§1. La notion de l’administration
(1) C’est dans l’Etat que l’étude du droit administratif trouve son objet. Mais l’Etat se présente pour l’ordre juridique sous différents points de vue. La notion de l’administration nous indique le côté par lequel l’Etat nous intéresse.
I. — L’Etat, c’est un peuple organisé pour la poursuite de ses intérêts sous une puissance souveraine. L’administration est l’activité de l’Etat pour l’accomplissement de ses buts. Ainsi comprise, elle est l’opposé de la Constitution, qui, elle, ne fait que préparer cette action : l’administration signifie la formation de la puissance souveraine par laquelle l’Etat devient capable d’agir.
Cependant, la notion de la Constitution, comme toutes les autres notions que nous rencontrons ici, a reçu, dans le cours du développement historique, une qualification positive : on ne parle aujourd’hui de Constitution que dans le cas où, dans la formation de la puissance souveraine, il en a été attribué une certaine
(2) part à une représentation nationale1. Un Etat organisé d’après ces idées s’appelle un Etat constitutionnel ; et l’ensemble des règles qui servent à former sa puissance souveraine, c’est son droit constitutionnel. Nous verrons comment, notre droit administratif tout entier dépend des distinctions dans la puissance souveraine qui en résultent.
Les pouvoirs une fois constitués, sous leur autorité, les agents et fonctionnaires de toute sorte procèdent alors à l’activité qui doit réaliser le but de l’Etat. L’administration n’est qu’une branche d’un tout qui se présente dans cette trinité bien connue : législation, justice, administration. Ce n’est que dans cet ensemble, que la notion de l’administration trouve sa détermination définitive.
On donne encore comme quatrième espèce d’activité, le gouvernement (Regierung). Mais le sens du mot gouvernement, après avoir passé par différentes phases, s’est fixé aujourd’hui d’une manière qui le fait sortir tout à fait du cercle de ces idées.
Originairement, on voulait comprendre sous ce nom, l’activité entière de l’Etat : législation, justice et administration. Dans le progrès du développement, ces branches s’en sont détachées l’une après l’autre. La justice, le domaine des tribunaux ordinaires, se sépare de la première : on commence à distinguer affaires de gouvernement et affaires de justice. Avec la formation du nouveau droit constitutionnel, la législation (3), étant subordonnée à la collaboration de la représentation nationale, commence à apparaître comme l’opposé de tout le reste de l’activité de l’Etat. Enfin, pour toute l’activité qui n’est ni justice ni législation, le mot administration s’est introduit, non pas pour remplacer celui de gouvernement, mais pour désigner une nouvelle branche d’activité qui, se détachant encore du gouvernement, est placée à côté de la justice et forme comme celle-ci son opposé2.
La vérité est qu’aujourd’hui toute l’activité immédiate de l’Etat semble être attribuée à ces trois branches spéciales. Elles n’ont laissé au gouvernement que ce qui leur est commun. On comprend aujourd’hui, par gouvernement la haute direction, l’impulsion qui part du centre pour faire marcher les affaires dans le sens d’une bonne politique et de l’intérêt général. Ressortissant au prince et à ses auxiliaires, le gouvernement influe sur toutes les branches de l’activité matérielle de l’Etat, mais il reste par lui-même d’une nature plutôt idéale. Il ne descend pas, par ses effets directs, sur le terrain du droit3.
II. — La législation, la justice et l’administration sont toutes des activités par lesquelles l’Etat veut (4) réaliser son but. Ce qui les distingue entre elles, c’est la manière différente dont elles doivent servir à cette réalisation.
Cette différence, il ne faut pas vouloir la chercher dans la simple étymologie des mots. C’est le développement historique qui a fixé leurs rôles respectifs ; nous pouvons trouver les éléments qui successivement y ont contribué4.
1) Législation, dans notre ancien droit, signifie l’établissement par le souverain de règles générales et obligatoires pour les sujets, de règles de droit5.
C’est justement en vue de cette fonction, que le droit constitutionnel moderne a formé la représentation nationale : que cette législation ne puisse pas se faire sans le concours du corps représentatif, c’est son principe fondamental. Dès lors, la notion de législation a acquis aujourd’hui un nouvel élément caractéristique. Elle continue à être l’établissement des règles de droit par la puissance souveraine ; mais cette puissance maintenant ne se manifeste que par le concours du corps représentatif. C’est par la réunion de ces deux éléments, que la législation forme la notion opposée à celle d’administration6.
(5) Nous aurons à en faire une application dans une question qui a été vivement discutée dans notre littérature. L’unité de la notion de législation n’empêche pas que le mot qui exprime son produit, la loi, serve, dans l’usage de notre langue juridique, à désigner deux choses différentes, selon qu’on met en relief exclusivement l’un ou l’autre des deux éléments qui sont dans la notion de législation. C’est la fameuse distinction de la loi dans le sens formel et dans le sens matériel. Le mot loi comprend alors chaque fois un excédent d’un côté ou de l’autre, excédent qui n’appartiendra pas à la législation, mais entrera dans la sphère de l’administration.
D’un côté, la forme constitutionnelle destinée à produire la loi-règle de droit peut servir à toute autre espèce d’actes. Ce sont surtout des actes individuels dont il s’agit ici : concession de chemins de fer, autorisation de vendre des propriétés de l’Etat, déclaration d’utilité publique en vue d’une expropriation à faire, etc. Cela s’appelle encore une « loi » à cause de la forme suivie pour émettre l’acte. Mais on y reconnait facilement les signes caractéristiques d’un acte administratif, d’un acte de gestion, enfin d’un acte par lequel la représentation nationale participe à l’administration7. La législation suppose toujours la création d’une règle de droit.
(6) D’un autre côté, le mot « loi » sert également à désigner toute sorte de règles de droit, quelle que soit leur source, même celles qui résultent d’une ordonnance, d’un statut, d’une coutume. Or, le droit coutumier ne manifeste aucune activité de l’Etat ; les ordonnances et statuts appartiennent à l’administration. Il n’y a pas ici de législation, parce que celle-ci suppose en même temps une action de la puissance souveraine8.
2) La justice (Justiz, Rechtspflege), en principe, est l’activité de l’Etat pour maintenir, par la puissance publique, l’ordre juridique. Les autorités qui en sont chargées s’appellent tribunaux. Or, à l’époque où, chez nous, la distinction entre la justice et l’administration s’est opérée, il n’y avait des tribunaux que pour le maintien du droit civil et pénal. Le mot justice en a gardé l’empreinte ; la justice est maintenant cette activité de la puissance publique pour le maintien de l’ordre juridique qui ressortit aux tribunaux chargés de l’application du droit civil et du droit pénal.
(7) C’est par la réunion de ces deux éléments que la justice s’oppose à l’administration9.
La justice ne se restreint pas à ce qu’on appelle la juridiction (Rechtsprechung) proprement dite, c’est-à-dire à la déclaration de ce qui, d’après l’ordre juridique, doit être de droit dans le cas individuel. Elle comprend non seulement toute la direction de la procédure, mais aussi tout ce qu’on appelle la juridiction gracieuse, en tant que, par ses constatations authentiques, par ses confirmations et actes de surveillance, elle sert au maintien de l’ordre juridique. La justice n’apparait pas seulement dans les actes auxquels le juge procède en personne ; elle comprend encore tout ce qui, avec le concours du juge et sous sa direction, se fait dans ce but au nom de l’État : les actes du ministère public, les significations, saisies et autres mesures de contrainte effectuées par les agents d’exécution judiciaire10.
(8) Mais il n’y a plus justice, malgré toute apparence extérieure, aussitôt que l’un ou l’autre des deux éléments constitutifs fait défaut. Les tribunaux peuvent être chargés de toutes sortes de gestions et d’actes préparatoires nécessaires à la bonne marche de la justice, tels que conservation du matériel, nominations à des services subalternes. Par cela même que cela ne signifie pas maintenir l’ordre juridique par la puissance publique, ce n’est pas de la justice, mais de l’administration. Cela appartient à cette branche spéciale de l’administration, qui s’appelle l’administration judiciaire (Justizverwaltung).
D’un autre côté, ne rentrent pas dans la sphère de la justice toutes les activités qui, bien que servant au maintien de l’ordre juridique par les moyens de la puissance publique, ne ressortissent pas aux tribunaux chargés du droit civil et du droit pénal. Toutes les constatations, confirmations, surveillances, que fait la juridiction gracieuse, ont leur correspondant dans l’administration ; la moitié peut être des actes administratifs ont le caractère d’une déclaration de ce qui est de droit, par conséquent le caractère d’une juridiction, essentiellement semblable à la juridiction civile. La distinction ne consiste que dans le point de départ : ce qui n’émane pas des tribunaux civils est administration. Les tribunaux administratifs eux-mêmes, avec tous leurs actes, appartiennent à l’administration11.
(9) 3) En examinant les deux premières branches de l’activité de l’Etat dont, la notion tient essentiellement à la réunion de deux éléments, nous avons constaté que, dès que l’un de ces éléments fait défaut, l’activité, quel que soit d’ailleurs son caractère, tombe, par cela même, dans la sphère de l’administration. Par suite, cette notion semble être délimitée négativement : l’administration doit être toute activité de l’Etat, qui n’est ni législation ni justice12.
Il faut cependant compléter cette définition par des éléments positifs, un double point de vue. En effet, n’est pas administration tout ce que l’Etat fait en dehors de la législation et de la justice.
Et d’abord, il faut nous rappeler que l’administration doit être l’opposé de la Constitution, puisqu’elle est une autorité qui tend directement à la réalisation des buts de l’Etat. Or la formation de l’Etat et de sa puissance souveraine — qui ressortit à la Constitution — ne peut pas se faire aussi exclusivement par l’effet des règles stables du droit constitutionnel. Il faut une foule de décisions et d’actes de gestion pour mettre la Constitution en mouvement et pour pourvoir à son fonctionnement : proclamer un avènement à la couronne, installer une régence, ordonner et diriger les élections pour l’assemblée nationale, convoquer et renvoyer cette assemblée, nommer les membres de la Chambre des Pairs, tout cela n’est ni de la législation, ni de la justice, et cependant ce n’est pas de l’administration. C’est une activité auxiliaire du droit constitutionnel13.
(10) Mais il y a encore un autre groupe, plus important même, qui nous présente l’Etat occupé à réaliser ses buts, comme dans l’administration, et qui, cependant, est autre chose que l’administration. De législation et de justice, il n’en peut pas être ici question. C’est une quatrième espèce, qui se place à côté des trois activités qu’on a l’habitude d’indiquer seules. Ce qui la sépare de l’administration, c’est que la notion d’administration a également reçu un élément positif, dont nous devrons nous rendre compte. Il faut nous rappeler que l’administration, comme espèce d’activité particulière, s’est détachée du gouvernement à l’époque où l’idée de l’Etat moderne formulait chez nous son programme du régime du droit, auquel tout devait être soumis, même les rapports de la puissance publique avec le sujet. L’administration, dès son début, a été envisagée comme une activité de l’Etat qui s’exerce sous l’autorité de l’ordre juridique qu’il doit établir. Et c’est cela même qui a motivé la séparation d’avec le gouvernement14.
Par conséquent, l’administration ne comprend pas toutes les activités de l’Etat par lesquelles, pour l’accomplissement de ses buts, il sort de la sphère de son ordre juridique ((Nous n’avons pas de terme technique pour toute cette quatrième catégorie d’activités de l’Etat. Les auteurs français se servent ici des mots acte de gouvernement (Otto Mayer, Theorie des Französ. Verwaltungsrechts, pp. 8 ss.), ce qui, d’après ce que nous avons exposé sur le développement historique des notions de gouvernement, et d’administration, paraîtra très logique.)).
(11) C’est ce qui a lieu dans les relations diplomatiques. Les traités internationaux, les démarches auprès des gouvernements étrangers, négociations, réclamations, sommations, tout cela n’est pas placé sous le régime de notre propre loi. C’est le droit des gens qui en règle les conditions et les effets15.
Nous refusons encore le nom d’administration à la guerre : quand l’Etat lance ses armées contre l’ennemi, sacrifie des vies d’hommes, brûle des villes et rançonne des provinces, c’est bien la manière la plus vigoureuse de poursuivre ses intérêts, mais cela ne s’appelle pas administrer. Ce qui règle cette activité de l’Etat, ce n’est pas son ordre juridique à lui, mais le droit des gens. Nous dirons la même chose pour le cas de guerre civile. Mais déjà la lutte contre l’émeute, qui n’a pas encore la nature d’une guerre civile proprement dite, est, dans une certaine mesure, placée en dehors de l’ordre légal ordinaire : elle emprunte cette franchise à la guerre, sans être soumise comme celle-ci au droit des gens. L’armée, qui doit être l’instrument de la guerre, en porte la marque dans son organisation intérieure : le commandement militaire qui en forme le noyau est, par sa nature, absolu et libre de toute limitation juridique ; donc son exercice ne s’appelle pas administration16.
(12) L’ancienne doctrine du droit public professait l’idée qu’il y avait des cas où le droit existant doit céder à un intérêt supérieur de l’Etat. On appelait cela le droit de haute nécessité (Staatsnotrecht) ; ce droit appartiendrait au prince. Il y a des auteurs disposés à admettre des théories pareilles même dans le système constitutionnel de l’Etat moderne. En tout cas, cela ne serait pas de l’administration17. Mais nos Constitutions ont l’habitude de prévoir elles-mêmes des mesures extraordinaires, en reconnaissant au prince le droit de faire des ordonnances d’urgence (Notverordnungen) ayant provisoirement toute la force d’une loi. Quand dans un cas de haute nécessité, le prince émet une ordonnance d’urgence, il n’administre pas, comme il le fait par les ordonnances ordinaires, parce qu’il n’est pas lié alors par l’ordre légal existant. Il fait un acte de législation, qui, en cette qualité, n’appartient pas à la quatrième catégorie dont nous parlons ici.
En revanche, le système constitutionnel, lui-même produit une nouvelle espèce d’actes qui sortent de l’ordre juridique. Ce sont les mesures individuelles prises dans la forme d’une loi. Ne contenant pas de règle de droit, elles ne font pas partie de la législation dans le sens strict que nous venons d’établir. On les qualifie d’ordinaire d’actes administratifs. Mais elles n’ont pas nécessairement ce caractère. Il faut distinguer.
(13) Il se peut que la législation ait prescrit, pour certaines mesures à prendre dans des cas spéciaux, la forme d’une loi (concessions de chemins de fer, déclarations d’utilité publique, etc.), ou que le prince et ses ministres choisissent spontanément la forme d’une loi pour une mesure administrative qu’ils auraient pu prendre seuls. Alors la loi prend part à l’administration.
Mais il se peut aussi que cette mesure ne soit pas prévue dans le droit existant, qu’elle soit même, d’après celui-ci, juridiquement impossible. Alors la loi peut quand même faire ce qu’elle veut et prescrire, malgré le droit existant, pour ce cas individuel, un ordre anormal. Ce sera un acte dont la validité ne pourra pas être contestée ; mais il ne pourra être ici question d’administration. Dès que la loi use de sa souveraineté, l’idée d’administration, qui, par sa nature, est soumise à l’ordre juridique, disparaît18.
III. — Résumons-nous. L’administration est l’activité de l’État pour la réalisation de ses buts et sous son ordre juridique. Nous pourrons nous dispenser d’ajouter la condition qu’elle doit être une activité en dehors de la législation et de la justice ; cela est suffisamment indiqué par les mots « sous son ordre juridique ». En effet, dans la législation telle que nous l’entendons, l’Etat est au-dessus de cet ordre juridique ; dans la justice, tout se fait pour cet ordre. Quant à l’administration, sa dépendance vis-à-vis de l’ordre juridique, sous lequel (14) elle opère, est moins stricte et plus variée. Fixer la nature de cette dépendance, tel est le premier problème que nous aurons à résoudre.
L’administration elle-même se subdivise encore : on distingue plusieurs branches de l’administration. Les groupes sont formés selon la distribution pratique des affaires. La distinction bien connue des cinq ministères : affaires étrangères, guerre, justice, finances, intérieur, en donne les bases.
Les trois premières de ces branches ont ceci de particulier, qu’elles ont chacune pour centre une certaine espèce d’activité, qui, par elle-même, est exclusive de l’idée d’administration. L’administration ne comprend que ce qui se fait autour d’elle et dans son intérêt.
L’administration des finances, au contraire, et celle de l’intérieur sont des administrations pures. L’expression « administration de l’intérieur » s’explique par l’opposition avec l’administration des affaires étrangères et par la spécialité des objets des autres branches : elle embrasse tout ce qui ne fait pas partie de ces dernières19.
- V. Sarwey, Allgemeines Verwaltungsrecht, p. 17 ; Zachariæ , Vierzig Bücher vom Staate, III, p. 1 — Tandis que Frédéric le Grand parle encore tout bonnement de « sa constitution » (Preuss. Urkundenbuch, I, p.124), Madame de Staël, adressant à l’empereur de Russie cet éloge : « Vous êtes la constitution de votre empire » veut faire entendre que cet empire, en réalité, est sans constitution. Il y a entre ces deux manières de voir, marquant l’époque historique du changement intervenu, la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : dans l’art. 16 il est déclaré catégoriquement que tout peuple qui n’est pas organisé d’après les idées nouvelles « n’a pas de constitution »)[1] [↩]
- Pour se rendre compte de ces changements successifs, il suffira de comparer : Moser, Landeshoheit in Regierungssachen, chap. I, § 4, où le gouvernement est encore tout ; Häberlin, Lehrbuch des Staatsrechts, II, § 295, note, où le gouvernement embrasse encore tout, même la législation, à l’exception seulement de la justice ; Zachariæ, Vierzig Bücher vom Staate, I, p. 124, et Pözl, Bayrisches Verfassungsrecht, §143, où le pouvoir législatif est également distingué du pouvoir gouvernemental ; enfin v. Roenne, Preussisches Staatsrecht III, p. 1, note 3, où il est dit : « La séparation du gouvernement et de l’administration est dans les idées fondamentales de la monarchie représentative ». [↩]
- Zachariæ, Vierzig Bücher, I, p. 124 ; v. Roenne, Preussisches Staatsrecht, III. p. 1. Le mot « gouvernement » étant devenu, pour ainsi dire, disponible, on a essayé, de différentes manières, de lui donner un autre emploi : Schulze, Deutsches Staatsrecht, I, §184 ; Haenel, Staatsrecht, § 18. Mais il sera toujours difficile de faire accepter ceci par l’usage. Comp. aussi la note 15 ci-dessous, p. 10. [↩]
- Haenel, Gesetz im formellen und materiallen Sinne, p. 183, reproche au système de ces trois catégories d’être « contraire à tout ce que la logique doit exiger d’une distinction scientifique ». C’est possible. Mais il s’agit d’un groupement des différentes activités de l’Etat, qui est entré dans les usages, et a été adopté par l’ordre juridique, qui a l’habitude de le viser par ses dispositions. Ce que la logique de Haenel veut mettre à la place nous laisse dans le vague et n’a aucun rapport avec les idées généralement admises. [↩]
- Moser, Landeshoheit in Regierungssachen, IV, § 2 ; Häberlin, Staatsrecht, II, § 221 ; Allgemeines Landrecht für die Preussischen Staaten, II, 13, § 6. [↩]
- Rousseau, Contrat social, II, chap. VI, l’appelle législation : « quand tout le peuple statue sur tout le peuple, alors la matière sur laquelle est générale, somme la volonté qui statue ». On voit très bien ici la réunion des deux éléments : puissance souveraine et règle générale. – On parle encore de législation dans le meme sens, quand dans nos cours de droit public, il s’agit de donner une énumération sommaire des « fonctions générales de l’Etat » : v. Roenne, Preussisches Staatsrecht, I, § 88 ; Schulze, Deutsches Staatsrecht, I, p. 518 ; G. Meyer, Deutsches Staatsrecht, § 155. Dans le droit constitutionnel de l’Etat fédéral, les mots « législation de l’Empire » servent, à indiquer à la fois la compétence du pouvoir législatif de l’Empire et la condition que, de cette compétence, il ne doit être fait usage que dans la forme d’une règle de droit : Haenel, Gesetz im form. und mat. Sinne, pp. 277 ss., Arndt, Verordnungsrecht, pp. 187 ss. [↩]
-
Laband, das Staatsrecht des deutschen Reiches, Droit public de l’Empire allemand, 1re édit. allem., I, p. 567 (édition française Boucard et Jeze, II, p. 344). Jellinek, Gesetz und Verordnung, pp. 255 ss. ; v. Sarwey, Algem. Verw. Recht, pp. 24 ss. ; G. Meyer, Staatsrecht, § 155. On a essayé, il est vrai, de construire également la notion d’une « administration dans le sens formel », à laquelle ces choses alors n’appartiendraient pas. Nous n’entrerons pas dans cette voie. Que le mot loi soit employé dans un sens double, un sens formel et un sens matériel, c’est un fait ; mais ce n’en est pas moins un inconvénient. Nous ne voyons pas le mérite qu’il y a à propager cet inconvénient en appliquant cette même division bipartite à tous nos autres termes techniques. Dans ce sens, Seligmann, Beiträge, p. 157, est déjà arrivé à distinguer un droit coutumier dans le sens formel et un droit coutumier dans le sens matériel. [↩]
- V. Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 20 ; v. Martitz, dans Zeitschrift für Stsw., XXXVI, p. 258. G. Meyer, Staatsrecht, § 8 : « la législation est la plus haute fonction de l’État, elle est formellement libre de toute limitation ». Cependant, dans Grünhut’s Zeitschrift, VIII, p. 40, G. Meyer ne voudrait placer dans la catégorie de l’administration que les règlements de police émanant des autorités ; les ordonnances du chef de l’Etat, d’après lui, seraient plus utilement exclues de l’administration. Mais l’ordonnance impériale, sur les moyens d’empêcher les collisions entre navires, qu’il cite comme exemple principal, n’est qu’un règlement de police comme les autres. Il est vrai qu’il y a des Ordonnances qui n’appartiennent pas à la sphère de l’administration, voyez la note 13 ci-dessous, p. 9. [↩]
- D’après Lœning, Verw. Recht, p. 21, « la juridiction ou justice dans le sens historique » ne comprendrait que le maintien du droit civil et pénal. Ce n’est pas correct : lorsque le tribunal statue sur le salaire du fonctionnaire, il s’agit bien là d’une question de droit public, et c’est cependant de la justice dans le sens historique. Schulze, Deutsch. Staatsrecht, I, pp. 545-546 ; Laband, Droit public, 1, p. 673 de la 1re édition allemande (II, p. 508 de l’édition française), insistent avec raison sur le « critérium subjectif » caractérisant la justice. [↩]
- Quand on parle de juridiction gracieuse, il est d’usage de faire la remarque qu’elle n’est pas de la justice proprement dite, mais appartient, par son contenu matériel, à l’administration : G. Meyer, Verw. Recht, I, p. 3 ; Seligmann, Beiträge, p. 71 ; Bernatzik, Rechtskraft, p. 2. Mais comme Laband, St. R., I, p. 678 note, 1re édition allemande (II, p. 516 édition française), l’observe très justement, quand on veut aller si loin, il serait logique de détacher de la justice tout ce qui n’est pas juridiction proprement dite, c’est-à-dire acte d’autorité déclaratif du droit : exécution du jugement, instruction du procès, fixations de jour, remises des débats ; tout cela serait de l’administration. Leuthold, Sächsisches Verw. Recht, p. 137, acceptant cette conséquence, voit, dans la direction du procès par le juge « une vaste partie de l’administration publique ». Des exagérations pareilles ne servent qu’à décomposer, sans aucune utilité, les groupes simples traditionnels. Nos lois d’Empire, tout au moins, considèrent encore tout simplement la juridiction gracieuse comme partie intégrante de la justice et comme le contraire de l’administration. Sans cela, elle serait exclue formellement par le § 4 Einführungs-Gesetz zu Gerichtsverfassungs-Gezetz für das deuts. Reich qui défend de charger les tribunaux ordinaires de toute sorte d’administration ; la seule exception que la loi admette en faveur de l’administration extérieure de la justice, dont nous parlerons tout à l’heure, ne pourrait certes pas être invoquée ici. [↩]
- Schulze, Deutsches Staatsrecht, I, p. 546. Voir aussi les déclarations de K. Leonhardt, ministre de la justice prussienne lors des débats dans le Reichstag sur la loi d’organisation judiciaire (Hahn, Materialien zum ? Gerichts-Verfassungs-Gesetz, p. 1185). [↩]
- V. Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 14. Opposée ainsi aux deux autres activités de l’Etat, avec leurs formes bien déterminées, l’administration a quelque chose de mobile et de variable. Ce n’est que dans l’administration qu’on voit agir l’Etat ; (Laband, Droit public, I, p. 676, 1re édition allemande ; II, p. 517 édition française). [↩]
- Lœning, Verw. Recht, p. 2. G. Meyer, dans Grünhut Zeitschrift, VIII, p. 40, cite, comme exemple d’ordonnance qui reste en dehors de l’administration (Comp. la note 8 ci-dessus, p, 6), l’ordonnance royale sur la formation de la première chambre prussienne. Ici nous sommes d’accord ; il s’agit de compléter la Constitution. [↩]
- De là, la maxime si souvent répétée : l’ordre juridique est pour les tribunaux le but, pour l’administration la borne : Stahl, R. u. St. Lehre, II, § 57, § 173 ; Bähr, Rechtsstaat, p. 52 ; Ulbrich, dans Grünhut Zeitschrift IX, p. 1. Schulze, D. St. R., II, p. 67 ; Laband, Staatsrecht, 1re édition allemande, II, p. 200 (dans les éditions ultérieures de cet ouvrage, la « borne » joue un rôle moins important). Cette image de la borne, comme nous le verrons, n’est pas très juste ; mais en tout cas, elle exprime suffisamment le principe, qu’il doit y avoir un ordre juridique pour l’administration. V. Roenne, Preuss. Staatsrecht III, p. 1, note 2, explique la séparation du gouvernement et de l’administration, « par les responsabilités qui, dans l’Etat constitutionnel, s’attachent à cette dernière ». Cela exprime d’une façon un peu moins claire la même pensée. [↩]
- Zorn, dans Annalen, 1882, p. 82, note 6 ; Laband, Staatsrecht, II, p. 1, note 1, 1re édition allemande ; (III, p. 1, édition française). Si Jellinek, Gesetz und Verordung, pp. 341, 342, place les traités internationaux dans « la catégorie matérielle de l’activité administrative », c’est qu’il part de l’idée que l’Etat « fait, des normes du droit des gens, des règles de son ordre juridique particulier ». De cette manière, il faut en convenir, le traité international serait aussi une activité de l’Etat sous son propre ordre juridique et, par conséquent, un acte de l’administration. Quant à savoir si l’on doit admettre cette adoption du droit des gens par l’Etat, c’est une autre question. [↩]
- Laband, Staatsrecht, 1re éd. all., II, p. 644 ; Haenel, Staatsrecht, I, pp. 473 ss. Les limites de ce qui est exclu de la sphère de l’administration, coïncident avec celles du commandement absolu. Il y a à côté du commandement, toutes sortes d’activités que l’Etat exerce dans l’intérêt de sa grande institution que forme l’armée. Cette activité se manifeste, en tant qu’elle n’est pas législation, sous l’autorité de l’ordre juridique, elle est l’administration militaire : Haenel, Staats Recht, I, p. 472 ; Hecker dans Woerterbuch des deutschen Verwaltungsrechts, I, p. 63 ; G. Meyer, Verw. Recht, II, p. 35. Conformément aux règles que nous venons de développer, cette administration comprend aussi la justice militaire (Comp. II, note ci-dessus). [↩]
- Zachariæ, Staats- und Bundes-Recht, II, § 160, note 11. Dans le droit français, des mesures de ce genre s’appellent des « actes de gouvernement » dans un sens spécial ; elles forment l’opposé de l’acte administratif (O. Mayer, Theorie des Französ, Verw. Rechts, p. 9). [↩]
- Jellinek, Gesetz und Verordnung, pp. 240 ss., a très bien exposé cette distinction à faire entre les actes individuels de la loi, qui sont des actes administratifs « parce qu’ils se tiennent dans le cadre de l’acte juridique existant » (p. 239). Il leur oppose les « lois individuelles », qui signifient « l’émission d’actes individuels contra legem, la création d’un droit nouveau » (p. 257). Ces derniers actes, Jellinek les fait rentrer dans la législation. Nous les en excluons encore, parce que nous n’y pouvons pas trouver de règle de droit. Mais cela se rattache à une vieille controverse que nous n’essayerons pas de vider ici. Il nous suffira de constater que ces actes n’appartiennent pas à l’administration et pour quelle raison. [↩]
- Lœning, Verw, Recht, p. 3. On aime à faire une sorte de description de ce que l’administration de l’intérieur peut faire et vouloir, en suivant surtout l’exemple des anciens auteurs qui traitent de la police : von Stein, Verwalt. Lehre, II, p. 46 et Handbuch, 1, pp. 406 ss. ; G. Meyer, Verw. Recht, I, p. I, p. 70 ; Merkel, Encyclopädie, p. 184. Cela est sans danger et ne sert à rien. [↩]