Section II
Les obligations spéciales
§ 53. Indemnité pour dommages causés par l’administration
(221) Tout le système de rapports juridiques entre la puissance publique et l’individu reçoit encore un complément final par une institution dont nous avons déjà maintes fois rencontré des applications spéciales. Dans différentes occasions, nous avons vu naître des droits à l’obtention d’une compensation convenable en argent pour le dommage qui avait été causé aux individus par des mesures de l’administration publique. Il convient maintenant de réunir tous ces faits dans une idée unique qui, en même temps, étendra son influence beaucoup plus loin que tout ce que nous avons pu déjà observer, dans un grand principe général qui réglera les effets économiques de l’activité de la puissance publique exercés sur le sujet.
I. — Il s’agit d’indemniser l’individu d’un dommage pécuniaire qui lui a été causé. Cela ne repose pas sur les règles du droit civil touchant la responsabilité pour fait illicite ; il peut y avoir fait illicite de la part des agents et des représentants de l’Etat, mais cela n’est pas essentiel pour qu’il y ait indemnité ; celle-ci a lieu sans qu’il y ait à tenir compte de cela, et même pour des actes tout à fait légitimes ; elle est toujours la même. On ne saurait non plus invoquer, comme base juridique, les principes du droit civil concernant la (222) restitution de l’indu, l’enrichissement sans cause: il peut y avoir, dans les faits qui donnent lieu à cette indemnité, quelque chose qui ressemble à un enrichissement de l’Etat aux dépens du sujet ; mais cela n’est pas essentiel ; l’indemnité existera lors même que l’Etat n’a retiré aucun avantage positif.
Cependant il existe, entre cette dernière institution du droit civil et l’indemnité due par l’administration, une affinité très marquée. Le point commun, c’est le grand principe fondamental dont elles émanent l’une et l’autre, à savoir l’idée d’équité, la naturalis aequitas1.
Nous savons que cette idée exerce une grande influence sur le droit pratique ; elle sert à interpréter la loi, à la compléter et même à la rectifier. Elle est même assez forte, dans certaines circonstances, pour faire produire par le droit positif des institutions juridiques dont la seule raison d’être est de satisfaire à ce que l’équité exige. Nous appelons cela du droit d’équité (Billigkeitsrecht). L’exemple le plus important en droit civil, ce sont les actions en restitution de l’enrichissement sans cause. L’obligation d’indemniser qui incombe à l’Etat et dont nous parlons ici n’est que le (223) correspondant de cette institution dans la sphère du droit public.
Les rapports du droit civil entraînent maintes fois cette conséquence que, par un seul et même fait, l’on éprouve une perte pécuniaire, tandis que l’autre gagne quelque chose. Ce résultat pourra paraître inique et on pourra le regretter ; mais, en général, il n’y a pas de remède. C’est seulement pour le cas le plus criant que du droit d’équité s’est formé, pour le cas de passage direct de valeurs d’une fortune dans une autre, sans équivalent et malgré la volonté de celui qui éprouve la perte. Dans ce cas, la compensation doit être faite moyennant la restitution de l’enrichissement contraire à l’équité2.
Dans le rapport entre l’Etat et le sujet, il s’agit non pas de perte et de gain réciproques, mais de l’effet de l’activité de l’Etat sur les individus. Cela n’a pas lieu sans que les individus en éprouvent quelques préjudices ; mais ce sont les conditions d’existence de l’Etat auquel ces individus appartiennent ; il n’y a rien à y changer. Mais dès que ces préjudices frappent un individu d’une manière inégale et hors de proportion, l’équité commence à s’agiter, et quand le préjudice se traduit par un dommage matériel correspondant au passage de valeurs que l’on trouve dans la répétition de l’indû, il y aura ce qu’on appelle le sacrifice spécial, qui correspond à l’enrichissement sans cause, devant être indemnisé. La compensation se fait ici au moyen d’une indemnité versée par la caisse commune, ce qui est la « généralisation » du sacrifice spécial, correspondant à la restitution des valeurs qui ont passé contrairement à l’équité3.
(224) Voilà l’idée de l’indemnité due par l’administration. Elle repose non pas sur un fait illicite, mais sur un fait contraire à l’équité, injuste. Frapper injustement, cela est réservé au supérieur ; la question de l’indemnité appartient donc entièrement au droit public4.
Mais, pour être exigée par l’équité, cette indemnité ne constitue pas encore un droit. Ce droit, l’équité est un levier puissant pour le faire nature ; elle ne le crée pas directement, car le droit a ses formes propres pour se réaliser.
Cette réalisation s’opère de différentes manières, conformément au système des différentes sources du droit.
1) La législation s’est emparée de la question pour régler un droit à indemnité toutes les fois qu’elle ordonnait ou autorisait des atteintes dont la nature était d’imposer des sacrifices spéciaux. Ainsi, nous possédons toute une collection d’indemnités légales accordées pour des préjudices différents. Nous en avons vu des exemples dans la doctrine de l’expropriation, des servitudes imposées, de quelques restrictions de la propriété, de certaines charges publiques communes ou de préférence. C’est une œuvre inégale et décousue que les législateurs de l’Empire et des Etats ont faite, selon que les y appelaient les hasards de leurs occupations. La question reste ouverte pour les nombreux sacrifices spéciaux qui existent à côté des matières expressément prévues. Il est rare (225) qu’on y ait pourvu au moyen d’une prescription législative générale, reconnaissant directement le droit à indemnité selon les exigences de l’équité5.
2) Comme il s’agit de droit public, nous n’admettons pas qu’un droit coutumier puisse se former aujourd’hui afin de satisfaire à ces exigences (Comp. t. Ier, § 10, IV, p. 168). Mais cette exclusion ne vaut que pour l’Etat actuel, avec son organisation spéciale du pouvoir législatif. Or l’idée du droit d’équité qui nous occupe existait bien avant cette époque, et un droit coutumier pouvait se former pour obliger le fisc à payer une indemnité pour certains dommages causés par l’Etat. Cette obligation était alors considérée comme une obligation de droit privé. Cela ne l’empêchera pas d’être appelée aujourd’hui obligation de droit public, et cela n’empêchera pas non plus la règle de droit coutumier qui s’était formée à cet effet, de subsister dans l’Etat moderne. Il n’est pas contestable qu’il existe aujourd’hui, dans toute l’Allemagne, des règles de droit coutumier concernant l’indemnité de droit public. Ces règles accordent l’indemnité d’une manière générale pour tout ce qui ressemble à une expropriation et pour d’autres préjudices contraires à l’équité6. Elles seraient donc bien propres à combler (226) les lacunes que les lois spéciales doivent laisser. Mais elles ont aussi le côté faible de tout droit coutumier, celui d’être mal définies et mal garanties. Ce mauvais état du droit coutumier a ici, comme nous allons le voir, une cause spéciale dans le travail concurrent de la jurisprudence et de la doctrine, travail qui l’empêche de prendre racine ou qui le dénature après coup7.
3) La jurisprudence des tribunaux est d’une importance particulière pour un droit d’équité. Non seulement c’est elle qui nous renseigne sur l’existence d’un droit coutumier ; mais, inspirée et guidée par la doctrine, elle peut combler les lacunes du droit positif, au moyen de l’interprétation et de l’analogie. Que l’on considère ou non cela aussi comme une espèce de droit coutumier, ce qui est certain c’est que cette manière d’améliorer le droit n’est pas exclue, même dans la sphère du droit public. Or ce travail ne se fait (227) jamais avec plus d’énergie que lorsqu’il s’agit de donner satisfaction à une exigence de l’équité qui semble ne pas trouver son compte dans le droit positif. C’est ce qui s’est produit, par exemple, en France, pour la restitution de l’enrichissement sans cause ; tout le système du droit romain a été maintenu à l’aide de quelques mots du Code civil concernant seulement la condictio indebiti. Et dans le même sens, lors de la rédaction du Code civil allemand, on a cru pouvoir se contenter du texte un peu énigmatique du § 812 — « celui qui reçoit quelque chose sans cause juridique » ; — la jurisprudence y trouvera assez pour réaliser ce qu’exige l’équité.
Il s’est produit la même chose pour l’indemnité due par l’administration. Les tribunaux civils étant chargés chez nous, en principe, de la juridiction concernant toutes ces réclamations pécuniaires, il est évident qu’on devait chercher un point d’appui dans le droit positif, dans la sphère du droit civil. Et il faut le reconnaître, on a fait tout le possible à cet égard. On opérait par voie d’analogies avec l’indemnité d’expropriation, considérée comme obligatio ex lege du droit civil ; bien entendu, on faisait aussi intervenir la versio in rem et la lex Rhodia de jactu, des fictions de promesses et de garanties données tacitement8.
(228) Le moyen préféré par dessus tout était toujours de faire découler l’indemnité exigée par l’équité, de la constatation d’un fait illicite d’un agent quelconque de l’Etat qui aurait causé le préjudice, et de déclarer l’Etat responsable. Il dépendait naturellement du droit civil, que la chose fût plus ou moins facile à faire ; c’est pour cela que, pendant longtemps, la jurisprudence des pays de droit français, grâce à l’art. 1384 C. c., en apparence si commode, a marché à la tête de ce mouvement9. Depuis la promulgation du (229) Code civil de l’Empire, on invoque les §§ 31, 831, 833 et 836. On ne réussit qu’au moyen d’une interprétation assez hardie donnée à la notion du « représentant constitutionnel » (verfassungsmässiger Vertreter) du § 3110 et en renonçant presque complètement à la constatation d’une faute concrète et d’une personne fautive ; il suffit, en effet, du fait du dommage causé par l’administration11. Surtout, en vue de rendre applicables toutes ces prescriptions qui supposent cependant qu’il s’agit du Fisc, de l’Etat poursuivant ses intérêts économiques à la manière d’une personne privée, on a encore fait tout le possible en interprétations (230) extensives12. Les législations de quelques pays, profitant de l’art. 77 de la loi d’introd. du Code civil, ont permis de franchir la dernière limite, en déclarant l’Etat responsable du dommage causé par ses fonctionnaires même dans l’exercice de la puissance publique qu’il leur avait confiée, quelquefois même pour le cas où il n’y a pas de faute de la part de l’agent13.
Tout cela se comprendrait difficilement s’il s’agissait seulement de mettre en jeu la responsabilité pour un fait illicite dans la sphère et selon les idées du droit civil. Mais il est évident que la jurisprudence, — avec la complicité, en partie, de la législation particulière, — a rendu ainsi le droit civil tributaire de l’idée (231) d’équité à réaliser par ce moyen. C’est ce qui donne à ses audaces une bonne conscience.
De cette manière, on a réussi à combler beaucoup de lacunes laissées par les lois et par le droit coutumier proprement dit ; mais on dénature le droit civil touchant les faits illicites ; et ne pouvant cependant pas rompre franchement avec l’idée de faute, on remplace le véritable droit d’équité par des constructions juridiques plus ou moins artificielles qui, au hasard, donnent tantôt plus, tantôt moins que ne l’exigerait l’équité.
II. — On comprend combien, dans cette situation, il est difficile d’établir une doctrine générale de l’indemnité pour dommage causé par l’administration. Il faut cependant essayer de le faire, car il serait mesquin de se contenter de rechercher les détails14. Nous voyons que, dans le droit existant, une idée d’équité tend à se réaliser ; nous pouvons savoir quelle est cette idée ; elle nous présentera l’ensemble d’une institution juridique en tant que sa réalisation pourra se constater sous une forme quelconque. Les deux choses, se corrigeant réciproquement, nous donneront la mesure de ce qui est essentiel et de ce qui est exclu.
Il s’agit de réparer un préjudice matériel causé par l’administration et imposant une charge à un individu d’une manière injuste et inégale. Commençons par développer ces conditions.
1) Il faut un dommage causé par l’administration publique15, produit par une force émanant de celle-ci. La forme spéciale dans laquelle s’exerce cette force est indifférente. Peu importe que ce soient les hommes de (232) cette administration ou les choses qui lui appartiennent, que ce soit un acte d’autorité enlevant un droit ou imposant une restriction, que ce soit le fait de la destruction de valeurs pécuniaires, que ce soit l’influence fâcheuse de l’existence ou de la suppression d’un ouvrage16. Surtout, la cause une fois donnée, peu importe la qualification morale que mériterait l’agent par lequel cet effet est produit : qu’il ait voulu cet effet directement en vertu d’une autorisation de la loi et dans l’exercice régulier de ses pouvoirs, ou qu’il pût agir légalement au risque de produire cet effet, que le dommage ait été l’effet involontaire de ce qu’il faisait grâce à la faiblesse et la défectuosité inhérente à toutes les actions humaines, ou qu’il ait agi directement contre la loi, commettant un fait illicite plus ou moins flagrant17.
(233) 2) Il faut que ce dommage blesse l’équité en frappant l’individu d’une manière injuste et inégale. Il ne devrait pas être nécessaire de dire que l’équité n’exige pas la réparation de tout préjudice causé à l’individu par l’Etat. La condition se déterminera mieux par l’indication de ce qui est exclu. — Il n’y a pas dommage contraire à l’équité dans toutes les charges et impositions publiques qui sont censées frapper les individus d’après un certain plan et selon leurs facultés respectives : tels sont les impôts, les services forcés (§ 43 ci-dessus, p. 14 et s.) et les charges publiques ordonnées (§ 47, III, no 2 ci-dessus, p. 127 et s.). Dans tous ces cas, le préjudice conserve le caractère d’égalité ; cela suffit pour le mettre d’accord avec l’équité.
D’un autre côté, il n’y a pas de violation de ce principe non plus dans les préjudices qui, tout en frappant d’une manière inégale, sont justifiés par un rapport spécial de l’individu qu’ils frappent, qui ne sont pas, pour parler le langage du droit civil, des préjudices inégaux sans cause. C’est ce qui s’applique à (234) toutes les charges qui ont le caractère d’équivalents : charges de préférences (§ 48, I ci-dessus, p. 129), charges des concessionnaires (§ 50, I ci-dessus, p. 171) ; mais cela s’applique également à tous les dommages que l’Etat pourra infliger à l’individu qui les aura « mérités » : peines criminelles et mesures de police de toute espèce18.
3) Il faut un préjudice matériel, correspondant au « passage de valeurs » dans l’enrichissement sans cause, ou, selon l’expression usitée, un sacrifice spécial. La responsabilité civile peut comprendre toute différence de valeur d’une fortune avant et après l’événement qui l’entraîne : le crédit, la clientèle, le gain manqué y trouveront leur protection. La gestion des intérêts publics touche les intérêts individuels justement à (235) cette périphérie, d’une manière très intense et toujours inégale. L’équité ne peut pas l’y suivre avec ses exigences d’indemnité ; par analogie avec la répétition de l’indu, elle ne protège qu’un cercle plus restreint d’intérêts de l’individu. Préjudice matériel, sacrifice spécial, cela veut dire qu’il est porté atteinte à sa personne, à son corps ou à sa liberté, ou aux valeurs qui se trouvent réunies sous son pouvoir juridique direct19. Il semble que l’observation de la zone protégée n’offre pas de difficultés pour la jurisprudence. Elle est aidée, du reste, par les applications que le droit a encore faites de la même délimitation, à savoir le droit constitutionnel par la notion de l’atteinte à la liberté et à la propriété, et le droit civil par la notion de la « sphère de droit » protégée d’une manière absolue contre des faits dommageables d’après le § 823 al. 1 du Code civil20.
(236) III. — Ces conditions remplies, l’effet juridique qui en résulte est un droit, pour l’individu qui a éprouvé le dommage, à en obtenir la réparation.
1) Le débiteur, c’est l’administration publique dont émane le dommage, c’est-à-dire le sujet au nom duquel se fait cette administration. C’est ordinairement l’Etat. Mais comme des portions de l’administration publique pourront aussi appartenir à des corps d’administration propre et à des entrepreneurs concessionnaires, il faudra distinguer : chacun de ces sujets de l’administration publique devra supporter respectivement, vis-à-vis des individus qui se plaignent de dommages causés, les indemnités à raison des dommages résultant de la portion d’administration qui lui compète.
Encore faut-il, pour déterminer l’administration à (237) laquelle incombe cette obligation, ne pas perdre de vue le caractère de cette indemnité : c’est l’équité qui la dicte. Il s’agit donc de savoir non pas qui a infligé le dommage selon la forme juridique, mais au profit de qui il a été causé matériellement. Ainsi, nous avons vu que c’est toujours l’Etat qui exproprie en vertu de son autorité d’expropriation ; cependant, l’indemnité est due par l’entreprise au profit de laquelle a lieu cette expropriation. Les chefs des communes répartissent les logements militaires et imposent ces prestations aux individus ; mais c’est l’Etat qui cause la charge, c’est lui qui doit l’indemnité21. Une autorité pourra être appelée à prendre, au nom de l’Etat, les mesures nécessaires pour une certaine matière administrative qui, au fond, pourra intéresser différentes personnes morales du droit public, selon les différents points de vue sous lesquels la matière est traitée : le choix de la personne morale qui devra supporter les indemnités se fera selon cette distinction22.
2) De même que le droit à indemnité n’existe qu’autant qu’il s’agit d’un sacrifice, d’un préjudice matériel, de même l’estimation du dommage à indemniser se (238) fait uniquement d’après la valeur que le bien frappé aura par lui-même.
Pour les prestations de travail et les pertes de choses mobilières, on ne compte que la valeur commune, la valeur générale d’un travail de ce genre, sans avoir égard aux pertes individuelles qui peuvent résulter de la nécessité de négliger des intérêts plus importants ; la valeur marchande de la chose, sans avoir égard aux complications économiques individuelles qui pourraient lui donner une valeur supérieure23.
Si, pour des blessures, des défenses de construire, des suppressions d’industrie, des révocations de concessions ou de brevets, l’estimation doit nécessairement être plus individuelle et tenir compte aussi de la possibilité d’un gain futur, elle s’arrête cependant aux possibilités qui ont déjà pris corps par des qualités acquises, des arrangements pris, des affectations économiques données.
Toutes ces règles ont naturellement reçu leur développement le plus prononcé dans l’indemnité d’expropriation (Comp. t. III, § 34, II, no 2, p. 62). La valeur directe de l’immeuble compte seule. Dans l’estimation de cette valeur, on tiendra compte de la qualité de l’immeuble d’être propre à l’établissement d’une usine ou d’autres ouvrages industriels24. Mais la chance qu’a le propriétaire d’obtenir de la fantaisie d’un voisin un prix d’acquisition exorbitant, ne sera pas prise (239) en considération. On ne doit pas non plus considérer comme faisant partie du sacrifice spécial, si, par suite de l’expropriation, le propriétaire a été dérangé dans son industrie, si sa clientèle a diminué, si des contrats n’ont pas pu être exécutés et si des peines conventionnelles ont été encourues25.
Toutefois, l’indemnité devra comprendre les avantages accessoires qui disparaissent avec la possession même de l’immeuble : l’accès d’un chemin public qu’elle rendait possible, la garantie qu’elle offrait contre le voisinage nuisible d’une entreprise publique. Des circonstances qui, par elles-mêmes, ne donneraient pas lieu à un droit à indemnité, entreront en compte comme faisant partie de la valeur de la chose enlevée26.
3) Le droit à indemnité pour dommage causé par l’administration publique représente un droit public subjectif. Ce caractère de droit est pleinement développé quant à la possibilité d’en disposer : le créancier peut y renoncer, peut le transférer ; ce droit se transmet aux héritiers. La protection de ce droit a (240) été assurée par de nombreuses lois spéciales, surtout en ce qui concerne l’indemnité d’expropriation, l’indemnité pour servitudes militaires, logements et réquisitions militaires, dégâts causés par les manœuvres. Quand rien de spécial n’a été prescrit, en règle, la compétence appartiendra aux tribunaux civils, ce qui, comme nous le savons, est parfaitement compatible avec la nature de droit public de la créance (Comp. t. Ier, § 16, II, p. 276)27.
- Que le droit à indemnité dont nous traitons ait pour base le principe de l’équité naturelle (Billigkeit, Gerechtigkeit), cela n’est pas une doctrine nouvelle. Elle a été exposée très clairement par Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 373. Comp. aussi : Pfeiffer, Pract. Ausf. III, p. 288 ; F. F. Mayer. Grunds., p. 433 ; Haus dans Lotz Nachrichten, p. 338 ; Bähr, Rechtsstaat, p. 163 ; Grünhut, Ent. R., p. 10 ; Regelsberger, Pand., I, p. 423 ; Dernburg, Pand. I, § 72 ; Gierke. D. Pr. R., I, p. 195. Le principe de l’équité, qui a eu une si grande influence sur la formation du droit civil, mérite aussi toute notre attention pour la sphère du droit public. Auschütz, Ersatzanspruch aus Vermögensbeschädigungen, ne se rend pas plus facile l’entendement du rôle que ce principe joue ici, en le confondant, de parti pris, avec le « droit de la nature » et avec les tendances de l’ « individualisme politique » (p. 5, 54, 61, 63, 71). Mais n’a-t-on pas voulu aussi parler des tendances du « capitalisme » ! [↩]
- L. 66, D. 12, 6 : Haec condictio ex bono et aequo introducta, quod alterius apud alterum sine causa deprehenditur revocare consuevit. [↩]
- Dans une vieille thèse pour le doctorat de Leipzig, se trouve la formule suivante qui fait très bien ressortir le parallélisme entre l’équité publique et l’équité civile : « Cum et commoda et incommoda, quae ex societate civili oriuntur ab omnibus aequali jure ferri debeant, tunc luce clarius apparet iis quibus propter publicum usum jus vel bonum aliquod ablatum est, damnum a caeteris refundendum esse » : si non, « repugnat aequitati » (Marschner, de potestate principes circa auferenda jura et bona civium, § 43, § 52). [↩]
- Ihering, Zweck im R., p. 352 : « juste ou injuste, ce n’est que celui qui peut ordonner ». [↩]
- Il y en a un exemple illustre dans A. L. R., Einl. § 75 : « L’Etat est tenu d’indemniser celui qui est dans la nécessité de sacrifier à l’intérêt de la communauté ses droits et avantages particuliers ». [↩]
- Nous aurons à citer beaucoup d’exemples tirés de la jurisprudence. Mais ce qui importe surtout, c’est que l’existence d’un pareil droit ait été maintes fois l’objet d’affirmations directes. Comp. par exemple, décision de la Fac. de droit d’Iéna du 14 juin 1874 (Reger, III, p. 98) : « une règle du droit commun certaine et indubitable » ; O. Tr., 28 nov. 1859 (Str. 35, p. 315) : « selon les principes du droit commun » ; O. A. G. Darmstadt (Seuff. Arch., VII, p. 219) : « par des considérations du droit public » ; R. G. 13 janv. 1883 (Samml., XII, p. 3) : selon le droit commun, « il y a directement contre l’Etat droit à une indemnité complète ». — L’étendue matérielle de ce droit coutumier étant devenue l’objet d’une vive controverse, le tribunal de l’Empire, dans une décision de principe (R. G., 1er févr. 1898, Samml. XLI, p. 142 ss.) l’a fixée de la manière suivante : il y a, d’abord, un droit coutumier qui accorde l’indemnité pour tout ce qui est expropriation, c’est-à-dire transfert de la propriété par un acte d’autorité. Mais ce droit coutumier embrasse aussi le cas où la propriété est sacrifiée d’une autre manière, par une destruction de son objet, par exemple. Et encore, « il est conforme au développement du droit » que cela s’applique aussi à des droits autres que la propriété ; au nom de ces droits, on aura donc droit à une indemnité, quand ils auront été supprimés ou que leur exercice seulement aura été empêché. C’est donc en vertu de ce droit coutumier que le Tribunal de l’Empire a accordé une indemnité dans le cas où l’exercice d’un droit de pêche sur un fleuve public avait été non pas totalement supprimé, mais sensiblement restreint par suite de travaux publics. Les conséquences de cette décision, qui n’a en vue que des droits sur les immeubles, vont très loin. [↩]
- Auschütz, Ersatzanspruch, p. 29, 30, pose mal la question, quand il me reproche de supposer la formation d’un droit coutumier sans preuve suffisante. Mais sur les faits mêmes, nous sommes d’accord. Ce qui nous sépare, c’est l’appréciation : Auschütz estime qu’en dehors de l’expropriation un droit coutumier accordant l’indemnité ne s’est pas suffisamment « consolidé » (p. 46, p. 34) ; pour les nombreux cas d’indemnité qui se couvrent des règles du droit civil sur la responsabilité pour faits illicites, il n’a pas compris mon scrupule : il les accepte comme des applications toutes naturelles de ces règles, ce qui n’est pas du tout exact. Il n’y a qu’un seul point douteux : un droit coutumier peut-il se former par l’application abusive du droit existant ? Question très délicate ! [↩]
- Weber dans Lotz Nachrichten, p. 504, invoque la L. 52, 4, D., pro socio ; Lauterbach, comp. jur., XIV, 2 ; Bocer, de regal., cap. III, n. 249 ss. ; Keittmayr, Cod. Max. IV, cap. 13, § 4, no 2, font reposer l’indemnité d’expropriation sur la I. 3, D., de lege Rhodia de jactu (contra : Bayr. Ob. G. H., 12 mai 1878 ; Samml. VIII, p. 842). D’après BI. f. adm. Pr., 1870, p. 345, le droit général à une indemnité serait justifié tant par l’analogie avec la loi d’expropriation que « par la prescription de la Constitution qui déclare le fisc justiciable des tribunaux ». Mittermaier, dans Arch. f. civ. Pr., IV, p. 330, estime simplement que la justice « pourra supposer » que le régent, dans des cas pareils, voulait accorder une indemnité. — On s’attachait aussi à faire une application extensive du droit des faits illicites. Sendheim, Prakt. Rechtsfragen, p. 13, déclare l’Etat responsable, parce qu’il a donné à ses fonctionnaires le pouvoir de causer un dommage. Le fait même que l’atteinte préjudiciable était peut-être tout à fait légitime n’empêche pas de faire reposer l’obligation d’indemniser sur un fait illicite : le droit d’exproprier, il est vrai, repose sur une loi ; mais, par sa nature, c’est un « tout légal ». En ce sens, Schwab dans Arch. f. civ. Pr., XXX, p. 177, note 186. [↩]
- En Alsace, un garde forestier poursuivant, dans l’exercice de la police forestière, un délinquant et voulant tirer en l’air, a tué cet homme. La demande en dommages-intérêts dirigée par la veuve contre l’Etat fut rejetée par O. L. G. Colmar (Jurist. Ztschft f. Els. Lothr., XII, pp. 79 ss.) ; R. G., 8 déc. 1882, déclare au contraire : « La question de savoir si un tiers devra garantir les obligations d’un autre individu résultant de délits, appartient, par nature, au droit privé ; par conséquent, rien n’empêche d’appliquer, en principe, l’art. 1384 du Code civil à la question de la responsabilité de l’Etat, qui ici ne doit être considéré que du côté droit pécuniaire. Qu’il s’agisse ici de l’exercice de pouvoirs de police, cela n’est pas de nature à exclure la responsabilité de l’Etat. » Ce que cependant l’on devrait tout d’abord examiner, c’est de savoir si cela n’est pas propre à exclure l’application du droit civil. Sinon qu’est-ce qui y serait propre ? Mais c’est encore une pétition de principe que de dire : étant donné que l’obligation de l’Etat, si la règle du droit privé lui était applicable, serait de nature droit privé, le droit privé s’applique ici à l’Etat. — Une patrouille militaire, à l’occasion d’une arrestation, avait tiré ; un tiers est blessé ; il assigne le « fisc militaire » ; O. L. G. Colmar, 9 janv. 1888 (Jurist. Ztschft f. Els. Lothr., XIII, p. 123 ss.), adoptant maintenant la construction juridique établie par le Tribunal de l’Empire, déclare l’art. 1384 du Code civil applicable. — Des prisonniers qui, dans une prison de l’Alsace, avaient été employés à un travail forcé, sont blessés à cette occasion par la faute d’un surveillant ; à la demande en dommages-intérêts, on oppose que l’Etat exerçait ici ses droits de supériorité ; mais cette fin de non-recevoir est écartée par la Cour de Colmar, comme par le Trib. de l’Emp., au moyen de cette formule empruntée au Régime de la police : le juge peut, en vertu de l’art. 1384, « déclarer le fisc responsable des suites pécuniaires de l’acte du fonctionnaire de l’Etat » (Jurist. Ztschft f. Els. Lothr. IX, p. 273 ss. ; XII, p. 317). — R. G. 21 déc. 1886 (Samml. XVII, p. 105) a, du reste, pu condamner l’Etat ex delicto, même en vertu du droit prussien moins souple : à l’occasion de la construction d’une route, une maison est endommagée ; on n’a ici affaire qu’ « à l’Etat représenté par le fisc ; le fisc, en tant qu’homme privé, est soumis à la prescription pénale du § 367 n. 14 du Code pénal (menaçant d’une peine celui qui, dans une construction, néglige de prendre les précautions prescrites par la police), et, par conséquent, devra supporter également l’obligation, qui résulte de ce délit, de réparer le dommage ». [↩]
- Sur cette question, comp. Lenel dans Deutsch. Juristen-Zeitung, 1902, p. 9 ss. [↩]
- Il en était toujours ainsi dans les applications extensives du droit des faits illicites ; comp. Dreyer dans Ztschr. f. franz. Civ. R., IV, p. 393 : « Ce qu’il y a de particulier dans ces cas, c’est qu’on ne pourra distinguer que très rarement entre l’atteinte légitime et l’atteinte illicite ». Mais alors, on ne devrait pas parler de responsabilité pour fait illicite. Comp. aussi R. G. 14 mars 1889 (Samml. XXIII, p. 257). Aujourd’hui, quand il s’agit de rendre l’Etat responsable de la faute d’un agent, on se contente de cette constatation générale : « il est hors de doute que, de la part d’un officier ou fonctionnaire, la diligence nécessaire n’a pas été observée » (R. G., 19 mars 1903 ; Samml. LIV, p. 158 ; R. G. 30 mars 1903. Samml., LIV, p. 200). Mais surtout on aime à invoquer les règles des §§ 836, 837 C. civ. de l’Emp., qui rendent responsable du dommage causé par la ruine d’un bâtiment ou d’une partie d’un bâtiment, à moins de prouver que l’on a pris les soins requis dans la vie ordinaire. Ainsi, le fisc sera responsable du dommage causé par la chute d’un poteau d’une ligne télégraphique militaire (R. G., 19 mars 1903). De même, il y aura responsabilité de l’Etat ou de la commune pour tout dommage causé par le mauvais état de leurs chemins publics. Le Tribunal de l’Empire, par une décision fortement motivée, a confirmé sa jurisprudence à cet égard, en la corroborant encore par le § 836 C. c. : ce que ce paragraphe décide pour le cas de ruine d’un bâtiment, renferme, d’après le Tribunal, un principe plus général (R. G., 23 février 1903 ; Samml. LIV, p. 58). [↩]
- Dans la décision de 19 mars 1903, il s’agissait d’un télégraphe militaire construit pendant les grandes manœuvres. Mais le Tribunal de l’Empire écarte la fin de non recevoir tirée du caractère de droit public de cette entreprise, en constatant simplement que l’obligation de bien entretenir ses constructions est une exigence de la vie ordinaire et n’a rien à faire avec le droit de supériorité concernant les affaires militaires ; Samml. LIV, p. 159. [↩]
- En Bavière, d’après la loi d’exécut., art. 60, 61, l’Etat est responsable, même si le fonctionnaire lui-même est à l’abri d’une poursuite, parce que le fait dommageable ne peut pas lui être imputé. — En Prusse. la loi d’exécut., art. 89, no 2, réservait, pour la province Rhénane, l’art. 1384 du Code civil français, « en tant qu’il s’applique à l’exercice de la puissance publique ». Le ministre, dans les débats parlementaires, faisait comprendre que, à son avis, cet article ne disait pas grand chose, attendu que l’art. 1384 du Code civil français n’a rien à faire avec l’exercice de la puissance publique. Cependant, depuis lors, une commune rhénane a été rendue responsable du dommage causé par les excès d’un agent de police : R. G., 16 févr. 1903 ; Samml. LIV, p. 19. Le résultat, c’est qu’aujourd’hui cet art. 1384 a été abrogé pour sa sphère légitime, et conservé pour la sphère du droit public sur laquelle les tribunaux ont étendu son application. — Notons encore un fait très significatif. A la note 9 ci-dessus, p. 228 nous avons cité le cas des prisonniers blessés, qui a été jugé par application de l’art. 1384 C. civ., attendu qu’il s’agit d’un rapport pécuniaire du fisc ; depuis lors, la loi d’exécution de l’Alsace-Lorraine, art. 40, a déclaré l’Etat responsable même pour des dommages causés dans l’exercice de la puissance publique ; et aujourd’hui, R. G., 10 déc. 1903 (Samml. LVI. p. 216 ss.), renonce hautement à faire l’assimilation d’un cas tout à fait analogue avec un rapport d’économie privée et de droit civil. L’équité obtient maintenant satisfaction par une voie plus simple et n’exige plus cet effort juridique extraordinaire. [↩]
- Auschütz, Ersatzanspruch, tout en déclamant contre la théorie générale, développe cependant une théorie générale qui lui est propre, d’après laquelle tout est corrompu par cet abominable individualisme politique, par dessus tout la législation prussienne, — qu’il faut faire évoluer vers le principe contraire (l. c., p. 133). [↩]
- Sur cette notion, comp. t. Ier, § 11, p. 182. [↩]
- La causalité extérieure qui, seule, est en question, peut résulter du fait que l’administration, s’étant mise en possession d’une chose, ne peut plus la rendre ou ne peut la rendre que dans un état endommagé. Selon les principes de la preuve qui régissent naturellement ces cas en droit public aussi bien qu’en droit civil, l’administration devra être considérée comme ayant causé le dommage, à moins qu’elle ne prouve une cause étrangère. Comme on doit le penser, la doctrine a essayé d’expliquer cela au moyen de contrats civils sous-entendus ; c’est ainsi qu’on a voulu établir la responsabilité de la poste pour les choses qui lui sont confiées, du mont-de-piété pour les choses engagées, de l’hôpital pour les vêtements que le malade apporte. Mais la responsabilité sera la même, si la chose a été saisie par les fonctionnaires de la douane, ou s’il s’agit de voitures, chevaux, ustensiles dont le militaire s’est emparé par voie de réquisition, ou de choses consignées en justice ou remises au tribunal à l’occasion d’un procès. Loening, Haftung des Staates, p. 131, propose ici la fiction d’un « rapport semblable à un contrat », qui se formerait à côté de la mesure d’autorité. Comp. encore sur ce point très contesté : Pfeiffer, Prakt. Ausf. II, p. 565 ; Zachariae, dans Ztschft f. Stsw. 1863 p. 627 ss. ; Scholz, dans Jur. Wochenschrift f. d. Preuss. Staaten II (1836) p. 5 ss. ; Bähr, Rechsstaat, p. 176 ss., v. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 305. [↩]
- Nous ne pouvons donc pas nous associer à l’éloge que Auschütz Ersatzanspruch, p. 4, note 4, fait à Loening, pour avoir écarté de notre indemnité le cas de la responsabilité pour fait illicite. Les dégâts causés par les manœuvres sont les mêmes et réglés de la même manière, qu’ils aient été causés légalement, ou qu’ils l’aient été en excédant les limites permises soit par une erreur excusable, soit par une négligence flagrante. L’indemnité, due d’après l’équité, embrasse beaucoup de cas où l’Etat sera responsable d’un fait illicite ; mais le délit est alors indifférent ; ou, s’il est essentiel, il ne l’est qu’indirectement : pour savoir de quel côté le dommage a été causé, il faut très souvent rechercher de quel côté était la faute. Tel sera, par exemple, le cas dans une collision entre un vaisseau de guerre et un navire de commerce. Ou bien la constatation de la faute est nécessaire pour établir qu’il y a eu un préjudice spécial qui n’est pas compris dans ce qui doit être supporté au profit de ce service public, ordinairement et généralement par tout le monde. Un exemple dans R. G. 30 juin 1903 (Samml. LV, p. 232) : Les employés de la douane ayant saisi un cheval, le propriétaire fait la preuve que les droits avaient été payés à un autre bureau. De pareilles rigueurs forment une charge concomitante à la perception des droits ; le public doit les supporter comme les droits eux-mêmes, sans indemnité (Comp. O. L. G. Colmar, 2 déc. 1887, Jur. Ztschrft f. Els. Lothr. XIII, p. 118). Mais, de plus, les employés avaient retenu le cheval plus longtemps qu’il n’était nécessaire ; dans ce cas, une indemnité est due par l’Etat ; que le Tribunal arrive à ce résultat par une fausse application du droit civil, cela n’empêche pas sa décision d’être juste et bien jugée au fond. [↩]
- Au tome II, 19, note 21, p. 20, nous avons parlé de l’affaire des clefs de tuyaux de poêle qui, autrefois, a fait sensation à Berlin. Les propriétaires qui avaient été frappés par cette mesure de police leur occasionnant des frais considérables, ont formé une demande en dommages-intérêts à cause du « sacrifice spécial » qui leur avait été imposé, O. V. G., 5 déc.1881 rejette la demande ; car « le propriétaire ne doit tout de même pas préjudicier aux intérêts de la communauté ; on n’exige donc pas de lui quelque chose de plus ; on ne lui impose pas de restriction nouvelle ». Voilà le principe de la police. Comp. R. G. 12 nov.1887 (Samml. XIX, p 353) : Oppenhof, Ressortverh., p. 355, no 106 : il ne découle pas de droit à indemnité, selon A. L. R. Einl., § 75, du fait de mesures par lesquelles « sont seulement maintenus les principes généraux du pouvoir de police ». — Notons, cependant, que cela ne donne une délimitation exacte que dans le cas où le mot police est entendu dans le sens moderne, comme nous l’avons établi au t. II, § 18, p. 1 et s. En Prusse, spécialement, la terminologie n’est pas encore fixée d’une manière assez sûre ; on parle encore de « dispositions de police » dans le sens de mesures d’administration intérieure. Cela entraîne une certaine confusion, quand, d’une part, on affirme que des mesures de police (dans le sens moderne) ne donnent pas droit à indemnité, et quand, d’autre part, on alloue cependant cette indemnité pour dommage causé par une disposition de police (dans le sens ancien). Comp. O. Tr. 18 mars 1867 (Str. 67 p. 108) ; C. C. H., 5 juin 1852 et 13 oct. 1873 (J. M. BI., 1874, p. 39) ; O. Tr., 21 oct. 1869 (Str. 77 p. 1) ; O. Tr. Präjudiz no 220 (Str. 274) ; Oppenhoff, Ressortverh. p. 354, no 105. Auschütz, Ersatzanspruch, p. 111 note 126, p. 121 note 143, p. 134, ajoute encore plusieurs cas de la même confusion, et croit avoir prouvé ainsi que, pour le droit prussien ma thèse — que la police n’indemnise pas — est fausse (p. 29 note 6, et aussi p. 101 note 93). Il n’a pas bien lu ce que j’ai écrit. [↩]
- C’est en ce sens qu’on nous répète que l’indemnité suppose une atteinte à des droits acquis, droits bien acquis, droits individuels, droits privés : Zachariae, St. R. II, § 152. 153 ; Pfeiffer, Prakt Ausf. III, p. 258 ; v. Sarwey, öff. R. u. V. R. Pfl, p. 373 ; Grünhut, Ent. R., p. 10 ; Loi Pruss. du 11 mai 1841 § 4 (Comp. Oppenhoff. Ressortverh., p. 354, no 101 ss.). ; Bayr. Ob. G. H., 27 oct. 1877 (Samml. VII, p. 50) ; R. G., 28 mai 1880 (Samml. II, p. 353 : « la lésion d’un état juridique existant »). Il est complètement faux de prétendre, comme Auschütz, Ersatzanspruch, p. 62, que, pour être logique, je devrais aussi reconnaître un sacrifice spécial donnant droit à indemnité dans le cas du négociant qui souffre du changement survenu dans le système douanier. [↩]
- Auschütz, l. c., p. 62, 63 reproche à ce système d’établir, pour l’Etat, une obligation d’indemniser « sans rivages », parce que l’idée du sacrifice spécial serait une « formation juridique aérienne », impossible à appliquer en pratique. Nous ne nous occuperons pas de son système à lui, d’après lequel l’indemnité serait due pour l’expropriation et pour les actes « expropriatifs » comprenant tous les cas pour lesquels elle a encore lieu, sans qu’on puisse dire où est la limite. Mais nous savons qu’en France le Conseil d’Etat alloue, dans le sens que nous venons d’exposer, des indemnités pour « dommages directs et matériels » : Ma Theorie des Franz. V. R., p. 356. Dès lors, cette impossibilité pratique ne doit pas être aussi grave qu’on le prétend. — La limite que nous indiquons est maintenue dans notre droit également et d’une manière très significative. Car, même dans les cas où l’on cherche à donner satisfaction aux exigences de l’équité au moyen d’une application extensive du droit des faits illicites, on n’accorde l’indemnité que pour des « atteintes directes à la sphère de droit ». Comp. O. Tr., 25 sept. 1856 (Str. XXIV, p. 1) ; R. G., 28 mai 1880 Samml. II, p. 353) ; O. L. G. Colmar, 2 déc. 1887 (Jurist. Ztschft f. Els. Lothr., XIII, p. 118). D’un autre côté, lorsque le dommage peut résulter des procédés d’une entreprise publique, les lois ou régulatifs qui en déterminent les rapports ont soin de fixer le droit à indemnité dans ce sens. Un exemple dans la Loi postale, § 6 : une indemnité pour retard n’est due que dans le cas « où, par suite du retard, la chose est détériorée ou a perdu sa valeur en partie ou totalement ». Comp. Dambach, Postges., p. 56 : Schott, dans Endemann Handbuch, p. 546, note 3. Mittelstein, Beiträge, p. 42 ; Laband, St. R. (éd. all. II, p. 92 note 2 ; éd. franç. III, p. 137, note 1).
C’est ici le point où est concentré tout entier l’intérêt juridique de la question de l’indemnité due aux propriétaires de maisons pour le cas de suppression de la voie publique (Comp. t. III, § 37, IV no 2, p. 217). Il s’agit de savoir s’il y a atteinte ou non à la « sphère de droit » du propriétaire. Le Tribunal de l’Empire semble vouloir refuser l’indemnité, depuis qu’il n’ose plus construire une espèce de servitude de droit civil qui serait supprimée (R. G., 20 avril 1903 ; Samml. LI, p. 251). Mais il suffit que, par l’usage de tous, les avantages spéciaux de la rue soient garantis juridiquement à la maison contiguë, aussi longtemps que cette rue existera. C’est pourquoi on fait payer, dans beaucoup d’Etats, par les propriétaires riverains, les frais de la construction de la rue ainsi que le prix du terrain qui y est nécessaire ; il serait donc souverainement injuste de vouloir les priver de cette même rue, sans indemnité. Comp. la décision du Min. de l’Int. de la Saxe du 30 oct. 1896 (Fischers Zeitschft, XVIII, p. 197 ; Sax. O. V. G., 11 mai 1904 (Samml. V, p. 307). [↩]
- Bad. V. G. H., 10 janv. 1882 (Reger, III, p. 68). [↩]
- O. Tr, 14 juillet 1859 (Str. XXXIV, p. 180) : l’autorité du district avait, dans l’intérêt de deux communes, réclamé un chemin pour l’usage de tous ; ces communes auront à indemniser le propriétaire selon A. L. R., Einl. § 75. O. Tr. 1er juillet 1869 (Str. 75 p. 217). La présidence de police de Berlin avait défendu de construire sur un immeuble ; c’était dans l’intérêt de la voirie urbaine ; par conséquent, c’est la ville qui doit l’indemnité ; « il faut remonter au rapport naturel qui résulte de la chose même, et d’après lequel l’indemnité incombe à celui qui, par suite de la mesure de police, a évité un dommage ou obtenu un avantage ». O. Tr., 28 oct. 1868 (Str. 77 p. 7) : La présidence de police défend de construire au Königsplatz, afin que le monument d’Alsen se présente mieux : c’est un intérêt national ; ce n’est donc pas la ville qui doit indemniser, c’est le fisc. Notons que, dans tous ces cas, il ne s’agit pas d’ordre de police proprement dit. — Comp. aussi t. III, § 41 note 18, p. 322, où le même « rapport naturel » est devenu décisif à un autre point de vue. [↩]
- C’est par application de ces principes que la loi postale § 12 décide : « L’administration des postes n’est pas responsable d’un dommage indirect ou gain manqué, résultant de la perte ou de la détérioration d’un envoi ». Un exemple dans Dombach, Postges., p. 95. Cette espèce de dommages constitue donc aussi la sphère des tarifs fixes pour l’évaluation de la valeur commune à indemniser : taxe des témoins, indemnité pour logements militaires (« Servis »), indemnités à forfait pour des choses perdues. [↩]
- En ce sens : Eger, Ent. Ges. I, p. 149 ; v. Rohland, Ent. R. p. 73 ; Bohlmann, Praxis in Expropr. Sachen III, p. 18 ; O. Tr. 1er juillet 1870 (Str. 80 p. 25), 5 avril 1872 (Str. 86, p. 75) ; Schelcher, Ent. Ges., p. 236 ss. [↩]
- On oppose ces « dommages personnels » exclus de l’indemnité, aux éléments de l’estimation qui résultent d’un « fondement objectf et réel » : Eger, Ent. ges. I, p. 154. [↩]
- R. G., 17 juin 1884 (Samml. XIII, p. 244) : L’exproprié a perdu, pour la partie de l’immeuble qui lui reste, l’accès d’un chemin plus court que lui procurait la partie expropriée ; il lui faut maintenant faire des détours. Le Tribunal, dans l’estimation du montant de l’indemnité, a tenu compte de cet inconvénient. Il considère que les voisins qui n’ont pas été expropriés éprouvent, il est vrai, exactement comme le demandeur, le même inconvénient d’un détour à faire, sans qu’ils en soient indemnisés, mais l’exception faite en faveur du demandeur « a sa source dans les rapports d’obligation qui, par l’expropriation, ont été créés entre lui et celui qui a obtenu l’expropriation ». Dans ces expressions, il y a un vague pressentiment de la cause véritable de la différence. Imposer des détours, cela ne présente pas en soi un sacrifice spécial ; par conséquent, cela n’entraîne pas d’indemnité (Comp. t. III, § 37, note 40, p. 224). L’enlèvement d’un immeuble, au contraire, est un sacrifice spécial, et il y a lieu d’indemniser pour la valeur de l’immeuble ; or, une partie de cette valeur est l’avantage qu’il offrait de rendre accessible un chemin plus court. [↩]
- Toutefois, d’après les expériences qu’on a pu faire de la jurisprudence des tribunaux, il faut avouer qu’il serait de l’intérêt de notre institution de droit public de maintenir la compétence des autorités administratives. Comp. O. V. G. (Saxe) 11 mai 1904 (Samml. V, p. 307) et ma dissertation : Die Entschädigungspflicht des Staates nach Billigkeitsrecht. [↩]
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