§ 1 La notion de l’administration
[1] C’est dans l’Etat que l’étude du droit administratif trouve son objet. Mais l’Etat se présente pour l’ordre juridique sous différents points de vue. La notion de l’administration nous indique le côté par lequel l’Etat nous intéresse.
I. — L’Etat, c’est un peuple organisé pour la poursuite de ses intérêts sous une puissance souveraine. L’administration est l’activité de l’Etat pour l’accomplissement de ses buts. Ainsi comprise, elle est l’opposé de la Constitution, qui, elle, ne fait que préparer cette action : l’administration signifie la formation de la puissance souveraine par laquelle l’Etat devient capable d’agir.
Cependant, la notion de la Constitution, comme toutes les autres notions que nous rencontrons ici, a reçu, dans le cours du développement historique, une qualification positive : on ne parle aujourd’hui de Constitution que dans le cas où, dans la formation de la puissance souveraine, il en a été attribué une certaine [2] part à une représentation nationale1. Un Etat organisé d’après ces idées s’appelle un Etatconstitutionnel ; et l’ensemble des règles qui servent à former sa puissance souveraine, c’est son droit constitutionnel. Nous verrons comment, notre droit administratif tout entier dépend des distinctions dans la puissance souveraine qui en résultent.
Les pouvoirs une fois constitués, sous leur autorité, les agents et fonctionnaires de toute sorte procèdent alors à l’activité qui doit réaliser le but de l’Etat. L’administration n’est qu’une branche d’un tout qui se présente dans cette trinité bien connue : législation, justice, administration. Ce n’est que dans cet ensemble, que la notion de l’administration trouve sa détermination définitive.
On donne encore comme quatrième espèce d’activité, le gouvernement(Regierung). Mais le sens du mot gouvernement, après avoir passé par différentes phases, s’est fixé aujourd’hui d’une manière qui le fait sortir tout à fait du cercle de ces idées.
Originairement, on voulait comprendre sous ce nom, l’activité entière de l’Etat : législation, justice et administration. Dans le progrès du développement, ces branches s’en sont détachées l’une après l’autre. La justice, le domaine des tribunaux ordinaires, se sépare de la première : on commence à distinguer affaires de gouvernement et affaires de justice. Avec la formation du nouveau droit constitutionnel, la législation [3], étant subordonnée à la collaboration de la représentation nationale, commence à apparaître comme l’opposé de tout le reste de l’activité de l’Etat. Enfin, pour toute l’activité qui n’est ni justice ni législation, le mot administration s’est introduit, non pas pour remplacer celui de gouvernement, mais pour désigner une nouvelle branche d’activité qui, se détachant encore du gouvernement, est placée à côté de la justice et forme comme celle-ci son opposé2.
La vérité est qu’aujourd’hui toute l’activité immédiate de l’Etat semble être attribuée à ces trois branches spéciales. Elles n’ont laissé au gouvernement que ce qui leur est commun. On comprend aujourd’hui, par gouvernement la haute direction, l’impulsion qui part du centre pour faire marcher les affaires dans le sens d’une bonne politique et de l’intérêt général. Ressortissant au prince et à ses auxiliaires, le gouvernement influe sur toutes les branches de l’activité matérielle de l’Etat, mais il reste par lui-même d’une nature plutôt idéale. Il ne descend pas, par ses effets directs, sur le terrain du droit3.
II. — La législation, la justice et l’administration sont toutes des activités par lesquelles l’Etat veut [4] réaliser son but. Ce qui les distingue entre elles, c’est la manière différente dont elles doivent servir à cette réalisation.
Cette différence, il ne faut pas vouloir la chercher dans la simple étymologie des mots. C’est le développement historique qui a fixé leurs rôles respectifs ; nous pouvons trouver les éléments qui successivement y ont contribué4.
1) Législation, dans notre ancien droit, signifie l’établissement par le souverain de règles générales et obligatoires pour les sujets, de règles de droit5.
C’est justement en vue de cette fonction, que le droit constitutionnel moderne a formé la représentation nationale : que cette législation ne puisse pas se faire sans le concours du corps représentatif, c’est son principe fondamental. Dès lors, la notion de législation a acquis aujourd’hui un nouvel élément caractéristique. Elle continue à être l’établissement des règles de droit par la puissance souveraine ; mais cette puissance maintenant ne se manifeste que par le concours du corps représentatif. C’est par la réunion de ces deux éléments, que la législation forme la notion opposée à celle d’administration6.
[5] Nous aurons à en faire une application dans une question qui a été vivement discutée dans notre littérature. L’unité de la notion de législation n’empêche pas que le mot qui exprime son produit, la loi, serve, dans l’usage de notre langue juridique, à désigner deux choses différentes, selon qu’on met en relief exclusivement l’un ou l’autre des deux éléments qui sont dans la notion de législation. C’est la fameuse distinction de la loi dans le sens formel et dans le sens matériel. Le mot loi comprend alors chaque fois un excédent d’un côté ou de l’autre, excédent qui n’appartiendra pas à la législation, mais entrera dans la sphère de l’administration.
D’un côté, la forme constitutionnelle destinée à produire la loi-règle de droit peut servir à toute autre espèce d’actes. Ce sont surtout des actes individuels dont il s’agit ici : concession de chemins de fer, autorisation de vendre des propriétés de l’Etat, déclaration d’utilité publique en vue d’une expropriation à faire, etc. Cela s’appelle encore une « loi » à cause de la forme suivie pour émettre l’acte. Mais on y reconnait facilement les signes caractéristiques d’un acte administratif, d’un acte de gestion, enfin d’un acte par lequel la représentation nationale participe à l’administration7. La législation suppose toujours la création d’une règle de droit.
[6] D’un autre côté, le mot « loi » sert également à désigner toute sorte de règles de droit, quelle que soit leur source, même celles qui résultent d’une ordonnance, d’un statut, d’une coutume. Or, le droit coutumier ne manifeste aucune activité de l’Etat ; les ordonnances et statuts appartiennent à l’administration. Il n’y a pas ici de législation, parce que celle-ci suppose en même temps une action de la puissance souveraine8.
2) La justice(Justiz, Rechtspflege), en principe, est l’activité de l’Etat pour maintenir, par la puissance publique, l’ordre juridique. Les autorités qui en sont chargées s’appellent tribunaux. Or, à l’époque où, chez nous, la distinction entre la justice et l’administration s’est opérée, il n’y avait des tribunaux que pour le maintien du droit civil et pénal. Le mot justice en a gardé l’empreinte ; lajustice est maintenant cette activité de la puissance publique pour le maintien de l’ordre juridique qui ressortit aux tribunaux chargés de l’application du droit civil et du droit pénal.
[7] C’est par la réunion de ces deux éléments que la justice s’oppose à l’administration9.
La justice ne se restreint pas à ce qu’on appelle la juridiction (Rechtsprechung) proprement dite, c’est-à-dire à la déclaration de ce qui, d’après l’ordre juridique, doit être de droit dans le cas individuel. Elle comprend non seulement toute la direction de la procédure, mais aussi tout ce qu’on appelle la juridictiongracieuse, en tant que, par ses constatations authentiques, par ses confirmations et actes de surveillance, elle sert au maintien de l’ordre juridique. La justice n’apparait pas seulement dans les actes auxquels le juge procède en personne ; elle comprend encore tout ce qui, avec le concours du juge et sous sa direction, se fait dans ce but au nom de l’État : les actes du ministère public, les significations, saisies et autres mesures de contrainte effectuées par les agents d’exécution judiciaire10.
[8] Mais il n’y a plus justice, malgré toute apparence extérieure, aussitôt que l’un ou l’autre des deux éléments constitutifs fait défaut. Les tribunaux peuvent être chargés de toutes sortes de gestions et d’actes préparatoires nécessaires à la bonne marche de la justice, tels que conservation du matériel, nominations à des services subalternes. Par cela même que cela ne signifie pas maintenir l’ordre juridique par la puissance publique, ce n’est pas de la justice, mais de l’administration. Cela appartient à cette branche spéciale de l’administration, qui s’appelle l’administration judiciaire (Justizverwaltung).
D’un autre côté, ne rentrent pas dans la sphère de la justice toutes les activités qui, bien que servant au maintien de l’ordre juridique par les moyens de la puissance publique, ne ressortissent pas aux tribunaux chargés du droit civil et du droit pénal. Toutes les constatations, confirmations, surveillances, que fait la juridiction gracieuse, ont leur correspondant dans l’administration ; la moitié peut être des actes administratifs ont le caractère d’une déclaration de ce qui est de droit, par conséquent le caractère d’une juridiction, essentiellement semblable à la juridiction civile. La distinction ne consiste que dans le point de départ : ce qui n’émane pas des tribunaux civils est administration. Les tribunaux administratifs eux-mêmes, avec tous leurs actes, appartiennent à l’administration11.
3) [9] En examinant les deux premières branches de l’activité de l’Etat dont, la notion tient essentiellement à la réunion de deux éléments, nous avons constaté que, dès que l’un de ces éléments fait défaut, l’activité, quel que soit d’ailleurs son caractère, tombe, par cela même, dans la sphère de l’administration. Par suite, cette notion semble être délimitée négativement : l’administrationdoit être toute activité de l’Etat, qui n’est ni législation ni justice12.
Il faut cependant compléter cette définition par des éléments positifs, un double point de vue. En effet, n’est pas administration tout ce que l’Etat fait en dehors de la législation et de la justice.
Et d’abord, il faut nous rappeler que l’administration doit être l’opposé de la Constitution, puisqu’elle est une autorité qui tend directement à la réalisation des buts de l’Etat. Or la formation de l’Etat et de sa puissance souveraine — qui ressortit à la Constitution — ne peut pas se faire aussi exclusivement par l’effet des règles stables du droit constitutionnel. Il faut une foule de décisions et d’actes de gestion pour mettre la Constitution en mouvement et pour pourvoir à son fonctionnement : proclamer un avènement à la couronne, installer une régence, ordonner et diriger les élections pour l’assemblée nationale, convoquer et renvoyer cette assemblée, nommer les membres de la Chambre des Pairs, tout cela n’est ni de la législation, ni de la justice, et cependant ce n’est pas de l’administration. C’est une activité auxiliaire du droit constitutionnel13.
[10] Mais il y a encore un autre groupe, plus important même, qui nous présente l’Etat occupé à réaliser ses buts, comme dans l’administration, et qui, cependant, est autre chose que l’administration. De législation et de justice, il n’en peut pas être ici question. C’est une quatrième espèce, qui se place à côté des trois activités qu’on a l’habitude d’indiquer seules. Ce qui la sépare de l’administration, c’est que la notion d’administration a également reçu un élémentpositif, dont nous devrons nous rendre compte. Il faut nous rappeler que l’administration, comme espèce d’activité particulière, s’est détachée du gouvernement à l’époque où l’idée de l’Etat moderne formulait chez nous son programme du régime du droit, auquel tout devait être soumis, même les rapports de la puissance publique avec le sujet. L’administration, dès son début, a été envisagée comme une activité de l’Etat qui s’exercesousl’autoritédel’ordrejuridiquequ’ildoitétablir. Et c’est cela même qui a motivé la séparation d’avec le gouvernement14.
Par conséquent, l’administration ne comprend pas toutes les activités de l’Etat par lesquelles, pour l’accomplissement de ses buts, il sort de la sphère de son ordre juridique ((Nous n’avons pas de terme technique pour toute cette quatrième catégorie d’activités de l’Etat. Les auteurs français se servent ici des mots acte de gouvernement (OttoMayer, Theorie des Französ. Verwaltungsrechts, pp. 8 ss.), ce qui, d’après ce que nous avons exposé sur le développement historique des notions de gouvernement, et d’administration, paraîtra très logique.)).
[11] C’est ce qui a lieu dans les relationsdiplomatiques. Les traités internationaux, les démarches auprès des gouvernements étrangers, négociations, réclamations, sommations, tout cela n’est pas placé sous le régime de notre propre loi. C’est le droit des gens qui en règle les conditions et les effets15.
Nous refusons encore le nom d’administration à la guerre : quand l’Etat lance ses armées contre l’ennemi, sacrifie des vies d’hommes, brûle des villes et rançonne des provinces, c’est bien la manière la plus vigoureuse de poursuivre ses intérêts, mais cela ne s’appelle pas administrer. Ce qui règle cette activité de l’Etat, ce n’est pas son ordre juridique à lui, mais le droit des gens. Nous dirons la même chose pour le cas de guerrecivile. Mais déjà la lutte contre l’émeute, qui n’a pas encore la nature d’une guerre civile proprement dite, est, dans une certaine mesure, placée en dehors de l’ordre légal ordinaire : elle emprunte cette franchise à la guerre, sans être soumise comme celle-ci au droit des gens. L’armée, qui doit être l’instrument de la guerre, en porte la marque dans son organisation intérieure : le commandementmilitairequi en forme le noyau est, par sa nature, absolu et libre de toute limitation juridique ; donc son exercice ne s’appelle pas administration16.
[12] L’ancienne doctrine du droit public professait l’idée qu’il y avait des cas où le droit existant doit céder à un intérêt supérieur de l’Etat. On appelait cela le droit de hautenécessité(Staatsnotrecht) ; ce droit appartiendrait au prince. Il y a des auteurs disposés à admettre des théories pareilles même dans le système constitutionnel de l’Etat moderne. En tout cas, cela ne serait pas de l’administration17. Mais nos Constitutions ont l’habitude de prévoir elles-mêmes des mesures extraordinaires, en reconnaissant au prince le droit de faire des ordonnancesd’urgence(Notverordnungen) ayant provisoirement toute la force d’une loi. Quand dans un cas de haute nécessité, le prince émet une ordonnance d’urgence, il n’administre pas, comme il le fait par les ordonnances ordinaires, parce qu’il n’est pas lié alors par l’ordre légal existant. Il fait un acte de législation, qui, en cette qualité, n’appartient pas à la quatrième catégorie dont nous parlons ici.
En revanche, le système constitutionnel, lui-même produit une nouvelle espèce d’actes qui sortent de l’ordre juridique. Ce sont les mesures individuelles prises dans la forme d’une loi. Ne contenant pas de règle de droit, elles ne font pas partie de la législation dans le sens strict que nous venons d’établir. On les qualifie d’ordinaire d’actes administratifs. Mais elles n’ont pas nécessairement ce caractère. Il faut distinguer.
[13] Il se peut que la législation ait prescrit, pour certaines mesures à prendre dans des cas spéciaux, la forme d’une loi (concessions de chemins de fer, déclarations d’utilité publique, etc.), ou que le prince et ses ministres choisissent spontanément la forme d’une loi pour une mesure administrative qu’ils auraient pu prendre seuls. Alors la loi prend part à l’administration.
Mais il se peut aussi que cette mesure ne soit pas prévue dans le droit existant, qu’elle soit même, d’après celui-ci, juridiquement impossible. Alors la loi peut quand même faire ce qu’elle veut et prescrire, malgré le droit existant, pour ce cas individuel, un ordre anormal. Ce sera un acte dont la validité ne pourra pas être contestée ; mais il ne pourra être ici question d’administration. Dès que la loi use de sa souveraineté, l’idée d’administration, qui, par sa nature, est soumise à l’ordre juridique, disparaît18.
III. — Résumons-nous. L’administration est l’activité de l’État pour la réalisation de ses buts et sous son ordre juridique. Nous pourrons nous dispenser d’ajouter la condition qu’elle doit être une activité en dehors de la législation et de la justice ; cela est suffisamment indiqué par les mots « sous son ordre juridique ». En effet, dans la législation telle que nous l’entendons, l’Etat est au-dessusde cet ordre juridique ; dans la justice, tout se fait pourcet ordre. Quant à l’administration, sa dépendance vis-à-vis de l’ordre juridique, sous lequel [14] elle opère, est moins stricte et plus variée. Fixer la nature de cette dépendance, tel est le premier problème que nous aurons à résoudre.
L’administration elle-même se subdivise encore : on distingue plusieurs branches de l’administration. Les groupes sont formés selon la distribution pratique des affaires. La distinction bien connue des cinq ministères : affaires étrangères, guerre, justice, finances, intérieur, en donne les bases.
Les trois premières de ces branches ont ceci de particulier, qu’elles ont chacune pour centre une certaine espèce d’activité, qui, par elle-même, est exclusive de l’idée d’administration. L’administration ne comprend que ce qui se fait autour d’elle et dans son intérêt.
L’administration des finances, au contraire, et celle de l’intérieur sont des administrations pures. L’expression « administration de l’intérieur » s’explique par l’opposition avec l’administration des affaires étrangères et par la spécialité des objets des autres branches : elle embrasse tout ce qui ne fait pas partie de ces dernières19.
§ 2 Le droit administratif et sa doctrine
[15] Droit administratif, dans le sens littéral du mot, veut dire droit relatif à l’administration ; cela désigne un droit qui lui est attaché.
Le droit suppose des rapports à régler, des personnes qui se trouvent en présence et entre lesquelles il faut tracer la ligne de leur pouvoir réciproque.
Les rapports, dont il s’agit ici, sont indiqués par la notion d’administration. L’administration, c’est l’activité de l’Etat. Ainsi, des deux personnes entre lesquelles le droit administratif doit tracer ses lignes, l’une est donnée d’avance : c’est l’Etat.
Vis-à-vis de cet Etat administrateur se trouve placée la masse des individus, de ses sujets : elle fournit l’autre personne. Il ne peut être question de droit administratif, qu’autant qu’il s’agit de rapports entre l’Etat et les sujets, soit des sujets isolés, soit des sujets réunis en groupes déterminés. Mais tout ce qui règle ces rapports n’est pas du droit administratif. Il faut préciser et éliminer.
I. — Nous opposons le droit administratif au droit constitutionnel, quoique ce dernier contribue, d’une manière très importante, au règlement des rapports entre l’Etat et les sujets. Mais l’intérêt principal du droit constitutionnel est dans la formation de la puissance souveraine que, dans l’administration, nous voyons à l’œuvre. Or, la Constitution ne suffit pas pour faire agir l’État ; il lui faut, au-dessous des pouvoirs [16] constitués, d’autres instruments de son action ; des autorités, des services publics, des emplois de toute sorte sont créés pour fonctionner, soit au nom de l’Etat, soit au nom d’une personne morale secondaire d’un corps d’administration propre (Selbstverwaltungskörper). L’ensemble des règles qui fixent leurs compétences, leurs rapports hiérarchiques, les modes de nomination, la situation juridique des personnes ainsi nommées, forme l’organisation administrative.Cette organisation n’a pas pourtant le caractère de règles de droit. Mais elle contient des règles de droit de deux sortes qui touchent aux rapports entre l’Etat et les sujets.
Il y a d’abord le rapport intérieur, rapport entre l’Etat et les personnes qui lui servent d’auxiliaires. Ces rapports sont réglés dans les formes du droit administratif. Nous en traiterons en parlant des services personnels et des personnes morales du droit public.
Les personnes ainsi désignées doivent alors agir sur le dehors et vis-à-vis des autres sujets. Leur organisation exprime, dans ce rapport, une forme de l’action de la puissance publique et peut-être une condition de sa validité. Et à ce point de vue encore, elle peut devenir la matière de règles de droit administratif20. Il en sera question lorsque nous exposerons les différentes institutions auxquelles cette idée s’applique. Mais si l’on considère cette organisation en soi et dans son ensemble, ce point de vue du droit administratif disparaît devant un autre intérêt principal, qui ressemble plutôt à celui qui caractérise le droit constitutionnel. Les personnes, dont l’Etat se sert pour agir sur le dehors, sont loin de n’être que des instruments. Elles ont une certaine indépendance dans l’exercice du pouvoir qui leur est confié ou délégué ;le droit tend à la leur assurer. Il y a, derrière elles, certaines puissances [17] sociales, dont les règles du droit les font sortir : des corps professionnels, des classes économiques, des communautés locales. L’organisation administrative est la forme dans laquelle sont attribuées à ces derniers leur influence et leur part dans l’administration. Ce n’est que dans cet ordre d’idées qu’elle peut être bien comprise. Il s’agit ici de droit politiquecomme dans le droit constitutionnel21.
Cette affinité paraît expliquer suffisamment pourquoi, chez nous, on a pris l’habitude de réunir l’organisation des autorités administratives avec le droit constitutionnel dans un système d’ensemble auquel on donne le nom de droit de l’Etat(Staatsrecht). En tout cas, cette organisation ainsi comprise n’appartient nullement au droit administratif, attendu qu’elle a vis-à-vis de celui-ci son esprit propre22.
II. — Le droit et ses règles suivent l’administration partout où elle manifeste son activité. Selon la variété de ses activités, il y a des règles différentes à appliquer. A chaque cercle d’affaires correspond un cercle de règles de droit qui leur sont applicables. On pourrait peut-être essayer de grouper de la même manière [18] l’ordre juridique qui entoure l’homme privé, et de l’exposer avec ce système. Il suffirait d’envisager séparément les différents aspects que présente sa vie civile, de réunir les règles de droit applicables à chacun de ces aspects et d’en faire l’examen doctrinal. Nous aurions alors un droit de l’agriculture, de la production littéraire, des voyages et des amusements. Il est vrai, que, en général, cela donnerait l’impression d’un morcellement de ce qui forme une unité naturelle ; de plus, ce serait un travail bien ingrat. Mais il en est tout autrement de la vie de l’Etat, de l’administration. Les différents sujets se développent d’une manière plus grandiose, prennent des formes systématiquement fixées et setrouvent formellement distingués l’un de l’autre par suite de la distribution des compétences.
Une branche spéciale des sciences politiques, la science administrative (Verwaltungslehre) traitant de l’activité de l’Etat au point de vue de son but et de son objet, les classe dans un certain système selon leur importance matérielle. Elle nous enseigne sur chaque point ce qui se passe en fait, pourquoi cela se fait et ce qui devrait raisonnablement se faire. De cette manière, on nous donne une science de l’administration intérieure, une science des finances, une science de l’organisation de l’armée. L’administration intérieure, si riche en matières, admet facilement encore des subdivisions multiples selon les différents objets affaires de l’industrie, de la santé publique, des chemins de fer, de l’assistance publique. Partout, les règles de droit qui y sont relatives forment une partie essentielle des réalités que cette science se propose de nous faire voir23.
[19] Insistant spécialement sur ce dernier côté, nos juristes ont pu utiliser ce système pour exposer leur doctrine. On emprunte à la science politique ses classifications et ses vues générales pour y attacher les détails du droit correspondant. De cette manière, chaque branche de l’administration reçoit son droit ; nous aurons surtout un droit de l’administration intérieure, qui se subdivise en droit de l’industrie, droit de la santé publique, droit de la voirie, droit des cours d’eau, droit de l’assistance publique, etc. On est arrivé ainsi à former, pour l’administration, des encyclopédies juridiques d’une utilité incontestable24.
Mais nous ne pouvons pas en rester là. Il est évident que le droit, qui se rassemble autour d’une certaine branche de l’administration, est en lui-même de nature différente. Le point de vue matériel, qui domine dans le système de la science politique et qui donne à chacun de ces groupes son centre d’unité, est indifférent à cet égard. Il se forme, comme on l’a très bien remarqué, [20] des conglomérats de droits hétérogènes : droit civil, droit pénal, droit public25. Pour être réunis dans ces conglomérats, ces droits ne perdent pas leur nature. Donc, en exposant juridiquement les différents groupes, on a la facilité de renvoyer, pour les idées fondamentales et les notions systématiques, la grande discipline qui s’occupe de chaque espèce de droit particulière : doctrine du droit civil, doctrine du droit pénal, etc. Et s’il se trouve dans ces conglomérats une espèce de droit qui n’ait pas son domicile à lui, semblable aux autres, il faudra tâcher de le lui préparer : c’est le cas du droit administratif.
III. — Nous appelons droit administratif le droit public propre de l’administration. La science du droit administratif a son origine dans celle qu’on professait sous le nom de droit de l’Etat (Staatsrecht). Elle s’en est détachée à une époque très récente. Ce droit de l’Etat a toujours été reconnu comme branche du droit public ayant des idées juridiques fondamentales qui lui sont propres et qui donnent à toute sa construction intérieure et au développement de tous les détails un caractère distinct.
Or, on s’est trouvé en présence de ce fait que cette partie du droit de l’Etat, qui s’applique à l’administration, s’est énormément accrue en masse et en importance. Quand on regarde les choses de plus près, on s’aperçoit aussi que les rapports entre l’Etat et le sujet, dont il est question ici, sont dominés tout entier par des idées juridiques qui diffèrent de celles du droit constitutionnel et de l’organisation administrative. C’est pourquoi, nous traitons aujourd’hui séparément et comme objet d’une doctrine à part26 cette partie du droit de l’Etat qui concerne l’administration. [21] Si nous l’appelons droit administratif, elle n’a pas pour cela changé de nature : le droit administratif reste une branche particulière du droit public et sera exposé comme telle. Il va sans dire que, pour ce travail, nous ne pourrons pas nous attacher au système de la science administrative. Il y aurait à cette méthode de grands inconvénients. Des matières, qui, dans l’idée juridique, forment un tout, se trouveraient séparées et disséminées ; des répétitions fâcheuses seraient inévitables, et des choses très précieuses au point de vue juridique courraient le risque de n’y pas trouver place27.
Il faut que la science du droit administratif ait [22] son système à elle tout aussi bien que la science du droit civil28.
- V. Sarwey, Allgemeines Verwaltungsrecht, p. 17 ; Zachariæ , Vierzig Bücher vom Staate, III, p. 1 — Tandis que Frédéric le Grand parle encore tout bonnement de « sa constitution » (Preuss. Urkundenbuch, I, p.124), Madame de Staël, adressant à l’empereur de Russie cet éloge : « Vous êtes la constitution de votre empire » veut faire entendre que cet empire, en réalité, est sans constitution. Il y a entre ces deux manières de voir, marquant l’époque historique du changement intervenu, la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : dans l’art. 16 il est déclaré catégoriquement que tout peuple qui n’est pas organisé d’après les idées nouvelles « n’a pas de constitution »)[1] [↩]
- Pour se rendre compte de ces changements successifs, il suffira de comparer : Moser, Landeshoheit in Regierungssachen, chap. I, § 4, où le gouvernement est encore tout ; Häberlin, Lehrbuch des Staatsrechts, II, § 295, note, où le gouvernement embrasse encore tout, même la législation, à l’exception seulement de la justice ; Zachariæ, Vierzig Bücher vom Staate, I, p. 124, et Pözl, Bayrisches Verfassungsrecht, §143, où le pouvoir législatif est également distingué du pouvoir gouvernemental ; enfin v. Roenne, Preussisches Staatsrecht III, p. 1, note 3, où il est dit : « La séparation du gouvernement et de l’administration est dans les idées fondamentales de la monarchie représentative ». [↩]
- Zachariæ, Vierzig Bücher, I, p. 124 ; v.Roenne, Preussisches Staatsrecht, III. p. 1. Le mot « gouvernement » étant devenu, pour ainsi dire, disponible, on a essayé, de différentes manières, de lui donner un autre emploi : Schulze, Deutsches Staatsrecht, I, §184 ; Haenel, Staatsrecht, § 18. Mais il sera toujours difficile de faire accepter ceci par l’usage. Comp. aussi la note 15 ci-dessous, p. 10. [↩]
- Haenel, Gesetz im formellen und materiallen Sinne, p. 183, reproche au système de ces trois catégories d’être « contraire à tout ce que la logique doit exiger d’une distinction scientifique ». C’est possible. Mais il s’agit d’un groupement des différentes activités de l’Etat, qui est entré dans les usages, et a été adopté par l’ordre juridique, qui a l’habitude de le viser par ses dispositions. Ce que la logique de Haenel veut mettre à la place nous laisse dans le vague et n’a aucun rapport avec les idées généralement admises. [↩]
- Moser, Landeshoheit in Regierungssachen, IV, § 2 ; Häberlin, Staatsrecht, II, § 221 ; Allgemeines Landrecht für die Preussischen Staaten, II, 13, § 6. [↩]
- Rousseau, Contrat social, II, chap. VI, l’appelle législation : « quand tout le peuple statue sur tout le peuple, alors la matière sur laquelle est générale, somme la volonté qui statue ». On voit très bien ici la réunion desdeux éléments : puissance souveraine et règle générale. – On parle encore de législation dans le meme sens, quand dans nos cours de droit public, il s’agit de donner une énumération sommaire des « fonctions générales de l’Etat » : v. Roenne, Preussisches Staatsrecht, I, § 88 ; Schulze, Deutsches Staatsrecht, I, p. 518 ; G. Meyer, Deutsches Staatsrecht, § 155. Dans le droit constitutionnel de l’Etat fédéral, les mots « législation de l’Empire » servent, à indiquer à la fois la compétence du pouvoir législatif de l’Empire et la condition que, de cette compétence, il ne doit être fait usage que dans la forme d’une règle de droit : Haenel, Gesetz im form. und mat. Sinne, pp. 277 ss., Arndt, Verordnungsrecht, pp. 187 ss. [↩]
- Laband, das Staatsrecht des deutschen Reiches, Droit public de l’Empire allemand, 1reédit. allem., I, p. 567 (édition française Boucard et Jeze, II, p. 344). Jellinek, Gesetz und Verordnung, pp. 255 ss. ; v. Sarwey, Algem. Verw. Recht, pp. 24 ss. ; G. Meyer, Staatsrecht, § 155. On a essayé, il est vrai, de construire également la notion d’une « administration dans le sens formel », à laquelle ces choses alors n’appartiendraient pas. Nous n’entrerons pas dans cette voie. Que le mot loi soit employé dans un sens double, un sens formel et un sens matériel, c’est un fait ; mais ce n’en est pas moins un inconvénient. Nous ne voyons pas le mérite qu’il y a à propager cet inconvénient en appliquant cette même division bipartite à tous nos autres termes techniques. Dans ce sens, Seligmann, Beiträge, p. 157, est déjà arrivé à distinguer un droit coutumier dans le sens formel et un droit coutumier dans le sens matériel. [↩]
- V. Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 20 ; v.Martitz, dans Zeitschrift für Stsw., XXXVI, p. 258. G. Meyer, Staatsrecht, § 8 : « la législation est la plus haute fonction de l’État, elle est formellement libre de toute limitation ». Cependant, dans Grünhut’s Zeitschrift, VIII, p. 40, G. Meyerne voudrait placer dans la catégorie de l’administration que les règlements de police émanant des autorités ; les ordonnances du chef de l’Etat, d’après lui, seraient plus utilement exclues de l’administration. Mais l’ordonnance impériale, sur les moyens d’empêcher les collisions entre navires, qu’il cite comme exemple principal, n’est qu’un règlement de police comme les autres. Il est vrai qu’il y a des Ordonnances qui n’appartiennent pas à la sphère de l’administration, voyez la note 13 ci-dessous, p. 9. [↩]
- D’après Lœning, Verw. Recht, p. 21, « la juridiction ou justice dans le sens historique » ne comprendrait que le maintien du droit civil et pénal. Ce n’est pas correct : lorsque le tribunal statue sur le salaire du fonctionnaire, il s’agit bien là d’une question de droit public, et c’est cependant de la justice dans le sens historique. Schulze, Deutsch. Staatsrecht, I, pp. 545-546 ; Laband, Droit public, 1, p. 673 de la 1reédition allemande (II, p. 508 de l’édition française), insistent avec raison sur le « critérium subjectif » caractérisant la justice. [↩]
- Quand on parle de juridiction gracieuse, il est d’usage de faire la remarque qu’elle n’est pas de la justice proprement dite, mais appartient, par son contenu matériel, à l’administration : G. Meyer, Verw. Recht, I, p. 3 ; Seligmann, Beiträge, p. 71 ; Bernatzik, Rechtskraft, p. 2. Mais comme Laband, St. R., I, p. 678 note, 1reédition allemande (II, p. 516 édition française), l’observe très justement, quand on veut aller si loin, il serait logique de détacher de la justice tout ce qui n’est pas juridiction proprement dite, c’est-à-dire acte d’autorité déclaratif du droit : exécution du jugement, instruction du procès, fixations de jour, remises des débats ; tout cela serait de l’administration. Leuthold, Sächsisches Verw. Recht, p. 137, acceptant cette conséquence, voit, dans la direction du procès par le juge « une vaste partie de l’administration publique ». Des exagérations pareilles ne servent qu’à décomposer, sans aucune utilité, les groupes simples traditionnels. Nos lois d’Empire, tout au moins, considèrent encore tout simplement la juridiction gracieuse comme partie intégrante de la justice et comme le contraire de l’administration. Sans cela, elle serait exclue formellement par le § 4 Einführungs-Gesetz zu Gerichtsverfassungs-Gezetz für das deuts. Reich qui défend de charger les tribunaux ordinaires de toute sorte d’administration ; la seule exception que la loi admette en faveur de l’administration extérieure de la justice, dont nous parlerons tout à l’heure, ne pourrait certes pas être invoquée ici. [↩]
- Schulze, Deutsches Staatsrecht, I, p. 546. Voir aussi les déclarations de K. Leonhardt,ministre de la justice prussienne lors des débats dans le Reichstag sur la loi d’organisation judiciaire (Hahn,Materialien zum ? Gerichts-Verfassungs-Gesetz, p. 1185). [↩]
- V. Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 14. Opposée ainsi aux deux autres activités de l’Etat, avec leurs formes bien déterminées, l’administration a quelque chose de mobile et de variable. Ce n’est que dans l’administration qu’on voit agir l’Etat ; (Laband, Droit public, I, p. 676, 1re édition allemande ; II, p. 517 édition française). [↩]
- Lœning, Verw. Recht, p. 2. G.Meyer, dans Grünhut Zeitschrift, VIII, p. 40, cite, comme exemple d’ordonnance qui reste en dehors de l’administration (Comp. la note 8 ci-dessus, p, 6), l’ordonnance royale sur la formation de la première chambre prussienne. Ici nous sommes d’accord ; il s’agit de compléter la Constitution. [↩]
- De là, la maxime si souvent répétée : l’ordre juridique est pour les tribunaux le but, pour l’administration la borne : Stahl, R. u. St. Lehre, II, § 57, § 173 ; Bähr, Rechtsstaat, p. 52 ; Ulbrich, dans Grünhut Zeitschrift IX, p. 1. Schulze, D. St. R., II, p. 67 ; Laband, Staatsrecht, 1re édition allemande, II, p. 200 (dans les éditions ultérieures de cet ouvrage, la « borne » joue un rôle moins important). Cette image de la borne, comme nous le verrons, n’est pas très juste ; mais en tout cas, elle exprime suffisamment le principe, qu’il doit y avoir un ordre juridique pour l’administration. V. Roenne, Preuss. Staatsrecht III, p. 1, note 2, explique la séparation du gouvernement et de l’administration, « par les responsabilités qui, dans l’Etat constitutionnel, s’attachent à cette dernière ». Cela exprime d’une façon un peu moins claire la même pensée. [↩]
- Zorn, dans Annalen, 1882, p. 82, note 6 ; Laband, Staatsrecht, II, p. 1, note 1, 1re édition allemande ; (III, p. 1, édition française). Si Jellinek, Gesetz und Verordung, pp. 341, 342, place les traités internationaux dans « la catégorie matérielle de l’activité administrative », c’est qu’il part de l’idée que l’Etat « fait, des normes du droit des gens, des règles de son ordre juridique particulier ». De cette manière, il faut en convenir, le traité international serait aussi une activité de l’Etat sous son propre ordre juridique et, par conséquent, un acte de l’administration. Quant à savoir si l’on doit admettre cette adoption du droit des gens par l’Etat, c’est une autre question. [↩]
- Laband, Staatsrecht, 1reéd. all., II, p. 644 ; Haenel, Staatsrecht, I, pp. 473 ss. Les limites de ce qui est exclu de la sphère de l’administration, coïncident avec celles du commandement absolu. Il y a à côté du commandement, toutes sortes d’activités que l’Etat exerce dans l’intérêt de sa grande institution que forme l’armée. Cette activité se manifeste, en tant qu’elle n’est pas législation, sous l’autorité de l’ordre juridique, elle est l’administrationmilitaire : Haenel, Staats Recht, I, p. 472 ; Heckerdans Woerterbuch des deutschen Verwaltungsrechts, I, p. 63 ; G. Meyer, Verw. Recht, II, p. 35. Conformément aux règles que nous venons de développer, cette administration comprend aussi la justice militaire (Comp. II, note ci-dessus). [↩]
- Zachariæ, Staats- und Bundes-Recht, II, § 160, note 11. Dans le droit français, des mesures de ce genre s’appellent des « actes de gouvernement » dans un sens spécial ; elles forment l’opposé de l’acte administratif (O. Mayer, Theorie des Französ, Verw. Rechts, p. 9). [↩]
- Jellinek, Gesetz und Verordnung, pp. 240 ss., a très bien exposé cette distinction à faire entre les actes individuels de la loi, qui sont des actes administratifs « parce qu’ils se tiennent dans le cadre de l’acte juridique existant » (p. 239). Il leur oppose les « lois individuelles », qui signifient « l’émission d’actes individuels contra legem, la création d’un droit nouveau » (p. 257). Ces derniers actes, Jellinekles fait rentrer dans la législation. Nous les en excluons encore, parce que nous n’y pouvons pas trouver de règle de droit. Mais cela se rattache à une vieille controverse que nous n’essayerons pas de vider ici. Il nous suffira de constater que ces actes n’appartiennent pas à l’administration et pour quelle raison. [↩]
- Lœning, Verw, Recht, p. 3. On aime à faire une sorte de description dece que l’administration de l’intérieur peut faire et vouloir, en suivant surtout l’exemple des anciens auteurs qui traitent de la police : von Stein, Verwalt. Lehre, II, p. 46 et Handbuch, 1, pp. 406 ss. ; G. Meyer, Verw.Recht, I, p. I, p. 70 ; Merkel, Encyclopädie, p. 184. Cela est sans danger et ne sert à rien. [↩]
- Laband, Staatsrecht, I, pp. 682, 683 édition allemande (II, pp. 523 ss., édit. française). [↩]
- Gerber, Grundzüge, pp. 237 ss. C’est surtout Gneist, qui, dans ses différents écrits, s’est inspiré de ces idées : Engl. Verw. Recht, 1883-86 ; Verwaltung, Justiz, Rechtsweg, 1869 ; der Rechtsstaat (2eéd.) 1879. [↩]
- On s’est donné beaucoup de peine pour donner à cette organisation une place dans le système du droit administratif. On l’y a fait figurer, par exemple, sous le nom de « droit administratif formel » : Boesler, Verw. Recht, I, p.1 ;v. Kirchenheim, Einf. in d. Verw. Recht, pp. 130 ss. Cela a la même valeur que si l’on appelait l’organisation judiciaire le droit de procédure civile formel. Il faut toujours se méfier de ce mot « formel » qui cache souvent, chez nos auteurs, un manque de clarté. D’autres font de l’organisation des autorités une « partie générale », à laquelle le droit administratif proprement dit se rattache comme « partie spéciale ». Bornhak, Preussisches Staatsrecht, II ; v. Kirchenheim, Einf. in d. Verw. Recht, p. 26. Ce sont également des mots sans valeur. — L’excellent traité de G. Meyer,dans Holzendorff, Rechtslexicon, intitulé « le droit administratif », ne donne que l’organisation des autorités et surtout des tribunaux administratifs avec quelques rares morceaux de droit administratif. [↩]
- Le chef de cette école est, sans contestation, L. v. Stein : Verwaltungslehre, t. I-VII, 1865-1868, en partie réédité 1869, 1882-1884 ; Handbuch d. Verwalt. Lehre und des Verwalt. Rechts, 3eéd. 1888. Au, point de vue du droit positif, les développements de cet auteur sont régulièrement inexacts. [↩]
- D’après L. v. Stein,le droit correspondant pousse de lui-même, dans chacune des « catégories que la science politique a établies ; chacune a « son » droit. Ces catégories n’étant faites par personne autre que le théoricien, c’est en définitive lui qui crée le droit (Handbuch, I, p. 244). Fort heureusement, on peut adopter ce système, même quand on refuse de lui attribuer ces forces merveilleuses. Nos juristes s’en servent plutôt (qu’on permette cette comparaison) comme d’une étagère, pour y placer convenablement des règles de droit. Dans ce sens, il a eu beaucoup de succès, et il faut reconnaître que, grâce à lui, les ouvrages récents, qui touchent notre objet, ont gagné beaucoup sur l’ancienne manière, en ce qui concerne l’unité et la clarté de leurs exposés. Pour le droit allemand commun, ce système a trouvé son application surtout chez G. Meyer, Lehrbuch des Verw. Rechts, Lœning, Lehrbuch des Verw, Rechts ; v. Sarwey, Allgemeines Verw. Recht dans Marquardsen, Handbuch, I, 2, 1882 (voyez cependant la note 8 ci-dessous, p. 21). Quant au droit administratif des Etats particuliers, nous aurons à citer : Bornhak, Preussisches Staatsrecht, III, 1890 ; Leuthold, Sächs. Ver. Recht ; Seydel, Bayrisch. Staatsrecht, V et VI, 1891 et 1893. – Grotefend, Preussisches Verw. Recht, I, p. 64 ne donne qu’une expression vigoureuse à la conviction généralement partagée en disant : « Les œuvres de Stein sont devenues la pierre fondamentale de toute la doctrine du droit administratif. ». [↩]
- Laband, dans Archiv. für öff. Recht, II, p. 156. [↩]
- Le droit de l’Etat, fier de ses traditions, se refuse à reconnaître son rejeton comme son égal. Held, System des Verfassungsrechts, I, p. 27, note 1, écrit encore en 1856, que, quant à la discipline du droit administratif, on peut douter « si elle n’est pas une branche de l’administration, plutôt que du droit ». Dans une intention analogue, Laband, dans Arch. f. öff. Recht, II, p. 157, donne à la doctrine du droit administratif la mission de cultiver ses « conglomérats », pour lesquels la doctrine du droit de l’Etat lui fournira les « principes de droit public » dont, elle aura besoin, c’est-à-dire tout ce qui, au point de vue de la doctrine, peut être de quelque intérêt. Nous voulons parler de ces principes d’une manière expresse et spéciale ; car l’ancien fournisseur ne s’en est occupé qu’accidentellement et très superficiellement, ce qui, à la longue, ne suffit plus. [↩]
- Nous nous contenterons de citer un seul exemple : l’expropriation pour cause d’utilité publique. Pour la doctrine du droit, c’est une chance spéciale, que de rencontrer dans la loi même une institution juridique bien délimitée et vigoureusement formée. Pour le système de la science politique, cette institution n’est qu’un embarras. Que faire d’elle ? Où la placer ? Il y a ici perplexité générale, Lœning, Verw. Recht, p. 243, note 4, s’en débarrasse en l’éliminant tout à fait du droit administratif pour la mettre au compte du droit privé allemand ! Chez G. Meyer,Verw. Recht, I, p. 280, elle trouve asile dans une catégorie bien inoffensive, mais qui, à la vérité, ne lui convient pas du tout ; elle est placée sous la rubrique « de la réglementation de la propriété immobilière ». Chez Seydel, Bayrisches Staatsrecht, III, pp. 607 ss., nous la retrouverons réunie avec quelques autres institutions qu’on est habitué à voir classées dans le droit constitutionnel, sous le titre commun « fonctions générales de la puissance publique ». v. Kirchenheim, Grundriss z. Vorl., p. 143, traite dans un chapitre spécial des formes de l’activité de l’administration et de sa procédure ; il finit par « Appendice : l’expropriation ». Quand on considère comment, dans le droit civil, les grandes institutions juridiques se portent et s’expliquent mutuellement, on se rend facilement compte de ce que l’on perd ici. [↩]
- Convaincus des défauts du système de la science politique, les juristes autrichiens, qui depuis quelque temps s’occupent du droit public avec un zèle particulier et une compétence scientifique remarquable, ont réclamé souvent « une partie générale du droit administratif » Ulbrich, Oeffent. Rechte, p. 71 ; Bernatzik, Rechtskraft, préface, p. IV. Mais il ne peut pas être question de ne présenter qu’une partie générale, comme on avait l’habitude d’en donner une dans les cours des Pandectes. Cela ne serait pas suffisant : ce sont les Pandectes mêmes qu’il nous faut.
Le premier qui ait essayé d’exposer dans ce sens le droit administratif allemand, c’est F. F. Mayer,dans son excellent livre : Grundsätze des Verwaltungsrechts mit besonderer Rücksicht auf gemeinsames deutsches Recht 1862. Parmi les ouvrages les plus récents, il faut citer en première ligne V. Sarwey, Allgemeines Verw. Recht., pp. 119 ss. où, sous le titre « droit administratif dans le sens spécial » les pures institutions juridiques de droit administratif trouvent une exposition assez complète.
Quand, dans ma « Theorie des Französischen Verwaltungsrechts » en 1886, j’ai proposé cette méthode, d’une manière peut-être un peu trop exclusive, des partisans de l’ancien système ont fait une opposition assez passionnée. Mon « Deutsches Verwaltungsrecht », en 1895 et 1896, écrit d’après les mêmes idées, n’a plus trouvé d’adversaires de principe. Naturellement, il n’est pas question de condamner toute autre manière de traiter du droit administratif. En particulier, le système de la science politique conservera toute sa valeur pour l’exposition des détails pratiques. Il suffit que notre système soit reconnu comme nécessaire pour faire bien comprendre l’esprit du droit administratif et qu’il ait droit à sa « place au soleil ». Je me réjouis surtout du parfait accord qui, après quelques discussions, a fini par exister avec mon regretté ami Max V. Seydel (Blätter für administrative Praxis, XLVIII, p. 143). [↩]
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