Section III
Les personnes morales
§ 59. Le pouvoir de surveillance
(307) Le pouvoir de surveillance est le droit d’agir sur le corps d’administration propre afin de le maintenir dans l’accomplissement des tâches qui lui incombent.
Le pouvoir de surveillance est exercé au nom de l’Etat ; il se peut qu’un corps d’administration propre supérieur y participe. L’autorité appelée à exercer ce pouvoir sur un corps d’administration propre déterminé est, pour ce dernier, l’autorité de surveillance.
Le pouvoir de surveillance repose sur cette idée que l’activité vitale de cette personne morale représentant une portion de l’administration publique continue par cela même à intéresser la puissance publique générale dont elle est détachée.
Cette même idée se manifeste aussi dans la part prise par l’Etat à la création de ce corps (Comp. 57 ci-dessus, p. 278) comme à sa disparition (Comp. § 61 ci-dessous, p. 334) ainsi qu’à sa représentation par des fonctionnaires de l’Etat (Comp. § 58, II, no 2 ci-dessus, p. 303). Le pouvoir de surveillance suppose le corps d’administration propre existant et organisé en sujet de droit capable d’agir, afin de lui appliquer des mesures d’autorité.
Le corps d’administration propre est aussi soumis à des mesures d’autorité d’un autre caractère ; on lui impose des contributions ; il est jugé par les tribunaux (308) civils en matière civile contentieuse ; il subit l’expropriation. Le pouvoir de surveillance s’en distingue par le but qu’il poursuit, à savoir maintenir le corps d’administration propre dans l’accomplissement des tâches qui lui incombent.
I. — Sous le régime de la police, cette manifestation de la puissance publique — comme toute autre — n’a pas de limites juridiques. Les fondations et les corporations sont protégées en tant que personnes morales du droit privé, comme les personnes naturelles. Mais l’Etat est placé au-dessus d’elles avec son pouvoir de police, comme au-dessus des particuliers, pour maintenir et augmenter en elles et contre elles le bon ordre et le bien-être général. Si, pour l’individu, ce pouvoir est tenu par les mœurs d’observer certaines limites, ces limites disparaissent presque complètement quand il s’agit de personnes morales destinées à des buts d’intérêt public1.
Dans l’Etat constitutionnel et régi par le droit, le point de départ est changé. Avec la reconnaissance de la personnalité morale du droit public, on reconnaît à cette personne le droit d’exercer librement l’activité vitale qui lui a été attribuée, c’est-à-dire la portion d’administration publique qui lui a été assignée. Ce droit ne peut subir d’atteintes qu’en vertu d’un droit contraire dûment constitué2. La loi, il est vrai, porte toujours sa justification en elle-même ; mais le gouvernement et ses autorités ont besoin d’une justification spéciale pour pouvoir porter une pareille atteinte. Quand cette justification existe, nous disons qu’il y a un droit de surveillance de l’Etat.
Des droits de surveillance peuvent être créés de (309) deux manières : soit par une règle de droit contenue dans une loi ou dans une ordonnance3, soit par une réserve faite dans le statut. Cette réserve ainsi faite par statut, c’est la création par acte administratif. Elle suppose qu’il s’agit d’une personne morale dont la reconnaissance dépend, en quelque façon, de la libre appréciation du gouvernement. C’est la règle pour les établissements publics et fondations publiques, ainsi que pour les associations publiques. La reconnaissance s’en fait par acte administratif, qui détermine en même temps les détails de leur constitution par l’octroi ou par la confirmation du statut (Comp. § 57, I, no 3 ci-dessus, p. 281). Or, ce statut peut réserver des droits de surveillance. Il n’est pas nécessaire pour cela d’une autorisation par la loi. Ce n’est ni une charge ni une restriction que le gouvernement établirait originairement : il se borne à donner moins qu’il pourrait donner. La personnalité morale est, dès le début, créée avec cette absence de liberté et d’indépendance qui correspond au droit de surveillance constitué. Donc, par des clauses semblables, on ne touche pas à la sphère réservée à la loi4.
A défaut de l’un ou de l’autre de ces titres, il n’y a pas (310) de droit de surveillance. Mais il arrivera rarement qu’on ait omis d’y pourvoir ou qu’il ne soit pas possible d’arriver à la constitution d’un droit de surveillance par la voie d’interprétation, ce droit étant un élément naturel de l’existence du corps d’administration propre5.
Les formes générales dans lesquelles s’exerce le pouvoir de surveillance sont de deux espèces. Les notions de l’ordre et de la contrainte fournissent les types de la distinction à faire ; et l’on aime se servir de ces expressions pour désigner les différentes manières d’agir du pouvoir de surveillance6. Seulement il ne faut pas prendre ces termes dans un sens trop étroit.
1) Dans l’exercice du pouvoir de surveillance, on accomplit, à l’égard du corps d’administration propre, des actes d’autorité en vue de déterminer dans le cas individuel ce qui doit être de droit pour le corps ; on émet des ordres, comme on dit, par droit de surveillance.
Ce sont des actes administratifs ayant pour objet un rapport de la puissance publique de l’Etat avec le (311) corps d’administration propre. Ils déterminent ce qui est de droit pour ce corps ; ils lient donc indirectement ses représentants, lesquels ne pourront agir pour lui légalement qu’en s’y conformant. Mais le sujet de droit auquel ils s’adressent en première ligne et directement, c’est uniquement la personne morale elle-même. Quant à un ordre à lui donner, à un commandement ou à une défense, il n’en peut être question que dans un sens impropre.
Ce qu’on appellerait un commandement adressé au corps d’administration propre en vertu du droit de surveillance, c’est, en réalité, la déclaration que ce corps est obligé de faire quelque chose, de livrer quelque chose, c’est une constatation de son devoir.
Quant à une défense, ce sera la déclaration que ce corps n’est pas autorisé à faire certaines choses, — ce qui a lieu dans le cas où une volonté contraire a été déjà exprimée par ce corps ; cela prend alors la forme d’une annulation de l’acte. Il n’y a, pour le corps, aucune obligation d’obéir, pas plus dans ce cas que dans le premier ; il n’existe plus d’acte valable de sa part, voilà tout.
Ce qui correspond à la permission dispensant de se conformer à une défense générale dans le cas individuel, c’est ici l’approbation. Cela suppose un acte placé dans les attributions du corps d’administration propre, mais qui, d’après la loi ou le statut, ne peut être accompli valablement qu’avec le consentement exprès de l’autorité surveillante. A défaut d’approbation, il n’y a pas, au sens vrai du mot, défense pour le corps d’administration propre ; l’acte accompli dans ces circonstances ne serait pas valable7.
(312) Dans tous les cas, ces décrets dirigent, par des nécessités juridiques, la conduite que devront observer les représentants : il est de leur devoir de veiller à l’accomplissement des obligations du corps ; il ne leur est pas permis d’exécuter, comme s’il était valable, l’acte annulé ; ils sont autorisés à exécuter la délibération approuvée. L’acte de détermination peut donc prendre cette forme : constater cette conséquence et la communiquer aux représentants, afin que ceux-ci s’y tiennent ; l’essentiel est encore ici la détermination donnée à la personne morale ; cette détermination se manifeste ici d’une manière indirecte.
Ces déterminations par droit de surveillance dépendent de la libre appréciation de l’autorité ; ou bien elles sont liées à des degrés différents, comme cela a lieu pour les actes administratifs en général8.
2) A la différence de cette détermination juridique du corps d’administration propre, la seconde forme dont use le droit de surveillance consiste dans des actes par lesquels l’autorité s’empare des affaires de ce corps : on ne statue pas sur lui ; on agit pour lui, afin qu’il accomplisse son but vital et qu’il l’accomplisse bien9. Comme la volonté de l’autorité de surveillance se réalise ainsi directement, on parle de mesures de contrainte. Nous préférons dire : mesures d’exécution du droit de surveillance. En effet, il n’y a pas ici de contrainte proprement dite vis-à-vis du corps (313) d’administration propre. Une contrainte n’apparaît que vis-à-vis des représentants de ce corps et d’une manière plus ou moins accentuée.
Ces mesures d’exécution sont de deux sortes ; elles se distinguent entre elles par la différence du rapport avec les représentants.
Le pouvoir de surveillance étant autorisé à s’ingérer effectivement dans les affaires du corps, les représentants sont forcés de supporter cette immixtion, peut-être même de l’aider de leurs services. La façon la plus importante de s’ingérer consiste à écarter tout simplement ces représentants, l’autorité de surveillance agissant à leur place, non pas en tant que représentant direct du corps d’administration propre, mais comme s’étant substituée aux représentants de ce corps. Cela suppose que ces derniers ont accompli quelque fait qui n’est pas régulier, qu’ils se sont montrés négligents, récalcitrants, désobéissants. C’est surtout à des actes concernant la gestion du patrimoine, que l’on procédera ainsi par la voie de surveillance : baux, constitutions de mandataires pour un procès, inscriptions de dépenses au budget, impositions communales. Que l’autorité agisse ici à titre de pouvoir de surveillance et non pas à titre de représentant, cela présentera de l’importance, quand il s’agira d’établir une responsabilité : il sera question non pas des responsabilités d’un représentant de la personne morale, mais des responsabilités résultant de l’exercice de l’autorité sur la personne morale.
D’un autre côté, le pouvoir de surveillance peut produire l’effet voulu d’une manière indirecte en agissant sur le personnel du corps d’administration propre.
Le cas le plus simple est celui où ce personnel appartient à l’Etat par son obligation de servir (Comp. § 58, II, no 2 ci-dessus, p. 303) ; on usera alors d’un ordre hiérarchique et des moyens disciplinaires ordinaires.
(314) Mais, en dehors de ce cas, le pouvoir de surveillance peut être muni de moyens spéciaux pour exercer une contrainte sur le personnel du corps. Il existe notamment le droit d’infliger des peines d’ordre. Cette peine n’est pas une peine disciplinaire ; en effet, elle ne suppose aucun rapport de service, attendu qu’elle peut être dirigée également contre des représentants députés (Comp. 58, I, no 1 ci-dessus, p. 289). Elle ne prétend pas améliorer, comme la peine disciplinaire (Comp. 45, II ci-dessus, p. 77) ; c’est uniquement un moyen de contrainte, en vue d’assurer l’exécution de ce qui doit être accompli au nom du corps10. Pour la procédure à suivre, la peine coërcitive en matière de police sert de modèle (Comp. t. II, § 23, p. 124 ss.). Toutefois, elle ne suppose pas un ordre et la désobéissance à cet ordre ; elle suppose qu’un acte est intervenu déterminant ce qui doit être, à titre de droit de surveillance (Comp. no 1 ci-dessus, p. 310), et que les représentants et fonctionnaires du corps d’administration propre négligent de se conformer à cet acte.
Pour que l’autorité soit munie de ce moyen de contrainte, il faut un fondement légal. C’est ce fondement qui décidera si la peine d’ordre est à la disposition de l’autorité en vue d’assurer l’exécution de toutes mesures prises en vertu du droit de surveillance ou seulement de certaines catégories d’actes11.
(315) L’exercice de ce pouvoir d’édicter des peines d’ordre présente encore un double caractère : il constitue une contrainte vis-à-vis des personnes qu’il frappe ; mais, comme l’activité de ces dernières compte pour le corps d’administration propre, il constitue en même temps une atteinte à la liberté d’agir de ce corps. Par conséquent, excéder les limites dans lesquelles la loi a autorisé l’exercice de ce pouvoir, c’est en même temps violer les droits de ce corps.
II. — C’est d’après l’objet et le contenu des buts poursuivis dans ces formes, que l’on distingue les différents droits que le pouvoir de surveillance aura à exercer sur le corps d’administration propre12.
1) Ce corps est soumis à un contrôle continu de la part de l’autorité de surveillance, et celle-ci doit prendre connaissance de ses faits et gestes. Il en découle ce qu’on appelle le droit de s’informer, lorsque, dans l’intérêt de cette action de l’autorité, des obligations correspondantes ont été imposées au corps d’administration propre.
En première ligne, il y aura un devoir de supporter cette action de l’autorité de surveillance ; ce devoir résulte directement de la situation respective, sans qu’il y ait besoin d’une loi pour le régler spécialement. Ainsi l’autorité de surveillance ne peut pas être (316) empêchée de procéder à l’inspection des établissements, de vérifier les procès-verbaux, titres et comptes, de contrôler les caisses13.
S’agit-il d’exiger de la part du corps d’administration propre des prestations positives en vue de donner à l’autorité des facilités d’information, cela ne s’entend pas de soi : c’est seulement en vertu d’un fondement spécial contenu dans une loi ou dans un statut, qu’il pourra y avoir obligation pour ce corps de faire la déclaration de certains faits, de présenter des inventaires et des comptes, de fournir des rapports.
Ce devoir incombe chaque fois au corps d’administration propre ; les frais qui en résultent sont à sa charge. Mais l’accomplissement de ce devoir se fait par ses représentants et fonctionnaires. C’est contre ces derniers que la contrainte est dirigée au cas d’inaccomplissement. Pour contraindre à supporter l’action d’information, on usera, au besoin, de la force. Pour contraindre à effectuer des prestations, la peine d’ordre pourra être infligée par l’autorité (Comp. I, no 2 ci-dessus, p. 312). En dernier lieu, il y a encore le pouvoir de discipline pour corriger les récalcitrants14.
2) La masse principale du pouvoir de surveillance se concentre dans le droit de protection qui doit être (317) exercé sur le corps afin de le maintenir apte à atteindre son but et à l’empêcher de causer des inconvénients pour la chose commune.
C’est dans ce but qu’on pourra se servir des différents pouvoirs sur la personne du corps, pouvoirs qui résultent du droit de la représentation, tel que nous l’avons exposé au § 58 ci-dessus, p. 287.
Il faut ajouter la protection, en vertu du droit de surveillance, du patrimoine du corps : les actes les plus importants de l’administration du patrimoine sont soumis à la condition d’une approbation. Quant à l’objet et quant aux formes, ce droit présente une certaine ressemblance avec les attributions d’un tribunal de tutelle sur l’administration de la tutelle d’après le droit civil. De là, l’usage d’appeler tutelle cette manifestation du pouvoir de surveillance : tutelle de la commune, tutelle de la fondation15.
Toutefois, on applique souvent le mot de tutelle au pouvoir de surveillance tout entier, quoiqu’on y comprenne des choses qui n’auraient plus de correspondant dans la tutelle du droit civil. Cela s’applique surtout à tous ces droits d’annulation et d’approbation, qui ont pour but d’empêcher que, au nom de ce « pupille », on agisse contrairement à l’intérêt public, (318) — peu importe d’ailleurs que, pour le pupille, ces agissements soient nuisibles ou avantageux. Dans ce sens, par exemple, l’établissement de règles statutaires, l’imposition de contributions communales, l’acceptation de dons et legs sont soumis à la condition d’une approbation par l’autorité de surveillance16.
Le droit de protection, de même que le pouvoir de surveillance tout entier, ne s’étend pas au delà de ce que lui donne son titre spécial. La loi et le statut en indiquent d’habitude exactement les objets. Toutefois, il y a, jusqu’à un certain point, des autorisations générales ; et peut-être faudra-t-il voir là une autorisation sous-entendue : l’autorité de surveillance est appelée, d’une manière générale, à annuler les délibérations illégales, c’est-à-dire les délibérations par lesquelles la représentation du corps d’administration propre a violé une règle de droit ou un statut17. Ce pouvoir ne pourra être défini exactement qu’en retenant le caractère qu’il présente d’être une partie du droit de surveillance auquel est soumis le corps d’administration propre. Il ne s’applique pas aux actes de la « vie privée » de ce corps : la décision par laquelle il refuse le paiement d’une dette d’impôt ou de salaire ou par laquelle il refuse de faire valoir un droit de propriété mal fondé, ne constitue pas une violation du droit dans le sens dont il s’agit ici ; les autorités appelées à statuer sur ces questions à l’encontre d’un particulier statueront néanmoins sur ces difficultés. Il s’agit ici uniquement de décisions par lesquelles le corps d’administration propre entend faire valoir sa qualité de détenteur d’une portion d’administration publique : (319) actes administratifs proprement dits, mesures d’administration prises, constitutions et modifications d’établissements publics, et même simples déclarations d’opinion ou manifestations qu’on veut revêtir de l’autorité spéciale de cette organisation18.
L’annulation de la décision se fera d’office, comme s’exerce toute l’activité de la surveillance. La demande d’un tiers qui prétend éprouver un dommage, pourra servir de motif. Ainsi s’ouvre une voie de recours contre le corps d’administration propre ; à défaut de prescriptions spéciales, ce sera un recours simple (Comp. t. 1er, § 12, p. 194 ss.). En outre, subsistent les autres moyens qui pourront appartenir à la personne lésée. En règle, l’autorité de surveillance, en pareil cas, cédera le pas à la juridiction civile ou administrative et surseoira, à moins qu’il n’y ait en jeu un intérêt public distinct.
3) La nature juridique du pouvoir de surveillance — d’être non pas simplement un moyen de pourvoir pour le corps d’administration propre, mais une forme de faire valoir la relation particulière qu’a ce corps avec l’Etat, envers lequel il est tenu d’accomplir ses buts, — se manifeste de la manière la plus frappante dans le droit qui appartient au pouvoir de surveillance de réaliser les prestations dues par le corps ((On parle ici de « contrainte exercée contre le corps d’administration propre », en visant surtout l’inscription d’office : G. Meyer, St. H., p. 349. Mais c’est plutôt agir à la place du corps d’administration propre. S’il y a contrainte, elle n’est dirigée que contre les représentants de ce corps.)).
Il s’agit de l’accomplissement d’obligations déterminées pour le cas individuel ; cela pourra se produire de trois manières différentes.
La procédure emploiera peut-être les formes mêmes qui s’appliqueraient à un particulier. Le corps d’administration propre a un adversaire déterminé : un individu, un autre corps d’administration propre, ou bien l’Etat. L’autorité compétente pour statuer sur le rapport en question — tribunal civil, tribunal administratif ou autorité administrative — donne sa décision ; et, en vertu de cette décision, l’exécution forcée a lieu ensuite dans les formes du Code de procédure ou du recouvrement par contrainte administrative (Comp. t. II, § 32, p. 306 ss.).
Mais, dans une large mesure, cette exécution est écartée en ce qui concerne le corps d’administration propre aussi bien qu’en ce qui concerne le Fisc (Comp. t. Ier, § 16, p. 275). Alors la détermination de l’obligation peut suivre les formes ordinaires ; mais, à la place de l’exécution forcée, intervient la « voie administrative », c’est-à-dire que des mesures d’exécution seront prises, par droit de surveillance, afin d’obtenir l’accomplissement. Pour procurer les moyens pécuniaires nécessaires, la forme régulière est l’inscription d’office au budget du corps d’administration propre (Zwangsetatisierung). Elle vaut, pour ce corps, comme si elle avait été faite par ses représentants ordinaires19. Les moyens destinés à couvrir l’excédent de dépenses qui peut en résulter sont procurés au besoin par d’autres moyens exécutifs du pouvoir de surveillance : vente d’une propriété, imposition de (320) contributions, émission d’un emprunt. L’argent ainsi obtenu sera ensuite employé à payer le créancier, ainsi que les frais occasionnés par cette procédure. Cela présente une certaine analogie avec l’exécution par substitution dans la contrainte de police (Comp. t. II, 25, II, p. 158) ; mais il y a une différence essentielle quant au principe du rapport qui existe entre l’autorité de surveillance et le corps qui est l’objet de la contrainte.
Enfin, dans un troisième cas, la constatation de l’obligation rentre dans la sphère du pouvoir de surveillance. Lorsqu’il s’agit non pas d’un rapport ordinaire dont le maintien est de la compétence des autorités communes, mais d’une charge de l’administration propre dont il faudra tirer les conséquences (Comp. § 60, I ci-dessous, p. 323), c’est à l’autorité de surveillance à déclarer ces conséquences par un acte administratif. On procède, contre le corps, à une constatation de son devoir (Comp. I, no 1 ci-dessus, p. 30)20. L’exécution par contrainte suivra ensuite la voie administrative propre au droit de surveillance. En particulier, une inscription d’office pourra intervenir. Nous avons alors un second acte administratif. Les deux choses pourront se confondre : l’inscription d’office et la constatation du devoir pourront figurer dans un seul et même acte. En pratique, les autorités, qui ne se piquent pas de mettre des formes, considèrent la constatation de l’obligation comme sous-entendue dans toute inscription d’office. Il ne faut pourtant pas oublier qu’il y a là deux choses différentes21.
- L. v. Stein, Verw. Lehre, I, 2, p. 123 ss. [↩]
- Leidig, Preuss. Stadt. R., p. 499, semble vouloir exprimer cette idée en disant que le but est aujourd’hui « non pas la direction du système communal, mais le maintien des droits de l’Etat ». [↩]
- Lorsque, pour le droit prussien, on croit trouver cette autorisation dans les termes très généraux du § 191, A. L. R., II, 6, nous dirons la même chose que pour les fameuses autorisations de la police dans le § 10, A. L. R., II, 17 (Comp. t. II, § 20, note 3, p. 39) ; pour les formes du droit constitutionnel, il suffit de lois semblables reçues de l’époque antérieure ; mais des autorisations à ce point illimitées ne sont pas dans les idées de l’Etat régi par le droit. Comp. v. Roenne, Preuss. St. R., II, p. 205, note 2 ; Foerster-Ecccus, Preuss. Priv. R., IV, p. 66 note. [↩]
- Rosin, Oeff. Gen., p. 109, va donc trop loin, quand il affirme : « Selon les principes de l’Etat régi par le droit…, l’autorité, pour faire valoir son droit de surveillance, a uniquement les moyens que la loi lui accorde ». Pour les communes, qu’il cite comme exemples (p. 107, note ici ; p. 119, note 26), cela est exact ; mais c’est seulement parce que, chez elles, on ne trouve pas de statut constituant (Comp. § 57, I, no 3 ci-dessus, p. 281). [↩]
- On peut donc conclure de l’existence même d’une personne morale du droit public, que les autorités de l’Etat doivent avoir sur elle au moins ceux des droits de surveillance qui sont censés sous-entendus, ainsi que nous allons le voir. Mais il faut pourtant admettre la possibilité d’écarter toute surveillance spéciale ; il n’y a pas là un essentiale ; comp. § 55. note 15 ci-dessus, p. 265. [↩]
- Il faut d’abord faire une classification « des moyens d’administration de la surveillance », comme le dit Gierke, Gen. Theorie, p. 659 ; il distingue (p. 658) : « Suivant qu’il s’agit d’obtenir une conduite négative ou positive, la surveillance se manifestera comme une défense ou comme un commandement ». Leidig, Preuss. Stadt. R., qui, d’ordinaire, adopte les théories de Gierke, substitue ici une « tâche » de surveillance négative ou positive (p. 500 ss.). C’est alors non plus une classification des moyens, mais une distinction des buts pour lesquels ils sont employés (Comp. II ci-dessous, p. 315). Cette tentative d’émancipation est punie tout de suite par une grande confusion ; en effet, Leidig range, même dans les tâches « négatives », l’nscription d’office, laquelle intervient pour contraindre à effectuer les prestations légales. [↩]
- En ce sens. Seydel, Bayr. St. R. III, p. 43, note 3 ; contra BI. f. adm. Pr. 1873, p. 1 ss. Il se peut aussi que l’approbation ait pour but de laisser le corps d’administration propre libre, dans le cas spécial, de ne pas faire une chose qui lui incomberait d’après la règle générale. Gierke, Gen. Theorie, p. 658, note 2, distingue donc dans l’approbation la permission et la dispense. [↩]
- Rosin, Oeff. Gen., p. 116, voudrait opposer l’approbation à toutes les autres formes de surveillance, parce que, d’après lui, elle seule pourrait être donnée ou refusée selon des considérations d’utilité. Gierke, Gen. Theorie, p. 654 note 2, s’y oppose avec raison ; on trouvera aussi chez lui des exemples des différentes modifications que peut revêtir l’approbation. [↩]
- Gierke, Gen. Theorie, p. 663, caractérise ainsi la nature de ces immixtions : « l’Etat veut et agit à la place d’un organe corporatif non existant ou ne fonctionnant pas convenablement, avec effet direct pour la personne commune ». Il nous semble inutile de faire ainsi un détour exprès par l’organe, même par celui qui n’existe pas. [↩]
- En ce sens, Woedtke, Krank. Vers. Ges., p. 283, note 3, au § 45. [↩]
- De la première manière, la peine d’ordre est organisée contre les détenteurs de fonctions dans les corporations de métier en vertu de Gew. O., § 104, al. 3, contre les directions des caisses de malades en vertu de Krank. Vers. Ges., § 45 al. 2. Par contre, il y a une autorisation générale dans L. V. G. Pruss., § 132, dont les prescriptions sont sans doute applicables aux mesures de surveillance en matière communale. Il faut toutefois faire une observation : si un semblable pouvoir d’infliger des peines a été accordé aux autorités d’une manière générale, pour leur permettre d’assurer l’exécution de leurs ordres, cela ne veut pas dire qu’elles ont le droit d’émettre tel ou tel ordre ; pour les ordres à exécuter, il faudrait un fondement distinct. Cependant, on admet, en Prusse, que la peine coercitive du droit de surveillance a lieu en vertu du § 132 contre des députés de ville (membres du conseil municipal) ou, du moins, contre leur président, pour tout ce que l’autorité de surveillance jugera convenable d’ordonner, sans qu’il y ait besoin d’examiner comment cette autorité arrive à pouvoir donner des ordres obligeant personnellement ces représentants. Oertel, Städteordnung, p. 112, note 1 ; Leidig, Preuss. Stadt-R., p. 100 note 3. Dire que « l’accomplissement de l’obligation de servir » serait en question — alors que les députés de la ville n’ont aucune obligation semblable ! — ou dire que, du moins, le président de cette assemblée « serait responsable de l’administration légale des affaires », ce ne sont là que des mots. Il semble bien en effet que, sans le savoir, on s’appuie ici sur le fondement si suspect du § 191, A. L. R., II, 6 ; comp. la note 3 ci-dessus, p. 309. [↩]
- Sur l’ensemble de ces droits, comp. v. Roesler, R., I, p. 300. [↩]
- En ce sens, motifs de la loi sur les caisses de secours du 1er juin
1884 : « En principe, le droit de prendre connaissance des écritures d’une caisse et de vérifier l’état de la caisse doit être considéré comme une conséquence naturelle du droit de surveillance » (Impr. du Reichstag 1884, no 13, p. 17). Ce droit naturel est dépassé, et un fondement spécial est nécessaire lorsque l’on veut faire dépendre la validité de l’acte du corps d’administration propre du fait que cette connaissance a été prise. Un exemple dans Gew. Ord., § 104, al. 5 et 6. [↩] - Puisque l’obligation du corps d’administration propre entraîne pour ses représentants une obligation et que la contrainte est dirigée contre ces derniers, en se servant de la manière ordinaire de s’exprimer, on est tenté de confondre ces deux sortes de personnes. Même chose lorsque Krank. Kass. Ges. dit, dans son § 34 : « La direction devra faire une déclaration », et dans son § 41 : « La caisse est obligée de produire », Comp. la loi Sax. sur les personnes morales du 15 juin 1868 § 75 ; Gierke, Gen. Theorie, p. 662, note 1. [↩]
- Gierke, Gen. Theorie, p. 645 ; Block, Dict. de l’adm., Vo Aut. adm., note 2. Souvent on veut désigner, par les mots « tutelle, curatelle, administration tutélaire des communes », les vieilles idées du régime de la police et la suppression de toute indépendance : Gierke, Gen. R., I, p. 745 ; le même, Gen. Theorie, p. 643, 644 ; Jolly, dans Wörterbuch I, p. 495; v. Rönne, Preuss. Städte ord. Einl., p. 8 ss. ; L. v. Stein, V. Lehre, I, 2, p. 147. Mais il semble que c’est déplacer le point de comparaison : comme tuteur, on ne pourrait trouver que la représentation et non pas l’autorité de surveillance ; celle-ci fonctionnerait plutôt comme tribunal de tutelle, ce qui ne serait déjà pas si mal. La situation que l’on vise se présente seulement au cas extrême d’ingérence, celui où l’Etat s’empare de l’administration entière du corps. En ce sens Gierke, Gen. Theorie, p. 666, note 2, appelle cela « l’établissement d’une curatelle de l’Etat ». C’est donc que cette curatelle n’existe pas avant cette mesure extraordinaire. [↩]
- Les détails dans Gierke, Gen. Theorie, p. 663 ss. La grande étendue de la notion de tutelle est attestée, par exemple, dans l’observation de Trolley, Hiérarchie adm., I, n. 286 qui, à propos des lois sur la mainmorte, déclare : « la tutelle prend ce caractère d’hostilité etc. ». [↩]
- Loening, V. H., p. 197, notes 4 et 5. [↩]
- Seydel, Bayr. St. R. III, p. 47 note 3, en donne une formule qui manque un peu d’exactitude. Ce n’est pas la « violation de prescriptions du droit public », — à la différence de la « violation de droits privés » — qui est décisive. Sans quoi, nous devrions placer aussi dans cette catégorie l’opposition qui est faite à tort avec une contribution à payer, avec une expropriation à subir. C’est uniquement la sphère naturelle du pouvoir de surveillance, qui détermine les limites. [↩]
- L’autorité de surveillance y est tenue vis-à-vis du créancier (Comp. t. Ier, § 16, p. 275). Toutefois, il se peut qu’une certaine latitude d’appréciation lui soit laissée afin de mettre certains ménagements dans l’exécution, en particulier par l’admission de paiements partiels et de délais. En ce sens, le droit prussien : Oertel, Städte Ord., p. 142, note 4 au § 50. [↩]
- De toutes ces constatations, il faut dire avec V. G. H. 30 déc. 1880 (Samml. II, p. 403): « La procédure suivie par l’autorité de surveillance n’est qu’un complément de l’activité propre de la commune. Elle ne peut avoir lieu que dans les cas où il y a affaire directement entre la commune et l’autorité de surveillance ». [↩]
- Il y a controverse sur le point de savoir si l’inscription d’office s’applique uniquement aux obligations de droit public, ou aussi à des obligations de droit civil : Loening, V. R., p. 193 ; Oertel, Städte ord., p. 402 ; Rosin, Oeff. Gen., p. 112 note 43. La solution dépend de la distinction à faire entre la constatation du devoir et l’exécution par inscription d’office ; les deux choses sont comprises dans le terme « Zwangsetatisierung ». La déclaration du devoir n’existe que pour des obligations de droit public résultant de la mission même du corps d’administration propre et qui doit être assurée par l’autorité de surveillance. L’inscription d’office sert pour ces obligations et pour n’importe quelles autres, lorsqu’il n’existe pas d’autre forme de contrainte spécialement prescrite. Dans ce sens, l’inscription d’office est « subsidiaire », comme le dit Oertel, l. c. [↩]
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