Section I
Le droit public des choses
§ 39. Suite ; la concession d’usage spécial
(247) La concession (Verleihung) est une institution générale du droit public trouvant des applications dans plusieurs sens.
La notion fondamentale, commune à toutes ces applications, est celle d’un acte administratif ayant un certain contenu. Ce contenu doit être le suivant : il est donné par là au sujet un pouvoir juridique sur une manifestation de l’administration publique. Et cela doit se faire en ce sens que ce qui appartient à l’administration publique et en forme une portion lui sera livré et entrera dans sa possession propre. Ainsi nous définissons la concession comme un acte administratif, par lequel il est donné à un sujet pouvoir juridique sur une portion d’administration publique qui lui est délivrée1.
Dans ce sens nous parlons de la concession d’une entreprise publique : concession d’une entreprise de chemin de fer, concession d’une chaussée, concession (248) d’un pont ou d’un bac. Il en sera parlé au t. IV, § 50 ci-dessous. C’est de la même idée qu’il faut partir, quand il s’agit de la concession du droit d’exproprier (Comp. § 33, II, no 2, p. 18 et s. ci-dessus et la note 23 du même §) ou de la concession (Verleihung) d’une fonction publique (Comp. t. IV, § 44, II, no 2 ci-dessous). Enfin, c’est encore une application de la même notion générale, que la concession d’un droit d’usage spécial sur une chose publique dont nous traitons ici : cette concession signifie la constitution d’un pouvoir juridique sur cette chose, dont une partie sera abandonnée au concessionnaire pour en faire un usage spécial.
I. — Les droits d’usage concédés excèdent ce qui est compris dans l’usage de tous ; d’un autre côté, ils diffèrent des usages spécialement permis, par l’intensité juridique avec laquelle est saisie la chose.
Cela se manifeste extérieurement par la manière dont le concessionnaire s’installe sur la chose publique, manière qui affirme un caractère de durée et une possession exclusive.
Si donc nous voulons nous rendre compte de la sphère d’application de la concession, il faut commencer par écarter toute sorte d’usages spécialement permis qui ne touchent la chose publique que d’une manière passagère et superficielle : traverser une voie ferrée, avoir sa place de vente sur le marché, faire stationner des fiacres et des bateaux de canal, déposer dans la rue des objets mobiliers, voire même fixer dans le sol de la rue des échafaudages, ou planter sur les tombes ordinaires des fleurs et des arbustes, tout cela se comprend parfaitement comme objet d’une permission d’usage, mais non comme objet d’une concession.
D’un autre côté, il y a des installations qui s’attachent si fortement au corps même de la chose et y (249) sont liées avec une telle profusion de moyens, qu’on ne peut guère imaginer qu’elles soient entreprises autrement qu’en vertu d’une concession : des barrages, des canaux d’usine, des entreprises d’irrigation, installés sur un fleuve public, des conduites importantes par tuyaux, ainsi que des rails de chemins de fer placés dans le sol de la rue, des monuments funéraires d’une véritable valeur artistique érigés dans les cimetières publics, toutes ces choses ne seront jamais confiées au fondement juridique si incertain d’une simple permission d’usage.
Entre ces deux sortes d’usages, il y en a beaucoup d’autres, dont l’apparence extérieure ne décide rien quant à la forme juridique applicable. En particulier, la notion de construction fixée dans le sol, — l’opus soli, — ne détermine point la limite, d’une manière absolue et générale. Des moulins-bateaux, des établissements de bains installés sur le fleuve public reposent sur une concession, quoiqu’ils ne soient fixés sur le fleuve qu’au moyen d’ancres. Par contre, le kiosque à journaux, la boutique pour eaux gazeuses, malgré les fondements bâtis dans le sol, n’existent, en règle, qu’en vertu d’une permission d’usage. Une installation qui se présente extérieurement dans les mêmes formes pourra signifier, dans tel cas, une concession, et dans tel autre une simple permission2. Ce qui est décisif en dernière analyse, ce sera toujours le caractère du titre qui sert de fondement juridique. Pour qu’il y ait concession, il faut que, d’une part, ce titre soit un acte administratif par sa forme et par la compétence de celui de (250) qui il émane ; et, d’autre part, il faut que, d’après son contenu, il ait pour objet de constituer, au profit de la personne à laquelle il s’adresse, un droit subjectif sur la chose publique. Ce dernier point est une question d’interprétation, qui sera résolue en s’attachant au texte de l’acte, aux circonstances qui l’accompagnent et à ce qui se fait d’ordinaire en pareille matière.
II. — Sur les détails de notre institution juridique, nous pouvons exposer ce qui suit3 :
(251) 1) La concession, créant au profit du concessionnaire un droit propre d’exercer sur la chose publique une possession exclusive, excède les limites de la simple administration courante de la chose publique. Par suite, le pouvoir de la grever d’une charge pareille n’est pas compris dans la mission de gérer la police de cette chose. Dans le cas où cette police est confiée à une autorité spéciale, il faut pour que la concession soit parfaite et valable que le consentement de la représentation ordinaire du maître de la chose publique s’y joigne4.
(252) La concession étant un acte administratif ne peut émaner que de l’autorité dirigeante du service public ; cette autorité ne peut pas être remplacée par des employés subalternes.
Cet acte juridique du droit public devra se manifester par une déclaration non équivoque. Il ne suffira pas que la chose ait été abandonnée en fait, ou qu’on ait simplement toléré les actes d’usage particulier. Cela ne sera pas une concession, non pas pour défaut de formes, mais parce qu’il n’en résultera pas assez clairement l’intention de constituer un droit.
En règle, cet acte sera rédigé par écrit ; mais ce n’est une condition de validité que dans le cas où la loi l’aura prescrit directement. En tout cas, la concession n’entrera en vigueur que moyennant la notification faite à la personne intéressée ; cette notification s’opérera régulièrement par la remise du titre de concession. Tout cela conformément aux règles générales des actes administratifs.
2) En principe, l’autorité est libre d’accorder ou (253) de refuser la concession5. Il faut des prescriptions spéciales pour qu’elle soit liée dans un sens ou dans l’autre. Il y a principalement deux formes dans lesquelles son action se trouve dirigée.
L’une de ces formes est représentée par la concession de prise d’eau sur les rivières publiques. Il s’agit ici de certains usages qui s’emparent de la masse même de l’eau courante au profit du concessionnaire, au moyen de barrages et de dérivations. Ces usages ont ceci de particulier, que le concessionnaire, par l’installation projetée, sera placé au milieu des droits de jouissance déjà existants auxquels il pourra porter préjudice. Dès lors, pour éviter un conflit de droits possible, la loi prescrit une procédure formelle dans laquelle on pourra faire valoir les oppositions que provoquera la concession. L’observation, par l’autorité de cette procédure est la condition de la validité de la concession. La décision sur les oppositions intervenues est jointe à la résolution sur la concession demandée ; de cette manière, ce dernier acte n’est plus libre ; il est lié juridiquement vis-à-vis des usagers déjà existants : la concession doit être refusée, quand elle serait contraire à leurs droits, à moins que l’autorité n’ait le pouvoir de restreindre ou de modifier, à cette occasion, ces droits, dans les limites, bien entendu, que lui auront tracées l’autorisation de la loi ou les réserves faites dans les concessions antérieures6.
(254) En sens inverse, l’autorité se trouve liée quand il s’agit de concessions sur une chose qui y est destinée, se faisant avec une certaine régularité et uniformité, à la manière de ce que nous avons appelé les utilités constitutionnelles d’un service public ; comp. le § 38, II, no 1 ci-dessus. C’est le cas, par exemple, des concessions de sépultures : une certaine partie du cimetière communal sera réservée à cet effet ; on pourra y obtenir des lieux de sépulture avec droit propre, pour une certaine durée ou à perpétuité et à certaines conditions fixes. On procède d’une manière analogue pour concéder des bancs d’église. Il est convenu qu’aussi longtemps qu’il y aura de la place, on donnera ces concessions à qui remplira les conditions établies.
Ici la manière de procéder de l’autorité dirigeante a une certaine ressemblance avec la manière dont sont accordées certaines permissions d’usage, comme celles de places de marché ou de boutiques de foire, etc. L’uniformité à observer est peut-être, dans l’un et l’autre cas, seulement garantie par les mœurs et les coutumes ; ou bien, pour cela, des règles positives ont été établies, qui devront être considérées tantôt comme un programme de l’autorité dirigeante, tantôt comme une instruction qui la lie. Ces concessions pourront aussi être réglées par des prescriptions de la loi ; alors, celui qui remplit les conditions fixées aura un droit formel d’obtenir la concession, comme cela a lieu pour les permissions à accorder ; comp. le § 38, II, no 2 ci-dessus7.
(255) 3) L’effet de la concession est de créer un droit subjectif public. Ce droit a pour objet la possession de la portion de la chose publique déterminée par la concession, (256) en vue d’en faire usage conformément à la concession.
Ce droit existe sans distinguer s’il y avait ou non droit formel d’obtenir la concession ; l’acte administratif intervenu forme, dans l’un et dans l’autre cas, le fondement absolu du droit créé.
Ce droit écarte, comme la permission d’usage, l’application de toutes les défenses de police et pénalités qui s’opposeraient à un pareil usage ; la condition tacite du fait illicite cesse.
Mais ici, à l’opposé de la permission, on ne donne pas seulement libre cours à la liberté du permissionnaire en vue d’une activité de fait ; il est constitué un pouvoir juridique sur la chose qui, elle-même, n’est rien autre qu’une manifestation de l’administration publique (Comp. § 35, II ci-dessus, p. 108). Ainsi, nous avons bien la notion du droit subjectif public, droit qui se manifeste dans l’obligation des autorités de maintenir ce droit et dans le pouvoir de l’individu (257) d’en disposer librement (Comp. t. 1er, § 9, III ci-dessus, p. 146)8.
Commençons par le droit de disposer ; il faut faire une distinction.
La concession aura toujours pour objet exclusif la chose publique elle-même. Mais la concession comprend ordinairement aussi le droit d’opérer sur la chose certains changements et d’y faire des travaux d’installation. Les choses qui, de cette manière, seront jointes à la chose publique, sans s’y confondre complètement, alors même qu’elles seraient fixées dans le sol, enterrées et cimentées, restent la propriété du concessionnaire, et c’est une propriété du droit civil. Il n’y a pas de droit d’accession au profit de la chose publique ; conformément au principe général qui écarte l’application à ces choses de toutes les institutions du droit civil (Comp. § 35, II ci-dessus, p. 108), les §§ 946 ss. du Code civil allemand ne seront pas applicables. Dès lors, les choses mobilières que le concessionnaire y a employées pour servir à son usage pourront être cédées librement selon les règles du droit civil.
Mais il en est ainsi pour le droit d’usage sur la (258) chose publique elle-même. En tant qu’il n’y a pas de restrictions spéciales dans l’acte de concession, celle-ci est accordée au concessionnaire et à ses ayants-droit.
Des restrictions pareilles pourront être faites en ce sens que la concession est limitée à la personne du concessionnaire ou à ce dernier et aux membres de sa famille ou à ses héritiers ; c’est une question d’interprétation de volonté de l’acte de concession. L’acte administratif pourra contenir des restrictions de ce genre, ainsi que des termes ou des conditions ; seulement, elles ne sont pas sous-entendues.
La concession pourra aussi être donnée au concessionnaire en vue d’une entreprise déterminée qu’on a voulu favoriser : un canal d’usine à construire, des tuyaux d’une usine à gaz à poser. Dans ce cas, la concession n’a d’effet pour les ayants-droit qu’autant qu’ils remplissent en même temps la condition sous laquelle elle a eu lieu, c’est-à-dire qu’ils continuent l’entreprise pour laquelle la concession a été faite.
Au cas où on ne lui aura pas donné de détermination, la concession aura son effet pour les ayants-droit du concessionnaire purement et simplement. Mais cette succession est alors réglée, entre les intéressés, exclusivement par le droit civil. Toutes les sortes de transmission de droits, — succession universelle ou titre spécial, —s’appliquent au droit créé par la concession. Il n’y a pas, dans ces transmissions, manifestation de la puissance publique ; elles s’effectuent entre égaux selon le droit qui les régit ; mais les effets de l’acte juridique de puissance publique suivent la détermination, donnée par le droit civil, de la personne nouvellement légitimée.
4) Le trouble apporté à l’usage concédé pourra se présenter en même temps comme un trouble du bon ordre de la chose publique et ainsi donner lieu à des (259) mesures de police de la chose publique ; c’est aussi ce que nous avons vu pour la permission d’usage ; cela peut se faire d’office ou sur la demande de la personne lésée. Mais ici le concessionnaire aura à sa disposition, pour obtenir la protection de son droit, des moyens d’un caractère beaucoup plus accentué.
La circonstance qu’il s’agit ici d’un droit subjectif public oblige le pouvoir exécutif, conformément à sa propre nature juridique, de le protéger et de le maintenir (Comp. t. 1er, p. 97). Cette obligation incombe à chaque membre du pouvoir exécutif organisé, dans la mesure où il y sera appelé par sa compétence propre. Elle existe vis-à-vis du concessionnaire ; c’est lui qui pourra l’exiger et qui sera lésé dans son droit si la protection ne lui est pas accordée.
Cette protection comprend spécialement la déclaration d’autorité pour constater l’existence et l’étendue du droit, dans le cas où il y aurait contestation. Selon la nature de la contestation, nous distinguerons9.
(260) Si la contestation existe entre le concessionnaire et l’administration même qui ne reconnaît pas ses prétentions, la décision, en règle, devra être cherchée dans l’organisation des autorités administratives, y compris les tribunaux administratifs ; les moyens pour la provoquer sont la remontrance, le recours, la demande en nullité sous ses différentes formes (Comp. t. 1er, § 12, p. 194 ss.). S’agit-il d’une contestation entre différents concessionnaires sur les limites respectives de leurs droits d’usage, nous sommes dans les conditions d’une affaire de parties de droit public (Comp. t. 1er, § 14, p. 235)10.
Si, au contraire, un seul et même droit d’usage est réclamé par différentes personnes qui s’y prétendent autorisées, alors cette contestation dépendra, en première ligne, de l’appréciation d’actes de transmission du droit civil (Comp. le no 3 ci-dessus) ; il y aura une affaire contentieuse civile, bien que des questions incidentes de droit public doivent être décidées (Comp. t. 1er, § 16, III, p. 280). Il en sera de même quand le concessionnaire agira contre un tiers qui ne prétend avoir aucun droit d’usage, pour le faire condamner à cesser un trouble et à payer des dommages-intérêts. Cette demande est fondée sur le caractère de fait illicite du trouble ; l’existence du droit concédé n’est encore (261) qu’une question préjudicielle ; la simple possession du droit pourra suffire. En tout cas, cela n’enlève pas au litige le caractère d’affaire contentieuse civile.
Par l’organisation spéciale de la protection des droits, les affaires de la première espèce pourront aussi être attribuées à la juridiction des tribunaux civils. Elles ne sont pas comprises d’elles-mêmes dans la notion plus étendue des contestations de droit civil, telle que cette notion est comprise chez nous (Comp. t. Ier, § 16, II, p. 276). En effet, l’ancien droit lui-même, qui survit, les avait considérées comme des affaires non pas de droit privé, mais « de police ».
5) La particularité du droit créé par la concession se manifeste surtout dans la manière dont ce droit s’éteint. Les causes d’extinction pourront résulter du contenu spécial de l’acte de concession : terme fixé à la concession ; charges spéciales imposées au concessionnaire et dont l’inobservation entraîne la déchéance (Comp. le no III, 1 ci-dessous). Il faut aussi y comprendre le cas où la concession n’a pas été donnée valablement par l’autorité compétente ou été obtenue par surprise : elle pourra alors être révoquée par l’autorité qui l’a consentie, ou par une autre autorité appelée à contrôler son acte. Nous aurons à appliquer ici les principes développés au t. II, § 21, p. 80 : à la différence du cas où la concession a été délivrée en excès de pouvoir et où, par suite, elle est entachée d’une nullité absolue, ici elle existe, mais elle prendra fin par la révocation qui est toujours possible malgré le droit créé.
Il y a encore des causes d’extinction, d’une importance générale, qui auront leur effet sans être spécialement réservées et en vertu d’une déclaration faite librement d’un côté ou de l’autre.
De la part du concessionnaire, le droit pourra ainsi s’éteindre par la renonciation expresse. La renonciation (262) annule le droit directement. Il n’y a pas besoin d’une acceptation ni d’une révocation de la concession, faite par l’autorité en vertu de la renonciation ; c’est ce qui fait la différence avec la renonciation à une permission de police (Comp. t. II, § 21, note 23, p. 76). Cette efficacité de la renonciation fait apparaître la nature juridique de la concession. L’effet destructif est une manifestation du pouvoir du concessionnaire de disposer de son droit.
Par mesure de l’autorité administrative, le droit concédé pourra être supprimé ou restreint à la suite d’un changement dans la destination donnée à la chose publique.
La possibilité de faire ainsi disparaître le droit du concessionnaire n’est pas en contradiction avec la nature du droit subjectif. Le droit le plus ferme de tous, — la propriété immobilière elle-même, — doit céder devant l’intérêt public. Les mesures dont s’agit ici ont une certaine affinité avec l’expropriation. Comme celle-ci., elles donnent lieu à une indemnité d’équité, qui, en règle, est due à l’intéressé pour le sacrifice qui lui a été imposé. Mais les formes de l’expropriation ne sont pas applicables et ne sont pas nécessaires. Le fait que le droit est attaché à la chose publique le fait dépendre, en principe, pendant toute son existence, des intérêts publics qui dominent la chose. Les mesures administratives qui font disparaître le droit sont de deux sortes : la révocation et le déclassement.
La chose publique a toujours son but principal auquel elle sert ; le droit d’usage spécial ne pouvait être admis, par principe, qu’autant qu’il était compatible avec ce but. Si, plus tard, il y a contradiction, il faut que le droit constitué cède. Par suite, l’existence d’un pareil droit ne forme pas obstacle à des travaux qui seront faits à la chose dans l’intérêt (263) public, en vue de conserver sa destination principale. Dans ces conditions, le concessionnaire doit même souffrir des travaux permanents restreignant l’exercice de son droit d’usage ou le rendant impossible. Son droit, en lui-même, reste intact ; son exercice reprend spontanément son étendue primitive, dès que la possibilité de fait lui sera donnée de l’exercer à nouveau. En règle, au cas de restriction ou de suppression complète de l’exercice du droit pour une durée qui n’est pas limitée d’avance, on préférera, afin d’éviter toute ambiguïté, supprimer le droit lui-même par une révocation expresse. On fera de même dans le cas contraire, celui où des intérêts supérieurs auxquels la chose devra servir souffriraient par la continuation de l’exercice du droit.
Cette révocation est un acte administratif qui correspond à l’acte de concession. Sa base juridique est dans la condition tacite, contenue dans toute concession, d’être compatible avec le but principal de la chose publique. L’application principale se trouve pour les fleuves publics et pour les routes. Ici, tous les droits d’usage sont subordonnés à l’intérêt de la communication11. D’autres exemples sont souvent fournis par les changements apportés dans l’arrangement des bancs d’église ; il arrive que des droits acquis doivent fléchir12. Des droits d’usage de date (264) ancienne, reposant encore sur un titre, mais correspondant par leur contenu à ceux à créer aujourd’hui exclusivement par la voie de concession, seront traités, en ce qui concerne la révocabilité, comme des droits concédés13.
Pour la révocation comme pour les troubles de fait légitimés par l’intérêt public, une indemnité est due en principe ; le montant en sera évalué d’après les circonstances. Le droit à indemnité repose encore sur cette institution générale du droit public dont il a déjà été question plusieurs fois (Comp. t. IV, § 53 ci-dessous). Le droit à indemnité pourra être exclu si la concession, dès l’origine, n’a été donnée qu’en prévoyant ces possibilités et sous réserve. Telle est la véritable signification de la réserve de « libre révocation », qui, en vertu de la loi ou par une clause spéciale, est ajoutée à la concession. Que la révocation soit exigée par l’intérêt public de l’administration de la chose, c’est donc là un fait qui reste, malgré cette clause, la condition indispensable pour que la révocation soit valable14.
Mais la continuation de l’existence de la chose publique elle-même dépend de (265) considérations d’intérêt public. Il peut y avoir des changements qui entraînent son déclassement (Comp. 36, III ci-dessus, p. 175). Dans ce cas, le droit d’usage qui avait été créé s’éteint en même temps. Il perd son objet. En effet, un droit d’usage réglé par le droit public ne peut pas exister sur une chose soumise au commerce du droit civil. Seule une servitude du droit civil serait possible ; mais cela serait un droit d’une autre nature, auquel on n’a pas pensé lors de la concession. Nous ne voyons pas comment, à la suite du déclassement, la transformation dans ce droit pourrait s’opérer de plein droit. Tout au plus, pourrait-on procéder, à cette occasion, à la constitution d’un droit civil réel nouveau. Cela demanderait des déclarations de volonté nouvelles. Il y aurait, il est vrai, un motif à agir ainsi : ici encore, un sacrifice spécial est imposé par une mesure de l’administration publique, et une indemnité est due d’après les principes généraux ; la constitution d’une servitude du droit civil pourra, selon les circonstances, sembler propre à fournir cette indemnité. Mais, malgré tout, cette servitude ne naît pas de plein droit.
A titre d’exemples, on peut citer les déplacements de routes et les suppressions de cimetières qui (266) font disparaître directement les concessions existantes15.
III. — Au droit du concessionnaire correspondent des obligations spéciales.
Il y a des obligations qui résultent naturellement de la possession d’une portion de la chose publique et des installations qui y ont été faites. Ces obligations sont communes à la concession et aux autres (267) formes d’usage établi sur une chose publique : usage de tous et permission spéciale. En effet, la police de la chose publique, dans cette situation, obtient, sur le concessionnaire, les pouvoirs nécessaires, à l’effet de combattre, selon ses compétences générales, par des commandements et des contraintes, tous les troubles qui pourraient résulter de l’entreprise pour le bon état et l’utilité de la chose. La police trouve une limite spéciale de sa puissance dans le droit subjectif lui-même ; elle ne peut pas l’écarter par le motif que, par son existence et par son exercice, il apporterait du trouble ; seul, le trouble occasionné par la manière spéciale d’exercer le droit donne lieu aux mesures de police16. Aussi ces mesures n’entraînent-elles pas d’indemnité au profit du concessionnaire. Mais, au contraire, s’il faut toucher à l’existence du droit lui-même, alors cela ne pourra se faire qu’au moyen d’une révocation avec ses conditions et ses conséquences particulières.
Il y a aussi, pour le concessionnaire, des obligations spécialement imposées.
1) L’acte de concession pourra expressément imposer au concessionnaire certaines charges concernant la nature des installations à faire et la manière de s’en servir. Il sera contraint à l’accomplissement de ces charges par la voie administrative. Ces charges seront, en même temps, des conditions (268) de la concession. L’inaccomplissement n’entraîne pas l’extinction du droit, de lui-même ; il donne à l’autorité le pouvoir de déclarer le concessionnaire déchu et de prononcer, en conséquence, la révocation de la concession. L’accomplissement des charges spécialement prévues est donc la condition sous laquelle l’autorité est liée par la concession accordée17.
2) Nous trouvons encore ici, comme effet de l’acte de concession, l’obligation de payer une taxe. A la différence de ce qui se passe pour l’usage de tous et, en règle aussi, pour l’usage spécialement permis, la concession fixe le paiement — qui forme l’équivalent (269) de l’avantage accordé dans le cas individuel — au moyen d’une imposition faite spécialement. Elle seule, en effet, présente toujours cet acte individuel, susceptible de créer des obligations de ce genre. Il convient aussi matériellement à la concession, que l’obligation de payer soit ainsi adaptée au cas individuel ; car la nature et l’extension du droit concédé, dont l’obligation de payer doit être l’équivalent, se déterminent de même, individuellement, pour chaque cas, d’après le contenu de l’acte de concession18.
Lorsque, sur des choses publiques, des concessions sont données avec une certaine régularité, comme dans le négoce, il pourra aussi y avoir des tarifs fixes. Mais ces tarifs, à la différence de ce qui a lieu pour l’usage spécialement permis et pour les utilités des services publics en général, n’ont pas leur effet directement et par le seul fait de l’usage obtenu (Comp. § 38, III ci-dessus). Ils supposent l’acte administratif spécial qui en formera le contenu exprès ou tacite ; cela ressemble aux règlements de traitement des fonctionnaires (Gehaltsregulative), qui ont leur effet pour l’acte de nomination et au moyen de cet acte (Comp. t. IV, § 46, I, no I ci-dessous).
Les charges spéciales, ainsi que l’obligation de payer la taxe, sont des restrictions de la liberté. Elles sont cependant imposées ici sans fondement légal : c’est encore la soumission volontaire de l’imposé qui remplace l’autorisation de la loi, qui autrement serait nécessaire.
Les actes de concession ne deviennent pas, pour cela, des conventions, pas plus que dans le cas où (270) ces actes accordent, sans imposition quelconque, purement et simplement, la concession demandée (Comp. t. Ier, note 3, p. 176 ; § 8, note 8, p. 127).
L’acte de concession a son effet au profit des ayants droit du concessionnaire (Comp. II, no 3 ci-dessus) ; de même, les charges et les obligations de payer qui se renouvellent à termes fixes deviennent obligatoires pour ces derniers. Ces ayants droit se soumettent à ces effets de l’acte administratif par le fait qu’ils entrent volontairement dans le rapport spécial pour lequel l’acte est émis ; ils en sont saisis, pour en supporter la charge, comme pour en tirer le profit. Il n’y a pas là une particularité de la concession ; on trouve des analogies dans d’autres rapports : comp. t. Ier § 8, III, p. 128 ; t. II, § 21, note 20, p. 74.
- La concession est donc toujours, pour parler comme G. Meyer, un « acte administratif constitutif de droit ». Et le droit que la concession constitue est un droit subjectif public de l’espèce déterminée au t. I, § 9, II, no 2, p. 146. [↩]
- Comp. à la note 1 du § 38 ci-dessus le cas des boites aux lettres dans la rue ; elles peuvent exister soit en vertu d’une concession, soit en vertu d’une permission. Cet exemple fait également voir toute l’importance pratique de cette différence. Toutefois, on n’y fait pas toujours attention. Comp. par exemple Bekker, Pand. I, p. 243. [↩]
- Il est bien entendu que l’exposé que nous faisons ici ne s’applique qu’aux droits d’usage spécial constitués sur des choses publiques d’après le droit moderne. Mais, à la différence de la permission d’usage, temporaire par nature, un pareil droit véritable sur la chose publique survit aussi aux grandes révolutions qui se sont produites dans les principes généraux du droit public. Ainsi nous rencontrons, maintes fois encore, des droits d’usage ayant pris leur origine dans un système passé, et ayant la même couleur et un effet analogue à ceux qui aujourd’hui se créent par concession. En partie, ils sont nés au temps où l’on ne distinguait pas encore le droit civil et le droit public. La vente, la prescription, la succession, le privilège octroyé par le prince leur servent de titres. Ce sont surtout des moulins et des prises d’eau sur les fleuves publics, qui existent en vertu de ces anciens titres. Il y en avait un exemple assez intéressant dans les boutiques de boucher (Schleichterscharren) qui se trouvaient sur le marché neuf (Neumarkt) de Berlin, et dont la condition juridique est discutée dans O. Tr., 8 février 1856 (Str. 19, p. 336). La thèse que le tribunal prend pour point de départ, à savoir « que le titre du droit privé est applicable également en matière de droit public », fausse si on l’interprète avec cette généralité, a cependant une certaine valeur dans ce sens restreint. Les droits créés par l’ancien titre de droit privé seront effectivement à considérer aujourd’hui comme s’ils étaient nés dans les formes nouvelles propres au droit public moderne.
Des particularités dans le contenu de ces droits restent en vigueur jusqu’à ce qu’elles soient écartées selon les règles de l’ordre nouveau. Surtout, les restrictions apportées par cet ordre nouveau ne trouveront pas d’obstacle dans leur nature qui est originairement du droit civil ; comp. la note 13 ci-dessous. Cette nature pourra cependant être d’une certaine importance pour la question de compétence. Ainsi, par exemple, O. Tr., 13 déc. 1859 (St. 35, p. 345), dans l’affaire des anciennes laineries que, à Spremberg, la maîtrise des drapiers possédait sur la Sprée, déclare les tribunaux civils compétents là où, pour une concession du droit moderne, il s’agirait d’une pure question administrative. Les droits d’usage de cette espèce, qui sont nés au temps du régime de la police, sont censés être dans une dépendance absolue du pouvoir de police ; il n’y a, avec une simple permission qu’une différence : par la convention ou le privilège qui forme le titre, le Fisc est chargé ici de payer une indemnité au cas où l’usage serait enlevé ou restreint. [↩]
- Comp. § 38, note 1 ci-dessus. — Ubbelohde, Forts. zu Glücks Pand., p. III ss., relate le cas suivant : Le propriétaire d’un immeuble veut construire dans la rue communale de manière à ce que le premier et le second étage de sa maison forment une saillie considérable sur la rue. L’autorité administrative royale (le Landrat) accorde la permission de police qu’elle juge suffisante. La représentation de la ville s’y oppose et menace le sollicitant d’une demande judiciaire qui, d’après Ubbelohde, aurait eu le caractère d’une negatoria in rem actio. Cela n’est pas exact ; la propriété publique n’est pas protégée par des demandes judiciaires de cette espèce ; comp. § 36 note 22 ci-dessus, p. 171. La situation est la suivante : Nous devons supposer que la permission d’avancer une construction sur la rue selon la manière projetée n’était pas comprise dans les attributions de la police des constructions ; sans quoi, l’affaire serait réglée ; comp. § 38, note 8 ci-dessus. Il fallait donc à ce riverain l’acquisition d’un droit formel sur la rue, le droit d’avoir au-dessus d’elle une construction ; sans cela, il se serait bien gardé d’en faire les frais. Un pareil droit ne pouvait s’acquérir que par une concession ; cela exigeait le consentement du propriétaire, c’est-à-dire de la ville. Sur ce point, la ville avait raison. L’autorité de police ne pouvait accorder qu’une permission d’usage ; la concession qu’elle voulait donner n’était pas valable (Comp. O. V. G., 29 mai 1895). Son consentement, il est vrai, mettait le propriétaire momentanément à l’abri de poursuites, puisque c’était elle qui en administrait les moyens. Mais ce consentement restait toujours révocable, et sans indemnité ; quant à la prescription, il ne pouvait pas en être question. La ville, condamnée pour le moment à l’impuissance, par suite du refus opposé par l’autorité qui lui devait la protection de sa chose, pouvait tôt ou tard trouver un Landrat ou un supérieur disposé à entrer dans ses vues. Dans ces circonstances, le requérant, malgré la permission donnée par le Landrat, a bien fait de renoncer à son projet. — Un autre exemple dans O. V. G., 30 janv. 1887 : Un entrepreneur veut construire sur la Sprée un élévateur qui fera saillie sur la rivière, par suite, sur le « terrain fiscal » ; en conséquence, l’autorité qui représente le « Fisc fluvial » devra donner son consentement ; car l’autorité de police fluviale n’examine l’affaire qu’au point de vue de l’intérêt de la police fluviale ; mais la concession dont s’agit doit créer, en même temps, des droits contre le propriétaire. — De même, O. V. G., 29 déc. 1883 : Pour fixer dans le sol de la rue les rails d’un tramway, il faut, outre la permission de l’autorité de police, le consentement de la ville en tant que propriétaire. — O. V. G., 4 mai 1886 (Samml. VII, p. 218) : Poser des rails dans une route de district a pour condition une entente avec le propriétaire.
Dans ces décisions, on part régulièrement (d’une manière très claire surtout dans O. V. G., 29 déc. 1883) de l’idée que le consentement du propriétaire est un acte d’aliénation du droit civil, auquel l’autorité de police ajoute la permission du droit public. C’est encore un effet posthume de l’ancienne doctrine du Fisc. La propriété publique de nos jours n’est pas aliénable dans les formes du droit civil, et il n’y a pas lieu d’en faire un partage entre une propriété civile, d’une part, et son administration par la police, de l’autre. Il s’agit d’un acte unique de concession, lequel ne peut être fait que par le concours des deux sortes d’autorités auxquelles est confié le soin des rues publiques. [↩]
- V. G. H., 14 déc. 1888 (Samml. X, p. 295) : La concession du droit d’avoir un barrage sur un fleuve public est « une affaire discrétionnaire du gouvernement de l’Etat ». [↩]
- Loi Pruss. du 15 nov. 1811 § 1-9 ; loi du 28 février 1843 ; loi Bav. concernant les eaux du 28 mai 1852 art. 75, 77 : loi Bad. 25 août 1876, art. 73 ss. La procédure stricte, impliquant des décisions, fait ressortir si clairement la nature de droit public de l’institution, que, quelque tendance qu’on ait à les adopter, les explications tirées du droit civil doivent céder. C’est pour cela que la notion de la concession a commencé à se fixer justement pour ces usages accordés sur les eaux publiques. F. F. Mayer, V. R., p. 255, ne traite, sous le titre « concession de droits d’usage permanents», que de ces cas. [↩]
- La gestion, par des actes régulièrement réitérés et qui ne revêtent aucune forme, jointe à la perception de taxes fixes, semble, pour ces sortes de concessions, faciliter l’admission de l’idée de conventions bilatérales de droit civil. Cependant, si, aujourd’hui encore, on emploie souvent ce moyen pour expliquer les choses, on avoue quelquefois que c’est seulement parce qu’on se sent incapable d’imaginer la création d’un droit subjectif spécial autrement que par un acte juridique du droit civil ; nous dirions : parce qu’on ne connaît pas l’acte juridique de droit public que présente la concession, et qu’on est encore tout à fait sous l’influence des idées du régime de la police ; comp. t. 1er, p.175 ss. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne les sépultures concédées, concessions de tombeaux, tombeaux de famille, Meurer, Heilige Sachen II, p. 34. et 39, p. 37. Il commence par distinguer très bien ces tombeaux des tombes ordinaires. Pour ces derniers, dit-il, la famille du défunt n’a pas de droit réel ; elle « n’a, en général, aucun rapport juridique direct avec la tombe ». Quant à savoir comment on pourra cependant lui accorder un certain usage à faire de la tombe, pour la décorer et l’entretenir, cela a été exposé au § 38 ci-dessus ; comp. par exemple, § 38 note 6. Le tombeau héréditaire ou de famille, au contraire, —qu’il appelle aussi « tombeau acheté » — est acquis par acte juridique comme servitude du droit civil ; la vente, le contractas superficiarius, le bail, sont les conventions qui interviennent. Pourquoi, demanderons-nous, faut-il que le droit sur le tombeau héréditaire dépende du droit civil, tandis que la tombe ordinaire devra être appréciée selon le droit public ? Meurer répond : « quant au caractère de droit public d’un droit de tombeau héréditaire, nous ne pourrions pas nous le représenter autrement qu’à la manière du droit d’usage sur les res publicae in publico usu », donc, comme il l’explique, à la manière de l’usage de tous. Mais évidemment cela ne serait pas conforme au contenu du droit, tel qu’il doit être. Dès lors, d’après Meurer, nous ne pouvons pas nous représenter du tout ce droit dans le caractère du droit public. Ne serait-il pas possible de s’habituer à cette manière de penser? — Dans un sens analogue, en ce qui concerne les bancs d’église, R. G., 5 mai 1882 (Reger, III. p. 216). Le tribunal commence par admettre la possibilité de droits d’usage particuliers sur les bancs d’église : « ces droits, on ne peut pas seulement se les imaginer comme des émanations de l’usage général et, par suite, comme pouvoirs de droit public ; ils pourront aussi bien reposer sur un titre d’acquisition du droit civil ». Donc, des droits d’usage qui n’émanent pas de l’usage de tous, on ne peut encore pas se les imaginer. Par conséquent, il faut les expliquer à la manière du droit civil, si l’on veut les protéger. — La nature juridique de l’acte de concession, même en ce qui concerne les lieux de sépulture, est, au contraire, clairement comprise dans C. C. I. Bav., 19 avril 1884 (BI. f. adm. Pr. 1887, p. 193) : La concession des lieux de sépulture se fait chaque fois par « un acte d’autorité (autoritären Act) de la commune qui y est appelée en tant que corporation publique ». La commune agit ici comme investie de puissance publique. Celui qui, moyennant paiement des taxes, sera admis à l’usage de pareils services publics, n’acquiert, de cette manière, aucun droit ayant le caractère du droit privé. — Schwab, dans Arch, f. civ. Pr., 30, Beil. p. 117, remarque très justement que les droits des particuliers sur les bancs d’église et sur les lieux de sépulture sont essentiellement de la même nature que les droits des meuniers sur le barrage dans un fleuve public. Il croit pouvoir expliquer l’un et l’autre droit par le droit romain. Le droit administratif romain, il est vrai, offre pour notre droit moderne plus de points de comparaisons qu’on ne se l’imaginerait ordinairement (Comp. Arch. f. öff. R. III, p. 6 ss.). Mais quant à savoir si l’institution de notre acte de concession s’y trouve déjà aussi exactement développé, c’est là une question qui mériterait un examen plus sérieux.
Tandis qu’on est en pleine controverse sur la nature juridique de la concession et du droit qui en résulte, J. Kohler vient annoncer, dans Ztschr. f. deutsch. bürg. R. u. franz. Civ. R. XXXII, qu’il a fait une découverte. Il existe une servitude d’un caractère spécial, « à laquelle jusque-là la science n’a pas encore pensé » C’est le droit qui appartient à l’usine à gaz d’avoir des tuyaux de conduite dans la voie publique. Ce droit représente, d’après Kohler, une servitude du droit civil ; il n’a réussi, il est vrai, à la ranger sous les prescriptions du Code civil allemand, que grâce à une sagacité extraordinaire. Mais il s’agit tout simplement ici de notre concession d’un droit d’usage spécial sur la chose publique. Voilà déjà longtemps que cela a été exposé et expliqué ! [↩]
- Dans le sens que ce droit a le caractère de droit public, comp. BI. f. adm. Pr. 1873, p. 75 ; eod. 1887, p. 193 (C. C. S. Bav., 19 avril 1884). Sur son caractère de droit réel, comp. R. G., 18 sept. 1882 (Samml. VIII, p. 200) : « le demandeur se trouve, sans contestation, en possession des lieux de sépulture, et ces lieux, c’est-à-dire une portion déterminée du cimetière entourée d’une grille, sont l’objet du droit concédé. Par-là, existent les marques d’un droit réel ». Très clairement, V. G. H., 4 mai 1886 (Samml. VII, p. 231) : Etablir des rails dans une rue publique, cela ne peut pas se faire en vertu du droit de l’usus publicus, cela n’y est pas compris. Cela suppose, au contraire, la constitution d’une servitude qui devrait être une « servitude de droit public » (p. 233). Ce terme ne serait pas mal choisi ; il désigne assez bien l’effet de la concession ; seulement, nous avons besoin de cette expression pour désigner une autre institution qui en diffère tout à fait et pour laquelle ce mot est déjà entré dans les habitudes ; comp. § 40 ci-dessous. [↩]
- Que cette protection soit due au concessionnaire, cela ne peut s’expliquer, dans l’opinion commune, qu’en appuyant, d’une façon quelconque, au droit civil, le droit créé par la concession. Les expressions « droit privé, propriété privée », avec leur double sens connu, servent à dissimuler la transition. Dans ce sens, V. G. H., ler mars 1887 (Samml. VIII, p. 217) : le droit d’usage sur un cours d’eau, « quoiqu’il ait son origine dans un acte du droit public, — à savoir la concession accordée par la puissance publique, — prend la nature d’un droit privé entraînant légalement la même protection qu’un droit privé ». Comme si un droit subjectif public ne pouvait pas être protégé, vis-à-vis des tiers, de la même manière qu’un droit subjectif civil ! De même, O. Tr., 8 juillet. 1869 (Str. 57, p. 240) : « Un pareil droit sur l’eau courante entre dans la propriété privée du concessionnaire ; ce dernier est autorisé à maintenir sa propriété contre tout le monde, au moyen d’une action réelle, soit contre l’auteur de la concession, si celui-ci porte atteinte à la propriété privée, soit contre un tiers ». Ici la « propriété privée », — qui naturellement n’est pas entendue dans le sens strict de propriété, les droits en question en diffèrent fortement quant à leur contenu, — ne doit servir qu’à établir la compétence des tribunaux civils. Mais pour cela, un droit subjectif civil n’est nullement indispensable (Comp. t. 1er, p. 276 ss.). En tout cas, il est complètement faux d’identifier le rapport avec le maître de la chose publique qui a fait la concession, et le rapport avec n’importe quel tiers. [↩]
- S’agit-il d’une prise d’eau sur un fleuve public, les contestations de cette espèce se terminent, en règle, comme des incidents de la procédure d’instruction de la nouvelle concession demandée ; comp. la note 6 ci-dessus. — Sur la question de compétence au sujet des contestations qui pourront s’élever entre les possesseurs de bancs d’église, O. V. G., 10 déc. 1884 (Reger, V, p. 388) développe les propositions suivantes : Les cultes des sociétés religieuses publiques sont des parties de l’ordre public ; l’ordre des bancs d’église est une partie de l’ordre extérieur du culte ; il est donc soumis à la protection de la police, et l’autorité générale de la police d’ordre est appelée, au cas de contestation, à rétablir et à maintenir l’ordre entre les possesseurs en litige. [↩]
- Comp. sur ce point l’excellent exposé fait par Schwab dans Arch. f. civ. Pr. 30, Beil, p. 155 ss. [↩]
- R. G., 5 mai 1881 (Samml. VII, p. 136) appelle cela des « pouvoirs de la police d’église » — expression qui nous semble n’être pas très heureuse. — On a aussi voulu expliquer la révocabilité en disant qu’il n’y aurait pas ici de droit réel sur une certaine place, mais seulement un droit d’exiger du maure de la chose publique l’assignation d’une place : O. Tr., 25 mai 1877 (Str. 99, p. 173) ; R. G., 9 nov. 1889 (Samml. 24, p. 174) ; Mejer, Kirch. R., p. 416 note 11. Mais cette manière de voir n’est exacte qu’en ce qui concerne les permissions d’usage garanties par la loi, telles que les places au marché, etc. (Comp. § 38, I, no 4 ci-dessus) ; elle ne l’est pas pour la concession. Dans cette dernière, l’assignation d’un autre banc d’église, etc., n’est autorisée qu’autant qu’il y a une nécessité évidente d’intérêt public ; mais cette condition remplie, il est permis de supprimer ce droit totalement. Le droit lui-même est incontestablement de nature réelle (Comp. la note 8 ci-dessus) ; un engagement d’obligation de faire éventuellement une concession à titre de remplacement, n’est pas créé par la concession à côté du droit réel ; il ne peut s’agir que d’une obligation d’indemnité, obligation naissant directement de la suppression du droit ; nous en parlerons tout à l’heure. [↩]
- Ainsi fut fait dans le cas des boutiques de boucher à Berlin, que nous avons relaté à la note 3 ci-dessus (O. Tr., 8 févr. 1856, St. 19 p. 336) : l’autorité directrice des rues a pu leur imposer des restrictions. De même, d’après C. C. H., 9 juin 1866 (J. Str. BI., p. 222), la ville de Stettin, à laquelle un droit d’usage de date ancienne avait été reconnu sur une partie de l’Oder, a dû se soumettre à des restrictions de ce droit, imposées par la « police fluviale » pour rétablir la liberté de la voie navigable. [↩]
- Il y a des législations qui ne permettent pas de concéder des droits d’usage spéciaux sur les fleuves publics autrement qu’avec cette clause ; celle-ci, par conséquent, sera toujours censée ajoutée. Il en est ainsi en droit Français, en droit Badois, en droit Württembergeois. D’après le droit Bavarois et Prussien, au contraire, l’irrévocabilité serait la règle. Mais cela ne veut pas dire que le droit concédé ne devrait pas céder aux dispositions nouvelles qui seront faites dans l’intérêt public du fleuve ; cela implique seulement un droit à indemnité pour ce cas ; Pözl, Bayr. Wassergesetze, p. 71. La clause de libre révocation, qui écarterait ce droit à indemnité, pourra aussi adopter un moyen terme et fixer d’avance une somme à forfait qui devra être payée au cas de révocation ; Pözl, l. c., p 72, note. [↩]
- A cet égard, le déplacement a le même effet que le déclassement, si la chose publique, tout en conservant en général sa nature juridique, devient une chose publique d’une autre espèce qui n’admet pas de pareilles concessions. Un exemple dans O. Tr., 4 janv. 1867 (Str. 67 p. 13) : A l’occasion de l’élargissement d’une église, un tombeau héréditaire y est englobé. La demande en reconnaissance du droit et en restitution est rejetée, mais une indemnité est allouée — Il n’en est pas de même dans l’espèce de R. G. 19 nov. 1889 (Samml. 24, p. 174) L’église, détruite par un incendie, avait été reconstruite. L’ancien possesseur d’un banc d’église demande à être réintégré dans les sièges qui lui sont dus. On ne lui alloue qu’une indemnité, parce que l’autorité ecclésiastique avait, « par une mesure de police d’église, que le tribunal n’a pas à contrôler », disposé d’autorité de ces sièges. Le tribunal part de cette idée, que le droit du possesseur du banc n’a pas péri par l’incendie, attendu qu’il est de nature obligatoire ; c’est un droit d’exiger de la communauté religieuse l’attribution d’un siège. C’est la manière de voir, touchant les effets de la concession, dont la fausseté a été démontrée à la note 12 ci-dessus. La concession, à la vérité, n’avait créé qu’un droit réel. Ce droit n’a pas péri par l’incendie ; l’église elle-même ayant été reconstruite immédiatement n’a jamais cessé d’être une chose publique ; la présomption d’un déclassement tacite est écartée (Comp. § 36, note 29 ci-dessus, p. 177). L’ancien possesseur d’un banc d’église ne peut pas exercer son droit, tant que la reconstruction n’est pas faite : mais il ne peut pas non plus exiger la reconstruction de l’église pour obtenir à nouveau son banc, et faire valoir ainsi la prétendue obligation. Si l’église est reconstruite telle qu’elle était auparavant, il retrouvera simplement son banc ; tout rentre dans l’ancien droit. Mais il est peu probable que les choses se passeront ainsi. A la reconstruction de l’édifice se joindra plutôt un nouvel arrangement des bancs d’église. Alors un équivalent pourra être offert à l’ancien titulaire : le changement fera périr l’ancien droit en créant simultanément un droit nouveau ; il n’est pas dû d’indemnité, puisqu’il n’y a pas de dommage ; le changement en lui-même doit être supporté par l’ancien possesseur dans l’intérêt public. S’il n’est pas offert d’équivalent, le droit périt purement et simplement, et périt à ce moment même par l’effet du nouvel arrangement des bancs d’église ; l’obligation d’indemniser nait de la révocation ; comp. sur ce point la note 12 ci-dessus. [↩]
- De pareilles restrictions de la liberté et de la propriété du concessionnaire, imposées au point de vue de la police, pourront encore avoir leur effet quand le droit aura pris fin. L’ancien concessionnaire d’un barrage par exemple, ne doit naturellement pas faire disparaître comme bon lui semble, les travaux et installations qu’il avait faits sur le fleuve, sans tenir compte des dommages qui pourraient en résulter. C’est à ces restrictions d’un caractère de police, que se réduit tout ce qu’on voudrait désigner sous le nom de droit d’accession au profit d’une chose publique. Schwab, dans Archiv. f. civ. Pr. 30, Beil , p. 909 ss. ; Meurer, Heilige Sachen II, p. 36 ss. [↩]
- Les charges spéciales attachées à la concession ont, d’après leur nature juridique, une certaine affinité avec les charges qui pourront accompagner une permission de police. Comp. t. II, § 21, II, no 3, p. 69. Leur effet répond entièrement à ce que nous avons dit sur ce sujet. Mais il ne faut pas oublier que l’autorité ici a, pour déterminer le contenu de la charge, une latitude bien plus grande. Tandis que, pour la permission de police, la charge doit avoir seulement pour but d’empêcher des troubles qui pourraient résulter de l’entreprise permise, et n’est pas valable quand elle excède cette limite, on peut imposer au concessionnaire des charges à volonté, notamment pour garantir et augmenter le bon état et le bon fonctionnement de la chose publique ; tout devient valable par la soumission librement consentie du concessionnaire. En fait, ces conditions de la concession seront réglées d’avance d’une manière uniforme ; et là, où il y a un droit d’exiger la concession, il est même nécessaire que cela ait lieu ; sans quoi, l’égalité du droit pour tous pourrait devenir illusoire. Dans la théorie de la permission de police, il nous a fallu faire une distinction entre les charges imposées en vertu d’une autorisation spéciale de la loi et celles que l’autorité impose seulement en vertu de sa libre appréciation de permettre ou de refuser ; les premières seules créent, en même temps, des obligations positives à la charge du permissionnaire, susceptibles d’être exécutées par la contrainte directe ; comp. t. II, § 21, p. 71 ss. Ici, au contraire, toutes les charges auxquelles le concessionnaire se sera soumis par l’acceptation de la concession sont pour lui, en même temps, des obligations, sans qu’il y ait besoin d’un fondement légal ; la contrainte directe est la règle, et la déclaration de déchéance n’est placée qu’en seconde ligne, comme moyen extrême. La différence provient de ce que, ici, il ne s’agit pas d’exercer le pouvoir de police avec ses limites naturelles non susceptibles d’être élargies, même par soumission volontaire (t. II, § 21, note 19, p. 73) ; il s’agit d’une prestation libre avec fixation libre de l’équivalent. [↩]
- Schwab, dans Arch. f. civ. Pr. 30, Beil., p. 103, a eu en vue cette particularité que présente la taxe d’être fixée pour le cas individuel, quand il parle de la « concession contre paiement d’une rétribution stipulée (redevance des moulins) ». [↩]