Section III
Les personnes morales
§ 55. La personnalité morale dans le droit public
(253) I. — Nous allons d’abord exposer l’idée de personne morale, en général, idée qui nous servira de point de départ1.
1) Le droit règle des rapports. Il suppose donc une pluralité d’unités entre lesquelles pourront naître des rapports à régler. L’unité, pour le droit, c’est la personne. La personnalité est la capacité d’avoir avec d’autres personnes des rapports réglés par le droit. Elle ne s’identifie pas avec la capacité d’avoir des droits ; elle comprend aussi l’autre côté, la capacité d’avoir des obligations ; enfin, elle est la possibilité de faire l’objet des effets de l’ordre juridique.
L’ordre juridique existe à cause des hommes. L’unité tout indiquée pour l’ordre juridique, c’est donc l’homme. L’homme est la personne naturelle. Non pas qu’il soit une personne, par sa nature même. La personnalité n’existe jamais que par l’ordre juridique. Mais il est naturel que la personnalité existe chez (254) l’homme ; il est contraire à la nature de la lui refuser ; et la nature n’exige pas qu’elle existe aussi ailleurs.
Cette personne naturelle porte en elle même quelque chose d’où dépend le système entier de l’ordre juridique, qui en détermine les effets et cherche à le diriger ; c’est la volonté. Tel que l’ordre juridique est formé, la personne, pour y maintenir sa situation, doit être en mesure d’émettre des volontés prévues par l’ordre juridique ; au besoin, on lui procure une représentation pour ce vouloir. Cette volonté est un instrument de la personnalité, instrument qui lui est nécessaire pour pouvoir vivre ; mais elle n’en est pas le fondement ; l’homme n’est pas une personne parce qu’il est capable de vouloir selon l’ordre juridique ; c’est parce qu’il est une personne qu’il faut qu’il y ait une volonté qui compte pour lui.
2) Cependant l’homme a aussi des intérêts et des buts dont la réalisation ne s’accomplit pas dans l’existence individuelle, qui en dépassent la sphère et qui lui sont communs avec d’autres hommes, qui existent à côté de lui ou qui existeront alors que cette individualité sera éteinte. L’ordre juridique lui offre plusieurs formes en vue d’agir pour des intérêts communs en partant de la personne naturelle (société, succession). Mais, en outre, il y a dans ce but encore une forme spéciale, c’est la personne morale. Elle est capable de représenter, devant l’ordre juridique, des intérêts communs, même dans les cas où la personne naturelle n’y suffit pas, soit à raison de sa durée restreinte, soit parce que les intéressés sont trop nombreux ou trop peu déterminés, soit seulement parce qu’il ne se trouve pas d’hommes qui voudraient, pour ces intérêts, « payer de leur personne ».
La personne morale est tout à fait l’égale de la personne naturelle. Elle est, comme celle-ci, un produit (255) de l’ordre juridique ; elle n’est pas plus morale ni plus juridique qu’elle, ni plus fictive, ni plus imaginaire. La différence n’existe que dans ce qui se cache derrière elles : là nous trouvons un individu déterminé auquel la personne sert pour la totalité de ces intérêts, ici une pluralité indéterminée d’individus auxquels la personne sert pour un groupe déterminé d’intérêts qu’ils ont en commun.
3) Donc, tandis que la personne naturelle se réalise directement dans l’être vivant individuel auquel elle sert, la personne morale ne pourra obtenir la forme déterminée dans laquelle elle doit se présenter que par une organisation spéciale ; son existence est dans sa constitution.
La personne naturelle reçoit son individualité par le corps de l’homme ; les intérêts juridiques de l’homme sont représentés par elle dans leur totalité ; la personne morale reçoit son individualité par la détermination de son but, c’est-à-dire du groupe d’intérêts d’un certain nombre d’individus pour lesquels elle existe2.
La personne naturelle reçoit d’emblée la volonté qui devra agir pour elle, de l’homme pour lequel elle existe ; lorsque, par exception, cet homme n’en est pas capable, elle la reçoit d’autres hommes appelés, d’une manière plus ou moins naturelle, à représenter celui-ci. La personne morale n’a jamais de volonté autrement qu’au moyen d’une représentation ; et cette représentation ne peut pas s’attacher aussi simplement ni aussi uniformément aux individus aux intérêts desquels elle sert ; ces individus sont trop nombreux ou varient trop ou ne sont pas encore connus ; il faut des règles positives, selon la diversité des cas3.
(256) Désignation du but et règlement de la représentation, voilà donc les deux choses principales que devra contenir la constitution.
II. — Il faut distinguer les personnes morales du droit civil et les personnes morales du droit public. En quoi consiste la différence ?
1) La distinction appartient complètement au droit moderne.
Dans l’ancien régime, le droit public et le droit privé n’étaient pas du tout séparés.
Le régime de l’absolutisme et de la police, qui le premier établit ici une différence, la fait justement en brisant toutes les formes juridiques pour la sphère du prétendu droit public. Entre l’Etat et le sujet, il n’existe de droit que dans la sphère du droit civil. Il est logique qu’il n’y ait de personnes morales que dans cette dernière sphère. Personne morale et personne morale du droit civil sont synonymes. La puissance publique, en tout cas, n’appartient qu’à des personnes naturelles, au prince et à ses délégués, ainsi qu’aux autorités locales qu’il a laissé subsister : chefs de biens seigneuriaux et corps municipaux. Lorsque les intérêts communs à gérer par ces individus entraînent une administration de valeurs pécuniaires, on place à cet effet à côté d’eux une personne morale, laquelle est purement et simplement une personne morale du droit civil ; c’est ainsi que l’on trouve, à côté du prince, le fisc princier (landesherrlicher Fiscus) ; plus bas, à côté des autorités communales — très réduites en fait — on trouve le fisc communal (Gemeinde Fiscus)4.
(257) Les Fisci tendent à augmenter en nombre ; chacune des branches de l’administration finit par recevoir son fisc à elle ; chaque degré hiérarchique en est pourvu ; les frottements intérieurs de la bureaucratie se terminent par la lutte engagée devant les tribunaux par leurs fisci respectifs5.
Mais voici que surgit dans le droit moderne, à côté des fisci pullulant ainsi dans l’administration qui se fait directement au nom du prince, le grand Léviathan destiné à les dévorer tous : c’est l’Etat, personne morale du droit public.
La puissance publique ne doit jamais être exercée que pour l’utilité et le profit de la chose commune, c’était là un principe admis depuis longtemps. D’abord, c’était seulement pour exprimer cette idée, qu’on personnifiait les intérêts communs sous le nom de l’Etat ; tout détenteur de la puissance publique devait se considérer comme le serviteur de l’Etat. C’était une façon de parler, et rien de plus. Mais vient un moment où se fait jour la conception juridique que (258) l’Etat est l’être auquel, en réalité, appartiennent tous ces droits de supériorité et au nom duquel s’exerce la puissance publique. Comment cela s’est-il fait ? Comment cela est-il devenu décisif pour notre façon d’envisager l’Etat ? Nous n’avons pas à l’expliquer ici. Le fait est certain : l’Etat, dans notre droit actuel, est considéré comme une personne morale, à laquelle appartient la puissance suprême et dont émane tout ce qui, sur le territoire, s’exerce en fait d’administration publique. Or, cette personne morale a dû commencer par se placer à côté de la personne morale qui existe déjà à ce même endroit et ne disparaît pas immédiatement d’elle-même, à côté du Fisc ou des fisci. Et alors l’opposition qui nous occupe a dû éclater : ces deux personnes morales sont de nature différente. La différence est dans la manière dont elles sont destinées à servir l’intérêt général. Le Fisc continue à le faire comme « l’individu privé ordinaire » ; l’Etat, au contraire, sert de point de départ à l’exercice de la puissance publique, à tout ce qui s’appelle administration publique. Ce sont ses buts, tels qu’ils sont fixés par sa constitution, qui donnent à la personne morale son individualité ! La personne morale du droit public est celle qui est destinée à faire de l’administration publique.
Nous savons que cette coexistence de deux personnes morales distinctes, — le Fisc et l’Etat, — n’a qu’une importance éphémère, comme tout ce qui caractérise le régime de la police. La personnalité distincte du Fisc disparaît ; elle est absorbée par l’Etat. Ce qu’on appelle aujourd’hui Fisc n’est que l’Etat « envisagé d’un certain côté ». Cet Etat est entièrement une personne morale du droit public, puisque c’est de lui qu’émane cette activité dans laquelle apparaît la puissance publique, l’administration publique. S’il arrive que le droit civil lui soit applicable, cela (259) ne lui enlève pas son caractère6. Ne trouvant plus son opposé dans le Fisc, l’Etat n’a en face de lui que les personnes morales ordinaires du droit civil, les corporations et les fondations.
2) Mais l’Etat n’est pas la seule personne morale du droit public. Il y en a d’autres placées au-dessous de lui et qui lui sont subordonnées.
Nous rencontrons d’abord un groupe d’institutions, sur le caractère desquelles il ne peut y avoir le moindre doute. Ce sont les communes. Elles ont passé par les mêmes phases que l’Etat : au commencement, il n’y a qu’un fisc communal placé à côté de l’autorité ; puis, la commune est devenue aussi une personne morale pour son administration publique enfin, cette personne a absorbé le fisc, la commune formant une seule personne morale du droit public7. Il faut dire la même chose des « unions communales » supérieures formées sur son modèle.
La difficulté ne commence que pour les fondations, corporations, associations syndicales, sociétés reconnues. La première question sera toujours de savoir s’il y a ou non personnalité morale. Mais, au cas de l’affirmative, une seconde question se pose : de quelle nature est cette personnalité morale ? Sous ces noms, en effet, il y a des personnes morales les unes de droit (260) civil, les autres de droit public, des fondations publiques et des fondations privées, des corporations publiques et des corporations privées8.
Pour trouver un critérium, le seul moyen est de considérer le but de la personne morale ; c’est son but seul, en effet, qui fait l’individualité de cette dernière. Or, pour savoir quel doit être le but qui caractérise la personne morale du droit public, c’est l’Etat et la commune que nous devons prendre pour modèles. Sont personnes morales du droit public celles qui, comme l’Etat et la commune, existent en vue de faire de l’administration publique. L’administration publique est l’activité qui forme la sphère d’application du droit public. Il est logique que la personne morale, qui existe afin que l’administration publique émane d’elle, appartienne elle-même au droit public.
En droit administratif, nous n’avons à nous occuper que des personnes morales qui se trouvent au-dessous de la personne morale suprême, au-dessous de l’Etat. Pour les personnes les plus considérables de cette catégorie, les communes, on emploie d’habitude l’expression corps d’administration propre (Selbstverwaltungskörper). Cette expression semble convenable pour désigner, d’une manière générale, une personne morale destinée à s’occuper en propre d’une portion de l’administration publique, par opposition avec l’Etat qui a la plénitude de cette administration. Nous nous servirons de cette expression en lui donnant cette signification9.
(261) III. — Lorsqu’une personne morale existe en vue de faire de l’administration publique, cela doit avoir nécessairement de l’importance pour la manière dont elle est traitée quant à son organisation et quant à son activité. Il y aura donc, dans le droit pratique, des marques suffisantes pour distinguer si une personne morale appartient au droit public ou au droit privé. Seulement il ne faut pas vouloir concentrer cela en un point unique et formel.
1) L’activité du corps d’administration propre est réglée par le droit public. Mais elle ne l’est pas exclusivement, pas plus que celle de l’Etat qui est la personne morale du droit public par excellence. Comme l’Etat, le corps d’administration propre a son administration fiscale ; et même, son administration publique peut, comme celle de l’Etat, amener des rapports de droit civil, ou s’exercer dans des formes qui extérieurement ne diffèrent pas sensiblement de celles du droit (262) civil. Les associations syndicales et les établissements de bienfaisance en offrent des exemples10.
2) Quand il est bien établi qu’une personne morale est investie d’une portion d’administration publique qui lui appartient en propre et qui est gérée en son nom, il se peut cependant que cette personne soit une personne morale du droit civil, une société par actions par exemple qui n’a obtenu cette entreprise publique qu’au moyen d’une concession à elle faite (comp. § 49 ci-dessus, p. 153 et s.). Ce qui distingue le corps d’administration propre d’une pareille société, c’est qu’il existe seulement pour cette administration et que son existence juridique est réglée en conséquence. Ainsi, en dernière analyse, il faut toujours recourir aux conditions de cette existence, à son organisation et à ses rapports avec l’organisation de l’Etat11.
- Nos corps d’administration propre, quoique formant (263) des personnes distinctes, sont tous placés dans des relations particulières avec l’Etat, source suprême de toute administration publique. Cela se manifeste par certaines particularités juridiques qui caractérisent leur situation sans qu’aucune d’elles puisse être considérée comme décisive à elle seule.
On aime les appeler « membres de l’organisme de l’Etat ». Très souvent, cela n’a que la valeur d’un mot. Ce qui est vrai, c’est que les communes surtout et certains établissements de bienfaisance et de prévoyance sociale complètent l’organisation des autorités de l’Etat par des fonctions essentielles et indispensables. Seulement, la même importance pratique doit appartenir aussi à une Compagnie de chemins de fer qui n’a qu’une personnalité de droit civil ; et elle n’appartient pas à une caisse d’épargne, à une association pour l’utilisation d’un cours d’eau, qui, de leur côté, représentent cependant des personnes morales du droit public.
On peut insister sur le fait que le corps d’administration propre — toute administration publique étant dérivée de l’Etat — ne doit exister que grâce à la reconnaissance de l’Etat. Mais cela ne nous donne encore pas un critérium formel. D’une part, les corps les plus importants, les communes, ont été tout simplement légués à l’Etat actuel par le passé, sans qu’il y ait eu, de la part de l’Etat, un acte exprès pour les reconnaître comme collaboratrices. D’un autre côté, d’après le régime du droit civil, il y a eu des reconnaissances de personnalités morales par actes administratifs, qui ont eu pour but de constater non pas leur caractère de droit public, mais leur admissibilité au point de vue de la police et du bon ordre du droit civil12.
(264) Enfin c’est une conséquence naturelle de la nature du corps d’administration propre, qu’il soit placé sous une surveillance spéciale de l’Etat, pour être maintenu dans ses buts par la contrainte, ou pour être supprimé s’il ne s’y conforme plus13. Mais, d’un côté, l’Etat réclame ce même pouvoir de surveillance vis-à-vis des personnes morales du droit civil ; c’est plutôt encore par un motif de police et de bon ordre du droit civil ; cependant, la différence qui en résulte ne sera guère sensible par elle seule14. D’un autre côté, il y a des corps d’administration propre, dont l’organisation présente en elle-même tant de garanties pour l’accomplissement de leur but, qu’on n’a rien prévu quant à une surveillance à exercer au nom de l’Etat. C’est seulement au cas extrême que cette surveillance apparaît ; mais alors, pour savoir si elle est (265) possible, il faut rechercher, par d’autres motifs, s’il s’agit d’un corps d’administration propre.
Ainsi, c’est seulement par l’ensemble de son caractère juridique que se manifeste la personne morale du droit public15 : ce à quoi l’on reconnaît l’administration publique, nous l’avons longuement développé dans ce qui précède ; comment, dans l’organisation d’une personne morale, il apparaît qu’elle existe pour faire de l’administration publique, c’est ce que nous allons exposer maintenant.
- Sur cette question très controversée, comp. surtout Rümelin, Methodisches über die juristischen Personen. [↩]
- Rosin dans Annalen, 1883, p. 283 ss. Nous ne voulons pas approuver par là l’idée de « patrimoine lié pour un certain but » (Zweckvermögen), qui, d’après une doctrine bien connue, doit remplacer la personne morale. [↩]
- L’ « organisation de la volonté » est essentielle pour le fonctionnement de la personne morale : cela ne veut pas dire qu’elle existe grâce à une volonté qui lui serait immanente ou qui lui aurait été prêtée : Bernatzik dans Arch. f. öff. R., V, p. 193 ss. [↩]
- Comp. t. Ier, p. 57. Keil, Die Landgemeinden in den öste Provinzen Preussens, p. 41 ss. — Les corporations et communes, dans A. L. R., II, 6, § 25 ss., ne sont envisagées que comme des personnes morales du droit civil, dans le sens que nous venons d’indiquer ; § 82 : « Les corporations et les communes représentent, dans les affaires de la vie civile, une personne morale » ; § 82 : « En ce qui concerne leurs droits et obligations envers d’autres en dehors d’elles, elles sont soumises aux mêmes lois que les autres membres particuliers de l’État ». — Pour les juristes du droit civil, aujourd’hui encore, lorsqu’ils ne voient pas plus loin que la question ne l’exige, les choses se présentent ainsi. On se contente de mettre en sûreté le fisc comme personne morale ; ce qui reste ensuite à l’Etat, c’est un « être politique », sur lequel le droit civil n’a plus rien à dire. En ce sens Arndts, Pand., 41; Stobbe, D. Pr. R., I, § 49, IV, I. [↩]
- Koch, Preuss. Priv. R., I, p. 171 (§ 60) : L’Etat, comme société d’acquêts, c’est le Fisc ; mais les différentes branches de l’administration seront alors « personnifiées dans le même sens » : fisc militaire, fisc de la justice. O. V. G., 14 février 1881 (Samml., VII, p. 6) caractérise encore les rapports qui s’attachent à un pont construit sur le fleuve public en disant que « le fisc fluvial s’agite en bas et le fisc de la grande voirie en haut ». Comp. v. Bismarck, Verwaltungsgerichtsges., p. 121 : « chaque caisse fiscale constitue, en vertu d’une fiction légale, un sujet de droit particulier ; ces caisses peuvent acquérir l’une envers l’autre des droits et des créances ». [↩]
- Jellinek, Subj. öff. Rechte, p. 12 ss. ; Bernatzik dans Arch. f. öff. R., V, p. 181 ss. [↩]
- Le passage de ce développement du premier degré au second est marqué très distinctement dans les développements de Weiske. Samml. d. neuen deutsch. Gem. Ges. (1848). Il commence par constater (introd., p. X) que la totalité de la commune « ne peut être considérée comme personne ou unité juridique que sur le terrain du droit privé et pour des droits pécuniaires », tandis que le pouvoir municipal repose simplement sur la société communale. Mais, p. XI, il ajoute : « Voudrait-on réduire le pouvoir municipal au rapport d’une personnalité, alors on devrait distinguer dans la corporation une personnalité publique et une personnalité de droit privé ; cette dernière n’existerait que pour des valeurs pécuniaires. Mais ces deux personnalités sont alors représentées par le même chef ». Weiske hésite donc entre le premier et le second degré ; le troisième lui reste encore caché. [↩]
- Dans les associations syndicales, nous pouvons constater un développement analogue à celui de l’Etat et de la commune. On place d’abord, à côté de l’union qui est formée pour des buts publics, une personne morale de droit privé, un « fisc » de l’union, pour ainsi dire ; comp. § 48, note 29 ci-dessus, p. 149. Cette personne est alors absorbée par la personnalité morale plénière de l’association publique. Ici, la formation intermédiaire, représentée par les deux personnes morales parallèles, fait défaut. [↩]
- Nous ne pouvons donc pas approuver L. v. Stein qui, dans Verw. Lehre, I, 2 p. 137, parle d’une administration propre, même pour l’époque de la « domination des races et des classes », qui, d’après lui, précède la formation de l’Etat. La nation suppose, l’existence de la puissance d’Etat centralisée. — Laband, St. R. (éd. all., I, p. 100 ; éd. fr., I, p. 173 note) définit la « Selbstverwaltung » comme le contraire d’ « être administré » ; par conséquent, elle implique, pour un corps, « qu’il s’administre lui-même », tandis qu’il existe au-dessus de lui une puissance supérieure « par laquelle il pourrait aussi être administré ». Mais il nous semble qu’en réalité le corps d’administration propre est en même temps l’objet de l’administration de l’Etat : le pouvoir de surveillance l’atteste (comp. § 59 ci-dessous) ; il est administré par l’Etat en vertu de ce pouvoir. Le droit d’administration propre ne signifie pas non plus que le corps s’administre soi-même ; cela veut dire qu’il administre lui-même certaines affaires considérées comme lui appartenant et qui, sans cela, seraient administrées par l’Etat. — Gluth, Die Lehre von der Selbstverwaltung, p. 4-64, donne une liste assez complète des différentes opinions sur ce que doit être la Selbstverwaltung ; comp. aussi Bladig, Die Selbstverwaltung als Rechtsbegriff, p. 4 ss. Nous laisserons à cette expression le sens ambigu que les juristes et les politiciens lui ont prêté ; nous nous bornerons à indiquer le sens dans lequel nous nous servirons de ce terme ; naturellement, nous nous abstiendrons de tirer des conséquences de l’expression choisie, comme, selon son habitude, le fait L. v. Stein, Verw. Lehre. I, 2 p. 21. [↩]
- C’est une idée très répandue qu’une personne morale appartient au droit public en tant que son activité est appréciée selon les règles du droit public. Logiquement Bornhak, dans Ztschft f. ges. H. R., XXXIX, p. 222 a été conduit à admettre qu’une personne morale est de nature variable : « Bien entendu, la question de savoir si une personne est de droit public ou de droit privé se décide exclusivement d’après les rapports juridiques dans lesquels elle est intéressée ». Ainsi, il n’y aurait pas de personne morale de droit public ayant un caractère spécial ; la seule espèce de personnes morales que nous ayons est appelée tantôt de droit public, tantôt de droit privé, selon le genre de rapports juridiques qu’elle lie. Cela ferait donc disparaître toute la distinction dont la valeur ne saurait être contestée. [↩]
- Rosin dans Annalen, 1883, p. 290 et Oeff. Gen. p. 22, a très bien caractérisé ce rapport du corps d’administration propre avec sa part d’administration, en exigeant que ce but doit être son « but vital », et le « centre de la personnalité ». Dans cet ordre d’idées, il critique avec raison les auteurs qui voudraient compter parmi les corps d’administration propre les compagnies de chemins de fer et les entreprises de banque par actions. Mais la Banque de l’Empire elle-même, que Rosin, Oeff. Gen., p. 50, serait disposé à considérer comme une personne morale du droit public, n’est autre chose qu’une société par actions, personne morale du droit civil, investie de cette entreprise publique à titre de concession ; l’exploitation de cette concession n’est pour elle, pour parler comme Rosin, que « le moyen par l’emploi duquel elle croit atteindre son but essentiel, à savoir l’avantage pécuniaire de ses membres ». [↩]
- En ce sens E. Mayer, dans Wörterbuch. I, p. 693. semble exagérer l’importance de la reconnaissance de la personnalité morale. L’utilité publique ou l’intérêt public qui, d’après lui, sont constatés par l’attribution de cette personnalité pourront cependant trouver leur satisfaction justement dans la création d’une personne morale du droit civil. — Il ne faut pas vouloir non plus insister exclusivement sur le fait que la personne morale peut se former au moyen d’une contrainte exercée par l’Etat, comme le dit Blodig, Selbstverw., p. 25 ss. [↩]
- Rosin, öff. Gen., p. 18 : Constitue une association dépendant du droit public celle qui, « en vertu du droit public, est obligée vis-à-vis de l’Etat à remplir son but ». Comp. Gierke, Gen. Theorie, p. 657, note 1 ; Bornhak dans Ztschft f. H. R.. XXXIX. p. 222 : Tezner sur Jellinek, Syst. der subj. öff. R., p. 91 ; Regelsberger, Pand. I, p. 319, note 4. [↩]
- Un exemple dans la loi Bav. du 29 avril 1869, concernant la situation des associations au point de vue du droit civil, art. 30 al. 2, art. 34. — Il faut citer ici, avant tout, les sociétés par actions concessionnaires d’entreprises publiques. Tezner sur Jellinek, System, p. 91 a mal compris Rosin, lorsqu’il reproche à sa formule d’embrasser aussi ces hypothèses (Comp. la note 11 ci-dessus, p. 262). Mais Haenel, qui a adopté cette formule sans insister sur le « but vital » de la personne dont il s’agira, arrive, en effet, à ce résultat de voir, même dans des compagnies de chemins de fer, dans des banques d’émission, dans des sociétés houillères comme des « unions corporatives réglées en administration propre ». Peu importe que leur but direct soit le « profit d’économie privée » de l’entrepreneur, pourvu qu’elles soient, en vertu de droits de surveillance de l’Etat, obligées envers ce dernier à accomplir leur but public ! Pourquoi alors un individu bien surveillé, qui entreprendrait des choses semblables, ne représenterait-il pas au même titre une administration propre ? [↩]
- Gierke, Gen. Theorie, p. 167 : « dans toutes ces particularités, il faut voir non pas des marques essentielles et décisives par elles seules de la qualification de droit public, mais des symptômes plus ou moins significatifs. Ce qui est décisif, c’est la subordination du droit social corporatif à des points de vue et à des règles analogues à ceux qui dominent la communauté de l’Etat ». En ce sens, du moins en ce qui concerne les corporations, Regelsberger, Pand. I, p. 318. [↩]
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