Section I
Le droit public des choses
§ 37. Droits d’usage sur les choses publiques ; l’usage de tous
(181) Les choses publiques servent à l’administration pour des buts d’utilité publique. Certaines remplissent cette destination tout en rendant service aux particuliers. Quand la destination principale est remplie autrement, la chose pourra, — du moins accessoirement, — être rendue utile aux particuliers. Dans la première catégorie rentrent les chemins publics, dans la seconde les fortifications.
La forme dans laquelle ces avantages sont procurés juridiquement aux particuliers est évidemment liée étroitement aux principes qui dominent la notion même de la chose publique et régissent la situation du maître de la chose.
A l’époque actuelle du droit administratif, la nature juridique de la chose publique exige qu’elle appartienne à l’Etat ou à un sujet d’administration équivalent par un rapport dépendant du droit public.
Quant à ce qui doit être procuré par la chose aux particuliers, cela devra être légitimé vis-à-vis des maîtres de la chose ; et la légitimation ne pourra se faire que dans les formes du droit public.
Nous avons déjà visé ces conséquences dans les explications données au § 35, II et au § 36, II, no 2. Si maintenant nous examinons de plus près les (182) avantages que les particuliers peuvent retirer des choses publiques, nous devons commencer par faire une distinction. Il ne sera pas question ici de toutes les utilités que la chose publique pourra prêter aux particuliers. Le régime exclusif du droit public embrasse uniquement ce qui touche la chose en elle-même et immédiatement ; il en est autrement des accessoires extérieurs et des parties destinées à en être séparées.
Les objets de cette dernière espèce pourront être aliénés dans la forme du droit civil et mis à la disposition d’un acquéreur. L’acquéreur pourra même être autorisé à s’emparer lui-même des objets à séparer. On parlera alors d’un droit concédé sur la chose publique ; c’est le droit de percevoir les fruits de la chose. Ces droits de percevoir les fruits sont créés par un contrat de vente ou par un bail à ferme du droit civil. C’est ainsi, par exemple, que la coupe des herbes sur les bords des chemins, sur les rivages de fleuves, sur les talus des canaux et même sur les fortifications est vendue ou donnée à bail. Le produit des arbres fruitiers plantés le long de la route, l’exploitation des saulaies dans le lit de la rivière ou sur ses bords, les glaces à retirer d’un canal sont traités de la même manière. Ajoutons le droit de chasse et de pêche sur les choses publiques. Le gain qui résulte de ces opérations forme un avantage accessoire pour le maître de la chose. Tout cela ne nous intéresse pas ici.
Ce qui doit former l’objet de nos explications, c’est seulement cette autre espèce d’avantages accordés aux particuliers — et qui est de beaucoup la plus importante, — celle où la chose elle-même et par son corps offrira ses utilités aux particuliers, lesquels en feront usage dans leur intérêt propre. Ces avantages sont réglés dans les formes du droit ; nous parlons (183) donc de droits d’usage sur la chose publique. Cette expression ne doit nullement préjuger la question de savoir s’il s’agit ici de véritables droits subjectifs dans le sens strict. Nous verrons que l’expression embrasse des droits subjectifs publics dont l’ « individualisation » est parvenue à des degrés différents ; comp. ce que nous avons déjà dit sur ce point au t. I, § 9, p. 132 ss. ci-dessus.
Les droits d’usage sur la chose publique se présentent, selon la diversité de leur fondement juridique, sous trois formes différentes. Nous distinguerons : l’usage de tous, la permission spéciale et la concession. C’est par la première catégorie que nous commencerons.
I. — Certaines choses publiques, — il s’en faut de beaucoup que ce soient toutes les choses publiques, — sont soumises au droit de l’usage de tous. Quelle est la nature de ce droit?
Nous devons prendre pour point de départ un ordre de choses dans lequel la solution de cette question semble avoir été donnée de la manière la plus simple. Les choses publiques les plus importantes apparaissent originairement comme des institutions communes d’associations locales : les chemins, places, ponts, fontaines publiques sont une propriété sociale. Les membres de l’association, en se servant de la chose selon sa destination, ne font qu’exercer sur cette chose leur droit direct d’associés. Comp. § 35, I, no 1 ci-dessus.
Ce système disparaît avec la formation définitive des grandes personnes morales du droit public, en particulier de l’Etat lui-même avec sa double personnalité. Le Fisc est le propriétaire des choses publiques ; mais l’Etat l’oblige à en laisser l’usage aux sujets et veille à l’accomplissement de ce devoir. Ainsi le Fisc est lié ; mais, (184) de la part de l’Etat, il ne s’agit que d’un bienfait, d’une faveur qu’il accorde par l’entremise du Fisc. De cette manière, l’usage de tous est le contraire d’un droit qui appartiendrait aux individus en propre. Ils n’ont pas d’action contre le Fisc, lorsque celui-ci leur refuse ou leur retire la faculté de faire usage de la chose ; ils peuvent simplement invoquer contre lui l’intervention des autorités administratives, afin qu’elles lui enjoignent de remplir le devoir dont l’a chargé l’Etat dans l’intérêt public1.
Le droit Romain offre peu de ressources en cette matière. On parle des différents interdicta destinés à protéger l’usage que les particuliers pourront faire des res publicae, mais ces interdicta ne protègent que les particuliers entre eux et contre les troubles qu’ils pourront s’apporter réciproquement. On essaie bien de les tourner également contre le Fisc et contre l’Etat ; mais on n’arrive pas à un résultat satisfaisant ; la souveraineté de la police doit l’emporter, d’après l’esprit du système2.
Depuis le commencement de l’époque de l’Etat régi par le droit, il est de nouveau sérieusement question d’un droit à l’usage de tous, droit valable même à l’encontre de la puissance publique3.
(185) Mais il s’agit alors de savoir avant tout d’où vient ce droit, sur quoi il repose.
A première vue, l’explication la plus simple a été d’admettre un acte constitutif par lequel l’Etat lui-même aurait créé ce droit. C’était l’Etat qui, sous l’ancien régime, permettait cet usage comme une faveur dépendant de sa bonne volonté ; c’était, pouvait-on croire, continuer directement ces idées, que de revêtir ce que donnait l’Etat de la forme correcte du système nouveau, à savoir la forme d’un droit individuel. Mais nous savons que l’Etat peut créer des droits qui devront être respectés par le pouvoir exécutif, c’est-à-dire par lui-même. Il existe deux formes dans lesquelles se produit cet effet : c’est, d’une part, la loi prescrivant des règles de droit ; l’acte administratif, d’autre part. Ni l’une, ni l’autre forme ne peuvent nous être ici d’aucun secours.
Tout d’abord, en ce qui concerne la loi, il y a bien des textes qui semblent sanctionner l’usage de tous et dont on veut faire grand cas. On cite, notamment, quelques anciennes codifications du droit civil particulier, telles que le Code général de la Prusse et le Code civil de l’Autriche de 18114. Mais il n’y a là qu’une apparence très futile, et qui ne doit pas nous tromper. Le Code général de la Prusse surtout est renommé pour l’habitude qu’il a d’employer des phrases purement descriptives et doctrinaires, et qui sont loin de vouloir ordonner quelque chose. Le texte du § 7 de A. L. R., II, 15 décrit le rôle à jouer (186) par les grandes routes, tout comme le § 10 A. L. R., II, 17, décrit celui de la police ; comp. sur ce § 10 ce que nous avons dit au t. I, p. 157, note 4. L’usage de tous a existé sur les grandes routes de la Prusse avant ce § 7, et il n’a pas changé de nature à la suite de ce texte. Il existe de la même manière pour des genres d’usage que ce paragraphe ne mentionne pas (Comp. la note 4 ci-dessous). Il existe de la même manière dans des territoires, où il n’y a aucun texte de loi qui en fasse mention, par exemple dans les pays de droit français5.
Il existe encore des lois plus récentes, — comme, par exemple, la loi Bavaroise sur l’utilisation des eaux, du 24 mai 1852, — qui traitent de l’usage de tous, mais seulement dans l’intention bien marquée d’en déterminer plus exactement le contenu ; l’existence de ce droit est toujours supposée, et, par conséquent, en dehors d’une attribution légale.
Il ne resterait donc, pour créer ce droit, que l’acte administratif. Le fait qui donnerait à ceci une certaine apparence, c’est la mise en fonction de la chose publique ; l’affectation ou la « publication » serait l’acte par lequel la volonté créatrice de l’Etat trouverait son expression. Mais tout d’abord, dans la réalité de l’organisation de notre Etat, il ne suffit pas d’établir la présomption vague d’une volonté de l’Etat, que tel ou tel droit existe ; il faut encore que cette volonté se manifeste dans des formes déterminées. Or, ce n’est pas la forme de l’acte administratif de s’adresser purement et simplement à « tout le monde », à une multitude (187) indéfinie de personnes inconnues ; comp. t. I, § 8, III ci-dessus. Si l’on tient quelque peu à une conception nette de l’acte administratif, il faut renoncer à vouloir trouver dans ce cas un acte de ce genre. Du reste, même matériellement, cette volonté créatrice de l’Etat sera difficile à trouver. Il y a des choses publiques, — telles que les fleuves, les rivages de la mer, — qui servent à l’usage de tous, sans qu’il y ait jamais eu quoi que ce soit qui ressemble à une affectation spéciale. Pour d’autres choses, l’affectation s’effectue par le simple fait par l’Etat de les construire et de les aménager de façon à ce qu’elles puissent servir au but d’utilité publique auquel elles sont destinées ; l’affectation ne fait que résumer toute cette activité en faisant connaître l’opinion de l’administration, que tout est prêt et que le service doit commencer. Il n’en est pas autrement, lorsque ce moment est marqué par une déclaration plus ou moins solennelle d’ouverture. Surtout, l’objet principal de cette manifestation sera le même lorsqu’il s’agira d’une chose publique n’admettant pas l’usage de tous, — par exemple une fortification, un cimetière. Ce que l’Etat déclare, c’est toujours l’entrée en fonction de la chose pour l’utilité publique à laquelle elle doit servir. Pour certaines choses, cette utilité comprend — non pas exclusivement, mais entre autres avantages, — la communication à laquelle elles pourront servir d’une manière générale. Dès qu’une pareille chose est entrée en fonction, le droit de l’usage de tous s’empare de la faculté qui lui est offerte, pour s’exercer sur cette chose. Mais alors il est faux de dire que l’usage de tous est créé par l’affectation de la chose ; ce qui est ainsi créé, ce n’est qu’une nouvelle occasion de se manifester. L’Etat ne constitue pas cet usage, il prépare les conditions extérieures de sa réalisation.
(188) Le droit de l’usage de tous est, par rapport à tout ce que l’Etat accomplit sur les choses publiques, un droit préexistant6.
Ce n’est donc pas sans raison qu’on a cru se rapprocher mieux de la véritable nature de ce droit, en remontant plus haut. Au lieu de le rattacher à un acte constitutif de l’Etat, on le fait découler, comme dans les temps primitifs, de l’idée de l’association ; ainsi, ce n’est pas un droit acquis, dérivé de l’autorité de l’Etat ; c’est un droit préexistant, inné à l’individu. Il appartient à ce dernier en sa qualité de membre de la collectivité ; — que cette collectivité s’appelle commune ou Etat, la nature du titre sera la même. Mais, dans cette doctrine, on a dû s’apercevoir bientôt que, dans le monde actuel, les intérêts publics ne sont plus organisés sur la base étroite de l’association. On s’est vu forcé de transiger avec la réalité, de manière à abandonner entièrement ce point de départ ; on n’en a pu garder qu’une manière de s’exprimer7.
(189) Est-il nécessaire d’être membre d’une certaine communauté — telles que les communautés sont organisées actuellement — pour participer au droit de l’usage de tous sur les choses publiques appartenant à cette communauté ? Evidemment non. C’est dans l’intérêt même des membres de l’Etat, de la commune, etc., que les voies de communication nationales, communales sont ouvertes aux étrangers, absolument de la même manière et sans autre condition. On a donc élargi le cercle de l’association dont doit découler le droit à l’usage de tous ; l’on a substitué aux communautés restreintes cette grande société qui, sous le nom de « public », se trouve placée vis-à-vis de la puissance publique C’est au public, déclare-t-on, qu’appartient le droit à l’usage de tous ; l’individu exerce ce droit au nom du public et à titre de membre de cette société8.
Cette notion du public représente la dernière étape de l’ancienne idée de l’association, c’est là qu’elle s’évanouit complètement. En effet, le public n’est pas plus un sujet de droit qu’une collectivité définie ; c’est évident. Il a donc fallu se résoudre à reconnaître la simple vérité qui se cachait derrière cette phraséologie : à savoir que ce droit appartient tout simplement à tout le monde, à l’homme comme tel9. Ainsi, droit (190) originaire, non pas attribué, mais existant de lui-même au profit de tout le monde, droit inné, droit de l’homme à l’usage des choses publiques ! Comment tout cela doit-il se comprendre ?
On croit souvent avoir résolu la difficulté en disant que cela doit être, bien entendu, un droit « publicistique », une prétention du droit public, du droit administratif. On s’en contente avec l’arrière pensée, évidemment, qu’un pareil droit n’a pas besoin d’une conception plus exacte. C’est une voie dans laquelle nous refusons de nous engager10.
Les auteurs civilistes s’efforcent consciencieusement de donner à ce droit une forme déterminée ; ils cherchent à y adapter la notion de la servitude. Cela ne pourrait être qu’une servitude personnelle, celle-là aussi sans sujet, sans personne déterminable à laquelle elle appartiendrait. Mais il manque encore à ce droit un objet déterminé, et cela doit dépasser ce qui est permis à une servitude, même impropre, même « analogue », même « quasiment appelée ». Car, à y regarder de près, le droit ne vise pas du tout, comme il convient à un droit réel, l’usage d’un immeuble déterminé. La chose peut être enlevée à tout moment par une disposition arbitraire du maître de la chose, qui déclassera la rue, etc. Avec la même facilité, une nouvelle chose pourra toujours être soumise à ce droit. Les objets déterminés varient donc ; le droit ne leur est point inhérent. Il ne s’attache toujours qu’aux rues, places, canaux etc. existant pour le moment11.
(191) Et quelle est la signification de ce droit à l’égard de ces choses ? Il ne signifie pas qu’on puisse exercer sur elles une influence positive, y apporter des changements ou des innovations ou en disposer d’une manière quelconque. Toute sa force apparaît uniquement en ceci : celui qui a le droit, c’est-à-dire tout homme, ne peut pas être empêché par le maître de la chose, agissant en cette qualité, de circuler sur la chose et de s’y comporter, à certains égards, comme si cette chose était à lui. Les bornes que la propriété d’autrui oppose ailleurs au libre mouvement de l’individu semblent ici ne pas exister dans une certaine mesure. La puissance publique — par cela même que c’est elle qui, sous le nom de police, doit maintenir ces bornes et défendre la chose contre les empiètements — est obligée de respecter, dans ces limites, ce que l’individu pourra faire et entreprendre sur la chose publique. Elle n’est pas la seule. Le même droit existe, dans la même mesure, vis-à-vis de tout le monde. Je puis exiger de tout le monde qu’on ne m’empêche pas de faire usage de la chose publique, de circuler sur le chemin public, d’y aller en voiture (192), etc. S’il en était autrement, on porterait à mes droits une atteinte que je suis autorisé à repousser par la force, contre laquelle je puis invoquer la protection du pouvoir de police, ou bien m’adresser à la justice civile afin d’obtenir l’interdiction du trouble ainsi que des dommages-intérêts12.
Il semble donc qu’il y ait un droit absolu qui ne vise pas une personne déterminée, mais qui ne signifie pas non plus une espèce de pouvoir juridique sur une chose déterminée. Il a son centre fixe dans la personne de l’individu, dont il est inséparable : on ne peut pas y renoncer ; il ne s’aliène pas entre vifs ; il ne se transmet pas non plus par succession. Mais chacun l’a pour soi, originairement, nécessairement, comme une conséquence de sa qualité d’homme.
Tel est le droit d’usage de tous, que nous étudions. On ne peut pas hésiter sur la nature de ce droit. Il ne répond à aucune des formes bien déterminées (193) du droit civil, ni à la stricte notion du droit subjectif public, telle que nous l’avons développée au § 9, III du t. Ier. La faculté de se servir, dans une certaine mesure, des choses publiques existantes n’est pas autre chose qu’une partie intégrante de la liberté individuelle et économique qui, dans notre société, est censée être l’apanage naturel de l’homme, de la liberté sociale13. La détermination de ce qui est compris dans cette liberté sociale n’est pas faite originairement par la loi positive ; c’est l’opinion commune, la conviction générale qui lui donne son fondement et son contenu. Cette opinion et cette conviction se manifestent dans les applications qui en sont faites par les autorités, ainsi que par les témoignages des auteurs qui constatent les principes qui en découlent. Cette opinion n’est pas immuable : les idées sur la liberté sociale varient selon les époques et selon les lieux. Cette opinion n’est pas souveraine : la liberté naturelle, telle qu’elle devrait être d’après les idées générales, cède devant les prescriptions de la loi positive qui définissent, restreignent ou même élargissent la sphère de la liberté sociale. Dès lors, ces idées ne font que remplir les lacunes de la loi positive. Mais jamais la loi positive n’arrive à les écarter complètement et à rendre superflu le travail délicat de la conscience sociale.
(194) L’état de la liberté sociale de chaque époque se fait connaître par certains effets juridiques qui se produisent au profit des individus. Ces effets n’ont pas directement la forme de droits subjectifs. Il en résulte tout d’abord un ensemble d’intérêts à respecter, une sphère protégée contre les atteintes arbitraires et non spécialement légitimées. C’est seulement dans le cas où cette barrière aura été méconnue que de véritables droits de l’individu prennent naissance, droits civils ou droits publics ; ils tendent à procurer à l’individu une satisfaction : cessation du trouble, restitutions, indemnités, châtiments. Que, derrière notre droit organisé, existent ces éléments naturels que ce droit suppose et avec lesquels il faut compter, c’est là un fait incontestable. Le jurisconsulte bien discipliné se plaît à les combiner en les classant dans une catégorie quelconque du droit positif où leur caractère s’efface. Mais on ne peut pas s’en passer.
Le droit civil suppose une sphère protégée de cette espèce, surtout dans son système des faits illicites entraînant l’obligation d’indemniser. Cette sphère entoure la personnalité ainsi que son état économique. On devient responsable quand on y porte atteinte sans y être légitimé par un droit spécial. Celui qui se prétend « lésé dans ses droits », selon l’expression usitée parmi nos jurisconsultes, n’a pas besoin d’exhiber les titres d’un droit formulé. Il existe de simples intérêts dont la personne est entourée et qui sont protégés de la même manière. Quels sont ces droits ? Cela dépend de l’opinion qui s’est formée dans notre société et qui détermine ce cercle d’une manière plus ou moins large. Mais, d’un autre côté, celui qui cause le dommage sera couvert non seulement par un droit formel, mais encore on l’excuse, on le considère comme ayant fait usage d’un « droit » lorsqu’il a agi dans les limites de ce (195) qui, d’après l’opinion, est permis dans la lutte générale pour l’existence. Il peut invoquer la liberté sociale ! Quant aux limites, c’est le juge qui, à défaut d’une prescription positive, l’établit sur les bases naturelles de cette liberté, telles, qu’il les comprend et qui ont ainsi une importance juridique très accentuée.
Le droit à l’usage de tous appartient à la, même catégorie et produit ses effets de la même manière14.
Le droit public auquel il appartient doit compter, comme le droit civil, avec des sphères naturelles de mouvement libre et d’intérêts respectés, sphères qui sont reconnues aux individus même à l’encontre de la puissance publique. Nous savons que, d’après les principes de nos Constitutions, les atteintes à la liberté et à la propriété ne sont admises qu’en vertu d’une loi. Quelle est l’étendue de la sphère ainsi protégée de l’individu ? Qu’est-ce que la liberté ? En partie, cela peut se trouver déterminé expressément par des textes constitutionnels et par des règles établies par les lois. Mais ces prescriptions elles-mêmes sont puisées dans certaines opinions générales sur ce que, dans notre société et vis-à-vis de notre puissance publique, l’homme apporte au monde comme sphère de liberté innée, et sur les limites naturelles de cette sphère. Ces opinions continuent à compléter toutes ces prescriptions ; ce serait une erreur pleine (196) de conséquences très fâcheuses, que de croire qu’on peut trouver tout cela dans les textes.
Nous avons déjà fait une application de ces principes au t. II, § 19, I, no 1 sur le pouvoir de la police et sur la sphère de liberté naturelle dont ce pouvoir est exclu, conformément à la notion de la vie privée et à d’autres idées formées par l’opinion commune. Nous sommes ici en présence d’un cas analogue : contre le pouvoir de police qui règle l’usage des choses publiques et les défend contre les individus, il existe un certain degré de libre expansion de la vie individuelle ; et cela comprend des actes qui devront être accomplis sur la chose publique. De même que la liberté dépend entièrement de la volonté de la loi, qui en principe peut la restreindre ou même la supprimer, ou autoriser le pouvoir exécutif à le faire dans les limites de l’autorisation, de même pour la liberté traditionnelle de la vie privée d’une part, pour la liberté existante de l’usage de tous sur les choses publiques, d’autre part. Mais en tant que de pareilles restrictions ne sont pas établies, la liberté existe dans ses limites naturelles, telles qu’elles sont reconnues par l’opinion ; elle est protégée d’après les organisations de la procédure administrative.
Si nous parlons ici d’un droit à l’usage de tous, c’est pour nous conformer à la manière peu exacte dont on s’exprime d’ordinaire en cette matière. Il n’y a pas de conséquences à tirer de cette expression.
Au contraire, nous aurons de nombreuses conséquences à tirer de la notion de l’usage de tous, telle que nous venons de la développer. Dans ce but nous allons déterminer plus exactement les contours de ce droit à différents points de vue.
II. — Le contenu du droit de l’usage de tous est soumis, comme toutes les manifestations de la liberté, à (197)
la réglementation de la loi. Toutefois, la loi, — et ce qui la remplace, — ne se prononce que rarement en cette matière, et jamais avec l’intention de l’épuiser.
Par conséquent, il faut recourir à d’autres moyens pour connaître ce contenu.
Le premier moyen, c’est la qualité spéciale de la chose publique elle-même, telle qu’elle est déterminée par la nature ou par les travaux qui y ont été faits, et l’affectation finale. Dans les limites des possibilités ainsi ouvertes, l’opinion commune sur ce qui devra être admis donne une définition plus exacte. Cette opinion se fait connaître par ce qui se fait communément soit de la part des particuliers qui, tous, dès qu’ils sont dans le cas de se servir de la chose publique de telle ou telle manière, n’hésitent pas à en faire tel usage, soit de la part des autorités administratives qui laissent les individus agir, soit enfin de la part des tribunaux qui refusent de sévir contre ces agissements et d’appliquer les prescriptions pénales interdisant d’abuser de la chose.
Ainsi, pour connaître le contenu de l’usage de tous, il faut s’en tenir aux réalités de la vie sociale il y a là un travail d’observation à faire.
Pour en donner un résumé, nous commencerons par les chemins publics, l’objet le plus important de l’usage de tous.
Les chemins publics n’ont pas tous le même caractère ; ils se divisent, justement quant à l’usage de tous, en plusieurs catégories : chemins carrossables, sentiers, trottoirs, chemins de halage ; aujourd’hui, nous devons encore distinguer non seulement les chemins spéciaux pour cavaliers, mais aussi pour bicyclettes, bientôt peut-être aussi pour automobiles.
Chacune de ces catégories secondaires fixe un nouveau cadre général pour ce qui y est compris, en vue (198) surtout d’exclure certaines manières de s’en servir, et en vue d’en favoriser d’autres. Il en résulte, pour chaque catégorie, une classification des différentes sortes d’usage selon leur rang, classification dont le maintien ressortit à la police de la chose publique ; comp. III, no 2 ci-dessous.
Voilà ce que nous apprennent déjà la désignation officielle donnée aux différents chemins ainsi que la destination spéciale qui s’y manifeste.
Mais, si nous recherchons maintenant ce que l’on peut faire sur ces chemins, quels sont les différents actes d’usage compris dans leur cadre respectif, c’est vainement que nous chercherions des prescriptions positives pour nous renseigner. Les textes de lois s’abstiennent de faire des indications ; ou, s’ils en font, ils sont d’une insuffisance incontestable. Ainsi, d’après A. L. R., II, § 15, § 16, l’usage qui, sur les grandes routes, est accordé à tout le monde, consiste à « voyager et transporter ses choses » ! Ce serait une situation impossible, si, s’en tenant à ce texte, on devait ne se croire autorisé à rien d’autre !
En effet, il se fait, sur les chemins, beaucoup plus de choses reconnues généralement comme parfaitement légitimes en ce sens que ce serait un attentat à la liberté que de les empêcher, attentat illégal qu’il faudrait repousser et redresser.
Le chemin, dit-on, sert à la communication générale. C’est plus large que la définition légale que nous venons de rapporter ; mais cela ne comprend encore pas tout, cela ne désigne que la masse principale des manières de s’en servir. Le chemin est également ouvert pour tout ce qui, à l’occasion de cette communication, pourra être nécessaire ou agréable et qui devra être compris dans la liberté de la communication, si celle-ci doit avoir pour l’individu toute son utilité. Le chemin est encore ouvert pour beaucoup (199) de choses qui ne rentrent plus dans la communication.
Cela résulte très clairement dans les manières variées de faire usage qui existent au profit des immeubles riverains, notamment au profit des édifices, et, parmi ces derniers, de préférence au profit des maisons d’habitation dans les villes et villages.
L’habitant prend son accès du côté de la rue et place des portes ; il s’y pourvoit d’air et de lumière et ouvre des fenêtres ; il y dirige les eaux qui découlent de son immeuble ; tout cela sans permission spéciale, en vertu du droit de l’usage de tous, par cela seul qu’il y a une rue publique15.
De plus, il s’exerce même une action directe, du côté des maisons riveraines, sur la sphère de la rue : on place au-dessus de la rue, par suite dans l’espace (200) qui lui appartient, des cages d’oiseaux, des planches avec des pots à fleurs, des drapeaux, on y fait jouer des volets, des jalousies — tout cela serait illicite s’il s’agissait d’un immeuble privé ; c’est l’usage de tous vis-à-vis de la rue16.
Le sol de la rue même, qui est devant la maison, est utilisé d’une manière qui excède de beaucoup l’intérêt de la communication. Des voitures s’y arrêtent pour être déchargées, du bois à brûler y est déposé, peut-être même scié. Cela pourra gêner la communication ; et cependant, cela se fait sans permission en vertu du droit naturel de l’usage de tous17.
Il est impossible d’établir une règle générale pour (201) ces manières de se servir de la portion de rue qui est devant la maison. Ici, les mœurs et les habitudes dont dépend le droit varient selon les lieux. Plus une localité est petite et à l’ancienne mode, plus la nature originaire de la rue d’être « allmend », c’est-à-dire simplement chose commune, s’est conservée ; une grande partie de la vie privée des habitants se passe dans la rue : on y laisse stationner des voitures et des marchandises ; le soir, on place des bancs devant la maison pour y prendre l’air ; les enfants y jouent, et même les travaux de l’artisan s’exercent dans la rue qui en partie leur sert d’atelier ; le maréchal-ferrant — alors que, pour tous les autres, le cercle de l’usage de tous s’est rétréci, — reste souvent le dernier qui maintienne l’ancien usage ; il présente alors au jurisconsulte une situation juridique qui semble difficile à qualifier. Les rues nouvellement construites sont beaucoup plus sévères vis-à-vis de ces manifestations de la liberté individuelle ; de plus en plus, les rues ne servent exclusivement qu’à la véritable communication. Dans la même ville, l’usage de tous présente ainsi des diversités, dans la vieille ville d’une part, et dans la nouvelle, de l’autre.
Ce qui est d’usage, de coutume, d’habitude, d’opinion générale sur les limites de la liberté, voilà ce dont tout dépend ici ; c’est en vain qu’on s’efforce de pousser la vie si variée qui s’y développe, dans les formules étroites d’un droit coutumier, d’une acquisition par prescription, etc.18.
(202) Parmi les autres choses publiques, les places publiques et les ponts sont celles qui ressemblent le plus aux chemins ; l’usage de tous a ici un contenu analogue ; et — cela se comprend — il prend, pour les places, (203) une extension peut-être encore plus grande, tandis que, à l’inverse, il se rétrécit pour les ponts.
Pour les fleuves, la navigation est l’élément le plus important de l’usage de tous ; il vient avant tous les autres. Mais il y faut encore ajouter l’usage qu’on peut en faire pour boire, puiser de l’eau, abreuver les bestiaux, se baigner, laver, patiner, passer à gué, et aussi les utilisations multiples qui se font des berges et rivages formant partie du fleuve. Il serait difficile d’en faire l’énumération complète ; mais ce serait aussi une peine inutile. Dans le cas spécial, on ne pourra guère douter si cela rentre ou non dans l’usage de tous. L’opinion commune le dira avec une netteté suffisante19.
Les canaux navigables, à la différence des fleuves, sont des choses publiques artificiellement préparées comme la voirie terrestre, mais qui ressemblent plutôt aux fleuves par leur nature et par leur destination.
(204) Ils sont, pour la plupart, d’origine récente ; par suite, il ne s’est pas formé pour eux une condition propre qui détermine l’étendue qu’a l’usage de tous ; mais il faut dire, en principe, pour eux, tout ce qui existe à cet égard pour les fleuves. Il n’y a qu’une différence : ici, à cause de l’entretien plus difficile, la protection assurée par le pouvoir de police doit être relativement plus rigoureux ; par conséquent, la liberté naturelle doit être soumise de ce chef à des restrictions plus graves20.
Enfin, on se sert, dans une certaine mesure, du rivage de la mer, pour y aller à pied et en voiture, pour y atterrir, etc. ; bref, il sert à des choses qu’on pourrait peut-être comprendre dans la notion de communication publique. Mais il est encore d’autres choses qui peuvent s’y faire et qui n’ont pas cette nature. Elles sont admises sans qu’il y ait un titre positif quelconque, sans qu’elles aient été désignées quelque (205) part, parce qu’elles sont de droit naturel d’après l’opinion générale ; par exemple, les pêcheurs doivent être libres d’y étendre leurs filets pour les faire sécher21.
Le contenu de l’usage de tous a la même richesse de formes que celui de la liberté en général.
III. — Le droit de l’usage de tous a des limites. Les dépasser, c’est empiéter sur l’existence de la chose publique. Le côté de la puissance publique qui tend à repousser de semblables atteintes nous est connu comme police des choses publiques ; c’est, en même temps, la police de l’usage de tous. En cette qualité, elle vise tout trouble pouvant être apporté au bon ordre de la chose publique par la façon dont s’exerce l’usage de tous. Elle combat ces troubles par des ordres et assure l’exécution de ces ordres par la contrainte directe et par des pénalités22.
(206) La loi omnipotente peut supprimer l’usage de tous en tout ou en partie ; elle peut changer les limites naturelles de la liberté.
Les autorisations générales données aux autorités administratives ne contiennent pas un pouvoir de ce genre. Elles peuvent supprimer des choses publiques, déclasser des chemins, etc. ; il n’en est pas question ici. Mais elles ne peuvent pas, tant qu’une chose publique garde ce caractère, en exclure l’usage de tous pour tout le monde (ce qui ne pourrait guère se faire sans changer en même temps la nature de la chose même), ou, ce qui est plus pratique, pour certaines catégories de personnes ou même pour certains individus. Les autorités administratives ne sont admises qu’à faire la police de l’usage de tous, c’est-à-dire à laisser cet usage exister en lui-même et à l’empêcher seulement de nuire à la chose publique ; celle-ci, en effet, doit être conservée propre à sa destination, en tant que cela est compatible avec un usage bien ordonné. Des mesures qui excéderaient ce but ne seraient plus comprises dans l’autorisation ; par suite, elles devaient être considérées comme des atteintes illicites à la liberté23.
Cette police de l’usage de tous se manifeste dans les trois directions principales suivantes :
(207) 1) Pour les choses publiques préparées artificiellement, l’usage de tous entraînera toujours une certaine détérioration. C’est inévitable.
Mais la police peut prendre des mesures pour écarter certaines manières d’exercer cet usage, propres à augmenter outre mesure ces détériorations ou à provoquer des destructions immédiates.
Il faudrait mentionner ici les prescriptions concernant la largeur exigée des jantes, la défense de traîner des charrues ou des troncs d’arbre, le maximum de poids admis pour passer sur un pont, l’application de moteurs battant l’eau pour faire marcher les bateaux sur les canaux.
De même, les immondices jetées sur le chemin ou dans les eaux publiques pourront les rendre moins propres au service auquel ces choses sont destinées et devenir ainsi l’objet de la police des choses publiques ; toutefois, il y a ici d’autres intérêts publics à sauvegarder : intérêts de la police sanitaire, de la police de sûreté, etc.
2) Dans un autre ordre d’idées, la police de la chose publique saisit encore plus directement l’usage de tous et la manière dont cet usage s’exerce. Cet usage doit pouvoir se faire par un grand nombre d’individus sur le même objet et simultanément. Il convient donc d’y mettre de l’ordre, afin que la coexistence soit possible sans préjudice pour l’utilité générale de la chose. C’est à la police de la chose publique à y pourvoir. Elle règle le maximum de vitesse permise aux cavaliers et aux véhicules ; elle dit comment on doit se garer et se laisser dépasser ; elle oblige les passants à continuer leur route au lieu de s’arrêter à certains endroits où cela pourrait gêner la circulation.
L’établissement de chemins spéciaux pour les différents moyens de transport et de circulation facilite cette tâche. A côté de ces affectations spéciales, il y (208) aura encore des exclusions spéciales : dans l’intérêt de la communication générale, certains moyens seront défendus pour des parties déterminées de la voie publique, surtout pour des ponts et des rues étroits ou trop fréquentés : on en exclut les bicyclettes et les automobiles, parce que, par leur nature, ces véhicules sont disposés à aller trop vite ; on en exclut les lourds camions, parce qu’ils marchent trop lentement et barrent le passage24.
En principe, plus une forme de communication est générale, plus elle est favorisée par rapport aux autres moyens ; ceux-ci devront céder, au cas où se produirait une collision d’intérêts. D’un autre côté, tout ce qui est communication, but principal de la chose publique, doit l’emporter sur les autres espèces d’usage de tous qui réclameraient leur part. Beaucoup de ces formes d’usage, étant surannées, doivent disparaître peu à peu devant l’accroissement d’activité de la communication qui s’écoule par nos rues. La police de la chose publique, — en tirant les conséquences et en restreignant par ses ordres, en tant que de besoin, les usages secondaires, — accomplit 1’oeuvre du progrès naturel qui s’effectue ainsi dans nos mœurs sociales et dans l’aspect de nos rues25.
3) Il est enfin dans les attributions de la police de la chose publique de pouvoir exclure temporairement (209) l’usage de tous même dans son exercice essentiel, en interdisant l’usage de la chose.
Cela se justifie de la manière la plus naturelle par l’intérêt de l’entretien de la chose ; on fait des travaux de réparation sur la rue ; ou bien le canal de navigation a besoin d’être mis en état : la communication publique est interdite par ordre de police.
L’interdiction temporaire d’un chemin public pourra aussi être motivée par l’intérêt de la communication publique même, afin de résoudre un conflit pouvant exister entre les différents services auxquels le chemin est destiné. Tel est le cas des rails d’un chemin de fer qui traversent la rue à niveau : la rue sera barrée en cet endroit, lorsqu’il s’agira de laisser passer le train ; de même, le passage sur le pont de bateau doit cesser temporairement, lorsqu’il faudra rompre ce dernier afin de faire place aux navires qui descendent le fleuve.
Il se peut aussi que le terrain de la rue soit réclamé temporairement par un intérêt public supérieur ; dans ce cas, la rue sera interdite pour toute communication publique afin de la réserver exclusivement à cet intérêt supérieur. C’est encore à la police à décider en pareil cas. Il y a des circonstances dans lesquelles cette interruption de l’usage de tous semble être naturelle et ne sera pas contestée dans sa légitimité. Ainsi, la rue dans laquelle a éclaté un incendie sera barrée afin de faciliter le travail des pompiers. Pour d’autres choses, tout dépend, en première ligne, de la coutume et de la tradition, l’usage de tous ne reniant pas son caractère à cet égard : il est des localités où l’on trouve naturel que la communication soit interrompue par des manifestations du culte s’étalant dans la rue ; dans d’autres localités, on y verrait un attentat à la liberté. La police, ici encore, intervient par des ordres afin de concilier les intérêts, et surtout pour (210) assurer sa part à la communication devenue plus importante. Il existe encore une cause particulière d’interruption de la communication : troupe qui passe, ou revue militaire qui occupe les rues et les places. La communication, — partie la plus essentielle de l’usage de tous, — en souffre d’une manière souvent très sensible. On ne peut pas dire que son exclusion repose ici sur une opinion commune qui reconnaîtrait dans ce cas une limitation naturelle à la liberté. C’est uniquement l’œuvre franchement positive de la puissance publique ; cette puissance n’est pas représentée ici par les autorités ordinaires de police ; ce sont les autorités militaires qui font la police à leur manière.
Malgré ces irrégularités, tout cela rentre encore dans la police de la chose publique et de l’usage de tous ; il s’agit de disposer du service de la rue dans l’intérêt public, tel qu’on le comprend.
Il va sans dire que l’usage de tous pourra encore être soumis à d’autres restrictions et réglementations, surtout dans l’intérêt de la police générale, et celle-ci se servira des formes mêmes du pouvoir de police. Ainsi, la police de sûreté pourra défendre de passer devant un édifice menaçant ruine, ou bien de se baigner dans une rivière publique à des endroits spécialement dangereux. Mais cela ne fait pas partie du droit public relatif aux choses, dont nous nous occupons ici.
IV. — A l’usage de tous se rattachent des droits à des prestations en argent. Ces droits sont fondés et réglés selon les principes de certaines institutions d’un caractère plus général et qui ne reçoivent qu’une application spéciale dans l’ensemble de l’exercice, de l’ouverture et de la cessation de l’usage de tous sur une chose déterminée. Nous ne nous en occuperons que dans la mesure où, de cet ensemble, résultent des particularités pour les institutions appliquées.
(211) 1) Le droit à l’usage de tous ne repose pas sur une attribution faite par l’Etat à ses sujets. La condition réelle pour que ce droit puisse s’exercer, — à savoir la chose à ce destinée, — est livrée par l’Etat ; en tout cas, elle est maintenue par lui dans l’état approprié. Cela entraîne pour lui une dépense qui ne profite pas également à tous les sujets. Des considérations d’équité et de justice distributive exigent qu’à ceux qui tirent de ce service un avantage spécial soit imposée une prestation rémunératrice spéciale. L’intérêt des finances se prévaudra de ce raisonnement pour faire établir des impositions de ce genre.
Selon la nature de l’avantage pour lequel il sera donné, l’équivalent prendra aussi des formes différentes.
L’existence même de la chose publique, le fait qu’elle est préparée et entretenue, et qu’elle offre ainsi des possibilités illimitées pour l’exercice de l’usage de tous, représentent déjà des avantages pour certains individus ou pour certains groupes d’individus, de préférence à d’autres moins directement intéressés. L’équivalent est donné sous forme de rétributions. Nous en trouvons un exemple principal dans la rétribution à payer par les propriétaires pour la rue à construire devant leur propriété (Strassenbeiträge). Il en sera parlé au tome IV, § 48, I ci-dessous. Ces prestations ne s’attachent pas assez directement à l’usage de tous pour en retirer une particularité juridique. L’équivalent pourra aussi s’attacher au fait de l’exercice de l’usage de tous dans un cas particulier, et à l’avantage que cela présente. Il revêtira alors la forme de la taxe. Cette taxe est, par nature, intimement liée aux conditions spéciales qui lui sont données par l’usage de tous26.
(212) La taxe sur l’exercice de l’usage de tous se retrouve chez les choses publiques de toute sorte, destinées à servir à la communication publique ; elle s’attache à tout acte de communication, individuellement. Dès lors, elle ne frappe pas, d’une manière générale, tout ce qui est exercice de l’usage de tous. De même, elle ne frappe pas toujours tout acte de communication ; il se peut qu’on ait choisi les catégories les plus importantes. Le péage d’un pont frappe peut-être toute sorte de communications ; le péage des chaussées ou des rues pavées peut ne frapper que le passage en voiture ; la taxe des canaux, des ports, ainsi que la taxe sur la navigation fluviale, ne concernent d’ordinaire que les navires et radeaux d’une certaine dimension. Les tarifs seront proportionnés à l’intensité de l’usage selon le poids du véhicule, les dimensions du navire, la nature de force motrice employée.
Ainsi, les taxes sur l’usage de tous ont, pour elles, une tradition historique ; mais leurs formes juridiques ont dû varier selon les changements qui se sont produits dans les bases de notre droit public en général.
Dans le régime primitif, ces taxes font l’objet d’un droit de supériorité spécial du prince. Les péages des routes, des rivières, des ponts comptent parmi les (213) régales, et parmi les régales basses, pouvant passer aux communes ou à des particuliers, par convention ou par possession immémoriale27.
Aux privilèges compliqués et en partie préjudiciables qui en résultaient pour l’intérêt public, l’Etat du régime de la police cherche à opposer les mesures systématiques de son administration. Il impose des réductions aux taxes existantes ; ou bien il les supprime tout à fait, d’ordinaire contre indemnité. Il se réserve le droit exclusif d’établir des taxes nouvelles28.
L’Etat constitutionnel, enfin, place aussi l’établissement de taxes sous la réserve de la loi. Les règlements de date antérieure, quand ils ont été publiés, sont considérés comme des lois constitutionnelles, selon l’habitude générale (Comp. t. Ier, § 10, p. 156). Des taxes nouvelles ne peuvent être imposées qu’en vertu d’une loi.
Mais ce principe n’est applicable, dans toute sa rigueur, qu’à notre taxe sur l’usage de tous. C’est ce qui fait la particularité juridique de cette taxe, en comparaison de la plupart des autres taxes qui se rattachent aux différents services publics. Nous savons, en effet, que le fondement légal exigé en principe, pour toutes les charges et restrictions que l’Etat pourra imposer à ses sujets, peut être remplacé par la soumission volontaire des sujets (Comp. t. Ier ,§ 9, p. 123). Or, en principe, cette soumission résultera de plein droit du fait par l’individu de profiter (214) d’un service public et de se rendre l’objet de son activité. Cela peut prendre la forme d’une convention civile par laquelle l’Etat stipule le prix de sa prestation. Mais, même en dehors de ce cas, l’individu qui, par son fait, provoque cette prestation, se soumet par là même aux règlements et aux tarifs par lesquels l’Etat en a fixé d’avance les conditions ; il devient ainsi débiteur de la taxe en vertu de son consentement, sans qu’il y ait besoin d’une loi. Nous donnerons les détails de cette théorie au t. IV, § 52, II ci-dessous.
Ici nous n’avons pas ce qui pourrait remplacer la loi. L’usage de tous est une manifestation de la liberté personnelle. On est autorisé à cet usage sans avoir besoin du consentement de l’Etat ; ce dernier, la chose publique une fois donnée, n’a plus rien à accorder. Dès lors, pour l’exercice de l’usage de tous, on n’a pas de conditions à accepter. L’imposition de la taxe sur l’usage de tous est bien, économiquement, motivée par l’idée d’un équivalent ; mais, juridiquement, elle a lieu spontanément, sans l’intermédiaire d’une soumission ; c’est une atteinte portée à la liberté par la puissance publique29. Par conséquent, le fondement légal est indispensable.
Notre taxe présente donc, en principe, une grande ressemblance avec les contributions. La base économique qui distingue la taxe des contributions est juridiquement indifférente. Mais cette base pourra cependant devenir d’une certaine importance juridique à raison d’une autre particularité que nous (215) offre la taxe. Pour les contributions, nous l’avons vu, on n’admet pas que la loi délègue son pouvoir au gouvernement : la loi se réserve, par principe, la fixation du taux et de la proportionnalité de l’impôt (Comp. t. II, p. 192, 193). Au contraire, en ce qui concerne les taxes, des autorisations de ce genre données au gouvernement ne sont pas rares, soit qu’elles reposent sur des lois anciennes qui ont été conservées, soit qu’elles aient été données à une époque récente. La différence s’explique clairement par ce fait que la taxe, à l’opposé de l’impôt, apporte déjà, dans sa conception économique, la détermination de son objet naturel, — à savoir le cas individuel de l’usage fait, — ainsi que la détermination de son maximum naturel, — à savoir la dépense totale faite pour la chose dont on use, dépense qui devra être remboursée et qu’il s’agit seulement de répartir sur la masse des actes d’usage. Ce qui excède cette mesure dépasse en même temps la sphère naturelle de la taxe et empiète sur la sphère de l’impôt, pour laquelle la loi, d’habitude, ne donne pas d’autorisations de ce genre.
Ainsi, une autorisation donnée au gouvernement, d’une façon même tout à fait générale, à l’effet d’imposer des taxes, reçoit cependant tacitement une limite légale : une imposition excédant cette mesure ne serait pas censée être couverte par cette autorisation ; par conséquent, elle ne serait pas valable30.
(216) Par la nature même des choses, il ne pourra être usé de ces autorisations que sous la forme d’ordonnance : la règle de droit est la seule forme pour frapper, d’une manière générale, quiconque ne fait que se servir de sa liberté quand il exerce l’usage de tous. Au point de vue de la doctrine, on pourrait imaginer une imposition, dans le cas individuel, par acte administratif ; mais, en réalité, cela ne serait guère faisable ; encore est-il douteux que cela soit compris dans l’autorisation, en supposant que la réglementation générale aille de soi.
Ainsi, toute imposition de taxes sur l’usage de tous — qu’elle ait lieu directement par la loi, ou, avec son autorisation, par ordonnance, — a pour point de départ la forme d’une règle de droit. Avec ce point de départ, elle se place encore à côté des contributions dont, pour tout ce qui suit, elle partage simplement les formes. Selon la distinction que nous avons établie au tome II, § 27, III, entre contributions directes et indirectes, ce sont, bien entendu, seulement ces dernières dont les formes de perception sont conformes à la nature de notre taxe. Tout ce que nous avons dit des formes de perception des contributions indirectes s’applique à cette taxe. Spécialement, la législation, en vue de garantir la perception, a établi ici différentes sortes d’ordres de finance et de peines de finance qui doivent frapper la fraude31.
(217) 2) D’un autre côté, les rapports naissant pour l’individu de l’usage de tous auquel il participe, pourront aussi entraîner pour ce dernier un dommage spécial. Ces dommages n’auront une importance juridique que dans le cas où ils pourront être censés avoir été occasionnés par un fait de l’administration, laquelle en sera responsable. Dans ce cas, en effet, il y a aura à appliquer les principes de l’indemnité, — laquelle est particulière au droit public. L’individu a droit à une bonification en argent pour tous les sacrifices particuliers qu’il éprouvera par l’effet de l’activité de l’administration publique. Les règles générales de cette institution juridique seront exposées plus explicitement au t. IV, §§ 53 et 54 ci-dessous. Nous n’en relèverons ici qu’une application spéciale.
Des dommages de ce genre peuvent ici frapper l’individu de deux manières différentes qui correspondent, en quelque sorte, aux deux manières différentes dont l’usage de tous peut procurer des avantages spéciaux et qui ont trouvé leur expression dans la distinction des taxes et des rétributions spéciales.
Le dommage spécial peut s’attacher à un acte de l’exercice de l’usage de tous, notamment au fait individuel de se servir de la chose publique pour la communication, dès lors au même fait qui pourrait donner lieu à la perception d’une taxe. Dans ce cas, les règles du droit public sur l’obligation d’indemniser trouveront leur application pure et simple, sans que l’usage de tous n’y ajoute aucune particularité. L’Etat ou l’autre sujet de l’administration publique qui, en tant que maître de la chose publique, notamment du chemin, est à sa place, sera responsable lorsque le dommage aura sa cause dans sa façon d’administrer la chose, dans l’état défectueux où se trouve la chose ou dans les arrangements fautifs qui ont été pris : le pont mal entretenu s’écroule sous la voiture (218) qui le traverse ; le passant tombe, pendant la nuit, dans l’ouverture d’un égout de la rue qu’on a oublié de fermer et de protéger. L’administration paiera les dommages-intérêts. Mais il en sera de même si le dommage a été causé par des faits analogues, sans qu’il soit question de chose publique, ni d’usage de tous32. L’usage de tous ne jouant pas ici de rôle particulier, nous renvoyons pour toute cette question à la théorie générale de cette indemnité.
Il se peut aussi que, correspondant à l’avantage consistant dans la préparation et dans la mise en fonction de la chose publique, dès lors dans la possibilité ouverte de l’usage de tous, le dommage spécial consiste dans le déclassement de la chose publique où dans des changements inopportuns qui y sont apportés, par conséquent, dans l’enlèvement de la possibilité de l’usage de tous. L’indemnité qui serait due ici correspondrait à la rétribution. L’exemple le plus important est le déplacement, l’exhaussement ou l’abaissement d’une rue ; par là est enlevée aux voisins, notamment aux maisons d’habitation riveraines, la possibilité de se servir de la rue pour l’accès et certains autres avantages de l’usage de tous.
(219) Le problème qui, dans ce cas, semble se présenter, a eu une influence néfaste sur toute la théorie de l’usage de tous et de la propriété publique en général. En effet, sur la nécessité d’indemniser les propriétaires intéressés, on a été bientôt d’accord. Mais on n’a pas su comment justifier cette décision ; dans cet embarras, on s’est efforcé de tirer du droit civil des arguments de nature à jeter une grande confusion dans toute la matière33.
Un raisonnement qui a été employé très souvent, part de la thèse que les riverains doivent avoir acquis sur la rue une servitude de droit civil ou un droit spécial de quasi-servitude. On ouvre ainsi la porte à l’opinion qui fait créer sur le chemin public toute sorte de droits réels dépendants du droit civil ; toute la conception de la propriété publique s’efface.
Mais il y aurait là une servitude d’un caractère un peu singulier. Aussi longtemps, en effet, que la rue existe, cette servitude n’aura aucun effet qui ne résulte pas déjà de l’usage de tous. Si, au contraire, la rue est déplacée ou si le terrain qui servait de rue devient, d’une autre manière, accessible à la constitution de droits civils, il n’y aura encore rien d’une servitude ; il y aura seulement un droit à indemnité à raison du dommage éprouvé. C’est uniquement pour expliquer cette indemnité, qui seule préoccupe, que l’on recourt à ce détour en affirmant l’existence d’une servitude qui elle-même n’apparaît jamais34.
(220) De plus, comment cette servitude aurait-elle été créée ? A cet égard, on avance certaines choses qu’il nous est difficile d’admettre. La servitude doit naître par une convention. L’Etat, la commune, par la construction de la rue, ont invité les riverains à y établir des maisons d’habitation et ont consenti, pour ce cas, la servitude. Par la construction d’une maison, on accepte tacitement cette offre tacite35 ! Les maisons construites antérieurement ont, il est vrai, le même droit ; mais le jurisconsulte avisé saura, pour ce cas aussi, trouver la convention tacite nécessaire ; il lui suffira d’invertir la suite des déclarations respectives36.
(221) Si, cependant, on a besoin d’une convention tacite, il est certes plus raisonnable d’aller directement au but et de dire tout simplement que l’Etat est censé avoir promis aux riverains une indemnité pour le cas de déplacement ou de changement de la rue ; on appellera cela une promesse de garantie ou autrement. Que cette promesse produise son effet au profit de tout successeur du premier riverain, cela, au besoin, est compatible avec les principes généraux des obligations civiles envers une persona incerta ; comp. t. Ier, § 21, p. 67, note 1137.
Mais ce qui s’oppose d’abord à toutes ces conventions, c’est qu’elles ne répondent pas à la réalité des choses. En réalité, l’Etat, la commune ne songent pas (222) à assumer volontairement une pareille obligation. Dès lors, s’il y a droit à indemnité, ce ne peut être que l’effet immédiat d’une règle de droit ; il ne peut s’agir que d’une obligatio ex lege. Jamais on n’aurait eu recours à des conventions aussi fantastiques, si l’on n’avait pas ignoré complètement la véritable base juridique. Cette base se trouve tout simplement dans notre institution de l’indemnité du droit public, la même qui sert aussi à réparer les dommages éprouvés à l’occasion d’un acte individuel de l’usage de tous.
Il est évident que les éléments dont dépend son application se trouvent réunis ici : mesure de l’administration publique et sacrifice spécial de l’individu. Le déplacement ou changement de la rue, opéré dans l’intérêt public, porte, en même temps, préjudice aux intérêts pécuniaires du riverain, lesquels dépendaient de l’usage de tous et dont le riverain est maintenant privé ; c’est ce dommage dont il lui est accordé réparation38.
Il nous reste encore à répondre à une question : pourquoi cette indemnité n’a-t-elle lieu qu’au profit du propriétaire riverain et non pas aussi au profit des autres personnes qui pourront éprouver un préjudice à la suite du changement ? On cherche à expliquer cette inégalité en faisant intervenir, pour le riverain seulement, cette convention imaginaire. Mais la véritable explication se trouve dans la nature même de (223) l’indemnité du droit public et dans ses règles particulières. L’indemnité ne comprend pas du tout un préjudice quelconque pouvant résulter, pour quelqu’un, des mesures prises par l’administration publique. Le sacrifice que l’indemnité suppose, est l’enlèvement direct d’une valeur, le dommage matériel : il faut qu’on ait pris au plaignant quelque chose qu’il possédait. C’est uniquement dans cette mesure que l’obligation d’indemniser peut exister raisonnablement et qu’elle existe en réalité ; comp. t. IV, 53, II ci-dessous.
De là, la différence entre le riverain et d’autres intéressés. Le riverain est dans un rapport particulier vis-à-vis de la partie de rue qui se trouve devant lui. L’accès et les autres avantages que la rue procure à son édifice en vertu de l’usage de tous, forment une partie de la consistance juridique de cette portion de sa fortune. Si la maison est privée de la rue, c’est une atteinte portée à cette consistance, et qui en diminue la valeur39.
Le changement pourra aussi causer un dommage à d’autres individus qui ne sont pas des riverains directs. Spécialement, les voisins du propriétaire à indemniser, devant lesquels la rue reste intacte, pourront, par suite de la suppression de sa prolongation, être forcés de faire des détours, ou se trouveront peut-être placés dans une impasse. Cela ne constitue pas une atteinte à l’état de leur fortune ; il n’y a pas un (224) enlèvement de valeurs ; leur immeuble lui-même reste intact dans toute sa consistance ; notamment, il reste accessible et pourvu de tous les avantages de l’usage de tous dont il jouissait auparavant. D’autres personnes, dans une situation plus éloignée, sont peut-être intéressées, d’une façon analogue, à un degré encore moindre : personne autre que le riverain direct n’éprouve, à raison du changement de la rue, ce dommage direct et matériel qui seul entre ici en compte.
C’est en ce point que repose entièrement la solution de la question de ce qu’on appelle le droit particulier des riverains40.
(225) Du reste, en y regardant de plus près, on verra que la même distinction doit être faite entre les différents dommages qui pourront résulter des actes individuels de l’exercice de l’usage de tous. On n’a qu’à accentuer les exemples que nous avons donnés plus haut. Le pont est défectueux et l’on ne peut y passer sans danger : grand préjudice pour tous les voisins ainsi que pour tous ceux qui devraient s’en servir pour la communication régulière. Le fossé qu’on a creusé à travers la rue et qui, par négligence, a été laissé ouvert pendant un assez long temps, la rend impraticable : tout le monde est forcé de faire des détours ; on manque les départs du chemin de fer ; des pertes sérieuses pourront être démontrées. Personne ne reçoit d’indemnité, excepté celui sous lequel le pont s’écroule ou qui tombe dans le fossé. C’est seulement à celui-ci qu’est causé un dommage direct, répondant au sens de l’institution de l’indemnité du droit public.
(226) Nous n’avons traité ici de cette institution qu’autant qu’il était nécessaire pour écarter des doctrines qui tendent à dénaturer l’idée de l’usage de tous ; cette-théorie doit rester libre de toute construction juridique empruntée au droit civil.
- Nous trouvons dans R. G., 23 février 1880 (Samml. I, p. 366) un exemple très instructif de cette manière de voir : l’Etat force le Fisc à tenir les rivages de la mer à la disposition du public pour y faire certains travaux ; les intéressés pourront provoquer son intervention : Comp. § 35, note 10 ci-dessus. Il y a, dans le droit moderne, une analogie dans la situation juridique de l’indigent que la commune est obligée de secourir ; cette obligation n’existe que vis-à-vis de l’Etat : l’indigent peut invoquer l’Etat pour qu’il force la commune à obéir à l’obligation qu’il lui a imposée, mais il n’a pas de droit propre lui permettant d’exiger de la commune ces services. Comp. t. IV, § 60, III, no 2 ci-dessous. [↩]
- Ubbelohde, Forts. z. Glücks Pand., liv. 43 et 44, IV, 1 ; Regelsberger, Pand., I, p. 421 ; R. G., 13 janv. 1882 (Reger, III, p. 93). [↩]
- Bl. f. adm. Pr. 1870, p. 337 : « Faire usage de la rue, c’est exercer un pouvoir concédé par l’Etat ». Burkhardi dans Ztschr. f. Reichs. u. Landes R., I, p. 107. Parmi les auteurs de l’époque antérieure, il faut citer surtout Maurenbrecher, Deutsch. Priv. R., § 156. [↩]
- A. L. R., II, § 15, § 7 : « L’usage libre des grandes routes est permis à chacun pour voyager et pour transporter ses choses ». Oesterreich. R. G., B., § 287 : « Celles (de ces choses de l’Etat), qui ne leur (aux membres de l’Etat) sont permises que pour l’usage s’appellent biens publics ». [↩]
- L’interprétation que nous donnons de la loi Prussienne est aussi la seule possible pour le § 287 du Code Autrichien, cité à la note précédente. Auschütz, Ersatzansprüche, p. 110 note 120, sans s’expliquer autrement, affirme qu’il ne peut passer si légèrement sur le texte du § 7, A. L. R., II, 15. C’est pour lui un parti pris ; comp. § 35 note 24 ci-dessus. [↩]
- Cette vérité éclate même dans la doctrine qui voudrait faire reposer l’usage de tous sur une attribution faite par l’Etat ; les partisans de ce système parlent d’une attribution que l’Etat est obligé de faire. Ainsi, Maurenbrecher, Deutsch. Pr. R., § 156 : « les choses publiques sont la propriété de l’Etat, mais l’Etat est obligé (« muss ») d’en abandonner l’usage aux sujets ». Cette nécessité juridique pour l’Etat ne pourrait s’expliquer que par un droit préexistant. [↩]
- Dernburg, Preuss. Priv. R. I, p. 597 : « faire usage des chemins communaux, c’est un droit inhérent à la qualité de membre de la commune ». Ubbelohde, Forts. z. Glücks Pand., liv. 43 et 44, IV, I, p. 38, 46 : l’usage des « choses publiques de l’Etat appartient aux individus, non pas en vertu d’un droit privé personnel, mais en vertu de leur droit de cité ». Bl. f. adm. Pr., 1874, p. 23 : vis-à-vis de toutes les personnes morales possédant des choses publiques, l’individu a le droit de s’en servir « comme membre de l’universalité ». Récemment encore, Rosenfeld, d. Wesen des Rechts auf Gemeingebrauch, p. 23 s., s’associe à cette manière d’expliquer l’usage de tous. L’étranger, d’après lui, n’en jouit que par une faveur spéciale (Verstöhung) ; elle lui est accordée par le fait qu’il n’en est pas expulsé. Mais de la même manière, on pourrait aussi constater un droit spécial octroyé à l’étranger de respirer notre air ! [↩]
- Wappäus, dem Rechtsverkehr entzogene Sachen, p. 112, 113. Ihering, dans sa consultation sur l’affaire des remparts de Bâle, p. 38, après avoir fait absorber la propriété de la chose publique par l’usage de tous, attribue très logiquement cette propriété au « public » ; comp. § 35, note 14 ci-dessus. Comp. aussi O. Tr., 12 juin 1852 (Str. 4, p. 244) ; O. Tr., 28 mars 1873 (Str. 88, p. 341). Les auteurs français aiment aussi s’exprimer ainsi ; Proudhon, Domaine public, I, no 220 : « un droit d’usage ou d’usufruit établi sur ce fonds au profit du public ». [↩]
- R. G., 13 janv. 1882 (Reger, III, p. 53) : « le droit appartenant à tout le monde sur les chemins publics, qui, tout en étant de nature publicistique, est, selon le droit commun, protégé également contre des troubles par des moyens du droit civil ». Bekker, Pand. I, p. 341 : « des droits qui appartiennent à tous ». [↩]
- R. G., 13 janv. 1882 (Comp. la note précédente) ; H. G. 23 février 1880 (Samml. I, p. 366) : « un pouvoir dépendant du droit public » ; Bl. f. adm. Pr., 1870 p. 337 : « non pas un droit privé, mais ce qu’on peut exiger par le droit administratif » ; eod., 1874, p. 43 : « non pas un droit privé à poursuivre judiciairement, mais seulement (!) un pouvoir administratif ». [↩]
- Ubbelohde, l. c., p. 174 : « un droit réel, très semblable à un droit de jouissance ou à une servitude » ; p. 175 : « des quasi-servitudes, avec cette différence essentielle des servitudes proprement dites, qu’elles s’éteignent d’elles-mêmes, aussitôt que l’autorité supprime l’usage de tous ». Bekker, Pand. p. 382, s’exprime avec plus de réserve : « l’objet du droit, dans le cas que nous envisageons, est une chose ; donc le droit lui-même est un droit réel. Mais c’est un droit d’une nature particulière, puisqu’il ne peut pas être acquis ni perdu par l’individu ». — Cette servitude joue un rôle très important pour expliquer la situation juridique spéciale des maisons construites le long de la rue ; il parait que, dans ce cas, la servitude doit être quelque chose de nouveau et de spécialement sérieux comme si l’on ne l’avait pas déjà admis pour l’usage de tous en général. Comp. IV, no 2 ci-dessous. — Les auteurs français se servent également ici de la notion de servitude et même d’une façon plus décidée ; Proudhon, Dom. publ. I, no 16 : « ils (les immeubles) sont affectés au profit de tous indistinctement à un véritable droit d’usage, servitude personnelle dont l’exercice est réglé par les lois de police ». Dans ces questions de terminologie juridique, il ne faut pas toujours les prendre pour modèles. [↩]
- Landsberg, Injuria und Beleidigung, p. 104 : « aujourd’hui encore, celui qui trouble une personne quelconque dans la jouissance ou l’usage des choses soumises à l’utilisation publique, pourra être poursuivi au moyen de l’actio injuriarum aestimatoria ». Ubbelohde, l. c., p. 201, tient l’actio injuriarum pour superflue, attendu qu’aujourd’hui tout trouble apporté à l’usage de tous tomberait sous une prescription du Code pénal ; si aucune autre disposition n’est applicable, « on verra toujours dans une conduite pareille une incontinence grave » (grober Unfug : Str. G. B., § 360, no 11). Mais il nous semble que cette pénalité entraînera, en outre, elle-même une demande en indemnité de la part de la personne lésée. Tout dépend ici du système consacré par le droit civil sur la responsabilité à raison du dommage causé d’une manière plus ou moins large. Comp. sur cette question les excellentes observations de v. Sarwey, öff. R. V. u. R. Pfl., p. 427 ss., p. 501 ss. — Il y aurait, sans doute, une lacune dans notre droit civil, si le droit à des dommages intérêts ne pouvait être justifié qu’au moyen de cette malencontreuse disposition du § 360 no 11 du Code pénal, qu’Ubbelohde se plaît à invoquer. Il faut maintenant chercher la solution dans les § 823 ss. du Code civil Allemand. Le § 825 al. 2 ne sera pas toujours applicable, la disposition sur l’ « incontinence grave » n’étant pas une loi « visant la protection d’un tiers ». Mais quand on sera en présence d’un agissement intentionnel, on pourra invoquer le § 826 : « Quiconque aura causé un dommage à autrui intentionnellement et d’une manière contraire aux bonnes mœurs, etc. ». [↩]
- Ce qui a été écrit de mieux sur ce point se trouve dans v. Sarney, öff. R. u. V. R. Pfl., p. 429 ss. : « Lorsque quelqu’un est exclu, sans motif suffisant, de la participation aux institutions de la vie commune, et qui sont généralement ouvertes à toute personne comme telle », cela implique un refus de reconnaître la personnalité ; par suite, il y a lésion d’un droit. « Il faut y comprendre l’usage des chemins publics, des eaux publiques, etc. ». Si l’exclusion de l’individu résulte d’une disposition de l’autorité administrative, nous avons alors « une lésion de la personnalité de l’individu », « une atteinte, sans fondement légal, à un droit subjectif ». C’est là l’idée fondamentale de l’usage de tous ; quant à l’expression « un droit subjectif », il nous sera permis de faire des réserves. [↩]
- La doctrine du droit civil, poussée par le besoin d’une certaine uniformité de ses matières, a inventé, pour ces différentes manifestations de la liberté protégée, le nom de droits d’individualité (lndividualrechte). Ce n’est qu’un mot. Toutefois, c’est très logiquement que Kohler, le partisan le plus ardent de ces « droits d’individualité », comprend dans leur nombre l’usage de tous : Autorrecht, p. 130, 133. — Rentre tout à fait dans le cercle de ces idées ce que le code civil All. prescrit dans son § 826 : on doit des dommages-intérêts pour ne pas avoir observé les limites que les bonnes mœurs semblent avoir tracées. [↩]
- Bekker, Pand., p. 341 ss., distingue : des droits résultant directement de l’usage de tous et, par conséquent, appartenant à tout le monde, et des droits de préférence « qui ont l’usage de tous pour point de départ, mais qui doivent être acquis spécialement et, par suite, n’appartiennent qu’à ceux qui les ont acquis ». Ces droits de préférence sont alors (p. 343) subdivisés en « droits de riverains » — ce sont essentiellement ceux dont nous parlons au texte — et « droits spécialement acquis par riverains ou non-riverains », par lesquels Bekker vise surtout les droits acquis par une concession. Mais alors les « droits des riverains » ne seraient donc pas des droits spécialement acquis ; dès lors, selon la distinction fondamentale, ce seraient des droits résultant directement de l’usage de tous. Bekker les appelle lui-même : « une série d’avantages, d’utilités de l’usage de tous ». S’il les qualifie de droits de préférence, c’est seulement pour le motif qu’ « ils ne peuvent jamais appartenir de la même manière à celui qui n’est pas propriétaire… Entre autres, la possibilité, etc. ». Il nous semble donc que ce ne sont que des préférences de fait, mais non des droits de préférence. Il est bien évident, en effet, que celui qui n’a pas de maison ne peut pas avoir de fenêtres sur la rue. De la même manière, celui qui n’a pas de voiture ne peut pas passer par la rue en voiture, celui qui n’a pas de cheval ne peut pas y passer à cheval. Ou bien faut-il dire que les propriétaires de voitures ainsi que les propriétaires de chevaux de selle auraient aussi des « droits de préférence » sur la rue ? Il sera plus juste de dire que toutes ces personnes tirent, de l’existence de la rue, des avantages que d’autres n’en tirent pas, parce qu’ils n’ont pas les moyens réels pour le faire. Mais le droit qu’on peut ou qu’on ne peut pas exercer, c’est toujours l’usage de tous, sans distinction ni préférence. [↩]
- Ubbelohde, Forts. v. Glücks Pand., 1. c., p. 111, rapporte un différend qui s’est produit entre la ville de Marburg et l’autorité administrative. Un riverain veut construire en saillie sur la rue. La commune, propriétaire de la rue, s’y oppose. La direction de police, autorité royale, autorise le propriétaire, alléguant que le propriétaire de la rue est cependant obligé de souffrir des drapeaux, des jalousies, des fenêtres s’ouvrant en dehors, « en tant que cela n’entraîne pas d’inconvénients ». Cette dernière phrase signifie que la limite de cette liberté est tracée par le but principal de la rue et sera maintenue par la police de la chose publique dont est chargée l’autorité royale. Comp. § 36 note 7 ci-dessus. Les constructions en saillie, il est vrai, ne devront pas être assimilées aussi simplement aux autres actes d’usage de la rue ; en principe, elles ne sont pas comprises dans l’usage de tous ; nous y reviendrons aux §§ 39 et 40 ci-dessous. [↩]
- St. G. B., § 366, no 9, d’après son texte, semble déclarer punissable purement et simplement : « celui qui, sur des chemins publics, aura placé, jeté ou laissé des objets propres à gêner la libre communication ». On se demande s’il n’y a pas lieu d’ajouter le mot « illicitement ». Il est certain qu’un pouvoir de droit privé ne pourra être ici d’aucun secours ; il n’existe pas de pouvoirs de ce genre vis-à-vis du fait de la rue publique. Mais la concession, la permission spéciale et l’usage de tous fournissent effectivement des pouvoirs qui doivent compter ici. Olshausen, Stf. G. B., au § 366 no 9 b, cite un arrêt du O. L. G. Darmstadt du 28 nov. 1888 où « l’acquittement a eu lieu essentiellement pour le motif que le trouble de la communication publique, occasionné par le stationnement d’un véhicule dans une impasse étroite, n’a pas duré plus longtemps qu’il n’était nécessaire pour en décharger le foin ». L’inculpé était, dans cette mesure, légitimé par le droit de l’usage de tous. [↩]
- Bl. f. adm. Pr., 1886, p. 229 ss. Un maréchal ferrant a devant sa maison un pont de ferrage. La Cour déclare : « C’est une antique opinion dans le droit germanique que le passage ou trottoir longeant les maisons est à considérer comme une partie de la rue » ; souvent, il est permis aux artisans de s’en servir pour y faire leurs travaux, mais cela n’a lieu que d’une manière « précaire ». La Cour voit là un precarium dans le sens technique ; comme toute autre convention, il pourra avoir été fait tacitement. L’avocat du maréchal ferrant avait plaidé dans le sens d’une servitude. Le maréchal ferrant lui même n’avait évidemment songé à aucune de ces institutions juridiques ; il avait cru être dans son droit, en travaillant devant sa maison, conformément aussi à « une antique opinion dans le droit germanique », à savoir en vertu du droit de l’usage de tous. Quant à savoir si ce droit ne doit pas céder aux exigences de la police, c’est une autre question ; comp. III no 2 ci-dessous. — Ubbelohde, Forts. v. Glücks Pand., l. c., p. 149 note 86, raconte le cas suivant : Dans la province du Hanovre, « le directoire régional ne conteste pas aux riverains des chaussées dans les terres basses (Marschen) le droit excessivement incommode à l’usage de tous, de décharger sur la chaussée la terre, le limon, etc. obtenus par le curage des fossés longeant la chaussée, la preuve ayant été faite devant cette autorité, que le déchargement s’était ainsi opéré de tout temps, de mémoire d’homme et dans l’intention d’exercer un droit ». Ubbelohde appelle cela un droit réel à un usage particulier empiétant sur l’usage de tous, né en vertu d’un exercice immémorial. Mais tout exercice du droit de l’usage de tous est susceptible de gêner ce qui reste de l’usage de tous, et constitue un empiètement. Cette manière de se servir de la chaussée est évidemment, par elle-même, une partie de l’usage de tous, et elle présente une certaine analogie avec le droit des riverains, — qui y est également compris, — de diriger sur la route l’écoulement de leurs eaux. De droit réel, il ne peut pas être ici question ; l’exercice immémorial n’est que la preuve certaine de l’opinion générale qui admet cette utilisation de la route comme émanant du droit de l’usage de tous. — Nous devrons aussi comprendre le cas dont il est question dans R. G., 16 février 1887 (Reger, VIII, p. 309). Le tribunal parle d’une acquisition par prescription du droit de placer dans la rue des voitures et des ustensiles aratoires ; il croit devoir admettre une prescription, puisqu’il s’agit d’une jouissance continue et ayant un caractère de préférence, à l’opposé des utilités passagères comprises dans l’usage de tous, — jouissance exclusive aussi à l’encontre des tiers qui voudraient placer leurs voitures aux mêmes endroits. Mais d’autres individus n’ont-ils pas, devant leurs maisons, le même droit exclusif ? C’est cependant alors le droit de l’usage de tous. En vertu de ce droit, chacun est autorisé à placer ces choses devant son immeuble ; de là l’exclusivité. Nous n’avons pas besoin d’admettre une prescription contrairement à la nature de la chose publique. Les diversités qui pourront exister entre les différents immeubles s’expliqueront facilement par l’action régulatrice de la police, laquelle ne laisse subsister cette forme spéciale de l’usage de tous qu’aux endroits où cela semble être compatible avec l’intérêt principal de la rue, avec la communication publique. [↩]
- Très significative est la tentative d’énumération faite dans la loi Bavaroise sur l’utilisation des eaux, du 28 mai 1852, art. 9 : « Chacun est admis à se servir des eaux d’une rivière publique pour puiser de l’eau et se baigner, pour laver et abreuver, en se conformant toutefois aux prescriptions de police ». Ceux qui veulent faire découler l’usage de tous d’une permission de l’Etat, pourraient croire trouver ici un bon appui. Mais alors l’usage de tous devrait être renfermé complètement dans le texte de cette permission. Il est facile de voir que, même ici, il ne faut pas y songer. Pözl, Komment., p. 62, observe : « Comme étant compris dans l’art. 9 al. 1, il y a lieu d’ajouter encore : le patinage sur l’eau gelée, le lavage des brebis, le rinçage de la lessive ; enfin, on peut s’en servir pour y laisser aller des oies et des canards ». Dans une note, il ajoute aux mots : « lavage des brebis » – « En est-il de même des cochons ; cela, pour nous, est douteux ». Et pour les chiens ? Ce sont cependant eux qui, de tous les animaux, sont le plus souvent envoyés dans l’eau. Pözl ne les cite pas ; c’est évidemment parce que cela ne lui parait pas assez sérieux. Mais il est de la nature même de la liberté, qu’il lui soit indifférent de savoir comment est estimée généralement la valeur de l’action de l’individu. Laissons la question de savoir si l’énumération de Pözl est complète. L’essentiel est ceci : Où prend-il l’autorisation d’ajouter au texte de la loi des choses pareille ? Ce n’est évidemment que dans l’opinion générale dont dépend en principe la détermination du contenu de l’usage de tous et que la loi n’a pas voulu écarter par l’énumération de quelques exemples. [↩]
- Cela reçoit une expression très énergique dans la loi Bavaroise sur l’utilisation des eaux de 1852, art. 8 : « Les canaux construits par l’Etat ne sont ouverts à l’usage de tous qu’autant que cela est ordonné par le gouvernement ». On pourrait croire qu’ici l’usage de tous est entièrement affaire de faveur réservée au gouvernement qui l’accordera d’une manière générale ou individuelle. Il n’y aurait pas alors sur les canaux Bavarois d’usage de tous au sens juridique du mot. La loi, en effet, comme nous le savons, peut exclure cette manifestation de la liberté et la remplacer par d’autres formes qui, matériellement, satisferaient le même intérêt. Mais telle n’est pas ici l’intention. On a seulement voulu donner au gouvernement l’autorisation de restreindre pour les canaux l’usage de tous existant pour les eaux publiques en général, et de le restreindre dans une mesure dépendant entièrement de la libre appréciation du gouvernement. Dès lors, en tant que le Gouvernement ne l’aura pas restreint, cet usage de tous existera aussi pour les canaux. Cette interprétation est confirmée par la manière dont l’ordonnance Bav. sur les canaux du 9 janv. 1842, contenant les prescriptions gouvernementales visées par la loi dans son art. 9, a réglé l’usage des canaux : la navigation, naturellement, représentant l’intérêt principal, est libre : une série d’autres sortes d’usages, — libres pour les rivières publiques, — sont défendus expressément (Kanalordnung, § 63 ss. ; Pözl, Komment., p. 491). En vertu de cette défense, l’usage de tous, qui est admis ailleurs, se trouve directement supposé. Tout ce qui ne tombe pas sous la défense est donc censé être légitime de plein droit. [↩]
- R. G., 23 février 1880 (Samml. I, p. 366). [↩]
- Voyez surtout Stf. G. B., § 366, no 9 : « Quiconque, sur des chemins publics, aura placé, jeté ou laissé des objets propres à gêner la libre communication… ». Mais il faut se garder de voir dans cette prescription un règlement complet et exclusif des limites de l’usage de tous. Il y a bien des choses qui, quoique gênant en quelque façon 1a libre communication, restent cependant dans la sphère reconnue à l’usage de tous et qui, par suite, échappent au § 366 no 9, dont le texte semble les comprendre ; comp. la note 17 ci-dessus.
D’un autre côté, le pouvoir de police, à l’effet de protéger la rue publique, s’attaque à bien des choses qui, sans apporter de trouble à la communication publique et sans tomber par conséquent sous le coup du § 366, no 9, excédent l’usage de tous. Bl. f. adm. Pr., 1876, p. 317 : Le fait d’avoir placé des objets dans la rue n’est pas toujours frappé par le § 366, no 9 ; il suffit, pour que ce § ne soit pas applicable, qu’on ait laissé assez d’espace pour la communication. Dès lors, dans ces conditions, ce n’est pas même pour y avoir installé une boutique, qu’on encourrait la peine et qu’on aurait à subir la contrainte de police dirigée contre le fait punissable (Riedel, Comment. z. P. Stf. G. B., p. 146 ; comp. aussi t. II, § 24, II, p. 143). La boutique pourra cependant être enlevée de la rue, comme excédant par sa présence l’usage de tous. On affirme que l’administration pourrait obtenir cela « tout au plus, par la voie d’une action civile ». En réalité, l’autorité de police ne songera pas à s’adresser aux tribunaux. Elle fera une sommation de démolir ; faute par le propriétaire de s’exécuter, elle fera démolir elle-même afin de se maintenir en possession de la rue. Cela n’est pas douteux ; comp. t. II, § 24, I, p. 139. [↩]
- Voyez un exemple d’une restriction illicite dans Bl. f. adm. Pr., 1874, p. 369 : Une prescription de police locale avait décidé qu’il serait défendu à tous autres qu’aux habitants de la localité de passer en voiture par une certaine ruelle. Cela a été jugé inadmissible : « l’usage général — qui est la qualité principale de tout chemin public, — cesserait ». Si l’on voulait protéger la ruelle et ne faire vraiment que de la police de l’usage de tous, on pouvait faire une distinction objective, concernant la forme de l’usage même et exclure, par exemple, les véhicules lourds. — Un autre cas de ce genre dans Bl. f. adm Pr., 1872. p. 359 ; défense avait été faite aux « étrangers » de se servir d’un chemin vicinal de la commune. Cette prescription de police locale fut annulée, parce qu’un chemin public appartient à tout le monde, indépendamment de la qualité de membre de la commune. Ce sont les anciennes idées du droit de l’association qui reparaissent dans ces tentatives. [↩]
- Ubbelohde, Forts. v. Glücks Pand., l. c., p. 149, appelle ce qui fait la particularité des chemins spéciaux « une catégorie privilégiée de l’usage de tous ». — Pour les exclusions spéciales, nous trouvons un exemple d’une mesure très rigoureuse dans O. V, G. 9 mai 1881 (Samml. VIII, p. 292) : l’autorité de police est libre de défendre de pratiquer des issues sur la rue publique, pour certaines parties de cette rue ou pour certaines espèces d’édifices, lorsque cela parait être exigé par les intérêts publics qui sont confiés à cette autorité. Cela équivaudrait donc à la suppression de l’exercice d’une partie importante de l’usage de tous au profit des autres utilités de la rue. [↩]
- Comp. les notes 17 et 18 ci-dessus. [↩]
- Sur la distinction entre les rétributions et les taxes, comp. t. II, § 27, p. 190. Toutes les deux sont, comme nous l’avons remarqué, des notions de la science des finances.
Les auteurs qui ont écrit sur les finances montrent plus ou moins d’indifférence pour les questions de formes juridiques qui nous intéressent exclusivement ; il y aura pour nous peu de profit à les suivre. V. Stein, Finanzwissenschaft I, p. 345, remarque à propos de l’exposé du système des taxes qui se trouve dans le livre, — d’ailleurs excellent, — de Sax, Die Verkehrsmittel in Volks. u. Staatswirtschaft : « il ne manque que le côté juridique » ; il nous semble que ce jugement devrait être généralisé et appliqué surtout aux développements de v. Stein lui-même. [↩]
- Klüber, öff. R., §§ 408, 409 (régalité des routes) ; § 460 (régalité des cours d’eau) : dans la régale est toujours compris le droit de fixer le taux de la taxe. [↩]
- Ce développement se trouve exposé, en ce qui concerne la Prusse, dans v. Roenne u. Simon, Verf. und Verord. des Preuss. St. VI, 4 Sect. 2 (police des chemins) p. 481 ss. ; pour Bade, dans Bär, Die Wasser. und Strassenbauverwaltung in dem Grossherzogtum Baden, p. 370 ss. [↩]
- En ce sens, le péage des ponts, le péage des chaussées, la taxe des ports sont désignés à l’opposé d’autres taxes, de « Allgemeine Anlagen » (tailles) dans le sens du A. L. R., II, 14 § 78 et 79 (C. C. H., 8 oct. 1870 ; J. M. Bl., 1870, p. 352) ou de « Abgaben » (contributions) : C. C. H., 9 déc. 1865 ; J. M. Bl., 1866, p. 125. [↩]
- La science des finances cherche quelquefois à se servir de cette limite naturelle de la taxe comme d’un élément nécessaire de la notion. Ainsi, il peut arriver qu’une seule et même imposition soit appelée taxe jusqu’à un certain montant, et contribution pour ce qui l’excède. Il va sans dire que nous ne pouvons en faire aucun cas ; pour nous, la taxe reste une taxe, même quand elle est exagérée ; il nous suffit que son point de départ soit dans une prestation de l’Etat, qui donne à la taxe le caractère formel d’un équivalent. — La limite naturelle, comme nous l’établissons au texte, n’a que la valeur d’un devoir moral qui, pour la loi, ne peut pas être juridiquement obligatoire ; c’est seulement pour le gouvernement, pour le pouvoir exécutif, qu’elle peut devenir un lien juridique, en indiquant la limite, expressément ou tacitement voulue, que fixe son autorisation. Comp. Neumann, Die Steuer, p. 303 ss. — Le principe de la limite naturelle est affirmé, entre autres, dans l’Ord. Pruss, du 16 juin 1838, concernant les droits sur la communication. La Constitution de l’Empire l’a rendu obligatoire pour la législation particulière en ce qui concerne les taxes des ports, les péages fluviaux et les droits de navigation (art. 54, al. 2 et 3). [↩]
- Par exemple, dans A. L. R., II, 15, §§ 123, 129. [↩]
- Pour les tribunaux, cette distinction s’efface : dans l’un et dans l’autre de ces cas en effet, ils condamnent le Fisc à payer des dommages-intérêts, en vertu des règles du droit civil sur la responsabilité pour délits ou quasi-délits. R. G., 4 avril 1882 (Samml. VII, p. 288) : le demandeur, en traversant le fossé de la chaussée, est tombé dans une tranchée de canalisation pratiquée à cet endroit et s’est cassé la jambe ; l’Etat est déclaré responsable de sa chose en vertu de l’art. 1384 du code civil Français. Cette chose, dans ce cas, était donc une chose publique. D’un autre côté, le Tribunal de l’Empire (Jurist. Wochenschr. 1902, p. 192) constate la même responsabilité pour le cas où un ouvrier s’est blessé en tombant dans un fossé qui a été creusé par les agents des chemins de fer près d’une rotonde. Ici c’est une propriété du droit civil dont le mauvais état rend l’administration passible des suites pécuniaires de l’accident, également selon les règles du droit civil.
Pour nous, l’identité du résultat de ces deux cas s’expliquera, au contraire, par les principes de l’indemnité du droit public applicables dans l’une comme dans l’autre hypothèse. [↩]
- Ubbelohde, l. c., p. 175 ss., traite de toutes ces propositions d’une manière très détaillée. [↩]
- Très rarement l’on ose soutenir qu’une servitude continue d’exister après le déclassement de la rue. O. Tr., 27 avril 1869 (Str. 74, p, 278) : A Bonn, la ville avait cédé une parcelle du terrain de l’ancienne rue pour la construction d’une maison particulière ; le voisin, dont la maison était ainsi privée d’une belle vue, actionna le propriétaire en démolition de cette construction. La Cour d’appel de Cologne a débouté le demandeur, par le motif qu’il s’agit d’une « mesure de police » qui ne donne droit qu’à une indemnité ; c’est la formule bien connue ! Le Tribunal supérieur a confirmé, mais par d’autres motifs : « Le droit du riverain est restreint à la charge frappant le domaine public et qui, formant la condition indispensable pour que la maison soit habitable, peut être présumée avoir été tacitement acceptée par l’administration. La vue n’y est pas comprise. Or le défendeur n’est pas obligé à plus que ne le serait la ville, si elle avait construit elle-même ». Ainsi, dans cette espèce, l’usage de tous qui grève la rue est traduit tout simplement en servitude du droit civil pour le cas de déclassement de la rue. C’est un exemple tout à fait exceptionnel, et qui s’explique peut-être par le fait que le tribunal, dans les circonstances de la cause, trouvait le moyen de refuser quand même toute efficacité à cette prétendue servitude. [↩]
- R. G., 13 février 1883 (Samml. X, p. 271 ss.) : Le fait, par l’administration, de déclarer un certain terrain rue municipale, implique l’invitation d’y construire des maisons. De cette manière, un rapport de convention tacite se forme entre la commune et les propriétaires qui répondent à cette invitation. Il en résulte « des droits de jouissance privés, ayant le caractère juridique de servitudes ». Cette décision vise un cas qui était régi par le droit Français ; pour le Code général Prussien, la même thèse est soutenue par R. G., 7 mars 1882 (Samml. VII, p. 213), 21 sept. 1895 (Samml. XXXVI, p. 273), 28 mars 1896 (Samml. XXXVII, p, 253), 18 avril 1899 (Samml. XLIV. p. 282). De même, O. Tr., 10 avril 1866 (Str. 62, p. 273) s’en est servi : comp. aussi la décision citée à la note précédente. — Chez les auteurs Français, cette manière de s’exprimer était toujours usitée : Demolombe, XII, no 699 ; Aubry et Rau, III, p. 70 ; comp. ma Theorie des Franz. V. R., p. 328 ss. [↩]
- Cela parait être l’opinion du Tribunal de l’Empire dans les décisions que nous venons de rapporter : si la maison, dit-il, existait déjà et si la construction de la rue publique survient ensuite, « la situation ne diffère pas essentiellement ; en effet, le propriétaire est également obligé de se soumettre aux restrictions de sa propriété que nous venons de mentionner » (Samml. VII, p. 213) : ou encore il s’exprime ainsi : la maison entre, dans cette hypothèse, « dans le nexus du droit, tel qu’il a été créé ». C’est un peu obscur, il est vrai ; notamment, le « nexus du droit » semble constituer un véritable être mythologique des jurisconsultes.
Du reste, dans les derniers temps, et surtout depuis qu’on voyait venir la nouvelle codification du droit civil par l’Empire, on abandonna peu à peu cette construction par trop risquée. Le code civil Allemand, en exigeant dans son § 873, à peine de nullité, pour la constitution de droits réels sur un immeuble, l’inscription sur le livre foncier, a coupé court, pour l’avenir, à tous ces expédients.
Nous ne pouvons qu’approuver cette nouvelle attitude. Malheureusement, après avoir été forcé de renoncer à ce moyen désespéré, on croit maintenant qu’il n’existe plus aucun moyen pour accorder une indemnité au propriétaire lésé par le déplacement de la rue (Auschütz, Entschädigungspflicht, p. 111 ss. ; R. G., 30 avril 1902, Samml. II, p. 251 ss.). C’est qu’on ignore le véritable fondement juridique de cette indemnité. Cela amène des inégalités manifestes et viole l’équité. [↩]
- Une promesse de garantie tacite de cette espèce est, par exemple, admise dans une décision rapportée dans Seuff. Arch. XXII, p. 144, et approuvée par Bekker, Pand., p. 346.
D’autres vont jusqu’à faire intervenir la fiction d’une cautio damni infecti qui aurait été fournie par le maître de la rue. Des exemples dans Ubbelohde, l. c., p. 183 ss., qui se prononce avec raison contre ces procédés arbitraires. [↩]
- Pour comprendre ce phénomène dans l’ensemble des idées dont il n’est qu’une manifestation, il faut être capable de sortir du cercle étroit dans lequel nos civilistes ont l’habitude de s’enfermer. C’est ce que Dernburg a réussi à faire ; dans Pand. I, § 72, il fait découler l’indemnité due au riverain du « principe du droit moderne, que les mesures d’intérêt public qui causent un dommage à la fortune des particuliers se font aux frais de l’universalité et non pas aux frais de l’individu ». Voilà la thèse ; nous n’avons pas besoin d’autre chose. Il va sans dire que cela n’a rien du droit civil. [↩]
- L’idée que la rue forme, pour l’immeuble riverain et pour les constructions qui y sont faites, une partie de leur valeur acquise, et que c’est à cause de ce rapport spécial que l’indemnité est due, se trouve exprimée clairement dans C. C. H., 13 oct. 1866 (J. M. Bl., 1867, p. 39) : Un chemin carossable est supprimé ; le demandeur a droit à une indemnité, « parce que son établissement, qui n’était accessible que par ce chemin, est devenu impraticable et sans valeur à la suite de l’interdiction du chemin : partant, il est censé avoir dû sacrifier une partie de sa propriété privée dans l’intérêt de l’utilité commune ». On vise l’art. 75 de l’introd. au A. L. R. [↩]
- Ubbelohde, l. c., p. 187, combat la thèse de Dernburg, que nous venons de citer à la note 38 ci-dessus ; il tire argument des conséquences que, d’après lui, devrait entraîner l’application de ce principe. Les voituriers dont les intérêts souffrent à la suite de l’ouverture d’un chemin de fer, les propriétaires — et, par conséquent aussi, leurs créanciers hypothécaires, — dont les maisons ont diminué de valeur parce que le public préfère maintenant passer par une autre rue nouvellement construite, les industriels et les agriculteurs qui se trouvent sacrifiés par les clauses d’un traité de commerce, tous ces individus pourraient, d’après Ubbelohde, venir réclamer à l’Etat une indemnité ; et, en vertu de ce principe, il serait impossible de la leur refuser. Mais toutes ces craintes disparaîtront, quand on aura appris à connaître un peu mieux l’institution de l’indemnité du droit public. Dans les exemples qu’on met en avant, il y a bien partout un dommage causé par une mesure de l’administration publique, mais ce n’est pas ce dommage direct et matériel, ce sacrifice spécial que suppose l’indemnité du droit public. — Grâce à la distinction qu’il faut faire entre le dommage direct et les dommages plus éloignés, nous pouvons très souvent expliquer les contradictions apparentes des jugements de nos tribunaux ; la doctrine, qui n’a pas saisi l’importance de cette distinction, croit pouvoir constater des variations dans la jurisprudence alors qu’il n’y en a pas. En particulier, le Tribunal de l’Empire s’est exposé à cette critique, en déclarant dans certains cas, comme nous l’avons fait voir à la note 35 ci-dessus, qu’en principe une indemnité est due au propriétaire qui éprouve un dommage par la suppression ou par le déplacement d’une rue, et en refusant cette indemnité dans d’autres cas, et aussi par principe. C’est ce qui a été relevé par Bekker, Pand., p. 347. Mais les cas de la dernière espèce ont tous ceci de commun, qu’ils ne présentent pas, de la part du propriétaire, un dommage direct et matériel, dans le sens que nous avons indiqué. On n’a qu’à examiner les espèces de près. R. G., 16 nov. 1880 (Samml. III, p. 171) : Une partie de la rue est supprimée jusqu’au point où se trouvent les maisons du demandeur en indemnité ; ce dernier se plaint de la « restriction » de l’accessibilité de son « immeuble » ; mais le reste de la rue continue à lui offrir un libre accès ; il n’y a qu’une diminution de la commodité de l’accès ; cela n’a pas le caractère d’un dommage matériel ; par suite, le rejet de la demande nous semble bien fondé. Le Tribunal de l’Empire, il est vrai, avait, dans les motifs de l’arrêt, expressément repoussé l’idée d’une servitude constituée sur le sol de la rue, idée que, dans d’autres arrêts, nous l’avons vu, il approuve expressément. Tout cela était superflu. — R. G., 13 janv. 1882 (Samml. VI, p. 159 ss.) : Un chemin est supprimé ; demande en indemnité formée par un propriétaire à cause des détours qu’il devra maintenant faire ; la demande est rejetée comme mal fondée : décision tout à fait conforme aux principes de l’indemnité du droit public. — R. G., 4 nov. 1881 (Samml. VII, p. 173) ; Un propriétaire se plaint que, à la suite des changements apportés par la construction d’une ligne de chemin de fer, la partie de la chaussée qui se trouve devant sa maison n’est plus aussi fréquentée qu’auparavant, et ceci entraîne pour lui une perte notable dans ses affaires. Le tribunal déclare que ce qu’il a perdu, ce sont des « avantages fortuits », pour lesquels il n’est pas dû d’indemnité, lorsqu’on en est privé. Cela correspond à notre thèse, qu’on n’est pas indemnisé pour des « dommages plus éloignés ». — Comp. aussi Ob. G. H. Bav., 27 oct. 1877 (Samml. VII, p. 50) ; 12 mai 1878 (Samml. VII, p. 842) ; Min. de l’Int. Sax., 9 août 1881 (Sachs. Ztsch. f. Pr. II, p. 319). [↩]
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