Section II
Les obligations spéciales
§ 51. Avantages résultant d’une entreprise publique
(185) Une entreprise publique (établissement public) est un ensemble de moyens, matériels ou personnels, qui, entre les mains d’un sujet d’administration publique, sont destinés à servir, d’une manière permanente, à un intérêt public déterminé1.
L’entreprise peut avoir une utilité directe pour l’état général de la communauté, garantissant la sûreté et l’ordre public ; tel est, par exemple, le corps des sapeurs-pompiers avec ses appareils ; telle est surtout l’entreprise la plus considérable de l’Etat, l’armée ; telle est encore l’entreprise servant à une mission de civilisation en général, comme un observatoire, une académie.
L’entreprise pourra aussi atteindre son but en (186) accordant des avantages et en rendant des services au public, à la masse des individus. Ex. : écoles, caisses d’épargne, hôpitaux, postes, chemins de fer. Cette dernière espèce d’entreprise est visée en première ligne, quand on parle d’entreprises publiques. Le rapport qui se forme alors entre l’entrepreneur qui accorde l’avantage, et l’individu qui en profite, qui retire cet avantage, doit être réglé en droit. Ce sont les formes juridiques dans lesquelles l’avantage est retiré qui doivent maintenant être examinées.
I. — La forme juridique dans laquelle, sur la base de l’économie privée, des prestations analogues parviennent à celui qui doit les recevoir, c’est le contrat de droit civil. L’entrepreneur offre ces prestations et établit les conditions dans lesquelles elles devront être faites. La déclaration du client se fait par la demande de la prestation ; cette demande, suivant les cas, ne sera valable que moyennant le payement préalable du prix de la prestation à accomplir. Si l’offre de l’entrepreneur doit être entendue comme une offre de contracter, le contrat sera parfait par l’effet de la déclaration du client ; s’agissait-il seulement d’une invitation à faire des offres, le contrat se forme par l’acceptation de l’entrepreneur, qui, d’ordinaire, s’effectue par le commencement même de l’exécution de la prestation. Tout ce qui, à partir de ce moment, sera fait d’un côté ou de l’autre devra être considéré sous le point de vue de l’accomplissement du contrat.
Pour l’entreprise publique, — qui est une manifestation de l’activité de l’administration publique, — la situation spéciale telle qu’elle est réglée par le droit civil ne s’entend pas de soi. L’entreprise publique a sa place naturelle dans la sphère du droit public. Tant qu’elle n’aura pas quitté ce domaine, la forme dans laquelle parviendront juridiquement au destinataire les avantages de l’entreprise n’est pas celle du contrat (187) (Comp. t. Ier, § 11, III, p. 181). Mais d’un autre côté, le contrat n’est pas ici nécessaire pour mettre l’entrepreneur en mouvement. Les prestations de l’entreprise se font dans l’intérêt public, lequel est satisfait par cela même que les prestations profitent à la masse des individus. L’entreprise reçoit donc entièrement la détermination des conditions dans lesquelles elle fonctionne, spontanément, de son centre intérieur, au moyen des règles que l’entrepreneur, l’Etat, établit pour son activité, laquelle est l’activité des employés préposés par lui à l’entreprise. Si, de cette manière, les avantages de l’entreprise sont assurés aux individus, si l’Etat de l’autre côté doit recevoir de ces derniers un équivalent, c’est là un effet indirect et un accessoire extérieur.
Nous pouvons observer la même différence dans l’activité judiciaire destinée à procurer à l’individu son droit en matière civile. Ceux qui ont besoin de justice pourront, au lieu de s’adresser aux tribunaux publics, choisir un arbitre, par conséquent un entrepreneur privé. Pour obtenir ses services, il faut commencer par l’y obliger au moyen d’un contrat de droit civil. En vertu de ce contrat, l’arbitre est tenu de faire ce qui incombe à un arbitre. Il existe contre lui une demande en accomplissement de son obligation ou en indemnité pour non-accomplissement. Dans le tribunal public, au contraire, l’entrepreneur, c’est l’Etat. Il a obligé ses juges, par le devoir de leur fonction, à recevoir et à mener à bonne fin les demandes remplissant les conditions requises par la loi. La production de l’assignation n’est qu’un appel adressé à ces fonctionnaires judiciaires de remplir le devoir qui leur a été imposé par l’Etat ; et tout ce que la partie fera ultérieurement aura la même nature. L’acceptation de l’assignation par le tribunal n’est pas un contrat ; il n’en résulte pas, vis-à-vis de l’Etat, de droit (188) contractuel à obtenir de lui la solution du litige. Il n’existe que des moyens de droit reposant sur l’organisation même de cette entreprise, les plaintes qu’on peut formuler contre les employés de l’entreprise, les juges, à l’entrepreneur, l’Etat, c’est-à-dire aux autorités de surveillance qu’il aura constituées.
C’est de cette dernière manière que sont réglés juridiquement les avantages à retirer d’une entreprise publique. Il y a uniquement cette différence — motivée par le caractère différent de ces deux branches d’activité de l’Etat — que, pour la justice seulement, tout ce qui doit se faire est réglé aussi étroitement que possible par des règles de droit, et lié ainsi vis-à-vis des parties : des droits subjectifs de droit public accompagnent partout la marche de la justice. Pour les entreprises de l’administration, au contraire, la loi et l’ordonnance n’interviennent qu’incidemment ; puisqu’il s’agit de donner et non pas de porter atteinte, leur intervention n’est pas nécessaire ; c’est une question d’opportunité, que de savoir s’il convient de mettre plus de stabilité juridique au moyen des règles de droit qu’elles posent. Le centre de l’ordre juridique que l’Etat donne à cette activité se trouve dans les prescriptions administratives, dispositions générales émises pour les fonctionnaires en vertu du pouvoir hiérarchique, et, pour les individus qui doivent profiter des avantages à accorder, en vertu du pouvoir propre à l’entreprise même (Comp. § 52, II, ci-dessous). L’ensemble de ces prescriptions forme, pour chaque entreprise publique, son règlement intérieur (Anstaltsordnung).
Ainsi, dans les entreprises administratives, le contraste qui existe entre la structure juridique du rapport du client et la structure d’une entreprise d’économie privée est encore plus éclatant que dans la justice : pour l’entreprise d’économie privée, tout a son centre (189) fixe dans le contrat originaire dont découlent tous les détails d’exécution, lesquels représentent autant de droits réciproques des parties ; pour la justice, le rapport a le caractère d’un « procès », c’est-à-dire d’une marche en avant réglée par la loi et accompagnée, à chaque étape, de droits correspondants des parties ; pour les entreprises administratives, cette marche en avant est réglée également, mais non pas nécessairement par la loi ; par conséquent, des droits subjectifs des clients prennent naissance plutôt d’une manière occasionnelle, suivant qu’une règle de droit devient applicable, soit au commencement, soit au milieu, soit à la fin du rapport2.
Avant d’exposer le système juridique de cette marche, il importe de constater que les formes propres au droit public conviennent bien en principe aux rapports d’une entreprise publique, attendu que cette dernière est elle-même une manifestation de la volonté de l’Etat. Cependant, les rapports de l’Etat avec ses sujets peuvent aussi être soumis aux règles du droit civil. Ainsi notamment, il se peut que l’entreprise publique accorde ses avantages dans les formes d’un contrat de droit civil : bail à loyer, louage de services, contrat de travail. Quand en sera-t-il ainsi ? En appliquant le principe qui domine cette question (Comp. t. Ier, § 11, II, p. 177), il faudrait supposer que l’Etat agit, en administrant son entreprise, à la manière de l’économie privée et qu’il accorde des avantages de (190) la même manière qu’un entrepreneur privé pourrait le faire. Mais nous savons que ce principe n’est pas d’une application aussi simple et qui puisse se faire mécaniquement pour ainsi dire. On s’est efforcé de donner une formule plus précise. On a insisté sur l’esprit de spéculation dans lequel l’entreprise devrait être gérée pour que le droit civil devint applicable ; et, à l’inverse, on a voulu restreindre l’application des formes du droit public au cas où il y aurait contrainte, pour les sujets, de se servir de l’entreprise. Mais tout cela est manifestement insuffisant.
Il n’y a qu’à rester fidèle à la maxime développée au t. Ier, p. 180. Il faut nous en tenir aux réalités du droit pratique. Nous voyons comment, en réalité, on procède dans ces rapports ; nous appliquerons à ces réalités la forme du droit civil et celle du droit public. Celle-là sera la forme véritable qui expliquera le plus naturellement et le plus simplement tous les détails donnés3.
Si nous essayons maintenant de ranger dans l’une ou l’autre des deux grandes catégories les entreprises publiques les plus importantes, nous n’ignorons pas que nous sommes sur un terrain très contesté. D’un côté, il faut avouer que, au point de vue pratique, la différence entre droit public et droit civil n’amène pas toujours ici à des solutions très divergentes ; mais (191) d’un autre côté, il est vrai aussi que souvent on n’insiste tellement, sur l’application des formes du droit civil, que parce qu’on n’a pas une idée bien précise des formes du droit public.
Il y a d’abord un groupe d’entreprises publiques pour lesquelles le doute ne semble guère possible quant à la nature du droit public de leur rapport avec leurs clients. Ce sont surtout celles où les avantages qu’elles accordent se combinent avec un rapport préexistant de sujétion spéciale et de discipline : l’entretien que le soldat reçoit par la grande institution de l’armée4, celui du prisonnier dans la prison, de l’indigent dans l’hospice communal. Mais les établissements publics de santé et les écoles présentent le même caractère avec une forme moins rigoureuse. Les permissions spéciales de jouir d’une chose publique, dont nous avons déjà parlé au t. III, § 38, p. 227 et s., ont, à raison du caractère de cette chose, leur place incontestable dans la sphère du droit public. Enfin, on ne refusera pas ce caractère aux prestations des commissions d’examen, des offices de vérification des poids et mesures, à tout ce que l’Etat a prévu à l’effet de faire constater, au profit des particuliers, des faits ou des qualités par un acte d’autorité publique.
D’autres entreprises, au contraire, présentent, par le but qu’elles poursuivent et par les moyens dont elles se servent, une grande ressemblance avec des entreprises industrielles qui, à côté d’elles, sont gérées par des particuliers. Il faudra y regarder de plus près pour voir comment elles sont traitées. La distinction qui y est faite paraîtra quelquefois assez arbitraire. L’abattoir communal, par exemple, fonctionne selon le droit public, de même que le marché public et la halle municipale ; il ne conclut pas de (192) contrats de bail avec ses clients ; l’usine à gaz, au contraire, qui appartient à la ville vend son gaz ; l’entreprise des eaux communales5 fait de même pour son eau. Les musées, galeries de peintures, bibliothèques sont régis par le droit public, lors même qu’ils perçoivent des taxes ; le théâtre municipal loue ses places selon le droit civil. Les caisses de dépits, — et peut-être aussi les caisses d’épargne et les monts de piété, — appartiennent, pour les avantages qu’elles accordent, au droit public6 ; la Banque de l’Empire fait des affaires commerciales. Parmi les établissements publics de communication, les postes, télégraphes, téléphones, dans leurs rapports avec le public, sont réglés par le droit public ; les chemins de fer de l’Etat et les bateaux (193) vapeur de l’Etat font des contrats de transport pour voyageurs et marchandises.
Pourquoi ces entreprises sont-elles traitées de telle manière plutôt que de telle autre, cela s’explique souvent par les précédents historiques. Pour les chemins de fer, l’Etat a imité les sociétés par actions ou les a même acquis de ces dernières ; de même, les usines à gaz et les conduites d’eau communales ont été fondées d’abord par des sociétés privées. Les postes et télégraphes étaient, dès leur origine, des entreprises de l’administration publique. On trouvera partout des éléments positifs qui ont contribué ainsi à fixer l’appréciation du caractère juridique de chaque entreprise.
II. — Ce qui, dans le règlement du rapport d’après le droit public, revient à celui qui profite de l’entreprise — ce qu’on appelle les droits du client — se divise en trois groupes principaux : l’admission à l’entreprise, la prestation effective par l’entreprise et les droits accessoires pouvant résulter du rapport.
1) L’établissement public est destiné à accorder aux sujets ses avantages d’une manière permanente et pour une série illimitée de cas qui ne sont pas déterminés d’avance individuellement. La prestation s’attache au cas individuel au moyen de l’admission à l’entreprise. Cette admission, quant à son importance juridique, est la constatation que l’on est bien dans un cas où l’établissement, d’après sa destination, devra fonctionner. Cette constatation pourra se faire dans un acte spécial : réception dans une école, dans une maison de santé ou dans un hospice. Elle peut être comprise dans un acte qui détermine en même temps certains détails de la jouissance accordée : assignation de place par l’inspecteur du marché public, par l’éclusier, par l’administration du cimetière. Peut-être s’effectue-t-elle directement par (194) le fait que l’activité de l’entreprise commence pour ce cas : réception de la dépêche à expédier, application du timbre postal aux lettres, installation dans la salle des malades, remise du livre de la bibliothèque. Il y a des circonstances où il suffit simplement de supporter, de ne pas empêcher : libre entrée dans un musée, dans une galerie de peinture.
Les conditions à remplir pour être admis se déterminent d’après le but de l’entreprise. Elles sont indiquées dans les règlements intérieurs. Il s’agit de certaines qualités à exiger des personnes à admettre, d’un état convenable des choses qui doivent faire l’objet de l’activité, de la forme dans laquelle cette activité devra être requise ; il se peut qu’une demande doive être faite ; il peut suffire que le client apporte les choses ; ou même il se peut que l’établissement doive offrir au client ses prestations. L’observation de toutes ces conditions est du devoir des fonctionnaires de l’entreprise ; ils doivent refuser l’admission lorsque ces conditions font défaut. D’un autre côté, lorsqu’elles sont remplies, il est de leur devoir d’accorder l’admission. Il est de la nature de ces entreprises publiques d’être ainsi accessibles d’une manière générale et égale. Les règlements établissent des prescriptions en conséquence. Ce n’est que très rarement que, les conditions générales étant remplies, on confère aux agents de l’entreprise le pouvoir de faire encore un choix et de refuser ou d’accorder l’admission selon leur libre appréciation. Cela n’existe guère que pour certains établissements de bienfaisance.
Mais l’admission est aussi le point pour lequel, de préférence, le rapport des entreprises publiques et des sujets a fait l’objet de règles de droit. La loi, l’ordonnance, le statut établissent eux-mêmes les conditions de l’admission en ce sens qu’elle ne doit pas être refusée si les conditions sont remplies. Quelquefois (195) aussi, la loi renvoie aux règlements intérieurs à intervenir, qui fixeront les conditions de l’admission. Ce ne sont pas alors des règles de droit ; ce ne sont jamais que des instructions ; mais l’autorité qui les donne — et même l’autorité supérieure — ne pourra pas y déroger dans le cas individuel. La volonté de la loi subordonne l’admission aux conditions fixées dans l’instruction générale, laquelle est irréfragable tant qu’elle n’est pas remplacée par une autre instruction également générale7.
Par cette intervention de la loi, d’une manière ou de l’autre, le caractère juridique du rapport est changé : l’admission de celui qui présente les conditions requises n’est pas seulement garantie par l’obligation des agents vis-à-vis de l’Etat, elle l’est aussi par un droit public subjectif ; et le refus qui serait opposé l’individu, contrairement à la loi, serait une violation de son droit. Quant à savoir comment on devra faire valoir ce droit, cela dépend de l’organisation de (196) la protection du droit. A défaut d’une prescription spéciale, le moyen tout indiqué est celui d’un simple recours à l’autorité supérieure, laquelle apportera le remède par un ordre adressé aux agents directs de l’entreprise8.
2) L’admission ouvre à l’individu l’accès aux prestations de l’établissement ; mais elle ne rend pas ces prestations obligatoires. Elle n’est pas un contrat, pas même un contrat de droit public ; elle n’est même pas du tout un acte juridique qui créerait un rapport juridique9.
La révocation de l’admission, l’exclusion des avantages de l’entreprise, a lieu d’après les mêmes règles que l’admission. En principe, c’est uniquement le devoir des employés envers leur patron, l’Etat, la commune, etc., qui protège contre l’arbitraire. Mais lorsque les conditions de l’admission ont été réglées par la loi, l’exclusion ne pourra pas avoir lieu (197) contrairement à ce qui a été prescrit ; il y aurait encore là une violation du droit de l’intéressé.
Que son admission et le maintien de son admission soient réglés par la loi ou seulement par l’obligation personnelle des agents, que l’individu ait donc ou non un droit à être admis et à continuer de l’être, ce qui lui parvient effectivement en prestations est exclusivement déterminé par l’ordre intérieur de l’entreprise, par conséquent, par le devoir des agents, devoir dont l’accomplissement est surveillé par l’autorité supérieure. Si celui qui doit en retirer les avantages fait appel à l’intervention de cette dernière autorité, cela lui profitera aussi. Mais il n’a pas de droit propre vis-à-vis de l’Etat pour exiger l’accomplissement correct de la prestation. Il n’y a jamais de demande administrative pour obtenir cet accomplissement par la voie juridictionnelle. Il ne faut pas vouloir la remplacer par une demande en prestation à adresser aux tribunaux civils ; cela aboutirait à constituer ces derniers en véritables supérieurs de l’administration publique. La loi s’est bien gardée d’admettre, à cet égard, une compétence d’attribution ; et quant à dire que cela va de soi, c’est aller bien loin. Ce que les partisans d’une juridiction civile étendue réclament ordinairement pour celle-ci, ce n’est pas cette contrainte directe, si évidemment irrationnelle, mais la contrainte indirecte qui s’exerce par la condamnation à des dommages-intérêts pour non-accomplissement d’une obligation. Mais s’il y avait, au profit de l’individu, à la charge de l’entreprise, une obligation de faire ces prestations, cela ne pourrait être qu’une obligation de droit public ; or, les obligations de droit public, comme nous le savons, ne se résolvent pas, en cas de non-accomplissement, en dommages-intérêts. Mais il n’y a même pas obligation de droit public. Nous rencontrons ici, il est vrai, des droits à des dommages-intérêts (198) (Comp. no 3 ci-dessous, p. 198) ; ils sont d’une nature toute différente10.
Les règlements intérieurs, régulatifs, statuts, qui déterminent le fonctionnement des entreprises publiques, mentionnent très souvent cette exclusion de la responsabilité. Mais il est faux de considérer cela comme des clauses conventionnelles faisant partie d’un acte juridique de droit civil. De cette manière, l’effet complet de ce que l’on cherche ici ne serait jamais obtenu. L’exemple des entreprises privées analogues en est une preuve suffisante : maisons de santé privées, écoles privées, postes privées. Elles prennent soin d’insérer ces clauses, à l’imitation des établissements publics, dans leurs prospectus et même dans des conventions rédigées par écrit. Mais les tribunaux ne leur permettent guère de s’affranchir ainsi des responsabilités sur lesquelles, en général, un client doit pouvoir compter. Ils trouvent facilement, dans les règles sur l’interprétation des contrats et sur la bonne foi exigée dans le commerce, les moyens d’écarter (199) ces clauses11. Ils auraient également raison de ces prétendues « clauses de convention » des établissements publics. Cependant, l’autorité préposée à ces établissements a voulu que cette exclusion de la responsabilité civile soit absolue. Pour éviter cette contradiction fâcheuse, il n’y a qu’un moyen : c’est de bien comprendre qu’il n’y a pas ici de contrat12.
3) L’entreprise publique poursuit sa marche comme une grande machine. Les individus qui, pour en obtenir les avantages, lui sont confiés avec leurs intérêts, leurs choses, leurs personnes, ne sont, pour elle, que des objets sans influence décisive. C’est seulement en dehors de ce cercle que les individus retrouvent des droits, qu’ils peuvent formuler des réclamations basées sur des faits qui se sont produits à l’occasion de leur rapport avec l’entreprise dont ils voulaient profiter. Ce sont des règles existantes spéciales, de nature droit civil ou droit public, qui leur servent de base. Le règlement intérieur sert à en restreindre l’effet (Comp. § 52, I ci-dessous, p. 204), ou à prescrire comment il devra leur être donné (200) satisfac-tion. Des règles de droit particulières leur donnent des déterminations et des adaptations quant à l’un ou à l’autre point.
Il s’agit de droits à restitution et de droits à indemnité.
Un droit à restitution existe à raison des valeurs pécuniaires qui, à l’occasion du rapport avec l’entreprise, ont passé de l’intéressé à cette entreprise, sans qu’elle dût les conserver définitivement. La restitution s’effectue de la manière réglementaire ; toutefois, si l’activité officielle est terminée et qu’il ne reste plus rien que le fait matériel de l’existence, chez l’entreprise, d’une pareille valeur qui n’aurait pas dû lui rester, alors, à côté de l’obligation personnelle des agents, il y a un droit à restitution de cette valeur au profit de celui à qui elle appartient. Ce droit est de nature droit civil et s’exerce contre le propriétaire de l’entreprise lui-même, au nom duquel celle-ci est gérée et la possession est exercée. S’agit-il de choses corporelles, il y aura lieu à une demande en revendication devant les tribunaux civils13 ; s’agit-il d’une somme d’argent restée entre les mains de l’entrepreneur, la demande aura la nature d’une répétition de l’indû14.
(201) D’un autre côté, des droits à l’indemnité contre le propriétaire de l’entreprise pourront résulter de l’activité de l’entreprise à raison des préjudices éprouvés par les personnes qui devaient profiter de ses avantages. Ces droits n’auront pas leur base dans les principes sur la faute contractuelle ; nous avons vu, en effet, qu’il n’y a pas ici de contrat. Ils ne devront pas non plus être régis par les principes concernant la responsabilité civile pour faits illicites ; ces principes du droit civil ne s’appliquent pas à l’hypothèse prévue, attendu-que l’Etat ne fait pas ici d’œuvre d’économie privée. Comp. ce que nous avons exposé à cet égard au t. Ier, p. 312. Quelques législations, comme nous l’avons vu, ont voulu étendre cette responsabilité du droit civil à des faits qui ne sortent pas de la sphère du droit public ; mais la formule choisie est si étroite qu’elle ne se prête pas à des dommages causés par les employés de la poste, du télégraphe, des écoles, des hôpitaux, etc. On ne saurait prétendre que ces agents sont chargés « de l’exercice de la puissance publique » (comp. t. Ier, p. 315 et note 37)15. Dès lors, dans (202) l’hypothèse où il s’agit d’entreprises dont les rapports avec ceux qui doivent en retirer les avantages ne sont pas réglés par le droit civil, — hypothèse qui seule fait ici l’objet de notre examen — il faut faire abstraction du droit civil. L’indemnité qui pourra être due, c’est uniquement l’indemnité de droit public, dont il sera question au § 53 ci-dessous. Nous retrouvons ici toutes les conditions requises pour l’application de ses règles : l’activité de l’entreprise est de l’administration publique ; le dommage qui en résulte a le (203) caractère d’un sacrifice spécial imposé à cet individu ; la compensation a lieu sans qu’il soit nécessaire de faire la preuve d’une faute, mais aussi dans la mesure restreinte propre à l’indemnité de droit public : c’est uniquement le dommage direct et matériel qui entre en compte16.
Les règlements intérieurs s’occupent souvent des indemnités à payer conformément à ces principes ; cela n’a d’autre importance que d’en régler l’application par des instructions données aux agents. Toutefois cela peut servir à simplifier le règlement des indemnités : une somme fixe est reconnue d’avance pour des cas déterminés, en sorte que le plaignant qui se contente de cette séparation sommaire n’a pas d’autres formalités à remplir ni de preuve à faire. S’il insiste, au contraire, sur le droit formel, une indemnité supérieure pourra être obtenue par lui malgré les prescriptions du règlement qui, par lui-même, n’a pas la force de changer le droit. Il faut pour cela un fondement légal : une loi ou un règlement autorisé par une loi17.
- Jellinek, Subj. öff, Rechte, p. 212 et note 2 ; v. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 501 ss. ; F. F. Mayer, V. R., p. 231 ss. L’expression « entreprise publique », ainsi que l’expression « öffentliches Unternehmen » comprendront également des activités qui se bornent à créer une certaine situation ; exemple : le dessèchement d’un marais. Les mots « öffentliche Anstalt » désigneraient mieux l’entreprise permanente pour laquelle l’administration poursuit l’utilité publique, au sens du texte. Mais ce terme, en allemand, a ceci d’incommode, que, dans la langue courante, ainsi que chez beaucoup d’auteurs, il est employé également pour désigner une personne morale attachée à une entreprise permanente (Comp. § 56 ci-dessous). Les mots correspondants en français « établissements publics » renferment cette idée de personne morale de droit public avec plus de précision encore. Ayant dit clairement ce que nous voulons dire ici par ces deux expressions, il nous sera permis de nous servir de l’une et de l’autre. [↩]
- Les éléments du rapport entre l’entreprise publique et l’individu qui doit en profiter ne se trouvent pas réunis dans une unité organique, telle que le rapport contractuel semble la présenter. C’est ce qui a laissé à Laband cette impression de décousu qui lui fait dire (St. R., éd. all. II, p. 248 : éd. fr. IV, p. 13), en parlant des assurances ouvrières contre la maladie : « il ne faut pas plus voir là le lien d’une relation juridique bilatérale qu’il n’en faut voir entre la distribution de l’enseignement populaire public et le paiement de la rétribution scolaire, ou entre le prononcé d’un arrêt de justice et l’obligation de payer les frais de la procédure ». [↩]
- Qu’on se serve de l’expression « contrat » ou de celle de « régale » ou d’ « établissement de police », cela n’a pas d’importance. Même si la loi emploie telle ou telle expression, cela le plus souvent prouve simplement ceci, que le conseiller chargé de la rédaction du projet avait à l’université suivi les cours de tel ou tel professeur. C’est donc par erreur que Tinsch, Die Postanweisung, p. 4, croit avoir réfuté suffisamment la critique de Scholl contre la nature contractuelle de l’expédition des lettres par la poste, en constatant que la loi postale § 50 se sert du mot « contrat ». D’un autre côté, il ne nous suffit pas non plus qu’on nous dise, comme le fait Zorn, St. R., II, p. 27, qu’il y a là « une obligation de droit public » ; il nous faut aussi voir comment ce caractère de droit public doit, en réalité, trouver son expression. [↩]
- Voir ci-dessus, § 46, note 12, p. 97. [↩]
- Pour les conduites communales d’eau, il est possible d’admettre aussi un rapport de jouissance dépendant du droit public. Le contraste est très bien exposé dans BI. f. adm. Pr., 1880, p. 321 ss. : A Ratisbonne, en 1879, l’établissement des conduites d’eau, géré par une société par actions, fut acquis par la commune. « Au moment où l’établissement est devenu une entreprise communale, tout le rapport juridique a été enlevé du droit privé et incorporé au droit public ». De là les conséquences suivantes : droit appartenant à tous les membres de la commune d’être admis à jouir ; pas d’exercice d’industrie ; pas de patente à payer ; la rétribution pour l’eau est une contribution publique qui n’a pas le caractère d’équivalent contractuel ; un statut local règle la distribution de l’eau, etc. [↩]
- Le service qui est rendu par les caisses de dépôts et les caisses d’épargne, c’est la conservation et l’administration de l’argent d’autrui. Pour les premières même, les tribunaux civils sont disposés à les ranger dans le droit public à cause de leurs relations avec la justice (qui naturellement se sent toujours être de droit public). C. C. H., 10 juin 1882 (J. M. BI., 1882, p. 282) s’efforce loyalement de se dégager ici du contrat de dépôt du droit civil. « Ce rapport, dit-il, d’une part, ne saurait pas être expliqué complètement par les règles du droit privé ; et, d’un autre côté, il est modifié dans ses effets par des prescriptions de droit public ». L’Etat n’y figure pas comme partie contractante sur un pied d’égalité mais comme maître et supérieur ; par conséquent, « cette administration se présente comme l’exercice de droits de supériorité de l’Etat ». C’est seulement pour justifier le droit à la restitution de l’argent qu’on retombe ici toujours dans le rapport contractuel du droit civil (ce qui, d’après nous, n’est pas du tout nécessaire ; comp. II, no 3 ci-dessous). En ce sens aussi : C. C. H., 11 oct. 1884 (J. M. BI., 1884, p. 248) ; R. G., 17 mai 1884 (Samml. XI, p. 319). [↩]
- Schott dans Endemann, Handbuch, t. III, p. 531 ss., à propos de ces admissions réglées par la loi, fait un effort remarquable pour affranchir le rapport qui existe entre les postes et télégraphes et leurs clients de la forme usitée du contrat, qu’il a reconnue insuffisante. Ces services, d’après lui, n’effectuent leurs prestations que pour accomplir une obligation légale ; la remise de la lettre par l’expéditeur est donc non pas une offre de contracter, mais une sommation à l’entreprise de satisfaire à son obligation légale d’expédier (p. 539). Cela correspond à peu près au système de droit public sur la distribution des avantages résultant des entreprises publiques, comme nous venons de le montrer sur le modèle de la justice civile. Il y a seulement une exagération de la forme juridique qui doit dominer ici les choses. Le caractère spécial de l’entreprise fonctionnant selon le droit public ne peut pas-dépendre de l’admission réglée par la loi ; cela n’a même pas lieu pour toutes les prestations de la poste ; et pour celles du télégraphe, cela n’existe que depuis 1892. Schott cherche vainement à s’en tirer, en attribuant au Régulatif des postes et au Régulatif du télégraphe le caractère d’ordonnance ayant force de loi (p. 533). Mais pour d’autres entreprises, pour les écoles par exemple, et pour les hôpitaux, on ne trouvera pas même l’apparence d’une loi. Et cependant, la nature du rapport sera naturellement toujours la même. Du reste, si les lois ordonnent « l’acceptation pour l’expédition », cela ne se confond pas avec une obligation légale de transporter à destination. Si la poste remplit sa tâche pour les choses « admises », c’est une autre question. [↩]
- On ne peut pas former de demande en dommages-intérêts contre le service public pour non-accomplissement de son devoir légal d’admettre. En ce sens, en ce qui concerne la poste, Laband, St. R., éd. all. II, p. 84 ; éd. fr. III, p. 125) ; Tinsch, Die Postanweisung, p. 22. Mittelstein, Beiträge, p. 35, s’y oppose : « La loi, dit-il, oblige la poste à contracter. Si elle viole ce devoir, elle s’expose à des dommages-intérêts. C’est un principe qui, pour l’obligation analogue des chemins de fer de conclure des contrats de transport, a été reconnu expressément par le code de commerce ». Nous ajouterons que l’obligation de payer des dommages-intérêts, pour ne pas avoir accompli une obligation quelconque, est un principe général qui n’avait pas besoin d’être reconnu spécialement dans le code de commerce. Mais c’est un principe de droit civil, qui s’applique bien aux rapports du chemin de fer, mais non pas à ceux de la poste, lesquels sont de droit public (Comp. § 43, II, no 2 ci-dessus, p. 103). C’est là la seule solution. La décision de Laband — qui est juste — ne peut se justifier qu’en partant de notre manière de voir, — qui n’est pas la sienne. [↩]
- Laband, dans Arch. f. öff. R., II, p. 158, m’a reproché de considérer le rapport de la poste avec celui qui envoie la lettre, comme un contrat de droit public, tandis que, d’après lui, c’est un contrat de droit civil. Mais je vais encore plus loin : je nie l’existence d’un acte juridique quelconque qui nous procurerait les prestations de la poste. Pour Schott dans Endernann, Handbuch, III, p. 531, il ne devrait pas y avoir non plus d’acte juridique ; sa « sommation de remplir l’obligation légale », ne peut pas compter comme tel. [↩]
- La conviction qu’il n’y a pas ici d’obligation à la prestation, ni de dommages-intérêts pour cause de non-accomplissement a amené Ludewig, Die Telegraphie, p. 92 ss. à présenter une explication singulière. Il ne peut pas se passer d’un contrat. Toutefois, pour justifier le fait que ce contrat n’a aucun effet, il déclare que l’Etat ne s’engage pas lui-même à effectuer la prestation ; il promet seulement que ses employés l’accompliront. L’Etat remplit son devoir en faisant son possible pour que les employés accomplissent leur devoir ; et il a pris ses dispositions à cet effet dans les institutions existantes. Si, malgré tout, il y a un déraillement, l’Etat n’y est pour rien ; il ne sera pas responsable. Pour arriver à ce résultat, est-il nécessaire de croire à un contrat aussi compliqué ? Ne serait-il pas plus simple de dire qu’il n’en existe pas ? — Il n’y a pas de demande afin qu’un enseignement conforme aux conventions faites par les parents soit donné dans les écoles publiques ; il n’y a pas de demande afin d’être convenablement soigné dans l’hôpital public ; pas de droit à indemnité pour une ignorance de l’écolier, contraire aux conventions ; ou pour une guérison trop tardive, ou pour un retard des lettres ou pour une perte des dépêches. A quoi bon alors tant parler de contrats qui doivent former la base de tout, et qui cependant ne tardent pas à s’évanouir ! [↩]
- B. G. B., § 278. Comp. aussi Dreger, Rapport au XVII. Congrès des juristes all. (Verhandl. I, p. 61, ss). [↩]
- Les auteurs ne se font aucun scrupule de déclarer sans effet les règlements qui constatent l’exclusion de la responsabilité : Ludewig, Die Telegraphie, p. 91 ; Meili, Telegraphenrecht, p. 181 ss. ; le même, Haftpflicht der Postanstalten, p. 50 ; Wolf, dans Zeitschft f. Ges. u. Rpfl, i. Preussen IV, p. 146. Les tribunaux cherchent à éviter une contradiction trop éclatante, ce qui — le point de vue du droit civil admis — est assez difficile ; comp. par exemple, R. G., 17 juin 1887 (Samml. XIX, p. 101 ss.), dont nous aurons encore à nous occuper (note 15 ci-dessous, p. 200). Meili, Telegraphenrecht, p. 196, leur reproche de s’en laisser encore trop « imposer » par les règlements. Mais il nous semble que le bon sens devrait nous dire qu’il s’agit là non-seulement du respect dû à l’autorité régulière, mais encore d’un intérêt éminemment pratique de notre vie sociale. Il faut que l’Etat puisse offrir ces services à un bon marché exceptionnel ; cela n’est pas possible si, d’un autre côté, il n’est pas déchargé des risques de responsabilité qui, comme on le sait, affectent d’ordinaire des dimensions singulièrement exagérées; et cette décharge n’est possible que moyennant la renonciation à l’idée de contrat. [↩]
- Que la poste restitue la lettre, l’hôpital les vêtements du malade sortant, le mont-de-piété les objets qui y avaient été engagés, cela résulte des règlements de ces entreprises. S’il existe un droit à la restitution, cela n’est pas l’effet de ces règlements, et encore moins d’un contrat ; ce droit a exclusivement pour base la propriété. Le règlement intérieur en restreint l’exercice, en tant que cela semble nécessaire dans l’intérêt de l’administration de l’entreprise. Un exemple dans les prescriptions de la Post. Ordnung, § 29, sur la réclamation d’un envoi postal par l’expéditeur. [↩]
- La caisse publique de dépôts administre l’argent d’autrui et fait les versements conformément à ses propres règlements intérieurs ; il appartient aussi à ces règlements de déclarer quand les employés seront obligés d’effectuer ces paiements. Si le moment fixé par le règlement est venu, il n’est pas créé par là un droit au profit du destinataire. Il est seulement dit que, à partir de ce moment, cesse le pouvoir de la caisse publique sur cet argent ; par conséquent, l’argent (avec les intérêts réglementaires qui s’y ajoutent) est désormais dans cette caisse sans cause ; la demande en restitution sera ouverte d’après les règles du § 812 du code civil allemand. Il en sera de même pour les caisses d’épargne, qui sont censées fonctionner sous le régime du droit public. –– Pour la poste, ce sont les mandats poste et les recouvrements par la poste qui doivent ici être considérés. La loi et le règlement intérieur (Loi postale, § 6 ; Règlement des postes, § 19, IX) promettent la garantie de l’administration de la poste pour les sommes versées, et, par conséquent, la restitution pour le cas où elles n’auront pas trouvé l’emploi réglementaire. Tinsch, Die Postanweisung, p. 26, appelle cela une « responsabilité de la poste pour non accomplissement », ce qui nous parait inexact ; car il avoue lui-même que cette « responsabilité » ne comprend pas l’intérêt du client, mais seulement ce que la poste a reçu, donc son enrichissement. [↩]
- Notons cependant qu’interviendra ici une autre responsabilité civile très importante : la responsabilité personnelle des employés ; d’après le principe du § 839 Code civil, ceux-ci sont tenus aussi vis-à-vis des tiers de la violation du devoir professionnel qu’ils avaient à remplir envers eux ; c’est justement le cas des clients des entreprises publiques. Le principe du § 839, qui du reste était déjà reconnu dans l’ancien droit, est appliqué largement en notre matière. Ludewig, Die Telegraphie, p. 95 : un particulier a remis une dépêche à expédier à l’employé du télégraphe ; celui-ci l’égare par négligence ; l’Etat, au nom duquel cet employé devrait avoir « contracté », n’est pas tenu, mais l’employé est responsable personnellement ; il y a là une grande différence avec ce qui se passe dans une entreprise privée. Laband, St. R. (éd. all., II, p. 59 note 1 et p. 84 ; éd. franç. III, p. 88 note 1 et page 125), ne voudrait maintenir cette responsabilité personnelle du fonctionnaire de la poste que pour le cas de refus illégal d’admettre des voyageurs ou des envois ; si, plus tard, se produisait un manquement aux devoirs concernant le transport, l’employé ne serait plus tenu ; ce serait seulement la poste. Mais pourquoi le rapport tout entier serait-il ainsi modifié de fond en comble ? — Des détails dans Meili, Haftpflicht der Postanstalten, p. 141 ss.
Il convient ici de relever un fait assez curieux. Si à cette responsabilité spéciale des agents on ajoute les principes du droit civil sur la responsabilité indirecte du patron, il sera possible aux tribunaux de condamner le Fisc de la manière désirée, tout en évitant de manquer de respect aux règlements intérieurs, un exemple dans R. G., 17 juin 1887 (Samml. XIX, p. 101 ss.) : En Alsace, la poste avait été chargée de faire présenter à l’acceptation une lettre de change ; le facteur avait falsifié la signature du tiré ; le mandant, qui se fiait à la signature et avait fait un paiement, assigne le Fisc postal en dommages-intérêts. D’après le Régulatif postal, § 20, XII, il n’y aurait de responsabilité pour des commissions semblables que dans le cas où l’envoi serait perdu. Le tribunal reconnaît là une « clause de contrat » valable, mais condamne cependant pour cause de responsabilité extracontractuelle, conformément à l’art. 1384 du code civil français : la poste, en tant que patron, est tenue des obligations à indemnité relatives à son employé. On a vivement contesté cette décision : Schmidt dans Gruchot, Beitr., t. XXXIII, p. 184 ss. ; Millelstein, Beiträge, p. 37 : Dambach, Ges. über d. Postwesen, p. 96. On a constaté avec raison que, de cette manière, on escamoterait toutes les lois d’exécution et tous les règlements, tout en paraissant les reconnaître. Mais il faut convenir que le tribunal de l’Empire — une fois admis que le rapport de la poste avec son client est de droit civil — est tout à fait logique. Mais il nous semble que, par cette logique même, il a réduit cette thèse à l’absurde. [↩]
- Il n’y a qu’une confirmation de ce principe général si, d’après la loi postale, § 6, l’indemnité est restreinte au dommage direct (Dambach, Postges., p. 971) et si les lettres, qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur, restent tout à fait hors de cause. La prescription du Régulatif postal, § 20, XII, dont nous parlions à la note précédente, a le même sens : les principes de l’indemnité publique ne se prêteraient jamais à détruire les règlements, comme on le fait au moyen du code civil. — S’agit-il d’affaires d’argent à gérer par la poste (mandats poste, recouvrements postaux), un dommage direct n’est pas possible ; dès lors, il ne peut être question que de restitution (comp. la note 13 ci-dessus, p. 199). — Le bureau du télégraphe ne détient pas non plus une valeur corporelle de son client, valeur qui pourrait devenir l’objet d’un dommage direct ; de là, Régulat. du télégr., § 23, I. Que la taxe soit restituée, cela rentre dans un autre ordre d’idées (Comp. § 52, III, no 3 ci-dessous, p. 219). [↩]
- Un exemple dans la Loi postale, § 66 ss. ; le Régulatif postal établit un tarif des indemnités normales qui devront, par exemple, avoir lieu pour des lettres de commission postale qui auront été perdues. Ce taux est tellement obligatoire qu’on ne peut pas revenir au dommage réel. Mais tel n’est pas l’effet du Régulatif seul ; c’est l’effet de la Loi postale qui, dans son § 50, renvoie au Régulatif. Si la loi postale dit que les prescriptions du Régulatif « sont considérées comme faisant partie du contrat entre l’établissement postal et l’expéditeur », cela est conforme à la formule juridique dont on a l’habitude de se servir pour exprimer la nature du rapport; en tout cas, il y a là une manifestation suffisante de la volonté de la loi que le rapport doit être réglé dans ce sens. Par conséquent, le droit à l’indemnité fixe du Régulatif remplace l’indemnité qui résulterait des principes généraux du droit public. Que vraiment l’idée d’un contrat n’ait encore rien à faire ici, c’est ce qui résulte clairement du fait que ce tarif spécial des indemnités s’applique même dans le cas où les objets auraient été remis par une personne incapable ou de capacité restreinte. [↩]
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