Section II
Le pouvoir financier (Die Finanzgewalt)
§ 32. La contrainte en matière de finance
(300) Nous entendons par contrainte de finance l’atteinte apportée d’autorité à la liberté et à la propriété des sujets pour réaliser un état conforme aux intérêts de la fortune publique.
Cette contrainte se développe ici sous deux formes différentes, selon la direction spéciale qui lui est donnée.
Elle peut être dirigée en vue d’obtenir du sujet que personnellement il fasse, ne fasse pas, souffre, qu’il ait une conduite conforme aux intérêts des finances de l’Etat. De cette manière, elle ressemble à la contrainte de police, dont elle emprunte en partie les formes. L’expression police de finance s’applique spécialement à cette partie de la contrainte de finance.
Elle peut aussi être dirigée en vue de la réalisation d’un paiement en argent dû à l’Etat. Elle aura alors pour modèle l’exécution forcée de la procédure civile pour une dette pécuniaire. Nous appelons cela le recouvrement par contrainte administrative.
I. — La contrainte de finance en vue d’obtenir une certaine conduite extérieure est, en comparaison de son correspondant dans le droit de police, d’une importance relativement trop restreinte. C’est que, comme l’ordre et la peine en matière de finance auxquels elle s’attache ordinairement, elle ne sert qu’à donner une aide accessoire à ce qui est ici la chose principale : la conservation et l’augmentation (301) de la fortune publique. On peut s’en passer, quand ces intérêts peuvent se réaliser directement, ce qui se fait au moyen du recouvrement par contrainte administrative.
Nous distinguons, comme dans la police, l’exécution par contrainte d’ordre de finance et la contrainte directe.
1) L’exécution par contrainte suppose un ordre individuel qui doit être exécuté. Des trois moyens d’exécution de la police (Comp. § 23 ci-dessus), l’exécution par substitution et l’usage de la force, dans leur mesure naturelle, c’est-à-dire en tant que ces moyens sont propres à opérer l’exécution forcée, s’attachent à tout ordre, par conséquent aussi à l’ordre de finance (Comp. § 23, II, no 1). La peine coercitive, au contraire, a toujours besoin d’un fondement légal (Comp § 23, I, no I). Il est vrai que les lois donnent, en partie, des autorisations générales pour menacer et prononcer des peines coercitives à propos de tous les ordres émanant des autorités (Comp. 23 note 7 ci-dessus). Cependant ces autorisations, quelque générales qu’elles puissent être, ne s’attachent pas aux ordres de finance. Elles sont toujours données aux seules autorités de police, autorités de l’administration intérieure, autorités de l’administration générale du pays, qui, de leur côté, n’ont aucune part à l’administration financière ; celle-ci a une organisation particulière. Pour les autorités financières, au contraire, des autorisations générales de cette espèce n’existent pas. Il ne pourra donc s’agir ici que des prescriptions législatives spéciales qui admettent, pour certaines espèces d’ordres de finance, l’application de peines coercitives comme moyen de contrainte1.
(302) Or, des ordres de finance susceptibles d’être exécutés, — par suite, des ordres individuels —, ne se trouvent que dans des rapports de sujétion particulière. Et là l’autorité a déjà assez de moyens à sa disposition pour pouvoir se passer d’une exécution par contrainte.
Ces rapports de sujétion particulière dépendent généralement de certaines facilités accordées aux débiteurs de l’impôt. Il dépend de la libre appréciation de l’autorité de retirer ces facilités comme de les accorder. L’inobservation des ordres qu’elle donne peut donc, à tout moment, lui servir de prétexte et cela implique assez de contrainte2.
Il en est autrement quand le pouvoir de surveillance est non pas la suite d’une faveur accordée, mais une charge imposée par la loi, charge dont le débiteur ne saurait être libéré.
Quand des ordres individuels deviennent nécessaires, il faut qu’ils soient munis de moyens d’exécution par contrainte. Ce sont les seuls cas pour lesquels la (303) loi prévoit ces moyens et permet aussi les peines coercitives3.
2) La contrainte directe, qui ne sert pas à la réalisation d’un ordre, trouve ici aussi son seul moyen de contrainte dans l’usage de la force contre la personne et les choses.
Mais ces cas remarquables où, dans la sphère de la police, la contrainte directe peut avoir lieu en vertu de principes généraux préexistants, n’ont pas de correspondant dans la contrainte financière. La défense propre de l’administration a toujours la nature de la police (Comp. § 24, I, no 1 ci-dessus) ; une contrainte pour haute nécessité n’existe pas ici (Comp. § 24, III, ci-dessus).
C’est seulement à l’encontre de faits punissables que l’usage de la force est admis d’une manière générale ; mais c’est essentiellement autre chose que ce que la contrainte de police nous offrait à cet égard (Comp. § 24, II, ci-dessus). Le pouvoir financier, il est vrai, fait la guerre au délit de finance, guerre qui comporte aussi l’usage de la force. Pour certaines espèces d’impôt, il s’est créé un personnel spécial d’auxiliaires, des agents douaniers, surveillants d’impôts, etc. L’usage de la force, auquel ils pourront être appelés, est en partie soumis aux règles que nous avons développées au § 25, I, ci-dessus pour les officiers d’exécution de la police. Il leur est spécialement accordé le droit de se servir d’armes (Comp. 21, II, no 3 ci-dessus). Mais ce qu’il faut bien remarquer, c’est que toutes ces forces ne sont pas employées pour empêcher de commettre le délit de (304) finance. Cela répondrait à la mission que la contrainte directe remplit, dans la sphère de la police, à l’encontre des délits de droit commun et des délits de police. L’usage de la force à l’encontre du délit de finance a exclusivement pour objet d’assurer la punition et les condamnations accessoires, ce qui profite par là-même au recouvrement de l’impôt qui pourra être dû.
Il est facile de s’en convaincre.
La fraude du droit de timbre sur les effets de commerce, par exemple, s’effectue par la remise et l’acceptation du papier non timbré. Cela peut se passer devant les yeux de l’autorité surveillant l’impôt, de l’officier d’exécution, de tout représentant de la puissance publique, même après un premier avertissement : la moindre contravention de police dans un cas pareil serait empêchée par la force, c’est là un devoir ; le délit de finance, entraînant peut-être une peine beaucoup plus importante, on le laissera se consommer sans faire de difficultés. Le fonctionnaire n’a pas même le droit de procéder contre la consommation. Ce n’est que lorsque le délit est achevé et pleinement achevé que commence la constatation des noms, la saisie, la perquisition, la visite domiciliaire, etc.
Cela se présente encore plus clairement dans la fraude des droits de douane. Les agents sont postés à la frontière avec leurs armes. Il suffirait qu’ils apparaissent pour qu’on renonce à tout projet de contrebande. C’est ainsi que la police procéderait. Les agents de finance, au contraire, laisseront le délit se développer et se consommer ; ils se cachent même pour lui laisser la place libre, et n’ont qu’une préoccupation, celle d’arriver à temps pour porter le délit, constaté et bien établi, devant la justice.
Donc, même dans le procédé suivi contre les délits, (305) la particularité susmentionnée du pouvoir financier peut s’analyser ainsi : l’obligation pour les sujets, dans la conduite personnelle qui leur est imposée, n’est pas telle qu’elle doive être réalisée nécessairement ; le but est différent et plus important, et le châtiment infligé à raison du devoir violé sert encore mieux à atteindre ce but.
Pour le système de la contrainte de finance, cela veut dire que nous n’avons pas non plus ici de correspondant au droit général du pouvoir de police de procéder par contrainte directe pour empêcher des faits punissables. En effet, ce qui se fait ici n’est autre chose par sa nature que de la police judiciaire, dans le sens que nous avons fixé au § 18, III, no 1 ci-dessus ; la doctrine du droit administratif n’a plus rien à y voir.
Il y a, en outre, dans la sphère de la police, la contrainte directe en dehors de ces grandes compétences préexistantes et en vertu d’autorisations spéciales que la loi accorde dans ce cas (Comp. 24 ci-dessus). Nous rencontrons des règles analogues dans la contrainte de finance. Pour garantir les intérêts financiers, différents pouvoirs sont donnés afin d’agir sur les personnes et sur les choses des sujets, ce qui, au cas de résistance, se réalisera par la force. Le titre spécial repose dans la loi ou dans les prescriptions des régulatifs.
Les mesures de force de cette espèce pourront servir à révéler en même temps la dette d’impôt née et le délit de finance commis ; elles pourront donc être communes avec la police judiciaire qui s’y rattache : par exemple, la perquisition pour rechercher des marchandises importées en fraude des droits, la visite (306) domiciliaire faite dans le même but4.
Même sans qu’il y ait soupçon de délit, des marchandises et voitures pourront être arrêtées jusqu’à ce que la dette d’impôt soit réglée ou que les explications soient données. On met des plombs officiels aux véhicules et aux magasins, des appareils de contrôle aux vases par lesquels le produit imposé doit passer. On pénètre dans les ateliers, on prend connaissance des registres de contrôle qui doivent être tenus, tout cela de force, s’il en est besoin.
II. — Le recouvrement par contrainte administrative est une atteinte portée d’autorité à la liberté et à la propriété du sujet, dans le but d’obtenir le paiement effectif d’une dette pécuniaire5.
(307) De l’exécution de la procédure civile pour des créances pécuniaires, dont elle emprunte souvent les formes, elle diffère par sa nature de manifestation du pouvoir financier. L’Etat contraint au paiement non pas pour maintenir l’ordre juridique, mais « pour réaliser ses buts dans l’ordre juridique » ; il administre en contraignant (Comp. t. I, § 1, II, no 3 ci-dessus).
C’est considérer le recouvrement par contrainte administrative d’une manière tout extérieure et insuffisante, que de se la représenter tout simplement comme une exécution forcée, telle que l’exécution de la procédure civile, avec cette seule particularité qu’elle appartient à d’autres compétences, qu’elle est transférée dans la voie administrative. C’est une institution du droit administratif, établie sur des fondements qui lui sont propres.
1) Le recouvrement par contrainte administrative a lieu de plein droit toutes les fois que le pouvoir financier se trouve créancier d’une somme d’argent vis-à-vis du sujet.
On suppose donc qu’une obligation du sujet de payer à l’Etat a été créée d’une manière telle que l’on n’est pas sur le terrain du droit civil. Il faut qu’il s’agisse de créances pécuniaires de droit public.
La règle de droit public ou l’acte administratif, ayant déterminé le rapport juridique entre l’Etat et le sujet, lie le pouvoir exécutif en vue de procéder à l’exécution ; et l’exécution, c’est le recouvrement par contrainte administrative. Le pouvoir exécutif, l’Etat, est lui-même le créancier ; mais à ce créancier, sa créance même est un titre exécutoire suffisant. Il en est ici comme pour l’ordre de police, qui porte également en (308) lui l’exécution par la contrainte correspondante ; quant à savoir ce qui devra être considéré comme moyen de contrainte correspondant, ce sera la seconde question à résoudre ici, comme pour la police (Comp. no 3 ci-dessous). Donc si des lois spéciales ont été émises pour cette procédure, ce n’est pas afin de la rendre possible, mais pour lui donner des règles constantes, peut-être aussi pour la pourvoir de moyens de contrainte qui ne s’entendraient pas d’eux-mêmes6.
Ce qui est vrai de l’Etat s’applique également aux autres personnes morales du droit public, à l’administration elle-même, qui, vis-à-vis des sujets, sont mis à la place de l’Etat. En fait, il ne sera pas échafaudé pour ces personnes un appareil particulier de contrainte ; elles doivent se servir des moyens que l’Etat s’est préparés, pour recouvrer aussi leurs créances pécuniaires de droit public ; les lois règlent la chose en ce sens, le plus souvent d’une manière expresse.
Faire valoir et recouvrer par la contrainte des créances pécuniaires de droit civil, (309) même de l’Etat et des corps d’administration propre, cela ressortit à la voie ordinaire de la procédure civile et de l’exécution forcée. En vertu de prescriptions expresses de la loi, le recouvrement par contrainte administrative est étendu aussi à des matières analogues : des créances civiles de l’Etat, des corps d’administration propre, peut-être même des sujets entre eux, peuvent être poursuivies dans ces formes. Cela repose toujours sur l’idée qu’il y a un intérêt public à recouvrer ces créances d’une manière rapide et décisive ; on laisse alors la puissance publique s’en charger directement.
Ces extensions doivent être considérées comme des mesures extraordinaires, et interprétées dans un sens restrictif7.
2) Pour qu’il y ait recouvrement par contrainte administrative, il faut que la créance à recouvrer soit déterminée juridiquement d’une manière complète : la personne du débiteur comme celle du créancier et le montant de la somme à réclamer doivent être connus. Cela peut résulter d’un jugement ou acte administratif imposant ce paiement pour le cas individuel : condamnation à des amendes, fixation des frais d’une exécution par substitution. Mais la créance déterminée peut aussi résulter de la simple application d’une règle de droit au cas individuel : telles sont la dette d’impôt, la dette de rétribution. Il est conforme aux principes de l’Etat régi par le droit, que la dette soit, si possible, constatée spécialement pour le cas individuel et déterminée d’une manière obligatoire par jugement ou par acte administratif. Mais il n’y a pas là une condition indispensable pour que le recouvrement par contrainte administrative soit admissible. Il se fait aussi pour des créances de droit public, immédiatement en vertu de la loi.
(310) La règle de procédure civile exigeant un titre exécutoire « par lequel » l’exécution a lieu, ne trouve pas son application ici. Le titre exécutoire, dans la procédure civile, ne signifie autre chose que la puissance publique mise à la disposition du sujet, et par laquelle celui-ci pourra mettre en mouvement la procédure d’exécution. Dans le recouvrement par contrainte administrative, la puissance publique, en vertu de sa créance née par l’effet de la loi ou par acte administratif spécial, se met en mouvement elle-même pour procéder à la contrainte. Cela se présente sous la forme d’une commission de l’autorité dirigeante adressée à l’officier d’exécution dont l’activité dépend juridiquement de cette commission. Il sera convenable de marquer également ici la transition dans l’exécution par des signes extérieurs. On établira un état en due forme de la créance à exiger ; on prendra note dans les actes que l’exécution doit commencer ; peut-être la commission d’exécution a-t-elle encore besoin de l’approbation d’une autorité supérieure ou de contrôle ; le fonctionnaire commis sera muni d’une sorte de légitimation. L’essentiel sera toujours dans cette commission ; donc si nous voulons faire une comparaison, nous pouvons parler du mandat donné en procédure civile par le client à l’huissier8.
(311) 3) Comme moyens de contrainte naturels nous avons constaté, pour l’ordre, l’exécution par substitution et le simple usage de la force (Comp. § 23 ci-dessus). A cela correspond, pour le recouvrement d’un paiement d’argent, l’enlèvement d’autorité d’une valeur équivalente des biens du débiteur, en argent ou valeur d’argent, donc la saisie sous toutes ses formes. La saisie est la simple réalisation de la créance ; elle n’y ajoute rien ; elle ne fait qu’exécuter. Donc, dès qu’il s’agit de faire valoir une créance de droit public, la saisie du débiteur appartient d’elle-même à l’administration ; il n’est pas besoin d’un fondement légal particulier. Ne s’entendent pas d’eux-mêmes les moyens de contrainte qui n’arrivent au but que par des détours, en frappant le débiteur d’une autre façon, pour exercer une pression. Ainsi la peine coercitive n’est admise comme moyen de contrainte qu’autant qu’il y a un fondement légal. Une contrainte indirecte semblable était surtout employée dans le droit ancien pour le recouvrement administratif. Le militaire prêtait son concours pour le recouvrement des impôts. Différentes autres formes de la « garnison » se sont encore conservées plus longtemps, comme l’institution des « Presser » du droit du Württemberg, des garnisaires du droit français. Pour cela, il y aurait toujours besoin aujourd’hui d’un fondement légal particulier.
La législation moderne a réglé partout expressément la nature et la forme des moyens de contrainte (312) à employer, en suivant le modèle du code de procédure civile. Il ne faut cependant pas oublier que le fondement juridique réside dans le droit naturel et est capable de combler au besoin des lacunes.
4) La procédure du recouvrement par contrainte administrative, tout en étant organisée sur le modèle de celle de la procédure civile, a un caractère spécial à raison de la position particulière des intéressés.
La procédure civile met à la disposition de la partie poursuivante l’huissier et le tribunal d’exécution ; la partie pourra alors vider devant ce tribunal les différends qui pourront se produire avec la partie poursuivie.
Le recouvrement administratif met à la place de l’huissier des auxiliaires subalternes des autorités administratives ; ces fonctionnaires ne sont peut-être employés à ce but qu’à l’occasion et accessoirement ; mais il s’est formé aussi pour les branches plus importantes des finances un personnel spécial d’officiers d’exécution de finance. Dans tous les cas, ces fonctionnaires ne reçoivent pas leur mandat comme l’huissier par une réquisition de la partie, réquisition à laquelle ils seraient obligés de donner suite selon le devoir qui incombe à leur fonction et après un examen de la légalité de l’acte fonctionnel requis. Leur mandat est toujours pour eux un ordre du supérieur dont l’examen ne leur est permis que dans la mesure restreinte que le droit des fonctionnaires accorde en pareil cas9.
(313) A la place du tribunal d’exécution apparaît l’autorité administrative qui dirige la contrainte. Etant le commettant de l’officier d’exécution et partie poursuivante, elle édicte en même temps les dispositions appartenant dans la procédure civile au tribunal d’exécution pour ordonner certaines mesures d’exécution et pour décider sur les oppositions de la partie poursuivie. Celui contre lequel la contrainte est dirigée se trouve ici constamment vis-à-vis de la puissance publique seule apparaissant dans des compétences diverses10.
Pour donner plus de garantie, on prescrira, pour des incidents pareils, la forme de la justice administrative et la voie devant les tribunaux administratifs indépendants. La nature du rapport n’en sera pas changée.
5) Au lieu de ces traits caractéristiques de la procédure, des institutions divergentes peuvent être créées pour rapprocher la position de l’autorité administrative dirigeante de celle d’une partie privée pour suivante, d’après le modèle de la procédure civile ; cet effet s’attache de lui-même à la délégation de certaines portions du recouvrement par contrainte administrative aux autorités et fonctionnaires de l’exécution forcée de la procédure civile.
La loi peut réserver aussi, pour le recouvrement administratif, certaines mesures d’exécution au tribunal d’exécution compétent d’après le code de procédure civile. Cela a été plusieurs fois prescrit pour ordonner la saisie et l’adjudication de créances ; notamment aussi pour la saisie immobilière11. Le tribunal (314) décide alors dans les formes et avec les effets déterminés par le code de procédure civile ; l’autorité administrative se présente devant lui comme un plaignant ordinaire, quoique le côté extérieur de la correspondance entre autorités soit observé. Mais les bases de la décision sont celles du recouvrement administratif : un acte administratif à exécuter ou une obligation de droit public de payer résultant directement de la loi. Dans ce dernier cas, il suffit qu’un état de la créance ait été établi, comme le ferait l’autorité pour ses propres officiers d’exécution pour les charger de la contrainte ; cela remplace le titre exécutoire. Par sa requête, elle certifie en même temps l’existence des conditions matérielles de l’exécution ; et cela étant fait dans sa compétence générale, le tribunal n’aura pas à en examiner les fondements.
D’un autre côté, des actes d’exécution pourront être effectués par le personnel d’exécution de la procédure civile, par les huissiers. Il ne va pas de soi (315) que les huissiers puissent être employés au recouvrement administratif ; car ces fonctionnaires ont leur sphère d’action délimitée par la loi, qui originairement ne concerne pas ces matières ; il faut donc qu’une loi les mette à la disposition de l’autorité administrative pour cette besogne. La loi permet à l’autorité administrative de se servir d’un huissier ou bien lui laisse le choix de faire procéder à l’exécution par ses propres agents ou par un huissier12. En l’absence d’une autorisation pareille, l’huissier serait incompétent pour procéder au recouvrement administratif et son acte serait nul.
La réquisition de l’huissier, autorisée par la loi, amène encore l’autorité administrative dans la position d’une partie ordinaire. Les conditions matérielles de l’exécution forcée seront données à l’huissier de la même manière obligatoire qu’au tribunal d’exécution dans le cas que nous venons de mentionner. Mais pour tout ce qui concerne l’exécution de son mandat, l’huissier reste sous l’autorité exclusive de la justice ordinaire. Le mandat de l’autorité administrative n’est pas un ordre du supérieur ; il y ressemble aussi peu que la requête adressée au tribunal d’exécution ressemble à une commission rogatoire. C’est un simple mandat de partie qu’il aura à examiner et à exécuter selon son devoir13.
Le tout reste, quand même, un recouvrement administratif (316) ; mais l’acte spécial qui exige le concours du tribunal civil ou de l’huissier est fondé sur le pouvoir financier qui procède par contrainte ; c’est seulement au point de vue de la forme qu’il est placé dans la sphère de la justice indépendante.
La différence entre cette hypothèse et le cas où le fisc veut faire exécuter un jugement obtenu dans une affaire contentieuse de droit civil se fait sentir encore assez distinctement.
- Même quand un rapport de sujétion particulière existe, il en résulte seulement le droit d’ordonner et d’exécuter cet ordre par les moyens qui s’entendent d’eux-mêmes, mais non le droit de prononcer la peine coercitive qui implique quelque chose d’extraordinaire. C’est ainsi que s’explique la peine conventionnelle dans le cas d’admission temporaire de fers bruts (Comp. § 31, note 4 ci-dessus). Il s’agit là d’un pouvoir de surveillance réservé et qui autorise toutes sortes d’injonctions, dispositions générales aussi bien qu’ordres individuels. Les premières ont leur sanction pénale dans la loi sur les douanes, § 152 ; les dernières n’y participent pas et ne peuvent pas être pourvues d’une pareille sanction en vertu du rapport de sujétion particulière ; il faut donc une soumission spéciale. Loebe, Zollstrafrecht, p. 136. [↩]
- L’exécution par substitution, n’ayant pas besoin d’un fondement légal particulier, resterait possible d’elle-même. Mais les autorités sont censées ne pas être appelées à s’en servir pour ramener à l’ordre l’individu récalcitrant qui est en faute, au lieu d’en finir purement et simplement. — Il n’y a pas d’exception dans le § 16 du régulatif des entrepôts (Centr. Bl. 1888, p. 554) qui dit : « Les déposants sont tenus de suivre les instructions qui leur seront données par le directeur de l’entrepôt pour éviter ou réparer les dommages causés aux marchandises déposées ». Après une sommation restée sans effet, « le nécessaire pourra être effectué d’office à leurs frais ». Il y a là ordre individuel et exécution par substitution. Mais ce n’est pas le pouvoir de finance qui se manifeste ici : il ne s’agit pas de protéger et de garantir les revenus de l’Etat. C’est le pouvoir propre à la direction d’un établissement public ; nous en traiterons au § 52 ci-dessous. [↩]
- Comp. § 30, note 2 ci-dessus. Des exemples dans la loi d’imp. sur l’alcool de 1887, § 21, loi d’imp. sur le sucre de 1887, § 55. La loi d’imp. sur le sel de 1867, § 7, al. 2. permet même, dans le cas de désobéissance, de fermer l’établissement, — le moyen d’exécution propre aux rapports volontaires de sujétion particulière est ainsi rendu applicable ici. [↩]
- Le point de départ est encore dans les prescriptions de la loi sur les douanes §§ 126 et 127. L’autorisation de ces mesures de force peut aussi être donnée par des prescriptions administratives ; le régulatif des entrepôts § 1, al. 2 (Centr. Bl. 1888, p. 155) en fournit un exemple : « Quiconque veut entrer dans l’entrepôt ou en sortir doit se présenter au fonctionnaire de la douane surveillant. Les personnes qui sortent de l’entrepôt pourront aussi, conformément aux prescriptions du § 127 de la loi de l’union douanière, être soumises à une perquisition corporelle ». Le § 127 ne s’applique pas directement, il n’est rendu applicable que par le régulatif. C’est donc le régulatif qui autorise la mesure de force, sans fondement légal, de sa propre vertu, en se basant sur le rapport de sujétion particulière qui comprend toute personne se trouvant dans les locaux réservés. Comp. § 30, note 13 ci-dessus. [↩]
- Le caractère juridique du recouvrement administratif s’efface, quand on le fait rentrer dans la notion générale de « l’exécution administrative ». Ce sont alors les idées de l’exécution de police qui dominent. Ainsi Gneist dans Holtzendorf Rechtslexicon, III, 2 p. 1106 ss. Cette dépendance est encore plus éclatante chez Bornhak, Preuss. St. R , III, p. 519. Il dit : « Le recouvrement des impôts par contrainte s’effectue sur l’ordre de l’autorité compétente dans la procédure de la contrainte administrative. Comp. là-dessus le § 167 ». Mais ce § 167 est intitulé : « Les formes d’administration de la police » et nous y trouvons p. 140 un résumé assez complet des moyens de la contrainte de police que nous connaissons. De recouvrement d’argent il n’en est question qu’incidemment dans le traité de la justice administrative (II, p. 453). Seydel, Bayr. St. R., III, distingue (p. 613 ss.) « le droit de contrainte de l’Etat dirigé contre la personne » et (p. 617 ss.) « le droit de contrainte de l’Etat dirigé contre la fortune ». Le dernier est représenté par l’expropriation pour cause d’utilité publique, qu’il ne savait placer autrement (Comp. t. I, § 2, note 8 ci-dessus). Le premier doit comprendre aussi le recouvrement par contrainte : « La contrainte est dirigée contre la personne ou contre la fortune. Cependant dans ce dernier cas aussi la personne est l’objet de l’attaque. Le but de la contrainte n’est pas de maîtriser la chose, mais la personne ». Mais dans le recouvrement d’une somme d’argent, cela ne sera guère l’opinion du créancier. On ne trouve la véritable distinction qu’en considérant le résultat vers lequel tend la contrainte : conduite personnelle ou prestation d’argent. Dans ce sens, G. Meyer, V. R., I, p. 66 ; Lœning, V. R. p. 249 ss. [↩]
- Donc même dans l’état constitutionnel, déjà avant la nouvelle organisation qui se faisait partout en 1879, les autorités financières exerçaient, sans fondement légal et sans contestation, un droit d’exécution étendu. L’article publié dans Bl. f adm., Pr. XXVIII, p. 253 ss. en fait la preuve par une série d’exemples. — On arrive donc à reconnaitre le recouvrement par contrainte administrative comme une portion d’un droit d’exécution naturel qui appartiendrait aux autorités administratives d’une manière générale. Oppenhoff, Ressortverhältnisse, p. 130, note 353 ; Gneist dans Holtzendorff Rechtslexicon, III, 2, p. 1006 ss. ; G. Meyer, V. R. I, p. 66 : « l’exécution administrative a été réglée par des lois spéciales. Mais les pouvoirs d’exécution des autorités administratives ne doivent pas à ces lois leur origine ; ils n’ont reçu par elles qu’une détermination et une délimitation plus précise ». — Qu’il ne s’agisse ici que de créances de droit public, cela a été déclaré dans un certain nombre de lois d’une manière expresse : Württemb. loi sur l’exécution forcée de créances de droit public, 18 août 1879 ; Bade, loi sur l’exécution forcée des créances d’acquit dépendant du droit public, 20 février 1879 ; Saxe, loi sur l’exécution forcée pour prestation en argent en matière administrative, 7 mars 1879. — Pruss. ordonnance du 7 sept. 1879 et Bay. Ausf. G. zu C. Pr. O., art. 4 ss. supposent l’étendue dans laquelle cette procédure de recouvrement est possible comme constante. [↩]
- Des exemples dans l’ordonnance pruss. 26 déc. 1808 § 42 ; Oppenhoff, Ressortverhältnisse, p. 130 ss. [↩]
- La commission atteste alors également l’existence de l’acte administratif qui pourra être exigé, de sorte qu’en définitive toute la procédure du recouvrement administratif repose sur cette commission. Ainsi d’après la loi bad. du 3 nov. 1879, § 1, il suffit de la « déclaration » de la part des caisses d’impôt de district, caisse douanière de district et caisses de bailliage, « que pour un certain montant de créance contre une personne déterminée l’exécution forcée devra avoir lieu ». Bav. Ausf. Ges. Z. C. Pr. O., 25 février 1879, art. 6, exige partout la clause formelle d’exécution que l’autorité ajoutera à l’état de la créance à poursuivre. Saxe, loi du 7 mars 1879, §§ 2 et 3. n’exige qu’une « commission à donner à l’huissier » et l’exécution forcée a lieu en vertu d’une expédition officielle de cette disposition. La loi postale du 24 oct. 1871, § 25 dit : « Les établissements postaux sont autorisés à faire exiger exécutoirement d’après les prescriptions existantes pour le recouvrement de droits publics les sommes restées impayées en prix de voyage, ports et rétributions ». Damboch, Ges. über das Postwesen, p. 126, observe ici : « le § 25 apporte une exception à la règle de droit générale, que des créances ne peuvent être exigées par la voie d’exécution forcée que lorsqu’elles ont été fixées par un arrêt du juge ou par un autre titre exécutoire ». Mais cela n’est une exception que dans le cas où l’on se place ici avec Damboch, au point de vue des règles de l’exécution de la procédure civile, qui, il est vrai, exige un titre exécutoire. Nous n’admettons pas ce point de départ. [↩]
- Circulaire du ministre des fin. pruss. 28 mai 1880 sur l’organisation de l’exécution forcée ; Bay. Ausf. Ges. Z. C. Pr. O. 23 février 1879, art. 7 ; Württemb., loi du 16 août 1879 art. 12 ; Saxe, loi du 7 mars 1879 § 1 ; Bade, ord. 3 nov. 1879, § 7. — Oppenhoff, Ressortverhältnisse, p, 268, note 229, formule l’opposition comme suit : « Tandis que, d’après les principes du droit prussien, le pouvoir d’exécuter de force est considéré comme conséquence naturelle, et même comme partie intégrante du droit de décider et de disposer qui appartient à l’autorité, tandis que l’autorité elle-même comme partie exécutante, les fonctionnaires subalternes qui y concourent agissent sans aucune initiative propre, étant pour ainsi dire de simples instruments dont l’activité s’identifie avec celle de l’autorité ordonnante ; le droit français au contraire exige toujours un titre exécutoire qui se fait connaître comme tel déjà par sa forme et met l’exécution entre les mains de fonctionnaires spéciaux indépendants jusqu’à un certain point et agissant sous leur propre responsabilité, les huissiers ». Cette dernière organisation est maintenant aussi la forme de l’exécution forcée de la procédure civile d’après le droit allemand. La première fut la forme du recouvrement par contrainte administrative du droit français, au moins en tant que des officiers d’exécution spéciaux, porteurs de contrainte, trouvaient leur emploi. Le contraste, qu’Oppenhoff dessine si bien, est aujourd’hui, à vrai dire, non pas celui du droit prussien et français, mais celui du droit administratif et du droit civil. — Sur l’opposition des principes de l’exécution forcée comp. les motifs de la loi württemb. du 18 août 1879 dans Schmidlin, Justizgesetze des deutschen Reiches, II, p. 354. [↩]
- Saxe, loi du 7 mars 1879, § 6 : « Les résolutions réservées au tribunal d’exécution dans le § 676, al. 3, 681, 698,723, 724, 726 de la C. Pr. O. s’appliquent à cette dernière, quand l’exécution forcée a lieu par l’officier d’exécution d’une autorité administrative ». Württemb., loi du 18 août 1879 art. 6, art. 13 ; Pruss. ord. 7 sept. 1879, §§ 3, 4, 7, 38 ss. ; Bade, ord. 3 nov. 1879, § 2. [↩]
- Saxe, loi du 7 mars 1879, § 9 ; Bade, ord. 3 nov. 1879 §§ 31, 33. Pruss. l’ord. 7 sept. 1879 donne au tribunal civil la saisie des créances de l’autorité administrative qui fait exécuter (§ 42), la saisie immobilière (§ 5). De même Württemb., loi du 18 août 1879, art. 3 et 10. Bav. Ausf. Ges., 23 février 1879, art. 7, renvoie au tribunal civil pour toutes les décisions concernant l’exécution. [↩]
- Bay. Ausf. Ges., 23 février 1879, art. 7 : « Tant par les organes exécutifs qui sont à sa disposition que par huissiers ». De même Saxe, loi du 7 mars 1879, § 1. Bade, ord. 3 nov. 1879, §7 : régulièrement des surveillants de l’impôt ou des douanes, par exception des huissiers. Pruss. Ord., 7 sept. 1879, § 5, al. 4 : « La réalisation d’une exécution forcée pourra être confiée à un huissier. Ce dernier aura à procéder d’après les prescriptions existantes pour des exécutions forcées judiciaires ». [↩]
- Sur les inconvénients qui, à cause de cela, pourraient résulter de l’emploi d’huissiers pour le recouvrement par contrainte administrative, voir les très intéressants motifs de la loi württemb. du 18 août 1879 dans Schmidlin, Justizgesetze des deutschen Reiches, II, p. 354 ss. [↩]