 78 DRiG), tribunaux professionnels de certaines professions libérales (avocats : § 119 BRAO ; notaires : § 99 BNotO ; médecins, …), Cour fédérale des brevets (§ 65 PatG).
En sens inverse, il arrive que la compétence de la juridiction administrative soit prescrite par détermination de la loi. Les cas sont peu nombreux ; les plus notables sont le § 126 I BRRG qui attribue en bloc le contentieux de la fonction publique au juge administratif et le § 40 II 1 VwGO qui concerne a contrario les contrats de droit public.
317. Le règlement des conflits de compétence. – Chaque juridiction saisie vérifie sa compétence. Si elle s’estime incompétente, elle doit obligatoirement renvoyer le dossier à la juridiction compétente (§ 17a II GVG), sans préjudice du droit pour une partie d’exercer un pourvoi contre cette décision de renvoi. Le renvoi lie la seconde juridiction, qui ne peut se déclarer incompétente, en sorte qu’il ne peut apparaître de conflits négatifs.
S’agissant de ce que la doctrine allemande appelle le conflit positif, à savoir le risque que deux juridictions se trouvent saisies en même temps du même litige, la prévention des conflits est réalisée grâce à une série de dispositions qui tendent à faire en sorte qu’une seule des deux juridictions soit désignée comme compétente et que le conflit qui pourrait néanmoins apparaître soit réglé au plus tard à l’issue de la première décision au fond intervenant dans l’affaire :
-lorsqu’une juridiction est saisie d’un litige, aucune des parties ne peut porter l’affaire devant une autre juridiction (irrecevabilité du § 17 I 2 GVG) ;
-lorsqu’une juridiction s’estime saisie à juste titre, elle peut le déclarer par un arrêt avant dire droit ; elle doit le faire en cas de contestation (§ 17a III GVG). Ces arrêts ne peuvent être contestés que par un pourvoi des parties (§ 17a IV GVG) ;
-lorsqu’une juridiction est saisie d’une voie de réformation contre une décision au fond, elle ne peut se prononcer sur la compétence de la juridiction saisie (§ 17a V GVG).
III | Les principes généraux de la procédure devant la juridiction administrative
L’individu ne doit pas être seulement l’objet de la décision du juge, il doit pouvoir influer sur celle-ci avant qu’elle ne soit rendue. Cette affirmation courante, ainsi que d’autres semblables, est perçue comme inséparable de la notion d’Etat de droit et du primat de la dignité humaine ; elle fait donc partie du noyau intangible de l’ordre constitutionnel, et les principes généraux de la procédure n’en sont que l’expression concrète.
318. Le droit à être entendu (rechtliches Gehör). – Inscrit à l’article 103 I de la constitution, c’est-à-dire en dehors de la section consacrée aux droits fondamentaux, le droit a être entendu par le tribunal n’en est pas moins invocable à l’appui d’un recours constitutionnel (cf. art. 93 I nº 4a LF) et est donc assimilable à un droit fondamental. Il est précisé par le § 108 II VwGO : le jugement ne peut être fondé que sur des faits et des preuves à propos desquels les parties ont pu exprimer leurs points de vue. Dans le même esprit, les parties peuvent consulter les dossiers du tribunal et ceux qui ont été produits devant lui, et s’en faire délivrer copie à leurs frais par le greffe (§ 100 VwGO) ; les citations à comparaître doivent respecter un délai normal de deux semaines (§ 102 VwGO) ; lors de l’audience orale, les parties se voient accorder la parole pour exposer et motiver leurs requêtes (§ 103 VwGO) et le président doit débattre du litige avec les parties sous l’angle du fait et du droit (§ 104 VwGO). Les parties peuvent assister à l’administration de la preuve et poser des questions pertinentes aux témoins et experts (§ 97 VwGO). La violation du droit à être entendu constitue un vice de procédure rendant recevable un recours en révision et constituant un moyen de révision absolu (§§ 132 II nº 3, 138 nº 3 VwGO).
On rattache au droit à être entendu les principes de respect de l’égalité (Verfahrensgleichheit) et d’équité dans la procédure (faires Verfahren). Ceci justifie les dispositions relatives à l’exclusion et à la récusation pour suspicion légitime (§ 54 VwGO, ensemble avec les §§ 41 – 49 ZPO). L’égalité est également en arrière-plan des dispositions permettant au président de veiller à la correction des vices de forme, au dépôt des requêtes pertinentes, à ce que les indications de faits soient suffisantes et également à ce que toutes les déclarations essentielles pour l’établissement et l’appréciation des faits soient faites (§ 86 III VwGO). L’aide juridictionnelle (Prozeßkostenhilfe) est possible dans les mêmes conditions que dans la procédure civile (§ 166 VwGO).
319. La maxime de disposition (Verfügungsgrundsatz). – Cette maxime, qui s’oppose à la maxime d’office du procès pénal, signifie la domination des parties sur l’objet du litige. Il s’ensuit que le procès administratif ne s’ouvre normalement que sur un recours qui détermine l’objet du litige (§§ 42 I, 80 V, 123 VwGO), que le tribunal ne peut accorder plus que demandé (ne ultra petita, § 88 VwGO), que le requérant peut modifier son recours (§ 91 VwGO) ou se désister de l’instance jusqu’au moment où le jugement acquiert force de chose jugée (§ 92 VwGO). La maxime de disposition s’exprime également par la possibilité de transaction (Vergleich, § 106 VwGO), de reconnaître la prétention de l’adversaire (Anerkenntnis) ou de renoncer (Verzicht) à la prétention invoquée (§ 173 VwGO, ensemble avec §§ 306 et s. ZPO).
320. Le principe inquisitoire (Untersuchungsgrundsatz). – Sur ce point, la procédure administrative diffère de la procédure civile, fondée sur la maxime des débats (Beibringungsgrundsatz). Le juge administratif doit rechercher les faits, indépendamment du rapport et des offres de preuve des parties (§ 86 I VwGO). Le caractère inquisitoire du procès administratif est lié à l’idée que la justesse de la décision dépend de la justesse et de l’exhaustivité des faits. Seule l’initiative du juge lui permet d’assurer le caractère complet, ouvert et neutre de l’élucidation des faits qui serviront de support à la décision ; elle permet de porter le procès à maturité (entscheidungsreif zu machen), indépendamment des allégations des parties ou de l’administration. En pratique toutefois, le juge n’a pas les moyens de mener une enquête autonome, en sorte qu’il est largement dépendant des parties invitées à collaborer à son action.
321. La maxime de diligence du tribunal (Amtsbetrieb) et de concentration (Konzentrationsmaxime). – Alors que la procédure civile allemande suivait à l’origine en 1879 la maxime de la diligence des parties (Parteibetrieb), elle a évolué aujourd’hui vers un système de direction formelle de la procédure par le tribunal, qui signifie les actes et fixe les délais. Il en est de même dans le procès administratif. Le président ou le rapporteur doivent faire en sorte de rendre possible le règlement du litige au cours d’une seule séance de débats oraux et dispose à cet effet de pouvoirs étendus (§ 87 VwGO). La logique de l’accélération et de la concentration des débats a été poussée à son terme par la loi du 1er novembre 1996 qui permet même au juge d’éviter si nécessaire de mener le procès à son terme, en donnant à l’administration un délai qui ne saurait excéder trois mois pour guérir les vices de procédure et de forme (§ 87 I 2 nº 7, nouveau, VwGO).
322. Les principes d’oralité (Mündlichkeit) et de publicité (Öffentlichkeit). – Ces principes sont communs au contentieux civil et administratif. Sauf disposition contraire, le juge administratif statue sur la base de débats oraux (§ 101 I VwGO) : seuls les juges ayant participé à ceux-ci peuvent opiner, et le tribunal ne peut prendre en considération que les documents et déclarations ayant fait l’objet des débats oraux. Le principe d’oralité compte néanmoins des exceptions. L’accord des parties pour permettre de prendre en considération des pièces arrivées après l’audience ; il peut surtout permettre au tribunal de statuer sans débats oraux (§ 101 II VwGO). Le tribunal peut également statuer sans débats oraux par une décision en forme simplifiée (Gerichtsbescheid) si l’affaire ne présente pas de difficultés particulières ni en fait, ni en droit, et que les faits ont été clairement établis (§ 84 I VwGO).
Le principe de publicité est fixé par le § 55 VwGO, qui renvoit sur ce point à la loi sur l’organisation judiciaire (GVG). Le huis-clos ne peut être prononcé que sous certaines conditions dans l’intérêt de la protection de secrets publics ou privés.
Section III – Le système des actions
323. Un système ouvert. – Comme le contentieux judiciaire, le contentieux administratif connaît les trois grands types élémentaires d’action que sont les actions tendant à la modification d’une situation juridique, à l’obtention d’une prestation ou à la constatation d’un rapport de droit. Ces trois actions fondamentales sont énoncées et dénommées au § 43 VwGO. L’action tendant à la constatation de l’existence ou de la non-existence d’un rapport de droit ou de l’inexistence d’un acte administratif est dénommée action déclaratoire (Feststellungsklage) ; l’action tendant à obtenir de l’autre partie qu’elle fasse, souffre ou s’abstienne est une action tendant à l’obtention d’une prestation (Leistungsklage) ; l’action tendant à créer, supprimer ou modifier un rapport de droit est une action en modification d’une situation juridique (Gestaltungsklage).
La spécificité du contentieux administratif a conduit à mettre l’accent sur certaines variantes privilégiées de ces trois catégories fondamentales. Ainsi de l’action en annulation (Anfechtungsklage), cas particulier de l’action en modification d’une situation juridique, et de l’action tendant à l’émission d’un acte administratif (Verpflichtungsklage), variante de l’action en prestation. La loi sur la juridiction administrative organise également une procédure particulière de contrôle abstrait des normes (Normenkontrolle).
Ce système d’action reste ouvert : L’absence de numerus clausus des formes d’action a deux conséquences : d’une part, un recours ne peut être rejeté pour la simple raison qu’il ne correspond pas à une action répertoriée, car ce serait contraire à l’exhaustivité qu’impose le § 40 VwGO, et il appartiendra éventuellement au juge de procéder à une requalification ; d’autre part, la pratique permet de repérer des contentieux ayant une indéniable spécificité, par exemple celui des litiges entre organes d’une collectivité locale (Kommunalverfassungsstreit).
I | L’action en annulation (Anfechtungsklage)
324. Définition. – L’action en annulation est le recours approprié pour obtenir du juge administratif l’annulation d’un acte administratif (§ 42 I VwGO). Comme le recours français en excès de pouvoir, elle sanctionne l’irrégularité de l’acte. Elle diffère cependant profondément du recours français, d’abord par le fait qu’elle ne peut être exercée à l’encontre d’un acte de nature réglementaire, ensuite et surtout par son caractère subjectif dominant : point de menace sur un droit du requérant, point d’action ; point de lésion établie, point d’annulation.
A / Recevabilité
L’action en annulation est recevable, indépendamment des conditions générales de recevabilité, lorsqu’elle a pour finalité d’obtenir l’annulation d’un acte administratif, lorsque le requérant a qualité à agir, lorsqu’il a été recouru à contredit préalable et lorsque le délai d’introduction du recours est respecté.
325. Finalité de l’action. – Le recours doit tendre à l’annulation d’un acte administratif, au sens du § 35 VwVfG. Il s’agit d’obtenir la disparition de l’acte, non d’obtenir son remplacement ou sa modification. Cette limitation de l’objet de l’action en annulation ne permet pas d’y recourir à l’encontre de normes générales telles que les règlements étatiques (Verordnungen) ou corporatifs (Satzungen). En revanche, ce recours peut être utilisé contre tout acte administratif, y compris une prescription collective ou une décision d’approbation de plan. L’acte doit exister matériellement et juridiquement. L’acte inexistant (§ 44 I VwVfG) ne relève normalement pas de l’action en annulation, mais de l’action déclaratoire (§ 43 VwGO), même si rien n’interdit au juge de requalifier le cas échéant une action en annulation contre un acte dont il constate l’inexistence et non la simple irrégularité (BVerwGE 18, 154 [155]; 35, 334 [335]).
326. Qualité à agir du requérant (Klagebefugnis). – Le § 42 II VwGO fixe le caractère subjectif du recours : « dans la mesure où la loi n’en dispose pas autrement, le recours n’est recevable que si le requérant fait valoir qu’il est lésé dans ses droits par l’acte administratif en cause (…) ».
La justification couramment avancée fait référence au spectre de l’actio popularis qui, en permettant à chacun de se faire le défenseur des intérêts de la collectivité ou de tiers, aboutirait à accroître considérablement l’accès au prétoire. Ceci dit, l’action ne peut être réservée au seul destinataire de l’acte administratif. Le nombre des actes produisant des effets sur la situation de tiers augmente inéluctablement à l’époque contemporaine, ne serait-ce que du fait de grands chantiers ou d’autorisations concernant des installations telles que des centrales nucléaires, ou encore du fait de l’analyse des prescriptions collectives comme actes administratifs. L’intérêt à agir permet de distinguer l’atteinte concrète aux droits de l’individu de la simple gêne qu’il peut subir comme membre de la collectivité.
La lésion des droits au sens de la disposition ne doit pas seulement être alléguée. Il faut qu’elle soit plausible ou, pour reprendre la terminologie de la jurisprudence (BVerwGE 18, 154 [157]; 44, 1 [3]), et de la doctrine, qu’elle soit possible, c’est-à-dire qu’il ne soit pas manifeste que le requérant ne peut être titulaire des droits dont la violation est alléguée.
327. Nécessité d’un recours administratif préalable. – Le principe est posé par le § 68 I 1 VwGO. Il peut y être dérogé en cas de carence de l’administration, c’est-à-dire s’il n’a pas été statué dans un délai raisonnable sur le contredit (§ 75 VwGO). La jurisprudence a élargi cette dérogation au cas où l’administration ne soulève pas d’elle-même l’objection d’absence de recours préalable (rügelose Einlassung), et dans la mesure où il y a identité entre l’auteur de l’acte initial et l’autorité de décision sur contredit (BVerwG, DVBl. 1990, 490 [491]). Le recours administratif préalable est également inutile (entbehrlich) si l’acte contesté ne fait que modifier, remplacer ou confirmer un acte administratif ayant déjà fait l’objet d’un contredit, ou si un nouvel acte administratif intervient, en relation directe avec celui qui a fait l’objet d’un premier contredit. On renonce également au contredit si l’administration a annoncé à l’avance qu’elle ne reviendra pas sur sa décision ou lorsque l’administration considère à tort qu’il n’y a pas lieu à contredit (BVerwGE 39, 261 [265]).
328. Le délai pour agir. – L’action en annulation doit être introduite dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision sur contredit ou, si une décision sur contredit n’est pas nécessaire, dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’acte administratif (§ 74 I VwGO). Si la décision sur contredit n’est pas accompagnée des mentions obligatoires (§ 58 VwGO, cf. supra, section I), le délai est porté à un an. Si l’administré n’a pu respecter le délai légal, sans faute de sa part, il doit être relevé de sa forclusion sur requête (§ 60 VwGO).
B / Bien-fondé de l’action
Il découle du § 113 I 1 VwGO que l’action en annulation est bien fondée dans la mesure où l’acte administratif est irrégulier et que le requérant est, de ce fait, lésé dans ses droits.
329. L’irrégularité de l’acte administratif. – La régularité (voir nº 239 et s.) de l’acte administratif doit porter tout autant sur ses éléments formels (compétence, procédure, forme) que sur les éléments matériels :
-existence d’une norme législative ou à base législative permettant de porter atteinte au droit subjectif concerné (en cas de norme législative, s’interroger éventuellement sur sa constitutionnalité, selon la procédure de contrôle concret des normes, art. 100 LF ; en cas de norme infra-législative, son application peut être écartée en l’espèce si le juge la considère irrégulière).
-Applicabilité de la norme à l’espèce : les faits de l’espèce correspondent-ils à l’hypothèse d’application de la norme ? La conséquence tirée par l’auteur de l’acte entre-t-elle dans le champ des conséquences juridique que la norme lui permet de tirer des faits juridiquement qualifiés ? Le juge exerce son plein pouvoir sur la qualification juridique des faits. Dans les cas où l’auteur de l’acte administratif est autorisé à agir discrétionnairement, le juge examine si l’acte administratif est irrégulier pour cause de franchissement des marges légales de la discrétionnarité ou d’un usage de cette discrétionnarité non conforme au but visé par l’habilitation (§ 114 VwGO). En revanche, le juge n’a pas à contrôler les considérations d’opportunité dans l’usage de la discrétionnarité (cf. chap. 9).
-Dans la mise en oeuvre de la norme à travers l’acte administratif, le juge examine ensuite si celui-ci ne viole pas une règle constitutionnelle ou infra-constitutionnelle, en particulier un droit fondamental ou le principe de proportionnalité, ou encore si l’acte satisfait bien aux règles de précision de contenu et de forme prévues au § 37 VwVfG.
330. Les effets du changement des circonstances de fait et de droit sur le contentieux de l’annulation. – La légalité d’un acte administratif est appréciée par le juge de l’annulation en considération des circonstances de fait et de droit à l’époque de la dernière décision de l’administration : édiction de l’acte initial ou décision sur contredit. Les modifications des circonstances de fait et de droit intervenues postérieurement n’affectent pas la régularité de l’acte administratif et ne peuvent rendre illégal un acte administratif légal à l’époque de son édiction. Ainsi, un permis de construire légal à l’origine ne peut être déclaré illégal sur recours du voisin pour la raison qu’un changement ultérieur du droit applicable ne permettrait plus de le délivrer. Un changement ultérieur des circonstances peut tout au plus fonder un droit de l’administré à ce que l’administration prenne une nouvelle décision, par exemple de révocation d’un acte imposant une charge ; l’administré ne peut pas utiliser l’action en annulation contre cet acte initialement régulier, mais doit faire une nouvelle demande à l’administration de recourir éventuellement à une action tendant à l’émission d’un acte administratif (Verpflichtungsklage).
La modification des circonstances de fait ou de droit peut avoir des conséquences sur la légalité d’un acte administratif aux effet durables. Considérons par exemple un panneau limitant la vitesse à 10 km/h dans une zone de travaux sur la chaussée. Un tel panneau de signalisation constitue un acte administratif limitant l’usage de la voie pour des raisons d’ordre et de sécurité. Son maintien en place, à l’issue des travaux est irrégulier, car les conditions de fait qui sont à la base de cet acte (nécessités de l’ordre et de la sécurité) ne sont plus réunies.
La modification des circonstances de fait et de droit peut produire des effets sur l’acte administratif qui n’a pas encore été mis en oeuvre. Un exemple classique est fourni par l’arrêté enjoignant la démolition d’un ouvrage qui n’aurait pu bénéficier d’un permis lors de sa construction, mais pourrait l’obtenir à l’époque des débats oraux : l’arrêté de démolition doit être annulé car il ne serait pas équitable d’exiger du propriétaire la démolition d’un ouvrage dont il pourrait immédiatement obtenir autorisation de le reconstruire.
331. La condition nécessaire de lésion des droits du requérant. – L’article 113 I 1 VwGO impose l’annulation d’un acte irrégulier lorsque le requérant est lésé dans ses droits (au niveau de la recevabilité, il était possible de se satisfaire d’une possibilité de lésion). Toutefois, l’annulation ne pourra être obtenue si l’on se trouve dans le cas du § 46 VwVfG (voir nº 242).
La lésion des droits du destinataire par un acte administratif illégal le concernant ne soulève pas de difficultés. Il en va autrement de ceux des tiers. Il faut ici contrôler la compatibilité de l’acte avec les dispositions protégeant les droits des tiers ; ainsi, s’agissant d’un ouvrage polluant, tel une centrale thermique, on devra rechercher si le fonctionnement de la centrale est susceptible de nuire à l’environnement du voisin au sens du § 5 I nº 1 BImschG.
C / Objet du jugement d’annulation
332. L’annulation et ses conséquences. – Lorsque la requête est recevable et fondée, le tribunal annule totalement ou partiellement l’acte administratif et le cas échéant, la décision sur contredit (cf. § 113 I 1 VwGO). L’annulation prend effet rétroactivement à la date d’édiction de l’acte administratif, qui est réputé n’avoir jamais existé et la situation antérieure doit être reconstituée en conséquence. Si l’acte a déjà donné lieu à exécution, le requérant a généralement droit à suppression par l’administration de ses conséquences directes et durables (droit à suppression des conséquences : Folgenbeseitigungsanspruch) ; par exemple, l’annulation d’un ordre de versement d’une taxe entraîne un droit à remboursement des sommes perçues. Le § 113 I 2 VwGO permet au requérant de joindre des conclusions à fin de restitution à son action en annulation.
II | L’action tendant à l’émission d’un acte administratif (Verpflichtungsklage)
333. Le § 42 I VwGO. – L’action en émission d’un acte administratif surprend le juriste français habitué à ce que son juge administratif ne puisse pas obliger l’administration à prendre une mesure positive. Elle est prévue au même § 42 I VwGO que l’action en annulation, pour obtenir condamnation de l’administration à édicter un acte administratif non-réglementaire qu’elle refuse ou s’abstient d’édicter.
A / Recevabilité
Les conditions de la recevabilité et de procédure de l’action en émission d’un acte administratif diffèrent peu de celles de l’action en annulation. On se limitera donc ci-après aux aspects spécifiques.
334. Finalité et variétés de l’action. – Destinée à obtenir une condamnation de l’administration à édicter un acte administratif dont le requérant ou une tierce personne pourra être le destinataire, cette action ne tend pas à une modification directe d’une situation juridique. Son objectif étant l’obtention d’un acte administratif, elle ne peut servir ni à provoquer une autre prestation de l’administration, par exemple un comportement particulier (renseignement, conseil ou démenti), ni à obtenir une modification de mesures internes à l’administration. Alors que l’action en annulation est plus adaptée au régime littéral classique de liberté sous réserve d’interdiction (Erlaubnis mit Verbotsvorbehalt), l’action en émission d’un acte trouve en revanche un champ d’application privilégié dans les régimes d’interdiction sous réserve d’autorisation (Verbot mit Erlaubnisvorbehalt), pour contraindre l’administration à délivrer une autorisation irrégulièrement refusée. Dans ce cas, loin d’être une atteinte au principe de séparation des pouvoirs, cette action constitue un moyen positif d’obtenir de l’administration qu’elle respecte la loi et le droit, conformément à la prescription de l’article 20 III LF. Un exemple peut être fourni par le droit de la construction. Les législations des Länder restreignent certes le droit de propriété (art. 14 LF) en imposant un système de permis de construire ; mais elles disposent que le permis doit être délivré si le projet satisfait aux dispositions du droit public. En cas de refus, le demandeur pourra invoquer le droit subjectif qu’il tire de l’article 14 LF pour faire vérifier par le juge si des dispositions du droit public font obstacle à la délivrance du permis ou si, à défaut, le permis n’aurait pas dû être délivré.
Les deux hypothèses envisagées par la lettre du § 42 I VwGO correspondent effectivement à deux variétés d’action. L’action contre un refus explicite de l’administration (Versagungsgegenklage) permet d’éviter l’impasse à laquelle conduirait l’action en annulation de l’acte administratif faisant grief, en ce sens qu’elle permet en cas de succès de contraindre l’administration à prendre une décision positive d’autorisation. L’action en carence (Untätigkeitsklage) n’est qu’un cas particulier de l’action dispensée de recours administratif préalable, prévue au § 75 VwGO, lorsque sans motif suffisant, l’administration n’a pas statué au fond dans un délai raisonnable sur un contredit ou sur une requête en édiction d’un acte administratif individuel.
335. Qualité à agir du requérant (Klagebefugnis). – Dans la même disposition que pour l’action en annulation, le § 42 II VwGO soumet la recevabilité de l’action en émission à la condition de la lésion des droits du requérant par le refus ou l’abstention de l’administration d’édicter l’acte administratif sollicité. Il faut donc s’assurer que le refus ou l’abstention viole un droit public subjectif effectivement garanti par une norme législative, voire constitutionnelle (voir nº 210, théorie de la norme de protection). Le seul fait d’être destinataire de l’acte refusé ne suffit pas à donner qualité à agir ; en revanche, le requérant a un droit subjectif à l’usage correct par l’administration de la discrétionnarité qui peut lui être reconnue par la loi applicable en l’espèce (BVerwGE 37, 112 [113]).
La qualité à agir d’un requérant qui demande l’édiction d’un acte administratif imposant une charge à un tiers est plus délicate à établir, car il faut que la norme habilitant l’administration à prendre un tel acte permette bien de protéger les droits du requérant. Dans le cas le plus courant, celui des mesures de police, l’autorité de police a d’abord pour mission de protéger la sécurité de la collectivité ; mais celle-ci englobe également la protection des intérêts individuels juridiquement protégés, en sorte que les menaces portant sur ces derniers, par exemple les menaces sur la vie ou la santé du requérant, pourront fonder son intérêt à agir.
336. Recours administratif préalable. – Le § 68 II VwGO pose le principe de l’application analogique à l’action tendant à l’émission d’un acte administratif individuel des règles relatives au recours préalable pour l’action en annulation. Ceci ne vaut toutefois que pour l’action contre un refus explicite de l’administration (Versagungsgegenklage), puisque s’agissant de l’action en carence (Untätigkeitsklage), ce sont les règles du § 75 VwGO qui s’imposent. Cette disposition permet d’agir en dispense de contredit au terme d’une carence de trois mois à compter du contredit ou de la requête en édiction, sauf si les circonstances (urgence : examen, accès à une manifestation,…) imposent un raccourcissement de ce délai. S’il existe un motif suffisant pour justifier le retard à statuer sur le contredit ou à édicter l’acte administratif sollicité, le tribunal suspend la procédure jusqu’à l’expiration d’un délai qu’il fixe et pourra être prolongé ; s’il est mis fin à la carence dans ce délai, l’affaire doit être déclarée définitivement réglée au fond (§ 75 4 VwGO) et les dépens sont mis à la charge de l’administration défenderesse (§ 161 III VwGO) ; si l’administration refuse pendant ce délai d’édicter l’acte sollicité, l’action du requérant pourra se poursuivre ; s’il n’est pas mis fin à la carence dans le délai, l’action en annulation ou en émission d’un acte est définitivement recevable et le tribunal décide au fond.
337. Délai. – L’action contre un refus explicite de l’administration (Versagungsgegenklage) doit être introduite dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’acte administratif ou de la signification de la décision sur contredit (§ 74 II VwGO). Depuis 1976, il ne peut y avoir de délai dans le cas d’une action en carence faute, par hypothèse, d’acte administratif permettant d’en fixer le point de départ.
B / Bien-fondé de l’action
« Dans la mesure où le refus ou l’abstention d’édicter l’acte administratif en cause est irrégulier et où, de ce fait, le requérant est lésé dans ses droits, le tribunal prononce, envers l’autorité administrative, si l’affaire est en état d’être jugée, l’obligation de procéder à l’action réclamée. Dans le cas contraire, le tribunal prononce l’obligation de statuer sur la demande en tenant compte de la position du tribunal » (§ 113 V VwGO).
338. Irrégularité du refus ou de l’abstention de l’administration et lésion des droits du requérant. – Les deux aspects de la régularité objective de la position de l’administration et de la lésion de droits subjectifs du requérant sont étroitement imbriqués. L’irrégularité du refus ou de l’abstention de l’administration peut porter sur l’édiction d’un acte administratif déterminé auquel le requérant a droit ; l’irrégularité du refus peut tenir à ce que l’administration a fait un usage fautif d’une marge d’appréciation au niveau de la qualification juridique des faits (Beurteilungsspielraum, voir nº 195) ou de discrétionnarité au niveau du choix de la conséquence juridique à tirer des faits juridiquement qualifiés (Ermessen, voir nº 201). Le refus ou l’abstention de l’administration est régulier et l’action en édiction d’un acte mal fondée, lorsque l’administration a fait correctement usage d’une marge d’appréciation ou de sa discrétionnarité pour refuser ou s’abstenir de prendre l’acte désiré par le requérant.
Le tribunal examine d’abord si, dans les circonstances de fait et de droit du moment, le requérant a un droit subjectif à l’édiction d’un acte administratif déterminé. Il faut pour cela que soient réunis les éléments de fait prévus par une norme constitutive d’un droit subjectif. Ainsi, si la construction projetée satisfait aux dispositions de droit public requises pour la délivrance d’un permis de construire. La norme constitutive peut classiquement être une loi, voire l’énoncé d’un droit fondamental ; elle peut aussi résulter d’une promesse (Zusicherung : § 38 VwVfG, voir nº 255) ou d’un contrat de droit public producteur d’effets de droit (§ 54 VwVfG).
Les circonstances de fait et de droit s’apprécient à l’époque des derniers débats oraux devant le tribunal (jurisprudence constante depuis BVerwGE 1, 291). Il peut ainsi arriver que le tribunal donne satisfaction au requérant contre un refus de l’administration qui était régulier à son époque. En sens inverse, le tribunal peut rejeter dans les circonstances actuelles un recours contre un refus ou une abstention de l’administration qui était irrégulier à l’époque. Dans ce dernier cas, il ne servirait à rien que le juge donne satisfaction au requérant en ordonnant à l’administration de prendre un acte désormais irrégulier ; si l’abstention ou le refus initial était fautif, seule une indemnisation pourra être envisagée.
Les circonstances de fait et de droit peuvent exceptionnellement s’apprécier à une autre époque, si cela découle des particularités de l’acte ou de la réglementation applicable (par exemple, prestations sociales) à l’époque de la décision initiale, si celle-ci implique l’exercice de la discrétionnarité ou d’une marge d’appréciation (cas de recours portant sur une rectification à la hausse de notes d’examen) ou si l’effet d’un droit fondamental exclut que le tribunal puisse prendre une décision plus défavorable que celle qui aurait dû être prise à l’origine (cas du numerus clausus dans certaines filières universitaires).
339. L’affaire est-elle en état d’être jugée ? (Spruchreife). – Cette dernière condition du bien-fondé de l’action est mentionnée par le § 113 V 1 VwGO. Si elle fait défaut, le jugement du tribunal ne peut satisfaire directement le requérant (§ 113 V 2 VwGO). Cette condition s’explique par le fait que si le tribunal peut entièrement contrôler les faits qui sont à la base de la décision que doit prendre l’administration et constater le droit applicable, il ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, se substituer à celle-ci dans le choix de la conséquence juridique à tirer de ces faits, lorsqu’une marge de discrétionnarité est ouverte par les textes. Le requérant ne peut d’ailleurs dans ce cas exiger de l’administration qu’elle prenne une décision déterminée, mais seulement qu’une décision soit prise en due discrétionnarité. Si une faute est avérée dans l’exercice de la discrétionnarité, le tribunal ne peut indiquer à l’administration quelle est la décision à prendre que dans le cas d’une réduction de la discrétionnarité à zéro (BVerwGE 11, 95 [97], jurispr. constante) ; dans les autres cas, le tribunal prononce l’obligation de statuer sur la demande en tenant compte de la position du tribunal (§ 113 V 2 VwGO).
Il en est la même dans les domaines où le juge reconnait à l’administration une marge d’appréciation au niveau de la qualification des faits ; le juge ne peut pas y substituer sa propre appréciation, et enjoindre par exemple à un jury d’examen d’augmenter une note ou de déclarer admissible un candidat recalé (sauf, mais cela n’est pas contesté, en cas d’erreur matérielle, par exemple dans l’établissement d’une moyenne générale).
C / Contenu du jugement
340. Obligation d’édicter ; jugement « qu’il soit statué ». – En face d’une action recevable et bien fondée, en état d’être jugée, le tribunal prononce l’obligation pour l’administration d’édicter l’acte administratif décrit dans le jugement. Cette obligation peut être assortie de l’astreinte prévue au § 172 VwGO.
Si l’affaire n’est pas en l’état d’être jugée, le tribunal prononce l’obligation pour l’administration de prendre une décision dans l’exercice correct de sa marge d’appréciation ou de sa discrétionnarité, en tenant compte de la position du tribunal sur le droit applicable. On parle alors de « jugement qu’il soit statué » (Bescheidungsurteil). Pour le requérant qui avait exercé une action tendant à l’émission d’un acte administratif déterminé, le gain de cause est incomplet et peut conduire à un partage des dépens (§ 155 I VwGO). C’est pourquoi il est possible au requérant de profiter de la flexibilité des formes d’action pour limiter sa requête « à ce que l’administration soit obligée de se prononcer à nouveau en due discrétionnarité ». On parle alors d’action « à fin qu’il soit statué » (Bescheidungsklage).
III | L’action déclaratoire prolongée (Fortsetzungsfeststellungsklage)
341. Définition. – Comme son nom ne l’indique guère, l’action déclaratoire prolongée (Fortsetzungsfeststellungsklage) est moins une variante de l’action déclaratoire qu’une action spécifique, dans le prolongement des contentieux précédemment décrits, lorsque subsiste un intérêt à la constatation de l’irrégularité de l’acte ou du refus de l’émettre, alors qu’un événement extérieur à la procédure rend inopérante l’action en annulation ou l’action tendant à l’émission d’un acte administratif. Le point de départ de cette action est fourni par le § 113 I 4 VwGO : « Si l’acte administratif individuel a cessé auparavant de produire effet à la suite d’un retrait ou autrement, le tribunal prononce par un jugement rendu sur requête l’irrégularité de l’acte administratif individuel, lorsque le requérant a un intérêt légitime à une telle constatation ». Cette disposition s’inscrit dans le contexte d’une action en annulation, mais nous verrons qu’elle peut également s’inscrire dans celui d’une action en émission d’un acte administratif.
A / Recevabilité
L’action déclaratoire prolongée est soumise à trois conditions de recevabilité : elle doit être pertinente ; elle doit satisfaire aux mêmes conditions de recevabilité que l’action qu’elle prolonge (action en annulation ou action tendant à l’émission d’un acte administratif) ; son auteur doit faire valoir un intérêt légitime.
342. Finalité de l’action déclaratoire prolongée. – Le § 113 I 4 VwGO ne règle à proprement parler que le cas où une action en annulation a été introduite contre un acte administratif avant la survenance d’un événement juridique ou matériel (retrait, révocation, disparition de l’objet de l’acte, …) qui voue l’action à l’échec, par exemple parce que l’on ne peut plus continuer à contester la régularité d’un arrêté de démolition d’une construction irrégulière qui vient d’être détruite par le feu. Mais la jurisprudence a largement étendu le champ de l’action déclaratoire prolongée en admettant diverses hypothèses d’utilisation analogique du § 113 I 4 VwGO :
-extension aux cas où l’événement qui enlève toute chance de succès à l’action en annulation se produit avant même que cette action soit introduite. La situation s’est fréquemment produite à l’occasion de manifestations : après avoir donné un ordre de dispersion suivi d’une décision de recours à la contrainte immédiate, la police intervient en faisant usage de moyens auxiliaires ; frappé d’un coup de matraque, un manifestant se trouve effectivement éloigné du périmètre interdit. Le but de l’ordre de dispersion est donc bien atteint, rendant inopérant une action en annulation. Pourtant, la constatation de l’illégalité de cet ordre peut être utile à l’appui d’un éventuel recours en indemnisation du dommage subi, et la Cour fédérale administrative admet la pertinence d’une action déclaratoire prolongée (BVerwGE 12, 87 [90]; 26, 61 ; …)
-extension à des cas où l’action initiale est une action en émission d’un acte administratif. Ainsi, l’exploitant d’un manège d’enfants, qui a demandé en vain l’autorisation de s’installer sur une place à l’occasion d’une kermesse peut, à l’issue de la fête foraine, transformer son action en émission d’autorisation en une action déclaratoire prolongée.
343. La satisfaction aux conditions de recevabilité de l’action qu’elle prolonge. – Les actions déclaratoires prolongées sont destinées à prendre la place d’une action en annulation ou d’une action tendant à l’émission d’un acte administratif. Elles sont donc soumises aux mêmes conditions de recevabilité que celles-ci. En particulier, le recours n’est recevable que si le requérant fait valoir qu’il est lésé dans ses droits par l’acte administratif en cause ou par le refus ou l’abstention de l’édicter (§ 42 II VwGO). Il faut également avoir satisfait, le cas échéant, à l’obligation de recours préalable. Si le requérant n’a pas effectué contredit dans les délais contre l’acte qui lui impose une charge, cet acte a autorité de chose décidée et produit effet. L’irrecevabilité de l’action en annulation emporte alors celle de l’action déclaratoire prolongée. Il en est de même lorsque l’acte administratif a épuisé ses effets avant l’introduction de l’action, mais après expiration du délai pour effectuer contredit, car l’acte avait alors autorité de chose décidée au moment de l’épuisement de ses effets (BVerwGE 26, 161 [167]). En revanche, l’inutilité affirmée par la même jurisprudence d’un recours préalable lorsque l’acte attaqué a épuisé ses effets avant l’achèvement de la procédure de contredit, voire avant l’expiration du délai d’introduction du contredit, reste très controversée en doctrine.
Le délai d’introduction de l’action déclaratoire prolongée est normalement d’un mois à compter de la signification de la décision sur contredit, ou un mois après notification de l’acte administratif si une décision sur contredit n’est pas nécessaire (utilisation analogique du § 74 VwGO). Etant donné que la personne concernée a le plus souvent été avisée de la possibilité d’un contredit, mais non pas de celle d’exercer immédiatement une action déclaratoire prolongée au cas où les effets de l’acte sont épuisés avant le délai pour introduire contredit, l’application du § 58 II VwGO peut conduire à appliquer le délai d’une année prévue par cette disposition.
344. Condition spéciale de recevabilité (besonderes Feststellungsinteresse) : l’existence d’un intérêt légitime de l’auteur de l’action déclaratoire prolongée. – La mise en oeuvre de cette condition prévue au § 113 I 4 VwGO a conduit la jurisprudence et la doctrine à établir la typologie suivante :
-cas de risque possible et concret de répétition. Un risque purement hypothétique ne suffit pas à fonder la recevabilité (BVerwGE 42, 318 [320]) ;
-cas de risque d’apparition d’effets de discrimination sociale liés au fait d’avoir été traité comme un perturbateur lors d’une manifestation (BVerwGE 26, 161 [168]), d’être mis sur écoute téléphonique à titre de suspect d’avoir commis un acte pénalement repréhensible (BVerwG NJW 1991, 581), de ne pas avoir été admis dans l’année supérieure d’un cycle scolaire ou universitaire (BVerwGE 55, 355 [357] ; BVerwG NVwZ 1992, 56), …)
-cas où l’intérêt de l’action est lié à son aspect préjudiciel sur une décision en matière de responsabilité publique. L’autorité de chose jugée (§ 121 VwGO) fait que la constatation de l’illégalité par le juge administratif lie le juge civil, sans compter que le requérant s’épargne ainsi de porter la charge de la preuve dans le cadre du procès civil. Cette utilité de tactique procédurale a conduit dans cette hypothèse à restreindre la reconnaissance d’un intérêt légitime aux seuls cas où un procès en responsabilité paraît vraisemblable, non voué d’emblée à l’échec, et où l’épuisement des effets de l’acte administratif est intervenu après l’introduction du recours contentieux (BVerwGE 81, 226).
B / Bien-fondé de l’action
345. Irrégularité et lésion des droits. – L’action est fondée lorsque l’acte administratif, le refus ou l’abstention de l’édicter, ont été irréguliers et ont déjà lésé le requérant dans ses droits. Le bien-fondé est examiné suivant les mêmes critères que pour l’action en annulation ou en émission d’un acte administratif. Pour l’action en annulation, régularité formelle et/ou matérielle ainsi que lésion des droits subjectifs du requérant ; pour l’action tendant à l’émission d’un acte administratif, examen de la question de savoir si le requérant avait un droit à l’édiction de l’acte demandé ou un droit à décision en due discrétionnarité.
C / Contenu de la décision
346. Jugement purement déclaratoire. – Lorsque l’action déclaratoire prolongée est reconnue recevable et bien fondée par le juge administratif, celui-ci constate que l’acte administratif, le refus ou l’abstention de l’édicter ont été entachés d’irrégularité (§ 113 I 4 VwGO). Le jugement est déclaratoire et non exécutoire.
IV |L’action générale tendant à l’obtention d’une prestation (Allgemeine Leistungsklage)
347. Une action à vocation générale. – L’action tendant à l’obtention d’une prestation correspond à l’une des trois catégories classiques du droit procédural allemand. C’est peut-être la raison pour laquelle son existence est implicitement présupposée par diverses dispositions de la loi sur la juridiction administrative (§§ 43 II, 111, 113 IV, … VwGO) sans y faire à aucun moment l’objet d’une définition précise. Il s’agit classiquement d’obtenir que l’adversaire soit condamné à adopter un certain comportement : faire, souffrir ou s’abstenir (tun, dulden, unterlassen). Cette action très générale peut être utilisée à défaut d’une action plus spécifique, comme celle tendant à l’émission d’un acte administratif, où le comportement attendu consiste en l’édiction d’un acte administratif déterminé. Cette action générale a donc vocation à être utilisée dans tous les litiges ne tournant pas autour d’un acte administratif.
A / Recevabilité
348. Finalité de l’action. – La finalité consiste en l’obtention d’une prestation publique autre qu’un acte administratif. En règle générale, c’est l’administré/citoyen qui réclame cette prestation à la puissance publique, mais il peut arriver que l’action soit dirigée contre l’administré, pour obtenir par exemple le paiement d’une taxe ou d’une redevance. Comme en droit civil (§ 241 BGB), la prestation requise ne présente pas nécessairement un aspect actif (faire ou souffrir), elle peut également consister en une abstention. On distingue donc l’action en prestation active (Leistungsvornahmeklage) et l’action en prestation d’abstention (Leistungsunterlassungsklage).
Par l’action en prestation active, l’administré tend à obtenir de l’administration une prestation autre qu’un acte administratif, qu’il s’agisse d’une prestation matérielle (renseignement, information) ou d’un paiement ; l’action peut également avoir pour objet de mettre fin à une situation dommageable, qu’il s’agisse de la remise en état d’un terrain anormalement endommagé du fait de travaux sur une voie publique adjacente ou de la restitution d’un permis de conduire à l’issue d’une période de suspension. Par l’action en prestation d’abstention, le requérant tend à prévenir un risque de dommage dans l’avenir ; l’action a pu être ainsi utilisée pour demander qu’il soit mis fin à des troubles provoqués par un équipement public (sirènes : BVerwGE 79, 254 ; carillons : BVerwGE 68, 62) ou à des mises en garde contre certains produits alimentaires, contre l’activité de sectes menaçant la jeunesse (BVerwGE 82, 76).
L’action en prestation d’abstention peut être engagée à titre préventif, pour faire échec à une mesure matérielle de l’administration, voire, lorsqu’un besoin particulier de protection existe, pour faire échec à un acte administratif imminent, dont il serait illusoire de vouloir parer les effets en renvoyant le plaignant aux procédures pré-contentieuses ou contentieuses normales, ou même aux procédures d’urgence. L’hypothèse est rare. Le droit de la fonction publique fournit un exemple à propos de la promotion d’un fonctionnaire : une fois prise la décision de promouvoir un fonctionnaire et de lui attribuer l’emploi vacant correspondant, il est quasiment impossible au concurrent évincé d’agir efficacement pour contester la décision (BVerwGE 80, 127) ; dans ces conditions, la seule voie ouverte consiste à intervenir ex ante par la voie de l’action en prestation d’abstention pour prévenir l’acte de nomination.
349. Qualité à agir ; délais. – Par une utilisation analogique du § 42 II VwGO, la jurisprudence reconnaît la qualité à agir du requérant qui fait valoir la possibilité d’une lésion de ses droits si l’administration ne fournit pas la prestation requise.
Sauf disposition particulière comme celle du § 126 BRRG, l’action tendant à l’obtention d’une prestation n’est soumise à aucune condition de recours administratif préalable ou de délai.
B / Bien-fondé
350. Droit à la prestation réclamée ; jugement « qu’il soit statué ». – L’action est bien fondée lorsque le requérant a effectivement droit à la fourniture de la prestation demandée. Les critères d’appréciation sont sensiblement les mêmes que ceux de l’action en émission d’un acte administratif. Si l’affaire n’est pas en état d’être jugée, le tribunal peut, ici également, rendre un « jugement qu’il soit statué » (Bescheidungsurteil, voir nº 340). Ceci signifie concrètement que sur une action tendant à la limitation des nuisances sonores d’une installation sportive publique, le jugement reconnaissant le bien-fondé de l’action respectera le choix discrétionnaire de l’administration soit d’améliorer la protection phonique, soit d’améliorer la surveillance, soit même de fermer l’installation sportive.
V | L’action déclaratoire (Feststellungsklage).
351. Définition. – Il découle du § 43 VwGO que l’action déclaratoire peut être exercée lorsque le requérant a un intérêt légitime à obtenir promptement la constatation de l’existence ou de la non-existence d’un rapport de droit ou de l’inexistence d’un acte administratif. Dans le premier cas (existence ou non-existence d’un rapport de droit) l’action déclaratoire ne peut être exercée qu’à défaut de pouvoir recourir à l’action tendant à la modification d’une situation juridique (Gestaltungsklage) ou à l’obtention d’une prestation (Leistungsklage).
A / Recevabilité
352. L’objet de la constatation recherchée. – Le premier objet mentionné par le § 43 I VwGO est la constatation de l’existence ou de la non-existence d’un rapport de droit. Il faut entendre par là les rapports juridiques entre une personne et une autre personne ou une chose, qui découlent d’une règle de droit public dans une situation concrète (BVerwGE 14, 235 [236]; 62, 342 [351]). Ainsi, en cas de contestation entre l’administration et l’administré/citoyen, celui-ci peut par exemple demander au juge administratif de déclarer qu’un permis de construire n’est pas nécessaire pour tel projet concret de construction, ou que l’auteur du recours possède bien la nationalité allemande ; l’action déclaratoire permet encore, à l’occasion d’une menace de fermeture administrative d’un commerce pour défaut d’autorisation, que l’exploitant du commerce puisse prendre les devants en faisant constater que l’activité en cause n’est pas soumise à autorisation (BVerwGE 39, 247 et s.). Il est essentiel que la demande porte bien sur le règlement d’une situation concrète et non sur une situation abstraite, par exemple la légalité d’une norme (ce qui n’exclut pas que le juge puisse être amené de manière incidente à se prononcer sur ce point). Le rapport de droit en cause doit être un rapport actuel, ce qui n’exclut pas que la demande puisse porter sur un rapport déjà ancien mais déployant encore des effets concrets au moment du recours, ou sur un rapport futur à l’élucidation duquel le requérant a déjà un intérêt (la nature exacte de l’action dans ce dernier cas est controversée en doctrine).
Le second objet mentionné par le § 43 I VwGO est la constatation de l’inexistence de tout ou partie d’un acte administratif. Cette action déclaratoire d’inexistence (Nichtigkeitsfeststellungsklage) ne fait pas double emploi avec le premier cas, car si l’acte administratif est constitutif d’un rapport de droit, il n’est pas lui-même rapport de droit. L’acte administratif inexistant ne peut théoriquement pas faire l’objet d’une action en annulation ; il présente néanmoins les apparences d’un acte administratif et il n’est pas inutile qu’un requérant concerné puisse disposer d’une voie de droit pour faire échec à cette apparence.
353. L’intérêt légitime du requérant à obtenir une prompte constatation. – L’intérêt légitime (berechtigtes Interesse) nécessaire à la recevabilité de l’action ne se limite pas à l’intérêt juridique ; il peut être également de nature économique ou idéelle, politique, culturelle ou religieuse par exemple. La différence de formulation à l’article 42 II VwGO (« lésé dans ces droits ») et à l’article 43 I VwGO (« intérêt légitime ») impose cette conclusion. Toujours inquiète des dérives possibles en direction de l’actio popularis, la jurisprudence minimise l’extension. S’agissant de l’action déclaratoire d’inexistence, elle fait purement et simplement utilisation de l’article 42 II par analogie (BVerwG NJW 1982, 2205) ; dans les autres cas, elle exige que les droits du requérant soient effectivement touchés par le rapport de droit attaqué, ce qui a pour effet de limiter par exemple la recevabilité de l’action d’un tiers poursuivant la déclaration d’inexistence d’un contrat de droit public entre une ville et une autre personne.
L’intérêt n’est légitime que dans la mesure où il y a doute sur l’existence ou l’inexistence du rapport de droit. Si le rapport de droit est passé, l’intérêt n’est légitime que si les effets perdurent dans le présent ou s’il existe un risque de réitération (situation analogue à celle du § 113 I 4 VwGO, action déclaratoire prolongée, supra nº 341). S’agissant d’un rapport de droit à venir, l’intérêt à une action « préventive » (vorbeugende Feststellungsklage) n’est légitime que si aucune autre procédure (action en annulation, action tendant à l’émission d’un acte administratif, procédure d’urgence,…) ne pourrait prévenir l’apparition d’un dommage irréparable.
354. Le caractère subsidiaire de l’action déclaratoire. – Le § 43 II 1 VwGO donne à l’action déclaratoire un caractère subsidiaire par rapport aux deux autres grands types d’action : action tendant à l’obtention d’une prestation et l’action en modification d’une situation juridique, y compris la variante de cette dernière que constitue l’action en annulation. Ainsi une action déclaratoire tendant à faire reconnaître la qualité de fonctionnaire du requérant sera irrecevable lorsque celui-ci a été révoqué par un acte administratif, puisqu’il dispose de l’action en annulation de l’acte de révocation. L’existence d’une action parallèle ne fait pas obstacle à la recevabilité de l’action déclaratoire si celle-ci permet d’obtenir une meilleure protection. Ainsi le requérant qui veut faire déclarer que son activité n’est pas soumise à autorisation ne peut se voir opposer l’argument qu’il aurait pu obtenir une autorisation par une action tendant à l’émission de cet acte (BVerwGE 39, 247 [249]).
Le principe de subsidiarité est expressément écarté par le § 43 II 2 VwGO, lorsqu’il s’agit de faire constater l’inexistence d’un acte administratif.
B / Bien-fondé
355. Existence ou inexistence du rapport de droit. – L’action est bien fondée lorsque le droit matériel applicable confirme l’existence ou la non-existence du rapport de droit qui fait l’objet du litige. Le rapport de droit peut être fondé aussi bien sur une disposition législative que sur un contrat de droit public ou un engagement de l’administration (Zusage).
L’action déclaratoire d’inexistence d’un acte administratif est bien fondée lorsque l’acte est inexistant selon les critères du § 44 VwVfG et que le requérant est lésé dans ses droits par cet acte inexistant (utilisation analogique du § 113 I 1 VwGO). Etant donné que l’acte peut être non pas inexistant mais seulement irrégulier, le requérant peut être invité par le tribunal à modifier sa requête en action à fin d’annulation (§ 86 VwGO) afin d’éviter que l’action déclaratoire d’inexistence soit déclarée non fondée. La condition que le requérant soit lésé dans ses droits est satisfaite lorsque des effets matériels peuvent découler de l’acte inexistant pour son destinataire ou des tiers. La décision du tribunal a un caractère purement déclaratoire ; par nature, elle n’a pas de caractère exécutoire.
VI | La procédure de contrôle abstrait des normes (Normenkontrolle)
356. Un contrôle de la légalité de certaines règles infra-législatives. – L’objet de l’action prévue au § 47 VwGO est la vérification de la validité de certaines normes de rang inférieur à celui des lois formelles. Il s’agit donc d’une action déclaratoire de caractère très particulier puisque, d’une part, elle ne peut porter que sur une norme de caractère général et abstrait et, d’autre part, il s’agit d’un contentieux principalement objectif, même si les considérations subjectives n’y sont pas totalement absentes.
A / Recevabilité
357. Les normes susceptibles d’être contrôlées. – Le § 47 I VwGO dispose que le tribunal administratif supérieur statue sur la validité 1) des arrêtés pris par les autorités locales dans le cadre du code de la construction sous la forme de règlements corporatifs (Satzungen) ou de règlements étatiques (Rechtsverordnungen) dans les villes-Etats et 2) d’autres règles de droit de rang infra-législatif des Länder, dans la mesure où le droit du Land en dispose ainsi. Les arrêtés du code de la construction portent pour l’essentiel sur les plans communaux d’occupation des sols, leurs modifications et compléments, le gel des opérations dans l’attente d’un nouveau plan, la détermination des périmètres construits ou constructibles, la mise en viabilité, la fixation de zones de rénovation. S’agissant des autres normes de rang infra-législatif, les trois-quarts des Länder ont fait effectivement usage de la possibilité ouverte par le § 47 I nº 2 VwGO. Dans les autres Länder et pour la Fédération elle-même, le contrôle abstrait des normes infra-législatives n’est pas ouvert et la Cour constitutionnelle fédérale a fait échec aux tentatives de justifier la recevabilité de tels recours, par exemple par des raisonnements faisant appel à l’article 19 IV LF (BVerfGE 31, 364 [370]).
Par règle de droit infra-législative, il faut entendre toute norme générale et abstraite autre qu’une loi formelle. Il s’agit donc des règlements étatiques (Rechtsverordnungen) ou corporatifs (Satzungen), par exemple un arrêté créant un prélèvement communal ou un arrêté relatif à une piscine municipale. Le règlement doit être pris par une autorité d’administration directe ou indirecte du Land ; il peut porter sur l’application d’une norme fédérale.
Le contrôle abstrait des normes porte sur la validité (Gültigkeit) de la norme. Celle-ci doit être déjà édictée et publiée, mais pas nécessairement être déjà en vigueur. Elle doit être encore valide, sauf le cas d’applicabilité ex post à des faits du passé (BVerwGE 56, 172 [176]) ou celui de la disparition en cours d’instance d’une norme dont l’application a conditionné un comportement de l’administration générateur d’un droit à l’indemnisation (BVerwGE 68, 12 et s.).
Le § 47 III VwGO prévoit une réserve de compétence de la Cour constitutionnelle d’un Land, lorsque la loi du Land le prévoit ainsi. Cette réserve ne joue pas au niveau de la recevabilité, mais à celui de l’examen du bien-fondé du recours, en interdisant de faire de la constitution une norme de référence du contrôle.
358. Conditions de recevabilité tenant au requérant. – La procédure de contrôle abstrait des normes n’est pas ouverte par un recours mais par une requête (Antrag) écrite, déposée par une personne physique ou morale ou par une autorité administrative.
S’agissant de la requête d’une personne physique ou morale, la version initiale du § 47 II VwGO liait la recevabilité à l’existence d’un préjudice actuel ou prévisible du fait de la norme attaquée ou de son application. La jurisprudence avait déjà donné une interprétation de cette disposition qui tendait à rapprocher le préjudice subi d’une violation des droits. Cette évolution a été confirmée depuis l’entrée en vigueur au 1er janvier 1997 de la sixième loi modificative du VwGO et désormais le requérant doit faire valoir, comme dans le recours en annulation d’un acte administratif, que la norme attaquée le lèse dans l’un de ses droits subjectifs. Il doit s’agir de la lésion d’un droit propre au requérant. S’agissant d’une personne morale, il ne suffit donc pas qu’elle invoque les droits de ses membres, mais bien un droit propre.
Le requérant peut être une autorité administrative, c’est-à-dire tout service assurant des tâches d’administration publique. Si la formulation du § 47 II 1 VwGO n’exige pas expressément la violation d’un droit de l’autorité administrative requérante, la jurisprudence a toujours exigé qu’elle soit au moins concernée par la norme dont elle conteste la régularité, que ce soit dans l’exercice de ses missions publiques ou dans l’accomplissement de ses tâches par des moyens de droit privé (BVerwG NVwZ 1989, 654).
359. L’existence d’un besoin légitime de protection (allgemeines Rechtsschutzbedürfnis). – L’exigence d’un besoin légitime de protection peut permettre de déclarer irrecevable une requête en contrôle des normes, si la constatation de l’inexistence de la norme ne permet pas d’améliorer la situation juridique du requérant. La question peut se poser si celui-ci peut obtenir satisfaction par une autre voie procédurale, par exemple en exerçant une action en annulation contre un permis de construire mettant en oeuvre un plan d’occupation des sols dont l’irrégularité pourra être constatée à titre incident, plutôt que de requérir directement l’annulation du plan d’occupation des sols. Il est clair que la constatation incidente n’a qu’un effet relatif (inter partes) et que l’annulation du plan d’occupation des sols peut éviter une série de procès fondés sur l’illégalité de ce plan ; la recevabilité d’une requête en contrôle des normes reste controversée au moins dans le cas où des actes administratifs devenus inattaquables (par exemple des permis de construire) ont déjà été accordés sur la base d’un plan d’occupation des sols dont la régularité est ultérieurement contestée.
360. Délais. – La loi n’impose un délai (deux ans) que pour le recours des administrations. Pour les autres requérants, aucune condition de délai n’est imposée. Le tribunal peut toutefois être amené à faire jouer le principe de déchéance du droit à requête. Il ne s’agit pas d’interdire systématiquement qu’un requérant puisse déclencher une procédure de contrôle des normes contre un règlement sur la base duquel il a déjà obtenu un acte administratif à son avantage ; mais l’exception de déchéance a été utilisée dans des cas où l’abus était particulièrement caractérisé, par exemple lorsque le requérant attend quatorze années pour demander l’annulation d’un plan sous l’empire duquel il a procédé lui-même à des mutations foncières (OVG Coblence, NJW 1984, 444).
B / Bien-fondé
Jusqu’à la révision du VwGO entrée en vigueur au 1er janvier 1997, la lésion des droits du requérant n’étant pas explicitement mentionnée par le texte du § 47 VwGO, le caractère objectif du contentieux du contrôle abstrait des normes faisait que l’inexistence ne pouvait être fondée que sur la constatation d’une irrégularité formelle ou matérielle, à l’exclusion de toute constatation de la violation d’un droit subjectif. Il n’est pas encore possible de prédire quel sera l’effet de la réforme sur ce point.
361. La régularité formelle. – L’inexistence peut être due à l’incompétence de l’auteur de la norme, la violation des règles de procédure ou de celle des règles de forme.
La compétence de l’auteur de la norme est réglée par chaque disposition législative pertinente. Ainsi, pour les arrêtés en matière de droit de la construction, il découle des §§ 1 III et 10 BauGB que les communes sont compétentes pour l’établissement des plans d’occupation des sols sous la forme de règlements corporatifs.
En l’absence de dispositions générales de procédures, il faut également recourir à chaque texte habilitant le pouvoir réglementaire étatique ou corporatif. Dans le cas des plans d’occupation des sols, le code fédéral de la construction impose la consultation des administrés/citoyens et celle de diverses autorités administratives, mais c’est dans les codes des communes de chaque Land qu’il faut rechercher quel organe de la commune est compétent pour édicter les règlements corporatifs communaux. La violation des règles de procédure ne peut pas être « guérie » au sens du § 45 VwVfG, car cette loi n’est pas applicable en dehors des actes administratifs et contrats de droit public (§ 9 VwVfG) ; mais les lois particulières peuvent contenir des dispositions sur les vices substantiels et les autres, et les moyens de guérir les vices substantiels (par ex., §§ 214-216 BauGB).
S’agissant des règles de formes, le schéma général de contrôle de régularité est comparable à celui applicable aux règles de procédure, mais les résultats peuvent être différents. Ainsi, s’agissant des plans d’occupation des sols, alors que d’autres vices substantiels peuvent être guéris, le non respect de la forme « règlement corporatif » est un vice substantiel (§ 214 I n° 3 BauGB) non guérissable (§ 215 I BauGB).
362. La régularité matérielle. – Il découle de l’article 80 LF et des dispositions correspondantes des constitutions des Länder que l’édiction de règlements étatiques (Rechtsverordnung) requiert une habilitation législative. S’agissant des règlements corporatifs des communes, les codes des communes et les textes d’habilitation fixent très précisément le cadre des habilitations normatives pour l’administration déléguée. L’article 80 LF n’est pas applicable aux règlements corporatifs dans le domaine de l’auto-administration des collectivités locales, mais l’application du principe du caractère essentiel (Wesentlichkeitstheorie) impose ici aussi que le législateur fixe les éléments essentiels à l’application des droits fondamentaux (BVerfGE 33, 125 et s., arrêt sur les médecins spécialistes). L’existence d’une habilitation législative est nécessaire, mais non suffisante, pour la régularité de la norme infra-législative, qui doit respecter la finalité de la loi et le cadre qu’elle fixe. Ainsi, s’agissant des plans communaux d’aménagement (Bauleitplan), le § 1 III BauGB spécifie « dès lors que et autant qu’il est nécessaire à l’ordre et au développement urbanistique » ; une telle finalité interdit l’établissement d’un plan d’occupation des sols pour le seul intérêt que peuvent tirer de la vente des terrains quelques propriétaires privilégiés, alors que la commune n’envisage pas que ce secteur soit construit.
Par ailleurs, la norme ne doit être contraire à aucune règle de rang supérieur. Ceci découle du principe de légalité et du principe de primauté de la loi. Ainsi, le plan d’occupation des sols ne doit contenir que les déterminations prévues au § 9 BauGB, et être compatible avec la réglementation de protection des paysages, de rang supérieur.
Le § 47 III VwGO introduit une exception au principe de l’examen de la conformité matérielle avec les normes supérieures du droit de la Fédération et du Land, en réservant à la juridiction constitutionnelle le contrôle de la conformité à la constitution. Cette exception ne vaut que dans la mesure où la disposition prévoyant la compétence de la juridiction constitutionnelle du Land confère à celle-ci une compétence exclusive. Ces cas sont finalement peu nombreux. On peut citer l’article 132 de la constitution de la Hesse pour la constitutionnalité des règlements du gouvernement de ce Land, ou l’article 98 4 de la constitution bavaroise pour les initiatives populaires de contrôle de la conformité des normes aux droits fondamentaux bavarois.
Il est fréquent que la norme d’habilitation à exercer le pouvoir réglementaire ouvre une marge d’appréciation discrétionnaire. La manière dont il est fait usage de ce pouvoir discrétionnaire est souvent contestée dans le cadre du contrôle des normes. Ainsi le § 1 VI BauGB impose la mise en balance de l’intérêt général et des divers intérêts individuels dans l’établissement des plans d’occupation des sols. Le contrôle de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire par le juge administratif est un contrôle restreint : y-a-t-il eu mise en balance ? Certains éléments ont-ils été oubliés ? A-t-on méconnu l’importance des intérêts privés ? La mise en balance n’est-elle pas manifestement déséquilibrée ?
C / Décision du tribunal
363. Portée de la décision d’inexistence. – Lorsque la requête est recevable et fondée, le tribunal administratif supérieur du Land déclare l’inexistence totale ou partielle de la norme. La décision a effet erga omnes et l’adversaire (l’auteur de la norme) doit en publier le dispositif dans les conditions de publicité qui seraient applicables à la règle de droit (§ 47 V VwGO). Bien que la décision invalidant la norme soit rétroactive, les actes administratifs devenus inattaquables et les décisions des juridictions administratives ayant autorité de force jugée, qui sont fondées sur cette norme, ne sont pas affectées par son inexistence (§ 47 V 3, ensemble avec § 183 VwGO).
En revanche, le rejet de la requête ne produit effet qu’entre les parties (§ 121 VwGO) ; si le rejet est motivé au fond, la norme attaquée et les dispositions ayant le même contenu restent valides (BVerwGE 68, 306 et s.), sauf modification des circonstances de fait ou de droit (BVerwGE 65, 131 [137]). La régularité de la même norme peut être contestée par d’autres requérants.
VI / Les litiges entre organes de collectivités locales
364. Une catégorie contentieuse sans recours spécifique. – La notion de litige entre organes de collectivités locales (Kommunalverfassungsstreit) est manifestement utilisée par analogie avec la catégorie des litiges entre organes constitutionnels de l’article 93 I nº 1 LF. L’analogie est facilitée par le fait que le même terme « constitution » (Verfassung) désigne en langue allemande l’organisation et le fonctionnement des organes de l’Etat et ceux des collectivités de droit public, collectivités locales, universités ou autres. L’usage de l’expression ne doit pas faire illusion ; les litiges entre organes d’une collectivité locale ne sont pas des litiges de nature constitutionnelle. On a même longtemps hésité à y voir des litiges relevant du contentieux administratif, s’agissant de litiges, opposant divers organes d’une même personne morale et non des litiges classiques du VwGO, opposant administration et administrés. Progressivement pourtant, de même que l’on a admis que des relations juridiques sont possibles à l’intérieur d’un même sujet de droit, on a admis que les différends entre organes d’une même collectivité de type communal puissent être le reflet de conflits entre positions juridiques, droits ou compétences, divergentes. S’agissant de conflits ayant une même nature de droit public, le contentieux est administratif ; les catégories de la loi sur la juridiction administrative y sont toutefois malaisément transposables. De ce contentieux encore mal structuré, on peut extraire les lignes suivantes :
-Les actes internes des organes communaux n’ayant pas la qualité d’acte administratif, les actions en annulation et celles tendant à l’émission d’un acte administratif sont inadaptées.
-La pratique des tribunaux administratifs supérieurs révèle un usage relativement fréquent de l’action tendant à l’obtention d’une prestation, par exemple pour faire désavouer une déclaration diffamatoire, pour obtenir l’accès à une séance du conseil municipal ou l’inscription d’un point à l’ordre du jour.
-L’action déclaratoire est aussi en faveur, par exemple pour faire constater ex post l’irrégularité d’une exclusion d’une séance ou faire désapprouver une interdiction de fumer.
-Le contrôle des normes a été admis à l’encontre du règlement intérieur d’un conseil municipal, bien qu’il ne s’agisse que d’un document d’ordre intérieur, mais en considération de son caractère général et abstrait. La Cour fédérale administrative accepte donc de faire application en l’espèce du § 47 I nº 2 VwGO (BVerwG NVwZ 1988, 1119).
Dans tous les cas, il est essentiel que le requérant puisse faire valoir la violation d’un droit propre et non d’un droit de la collectivité ; ainsi un membre du conseil municipal peut agir contre une décision l’excluant d’une séance, mais non contre une décision de l’autorité de contrôle. Le droit propre violé doit être un droit de l’organe et ne peut être fondé sur un droit fondamental de la personne concernée (BVerwG NVwZ 1988, 837) ; ainsi, le membre d’un conseil qui s’est vu retirer la parole au cours d’une réunion peut invoquer son droit de prendre la parole en sa qualité de membre du conseil, mais non une violation de sa liberté d’opinion de l’article 5 I LF.
Section IV – Les mesures d’urgence pour la protection des droits (vorläufiger Rechtsschutz)
365. L’effectivité de la garantie de protection de l’article 19 IV LF. – L’exigence constitutionnelle d’une protection effective des droits (voir nº 315) requiert la possibilité d’intervenir à un stade précoce, avant l’apparition d’une situation irréversible ou de dommages irréparables. Cette contrainte constitutionnelle a donné au contentieux administratif allemand un profil profondément différent de celui du droit français, toujours marqué par la règle fondamentale du caractère exécutoire des décisions administratives et son corollaire qui est l’absence d’effet suspensif des recours contentieux. Est-on allé trop loin ? Les statistiques du contentieux suggèrent que la facilité d’accès à cette protection précoce a bien eu pour effet pervers de paralyser l’action de l’administration et de contribuer à l’allongement des délais pour le règlement définitif d’une affaire. L’évolution législative récente suggère l’image du retour du balancier. Les dispositions se multiplient, qui réduisent la portée de l’effet suspensif et l’accès aux procédures d’urgence ; tel a été le cas en matière d’asile (§ 75 AsylVfG) ou de la planification de voies de circulation (§ 5 II VerkehrswegeplanungsbeschleunigungsG) ; tel est toujours le cas de la sixième modification de la loi sur la juridiction administrative, qui ouvre aux Länder la compétence de disposer que les voies de recours n’auront pas d’effet suspensif et qui permet également d’écarter l’effet suspensif des contredits et actions en annulation de tiers contre des actes administratifs concernant les investissements ou la création d’emplois (§ 80 II 1 nº 3 VwGO).
La loi sur la juridiction administrative distingue deux voies pour assurer de façon provisoire la protection des droits de l’administré/citoyen : celle de la suspension des effets d’un acte administratif à l’occasion d’une démarche tendant à l’annulation de cet acte (I) et celle du référé dans tous les autres cas (II).
I |La protection provisoire des droits subjectifs en face d’un acte administratif dont la régularité est contestée.
A /Le principe de l’effet suspensif du contredit et de l’action en annulation (§ 80 I VwGO)
366. L’effet suspensif (aufschiebende Wirkung). – Le § 80 I 1 VwGO confère ipso facto effet suspensif au contredit et au recours en annulation, sans donc qu’il soit besoin d’une intervention du juge. Ainsi, le propriétaire d’un immeuble faisant l’objet d’un arrêté de démolition peut s’abstenir de démolir dès le dépôt du contredit. La nature exacte de cet effet suspensif reste controversée. Pour les uns, c’est l’aptitude de l’acte à produire effet qui est retardée jusqu’à la décision définitive sur l’acte attaqué en sorte que les effets n’apparaîtront qu’à ce moment (strenge Wirksamkeitstheorie) ; pour d’autres, cette aptitude est simplement paralysée et en cas d’échec du contredit ou de l’action en annulation, l’acte produit ses effets dès l’origine (eingeschränkte Wirksamkeitstheorie) ; pour la Cour fédérale administrative, la capacité de l’acte à produire effet n’est pas en cause, mais seulement son exécution et donc les mesures permettant de le réaliser et de le mettre en oeuvre (Vollziehbarkeitstheorie, BVerwGE 13, 1 [5 et s.] ; 66, 218 [222]) . Cette dernière analyse a le mérite de tenir compte de la lettre du § 43 VwVfG qui ne fait cesser la production des effets de l’acte qu’avec son retrait, sa révocation, son annulation ou toute autre cause d’extinction.
Il avait été mis en doute que l’effet suspensif puisse être attaché aux actes administratifs modifiant une situation juridique ou à caractère déclaratoire, ainsi qu’aux actes administratifs à double effet (destinataire et tiers). Depuis 1990, le § 80 I 2 VwGO en dispose expressément ainsi. Il est dès lors incontestable que le contredit d’un voisin portant sur un permis de construire accordé au maître d’ouvrage empêche celui-ci de commencer les travaux.
L’effet suspensif vaut à compter de la date d’édiction de l’acte attaqué. Les mesures de mise en oeuvre qui auraient pu intervenir jusqu’au dépôt du contredit ou de l’action en annulation doivent être rapportées.
Le terme de l’effet suspensif est réglé depuis le 1er janvier 1997 par le § 80b VwGO. Le terme est atteint soit lorsque l’acte est devenu inattaquable, par exemple du fait de l’absence d’une introduction d’une action en annulation dans le délai d’un mois à compter du rejet du contredit, soit, lorsque l’action en annulation a été rejetée en première instance, trois mois après l’expiration du délai légal de motivation de la voie de réformation (appel ou révision) existante contre la décision de rejet. Dans la mesure où la nouvelle disposition permet une prolongation de l’effet suspensif dans ce dernier cas sur décision du tribunal, il faut comprendre ce couperet des trois mois, qui peut fort bien intervenir au milieu de l’appel, comme une disposition destinée à faire échec aux contestations purement dilatoires.
367. Conditions d’entrée en vigueur de l’effet suspensif. – Il découle du § 80 I VwGO que trois conditions doivent être réunies pour qu’intervienne l’effet suspensif prévu par la loi :
-l’action de l’administration doit être un acte administratif, qu’il ordonne, modifie une situation juridique, ait un caractère déclaratoire ou produise des effets doubles (destinataire et tiers) ;
-cet acte administratif doit pouvoir faire l’objet d’une action en annulation ; s’agissant d’un acte faisant l’objet d’un contredit, celui-ci doit s’inscrire dans le cadre du § 68 I VwGO. Un contredit s’inscrivant dans la perspective d’une action en émission d’un acte individuel n’a pas d’effet suspensif, puisqu’il n’a pas pour objet de protéger les droits du requérant, mais d’améliorer sa situation. L’effet suspensif n’a de sens que pour écarter provisoirement les effets d’une décision administrative défavorable. Lorsque l’acte administratif fait l’objet d’un recours autre qu’une action en annulation, la voie d’une procédure d’urgence ne passe pas par les §§ 80 et s., mais par le référé du § 123 VwGO (infra, II) ;
-le contredit ou l’action en annulation doit avoir été effectivement exercé, sans préjudice de la recevabilité ou du bien-fondé du recours (sauf le cas de l’irrecevabilité manifeste).
368. Exception à la règle de l’effet suspensif : les quatre cas d’exclusion du § 80 II 1 VwGO. – L’effet suspensif n’est exclu que dans quatre cas :
1.pour le recouvrement de prélèvements (impôts, taxes et redevances) et coûts liés à des prestations publiques ;
2.pour les ordres et mesures insusceptibles de suspension émanant de fonctionnaires de police ;
3.dans les cas prévus par une loi fédérale ou une loi de Land. Parmi les dispositions du droit fédéral, on peut signaler : les mesures de recensement et d’appel sous les drapeaux (§§ 33 V 2, 35 I 1 WpfG), les permis de construire portant sur des projets à usage d’habitation dominant (§ 10 II BauGBMaßnG), les voies de recours contre les décisions de la procédure d’asile (§ 75 AsylVfG). Parmi les dispositions du droit de Land, la loi envisage particulièrement – signe des temps – les actes administratifs concernant les investissements ou la création d’emplois ;
4.lorsque l’exécution immédiate est spécialement ordonnée (Anordnung der sofortigen Vollziehung), dans l’intérêt général ou dans l’intérêt prédominant d’une des parties, par l’autorité administrative dont émane l’acte administratif en cause ou qui est chargée de statuer sur le contredit.
Dans ce dernier cas (exécution immédiate par décision de l’auteur de l’acte ou de l’auteur de la décision sur contredit), l’exécution immédiate doit être fondée par les nécessités de l’intérêt général ou de l’intérêt prédominant d’une des parties. L’exécution étant l’exception et l’effet suspensif la règle (BVerfGE 35, 263), l’intérêt de l’exécution immédiate doit l’emporter sur ses inconvénients, par exemple parce qu’il existe un véritable danger pour la collectivité. Sauf s’il y a péril en la demeure, l’intérêt justifiant une exécution immédiate doit être motivée par écrit (§ 80 III VwGO). La décision de mise en exécution immédiate ne constitue pas un acte séparable de l’acte administratif sur lequel elle porte.
B /Le § 80 IV et V VwGO : sursis à exécution par l’administration ou l’autorité de décision sur le contredit, prononcé ou rétablissement de l’effet suspensif par le juge.
Dans la perspective de l’article 19 IV LF, la mise en vigueur immédiate d’un acte administratif doit être considérée comme une exception. Même prévue par une règle abstraite et générale, elle doit pouvoir faire l’objet d’une remise en cause dans le cas individuel. Tel est l’objet des alinéas IV et V du § 80 VwGO.
369. La remise en force de l’effet suspensif par l’administration ou l’autorité de décision sur le contredit. – Sauf si une loi fédérale y fait obstacle, l’autorité qui a édicté l’acte administratif ou celle qui est chargée de statuer sur le contredit peut surseoir à l’exécution (Aussetzung der Vollziehung) dans les quatre cas visés au § 80 II VwGO.
Soit par application directe du § 80 IV 3 VwGO, s’agissant des prélèvements publics, soit par application analogique pour les ordres et mesures de police pour les cas prévus par la loi, le sursis doit normalement (« soll« ) intervenir s’il existe des doutes sérieux sur la régularité de l’acte administratif contesté ou si l’exécution aurait pour le redevable un caractère de dureté inéquitable non justifié par des intérêts publics prédominants ; on estime qu’il y a doute sérieux sur la régularité de l’acte administratif lorsque les chances de son annulation sont du même ordre de grandeur que celles de son rejet.
S’agissant de la remise en force de l’effet suspensif d’une décision dont le caractère directement exécutoire a été prononcé par l’administration dans le quatrième cas prévu au § 80 II 1 VwGO, le critère de remise en force doit être recherché dans l’existence actuelle (et non plus au moment de la décision initiale) d’un motif d’intérêt général ou d’intérêt prédominant d’une des parties au maintien de l’exécution immédiate.
370. Le prononcé ou le rétablissement de l’effet suspensif par le juge. – La possibilité de fixation judiciaire du sursis à exécution (§ 80 V VwGO) constitue la pièce essentielle du contrôle juridictionnel sur l’effectivité de l’effet suspensif du contredit et de l’action en annulation. Dans les trois premiers cas du § 80 II 1 VwGO, le juge peut en effet ordonner l’effet suspensif (Anordnung der aufschiebenden Wirkung), et dans le quatrième cas le rétablir rétroactivement (Wiederherstellung der aufschiebenden Wirkung).
Une requête est nécessaire. Elle doit émaner du destinataire de l’acte ou, dans le cas d’un acte « à doubles effets », d’un tiers concerné par l’acte intervenu. La requête doit tendre au prononcé ou au rétablissement de l’effet suspensif. Une requête tendant à la constatation de l’effet suspensif peut être utilisée dans l’esprit de la même disposition, lorsque l’administration a délibérément méconnu un effet suspensif prévu par la loi. On pourra ainsi admettre la requête d’un propriétaire contre la démolition forcée de son immeuble, alors qu’il a exercé contredit contre l’arrêté de démolition.
Le requérant doit faire valoir une plausible violation d’un de ses droits (application analogique du § 42 II VwGO). La requête est recevable si le requérant a déjà exercé contre l’acte un contredit ou une action en annulation qui ne sont pas manifestement irrecevables mais sont dénués de l’effet suspensif du § 80 I 1 VwGO du fait du § 80 II VwGO, et si par ailleurs il n’existe pas d’autres recours permettant d’obtenir plus simplement et à moindres frais le résultat souhaité, ne serait-ce que par un recours informel tendant au rétablissement de l’effet suspensif. Le juge du sursis est le tribunal compétent au fond (§ 80 V 1 VwGO) ; en cas d’urgence, le président peut statuer (§ 80 VIII VwGO).
La demande de sursis est bien fondée,
-dans le cas d’un rétablissement (Wiederherstellung) de l’effet suspensif écarté par l’administration au titre du § 80 II 1 nº 4 VwGO, lorsque l’ordre de mise en exécution immédiate est affecté d’un vice de forme (exigence d’une motivation écrite !) ou lorsque l’intérêt au sursis (Aussetzungsinteresse) l’emporte sur les intérêts généraux ou individuels à l’exécution immédiate (Vollziehungsinteresse) qui ont conduit à écarter l’effet suspensif. Le contrôle de cette mise en balance doit être effectivement possible, ce qui ne permet pas de se satisfaire d’une motivation administrative stéréotypée ni de la simple affirmation de la régularité de l’acte administratif en cause (BVerfG NVwZ 1982, 241). Le juge met également en balance les avantages et inconvénients respectifs du sursis et son absence (préjudice irréparable, établissement d’un fait accompli, impossibilité définitive d’atteindre l’objectif visé par l’administration). L’établissement d’un tel bilan n’est pas séparable d’un examen sommaire des chances de succès du contredit ou du recours en annulation de l’acte : quel intérêt public peut faire écarter le sursis à exécution d’un acte administratif manifestement irrégulier ? Pourquoi suspendre les effets d’un acte manifestement régulier ?
-dans le cas des requêtes tendant au prononcé (Anordnung) de l’effet suspensif, lorsque la mise en balance des intérêts en présence conduit à privilégier ceux du requérant, par exemple parce qu’il existe des doutes sérieux sur la régularité de l’acte administratif.
Dans tous les cas, le tribunal doit prononcer le sursis lorsqu’il arrive à la conclusion que l’intérêt du requérant l’emporte sur l’ensemble des autres intérêts en présence. En cas d’équilibre des intérêts en présence, c’est la préférence générale qui découle du système du § 80 VwGO, à savoir l’effet suspensif comme règle et l’applicabilité immédiate comme exception, qui doit servir de ligne directrice.
Lorsque la requête est recevable et bien fondée, le juge ordonne (cas nº 1‑3 du § 80 II 1 VwGO) ou rétablit l’effet suspensif (cas nº 4). Si l’acte administratif a déjà été exécuté au moment de la décision sur le sursis, le tribunal peut ordonner le retrait de l’exécution (§ 80 V 3 VwGO). Contre la décision du juge sur le sursis, le pourvoi est ouvert suivant les §§ 146 et s. VwGO.
C / La protection provisoire en cas d’actes administratifs « à doubles effets »
371. La disposition spéciale du § 80a VwGO. – Le dispositif général du § 80 VwGO s’étant avéré insuffisamment protecteur dans l’hypothèse où l’acte administratif apporte un avantage ou impose une charge à un tiers (cas improprement désigné par le législateur du § 80a comme « acte à doubles effets » : voir nº 224), la disposition spéciale du § 80a a été introduite dans le texte de la loi par la révision du 17 décembre 1990. Cette disposition envisage essentiellement trois hypothèses :
-Le destinataire et bénéficiaire de l’acte est privé momentanément de son bénéfice par le recours d’un tiers lésé (par ex., recours suspensif [§ 80 I 2 VwGO] du tiers voisin contre le permis de construire d’un bâtiment à usage professionnel) ; le destinataire de l’acte peut alors demander à l’autorité administrative d’ordonner l’exécution immédiate (§ 80a I nº 1, ensemble avec § 80 II 1 nº 4 VwGO).
-Le recours du tiers lésé n’a pas d’effet suspensif (par ex., recours contre le permis de construire d’un projet à usage dominant d’habitation [§ 80 II 1 nº 3 VwGO, ensemble avec § 10 BauGBMaßnG), ou bien le destinataire de l’acte ne tient pas compte de l’effet suspensif ; le tiers lésé peut demander à l’autorité administrative de surseoir à l’exécution et surtout de prendre des mesures conservatoires pour préserver ses droits (§ 80a I nº 2 VwGO).
-Le tiers bénéficiaire d’un avantage du fait de l’acte s’en voit momentanément privé du fait de l’introduction par le destinataire d’un recours à effet suspensif (par ex., recours de l’exploitant d’un foyer d’animaux contre l’acte lui interdisant de poursuivre cette activité à raison des nuisances subies par les voisins) ; un tiers voisin peut alors demander à l’autorité d’ordonner l’exécution immédiate (§ 80a II, ensemble avec § 80 II 1 nº 4 VwGO).
Toutes ces mesures peuvent, sur requête, être modifiées, annulées ou prises par le tribunal lui-même (§ 80a III VwGO). Celui-ci procède à la mise en balance des intérêts en présence de la même manière que dans le cadre d’une requête au titre du § 80 V VwGO (voir ci-dessus).
II | Les ordonnances de référé du § 123 VwGO
372. Champ d’application. – La procédure des ordonnances de référé (einstweilige Anordnung) ne peut être utilisée qu’en dehors du champ des §§ 80 et s (§ 123 V VwGO), c’est-à-dire d’un contexte de contredit ou action en annulation. Le § 123 VwGO permet d’utiliser la procédure des ordonnances de référé lorsque le litige principal tend à assurer au requérant le bénéfice total ou partiel d’un avantage qu’il cherche à obtenir au moyen d’une action du type action tendant à l’obtention d’une prestation (Leistungsklage), en particulier action en émission d’un acte administratif (Verpflichtungsklage), ou du type action déclaratoire (Feststellungsklage). Les dispositions du § 123 viennent compléter les dispositions du droit commun des ordonnances de référé, aux §§ 920 et s. du code de procédure civile. Dans le contentieux du contrôle abstrait des normes, les ordonnances de référé sont prévues au § 47 VI VwGO.
A / Les finalités des ordonnances de référé
373. Ordonnances de sauvegarde (Sicherungsanordnung) et ordonnances de réglementation (Regelungsanordnung). – Lorsqu’elle ne se réduit pas à le prémunir des inconvénients d’un acte administratif dommageable, la protection provisoire des droits de l’administré/citoyen dépend très fortement des circonstances de l’espèce. L’étudiant qui n’aura pas été admis dans une filière sélective demandera d’y être inscrit à titre conservatoire, en attendant les quelques années qui seront éventuellement nécessaires pour obtenir la constatation par le juge qu’il aurait dû y être admis ; l’industriel dont les produits ont fait l’objet d’une mise en garde au public comme dangereux pour la santé, va demander la suspension immédiate de cette mise en garde. Le § 123 VwGO tient compte de cette diversité en envisageant deux groupes d’ordonnances de référé.
Les ordonnances de sauvegarde (Sicherungsanordnung) visent au maintien du statu quo ante, « s’il existe un risque qu’une modification de l’état des choses rende impossible ou sensiblement plus difficile la réalisation d’un droit du requérant » (§ 123 I 1 VwGO). Le tribunal est donc appelé à prononcer des mesures tendant à geler la situation (bestandsschützende Maßnahmen) : interdire la vente d’un objet aux enchères publiques, empêcher temporairement le versement d’une aide à une entreprise concurrente, empêcher la fermeture d’une école avant que le tribunal se soit prononcé sur la régularité de la décision de l’administration de l’enseignement.
Les ordonnances de réglementation (Regelungsanordnung) tendent au contraire moins à préserver une situation qu’à éviter l’émergence de dommages du fait du caractère inéluctablement tardif de la décision du juge sur l’action principale, « régler une situation provisoire concernant un rapport de droit litigieux lorsque cette réglementation paraît nécessaire, notamment dans le cas de rapports de droit s’étendant dans le temps, pour écarter des préjudices substantiels ou faire échec à une violence imminente ou pour d’autres raisons » (§ 123 I 2 VwGO) : autorisation de suivre les enseignements dans la classe supérieure, maintien provisoire du paiement d’une bourse ou d’une prestation d’aide sociale, autorisation de tenir un meeting électoral dans une salle municipale.
Les domaines d’élection des ordonnances de référé sont ceux où la durée des procédures est statistiquement longue : admission dans des filières sélectives de l’enseignement supérieur, litiges concernant les notations scolaires et universitaires, fonction publique, droit des étrangers,…
B / Procédure
374. Recevabilité de la requête. – La requête est admissible lorsqu’elle satisfait aux trois conditions de pertinence de la requête, de la qualité à agir du requérant et de l’existence d’un besoin de protection.
La requête tendant à la prise d’une ordonnance de référé est toujours pertinente et envisageable dès lors que l’action principale n’est pas une action en annulation d’un acte administratif, c’est-à-dire dès lors que le § 80 VwGO n’est pas applicable. Dans la séquence d’examen des procédures envisageables, le § 123 suivra donc le § 80.
La qualité à agir du requérant s’établit par utilisation analogique du § 42 II VwGO : le requérant doit faire valoir une lésion dans ses droits.
L’existence d’un besoin de protection implique que le requérant ne puisse éviter, autrement que par la mesure qu’il sollicite, la mise en péril de son droit où l’apparition de préjudices substantiels. Il doit donc s’être déjà adressé sans succès à l’autorité compétente. Son recours principal ne doit pas être manifestement voué à l’échec.
Le tribunal compétent pour édicter l’ordonnance de référé est le tribunal compétent au fond (§ 123 II VwGO) ; en cas d’urgence, le président peut statuer.
375. Bien-fondé. – Le bien-fondé de la requête suppose d’abord que le requérant puisse faire valoir un droit subjectif qui est à la base de sa revendication (Anordnungsanspruch) : droit du requérant (§ 123 I 1 VwGO) ou rapport de droit litigieux (§ 123 I 2 VwGO), par exemple statut d’agent public, statut d’étudiant, …
Le bien-fondé de la requête suppose ensuite que l’ordonnance de référé soit indispensable à la protection des droits du requérant (Anordnungsgrund) : risque qu’une modification de l’état des choses rende impossible ou sensiblement plus difficile la réalisation du droit du requérant, ou nécessité d’une réglementation pour écarter des préjudices substantiels ou faire échec à une violence imminente ou pour d’autres raisons. Dans tous les cas, le juge doit ici procéder aussi bien à une évaluation sommaire des chances de succès du recours principal qu’à une mise en balance des divers intérêts en présence.
Si le requérant fait valoir un droit subjectif et si une ordonnance de référé paraît indispensable à la protection de ses droits, l’exigence constitutionnelle de protection effective des droits (Art. 19 IV LF) impose qu’une ordonnance soit prise. Il incombe au tribunal d’en fixer le contenu, c’est-à-dire de définir la mesure la mieux à même de satisfaire au besoin de protection du requérant et d’imposer à l’administration de s’y conformer sans toutefois se substituer à l’action de celle-ci. La liberté du tribunal est enfermée dans des limites inhérentes à la procédure de référé : ne prendre que des mesures provisoires n’apportant pas déjà au requérant la satisfaction qu’il ne peut obtenir pleinement qu’à l’issue du procès principal, ne pas imposer à l’administration des obligations de faire, souffrir ou s’abstenir préjudiciant de décisions qu’elle sera amenée à prendre au-delà du jugement sur le procès principal. Ces limites ne doivent cependant pas avoir pour effet de limiter l’efficacité de la protection des droits. Contre les ordonnances de référé, le pourvoi est ouvert suivant les §§ 146 et s. VwGO.
C /Les ordonnances de référé dans la procédure de contrôle abstrait des normes.
376. Une procédure peu usitée. – La possibilité d’un référé au cours d’une procédure de contrôle abstrait des normes a été introduite en 1977 par le § 47 VIII VwGO (aujourd’hui 47 VI). Il s’agit d’une procédure autonome devant un tribunal administratif supérieur du Land, d’inspiration analogue à celle du § 123 VwGO. Les conditions de prononcé d’une ordonnance de référé sont étroitement limitées aux cas où « il y a urgente nécessité de parer à des préjudices graves ou d’autres raisons importantes ». Les commentateurs explicitent cette condition comme visant la violation de droits importants, tels des droits fondamentaux (par ex., plan d’occupation des sols établi sans tenir compte des impératifs de l’environnement et prévoyant une voie traversant la propriété du requérant, VGH HEL, NVwZ-RR 1991, 588), ou encore l’atteinte particulièrement importante à des intérêts juridiquement protégés, ou enfin que les personnes concernées subissent un préjudice exceptionnel ou irréversible.
Pour aller plus loin
Le thème de la juridiction administrative est traité dans les ouvrages classiques suivants en langue française sur le droit allemand : Fleiner, La protection juridique, p. 144-197 ; Fromont/Rieg II : La protection de l’individu contre l’administration, p. 169-193 ; König et a., Le contrôle juridictionnel de l’administration, p. 361-386.
Dans une perspective comparative, on pourra lire : J. Rivero, Le contrôle juridictionnel de la légalité dans l’Europe des six, Paris, Les cours de droit, 1957-1958 ; J.-M. Auby et M. Fromont, Les recours contre les actes administratifs dans les pays de la Communauté économique européenne, Paris, Dalloz, 1971 ; M. Fromont, La protection provisoire des particuliers contre les décisions administratives dans les Etats-membres des Communautés européennes, RISA 1984, p. 309-327 ; M. Fromont, La justice administrative en Europe, convergences, Mélanges R. Chapus, Paris, Montchrestien, 1992, p. 197.
La loi sur la juridiction administrative (VwGO) a fait l’objet d’une édition en 1995 pour les besoins de l’enseignement du Centre juridique franco-allemand de Sarrebruck (études et documents du cjfa, nº 7) ; cette traduction est consultable sur internet (http://www.jura.uni-sb.de/BIJUS).
377. La juridiction administrative allemande. – M. Martin, Les juridictions administratives en Allemagne, EDCE, 1952, nº 6, p. 166 ; M. Fromont, La répartition des compétences entre les tribunaux civils et administratifs en droit allemand, Paris, LGDJ, 1960 ; H. R. Külz, La Cour fédérale supérieure administrative, EDCE, 1967, nº 20, p. 221 ; A. Fischer, La justice administrative allemande, RDP, 1968, p. 1032 ; M. Fromont et H. Siedentopf, Chroniques de vie administrative, RFA [La crise de la juridiction administrative], AEAP, V-1982, p. 653 [p. 661] ; M. Fromont, Contrôle juridictionnel et nouvelles protections en République fédérale d’Allemagne, AEAP 1983, p. 61 ; Dans König et a. (1983) : H.-J. v. Oertzen, Le contrôle juridictionnel de l’administration, p. 361 ; A. Fischer, Le contrôle juridictionnel de la légalité de l’action administrative en République fédérale d’Allemagne, RFDA, 1984, p. 185 ; Chr. Autexier, Juridiction administrative et contentieux administratif en RFA, RFDA, 1988, p. 256 ; Chr. Autexier, La dualité du droit applicable à l’administration et la pluralité de juridictions en matière administrative en Allemagne, RFDA, 1990, p. 863 ; R. Stürner, Procédure civile et administrative – Les différences et leur explication – , German national reports in civil law matters for the XIII th congress of comparative law in Montreal, 1990, p. 61, Heidelberg, C.F. Müller, 1990 ; M. Fromont, Chroniques de vie administrative, Allemagne [Le problème de la réforme des juridictions administratives], AEAP, XVI-1993, p. 535 [p. 541] ; H.-J. v. Oertzen, Le contrôle de l’administration par les juridictions administratives, RFAP, 1996, p. 345.
378. Le règlement grâcieux des litiges. – A. Vidal-Durupty, La prévention du contentieux par les recours administratifs préalables en République fédérale d’Allemagne, Rev. adm., 1986, p. 75 ; M. Fromont, Les modes alternatifs de règlement des litiges, AJDA, 1997, p. 59 ;
379. La protection des droits par la juridiction administrative et droit du contentieux administratif. a/ doctrine : M. Fromont, Le contrôle juridictionnel des actes administratifs en Allemagne, AJDA 19oertz64, p. 604 ; J.-Cl. Béguin, L’effet suspensif des recours en annulation en droit administratif allemand, RISA, 1973, p. 398 ; J. Schmidt, La protection juridique face à l’administration en République fédérale d’Allemagne, RISA, 1983, p. 198 ; M. Fromont, La protection provisoire des particuliers contre les décisions administratives dans les Etats membres des communautés européennes, RISA, 1984, p. 309 ; M. Fromont, L’exécution des décisions du juge administratif en droit français et allemand, AJDA, 1988, p. 243 ; G. H. Kemper, Le pouvoir du juge dans le contentieux administratif allemand, les effets de son jugement et l’exécution de sa décision, EDCE, 1992, nº 43, p. 329 ; B. Peter, Spécificités au regard du droit français des procédures d’urgence en droit allemand, RDP, 1994, p. 185 ; K.-P. Sommermann, Le système des actions et la protection d’urgence dans le contentieux administratif allemand, RFDA, 1995, p. 1145 ;
Voir aussi, à la RDP, dans les chroniques de M. Fromont consacrées à l’Allemagne : la loi du 24 août 1976 aménageant le recours en contrôle abstrait des normes (RDP, 1978, p. 419) ; les décisions prises dans le cadre des procédures d’urgence lors de la mise en oeuvre du programme nucléaire (RDP 1978, p. 432) ; diverses lois tendant à l’accélération de la procédure administrative contentieuse (Loi du 31 mars 1978 relative à la décongestion des juridictions administratives, loi du 25 juillet 1978 tendant à modifier la loi sur la juridiction administrative, loi du 31 juillet 1978 tendant à accélérer les procédures en matière d’asile, RDP, 1980, p. 124)
b/ jurisprudence :
. BVerwGE 28, 305 (RDP, 1969, p. 905, chron. M. Fromont) [effet suspensif du contredit et possibilité d’introduire un recours en carence] ;
. OVG Lüneburg, 26 août 1970 (RDP, 1972, p. 154, chron. M. Fromont) [recevabilité de l’action tendant à l’obtention d’une prestation] ;
. OVG Lüneburg, 23 oct. 1969 et 24 avr. 1970 (RDP, 1972, p. 157, chron. M. Fromont) [Recevabilité des recours contre les plans d’urbanisme] ;
. BVerwG, 16 avril 1971 (RDP, 1972, p. 1472, chron. M. Fromont) [recevabilité d’une action tendant à empêcher l’administration de prendre une décision] ;
. BVerwG 25 août 1971, (RDP, 1972, p.1474, chron. M. Fromont) [action visant à supprimer les conséquences d’un agissement de pur fait] ;
. BVerfGE 35, 382 (RDP, 1975, p. 148, chron. M. Fromont) [expulsion d’étrangers, effet suspensif des recours] ;
. BVerwGE 44, 294 (RDP, 1976, p. 212, chron. M. Fromont) [délai de recours pour les tiers non-destinataires d’un acte administratif] ;
. BVerwGE 45, 207 (RDP, 1976, p. 213, chron. M. Fromont) [irrecevabilité du recours d’une commune dirigé contre la décision d’une autorité communale indépendante] ;
. OVG Lüneburg, 9 févr. 1977 (RJE, 1978, p. 295, M. Bourghart) [rétablissement de l’effet suspensif] ;
. BVerwG 24 avril 1978 (RDP, 1980, chron. M. Fromont, p. 135) [décision de fermeture d’une école] ; . BVerwG 14 juillet 1978 (RDP, 1980, p. 136, chron. M. Fromont) [rétablissement de l’effet suspensif d’une action en annulation] ;
. BVerwGE 59, 87 (RDP, 1981, p. 982, chron. M. Fromont) [intérêt à demander l’annulation d’un règlement].
Table des matières