1. Par une décision de sous-sections réunies du 27 juillet 2015, le Conseil d’Etat établit que le maire, bien qu’il dispose depuis 2006 de pouvoirs de police spéciale en matière de contrôle des installations d’assainissement non collectif, conserve dans les mêmes matières ses pouvoirs de police administrative générale.
Monsieur B…A., agriculteur, recherchait la responsabilité de la commune d’Hébuterne (Pas-de-Calais) en raison d’inondations répétées de parcelles où paissait son troupeau d’ovins, inondations causées par le débordement de fossés recueillant les eaux usées de plusieurs habitations de la commune.
Son action visait à engager la responsabilité de la commune en raison de l’abstention fautive du maire à exercer ses pouvoirs de police (Conseil d’Etat, SSR., 23 octobre 1959, Sieur Doublet, requête numéro 40922, publié au recueil).
La Cour administrative d’appel de Douai confirmait dans son principe le jugement du Tribunal administratif de Lille et condamnait la commune à verser une indemnité pour la remise en ordre du pâturage, mais excluait des faits générateurs la période allant de 1997 à 2007.
En effet aux termes du III de l’article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales, issu de l’article 54 de la Loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques :
III.-Pour les immeubles non raccordés au réseau public de collecte, les communes assurent le contrôle des installations d’assainissement non collectif. Cette mission de contrôle est effectuée soit par une vérification de la conception et de l’exécution des installations réalisées ou réhabilitées depuis moins de huit ans, soit par un diagnostic de bon fonctionnement et d’entretien pour les autres installations, établissant, si nécessaire, une liste des travaux à effectuer.
Les communes déterminent la date à laquelle elles procèdent au contrôle des installations d’assainissement non collectif ; elles effectuent ce contrôle au plus tard le 31 décembre 2012, puis selon une périodicité qui ne peut pas excéder huit ans.
[…]
A partir de l’entrée en vigueur de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ce même article sera ainsi rédigé :
III.-Pour les immeubles non raccordés au réseau public de collecte, la commune assure le contrôle des installations d’assainissement non collectif. Cette mission consiste :
1° Dans le cas des installations neuves ou à réhabiliter, en un examen préalable de la conception joint, s’il y a lieu, à tout dépôt de demande de permis de construire ou d’aménager et en une vérification de l’exécution. A l’issue du contrôle, la commune établit un document qui évalue la conformité de l’installation au regard des prescriptions réglementaires ;
2° Dans le cas des autres installations, en une vérification du fonctionnement et de l’entretien. A l’issue du contrôle, la commune établit un document précisant les travaux à réaliser pour éliminer les dangers pour la santé des personnes et les risques avérés de pollution de l’environnement.
[…]
Par ailleurs, en application de l’article L. 1331-1-1 du code de la santé publique, créé par la loi de 2006 et modifié par la loi de 2010 :
I. – Les immeubles non raccordés au réseau public de collecte des eaux usées sont équipés d’une installation d’assainissement non collectif dont le propriétaire assure l’entretien régulier et qu’il fait périodiquement vidanger par une personne agréée par le représentant de l’Etat dans le département, afin d’en garantir le bon fonctionnement.
Cette obligation ne s’applique ni aux immeubles abandonnés, ni aux immeubles qui, en application de la réglementation, doivent être démolis ou doivent cesser d’être utilisés, ni aux immeubles qui sont raccordés à une installation d’épuration industrielle ou agricole, sous réserve d’une convention entre la commune et le propriétaire définissant les conditions, notamment financières, de raccordement de ces effluents privés.
II. – Le propriétaire fait procéder aux travaux prescrits par le document établi à l’issue du contrôle prévu au III de l’article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales, dans un délai de quatre ans suivant la notification de ce document.
Les modalités d’agrément des personnes qui réalisent les vidanges et prennent en charge le transport et l’élimination des matières extraites, les modalités d’entretien des installations d’assainissement non collectif et les modalités de l’exécution de la mission de contrôle ainsi que les critères d’évaluation des dangers pour la santé et des risques de pollution de l’environnement présentés par les installations existantes sont définies par un arrêté des ministres chargés de l’intérieur, de la santé, de l’environnement et du logement.
En tout état de cause, c’est bien une police spéciale que ces textes instituent.
Se fondant sur l’existence de cette police spéciale du maire et prenant en compte le délai de quatre ans prévu par le II de l’article L.1331-1-1 du code de la santé publique, la CAA de Douai avait considéré que le maire n’avait pas commis d’abstention fautive durant la période 2007-2010.
Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour notamment sur ce point en considérant que l’existence d’une police spéciale n’excluait pas l’exercice de la police administrative générale du maire :
4. Considérant que l’octroi au maire, à compter du 31 décembre 2006, de pouvoirs de police spéciale en matière de contrôle des installations d’assainissement non collectif n’a pas privé celui-ci des pouvoirs de police générale qu’il tient de l’article L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, notamment en vue de faire cesser les pollutions de toute nature ; que, dès lors, en se bornant à énoncer que le maire d’Hébuterne s’était trouvé, du fait des démarches mentionnées ci-dessus, temporairement libéré des obligations pesant sur lui au titre de ses pouvoirs de police spéciale en matière de contrôle des installations d’assainissement non collectif, sans rechercher si l’abstention de cette même autorité à faire usage de ses pouvoirs de police générale au titre des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales pouvait, notamment entre 2007 et 2010, être également constitutive d’une faute, la cour administrative d’appel de Douai a commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé en tant qu’il fixe la période de responsabilité de la commune ;
2. Cette décision vient prendre place dans la longue série des décisions concernant le concours des polices générale et spéciale.
Comme on le sait, l’existence d’une police spéciale n’exclut pas nécessairement l’exercice des pouvoirs de police générale du maire. Il semble se dessiner une distinction entre les polices spéciales exercées par d’autres autorités que le maire et les polices spéciales exercées par le maire.
Pour les premières, la plupart du temps, l’existence d’une police spéciale sur un objet exclut l’exercice des pouvoirs de police générale sur le même objet (v. par exemple en matière de cultures OGM Philippe Cossalter, ‘ Pouvoirs de police du maire et cultures OGM, Conseil d’Etat, 24 septembre 2012, Commune de Valence, requête numéro 342990 ‘ : Revue générale du droit on line, 2012, numéro 3298 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=3298); l’existence du pouvoir de police spéciale confié au ministre chargé de l’aviation civile en matière de circulation aérienne exclut la possibilité pour le maire d’user des pouvoirs de police administrative générale pour réglementer les évolutions des aéronefs d’écoles de pilotage au-dessus du territoire de sa commune : CE, 10 avril 2002, Ministre de l’Equipement et des Transports, requête numéro 238212, rec. p. 123; la police spéciale des installations classées exclut l’exercice de la police générale du maire sauf cas de péril imminent : Conseil d’Etat, SSR., 29 septembre 2003, Houillères du bassin de Lorraine, requête numéro 218217, publié aux tables; la police spéciale des communications électroniques exercée par l’Etat exclut que le maire puisse exercer ses pouvoirs de police générale pour réglementer l’installation d’antennes de téléphonie mobile : Conseil d’Etat, Assemblée, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, requête numéro 326492, publié au recueil).
Pour les secondes, le maire cumule les pouvoirs de police spéciale et générale, comme en matière d’immeubles menaçant ruine bien qu’en cette matière l’articulation entre les différentes prérogatives de l’autorité administrative soit (Philippe Cossalter, ‘ Démolition d’immeubles menaçant ruine et pouvoirs de police du maire, Note flash sous Conseil d’Etat, SSR., 6 novembre 2013, Commune de Cayenne, requête numéro 349245, publié au recueil ‘ : Revue générale du droit on line, 2013, numéro 12419 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=12419).
Si le cumul de pouvoirs de police générale et spéciale laisse au maire le choix du régime juridique utilisé (Conseil d’Etat, SSR., 2 juillet 1997, Bricq, requête numéro 161369, publié au recueil), cela constitue une contrainte supplémentaire car le cumul des pouvoirs de police augmente les risques de carence fautive comme l’illustre la décision rapportée.