Pour les finances sociales, l’année 2019 s’est plutôt bien terminée, avec un solde proche de l’équilibre pour le régime général (-1,9 Md) et même des excédents pour l’ensemble des administrations de sécurité sociale (+14,1 Mds). L’année 2020, qui a démarré avec le confinement, va probablement se terminer avec des déficits encore plus importants qu’en 2009 pour le régime général et le FSV (presque 25 Mds) et même qu’en 2010 (quasiment 30 Mds). Ces déficits pourraient dépasser 50 Mds. Pourquoi ? Tout simplement car la crise du COVID-19 a non seulement impacté les recettes sociales (30 Mds), mais aussi les dépenses (20 Mds). Le résultat sera une dette sociale encore plus lourde. Cette crise a été également une bonne raison d’ajouter enfin aux 4 branches de la sécurité sociale la branche perte d’autonomie.
I – L’impact de la crise sur les recettes des administrations de sécurité sociale
On sait que les recettes sociales reposent pour quasiment les 3/4 sur les revenus d’activité. Or le Haut Conseil pour le Financement de la protection sociale (HCFIPS) a estimé dans sa note du 14 mai 2020 que la masse salariale du secteur privé allait se contracter de 7,5% au cours de la totalité de l’année 2020, ce qui devrait représenter une perte de 33 Mds pour le régime général. Cette somme pouvant être plus importante selon l’impact de la reprise d’activité qui sera conditionnée par la deuxième vague de l’épidémie. Par ailleurs, la TVA affectée à la branche maladie se contractera de 5 Mds, ce qui sera peut-être compensé par l’augmentation des droits sur les tabacs, car la consommation de tabac a augmenté de 30% pendant le confinement (faut-il s’en réjouir ?). Ce chiffrage des baisses de recettes ne peut être qu’estimé. La première annonce faite par le gouvernement en direction des entreprises a été de les informer du report des échéances sociales, de la suspension des procédures de recouvrement forcé, ce qui a causé un manque à gagner immédiat pour les caisses de sécurité sociale. Il s’agit non seulement des caisses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, mais également des caisses de retraites complémentaires et de l’assurance chômage. La note du HCFIPS précise que l’AGIRC-ARRCO devrait afficher fin 2020 un déficit de 8 Mds d’euros causé par les baisses de cotisations, ce qui l’obligera soit à puiser dans ses réserves (65 Mds €), soit à emprunter avec la garantie de l’État. L’assurance chômage devrait elle aussi terminer dans le rouge, avec un déficit 2020 d’au moins 15 Mds.
Chaque année, la 3ème partie de la LFSS comporte un article autorisant plusieurs régimes de sécurité sociale à recourir à des ressources non permanentes. Ce qui signifie en clair une autorisation de découvert pour l’ACOSS (Régime général), la MSA (régimes agricoles), la SNCF, EDF-GDF, les mines et la caisse de retraite des fonctions publiques territoriale et hospitalière (CNRACL). Lors de la crise financière des dettes souveraines, l’autorisation de découvert de l’ACOSS avait atteint 65 Mds d’euros pour 2010. Pour 2020, la LFSS avait prévu 39 Mds de découvert pour l’ACOSS. Puis un premier décret du 25 mars 2020 (n°2020-63) a porté le découvert autorisé à 70 Mds pour l’ACOSS mais c’était insuffisant. Un second décret du 20 mai 2020 (n°2020-327) a encore augmenté l’autorisation de découvert à 95 Mds pour l’ACOSS. Ces chiffres de découvert du régime général n’ont jamais été atteints, ce qui montre deux choses : d’abord que la crise est sans précédent, ensuite que le déficit social sera beaucoup plus important que ce qui est annoncé (41 Mds). En effet, si l’on compare 95 Mds au découvert initial (39 Mds), l’augmentation de la situation de trésorerie du régime général est beaucoup plus importante (56 Mds de plus). Il n’est pas exclu qu’un troisième décret relève l’autorisation de découvert de l’ACOSS à plus de 100 Mds d’euros, selon l’évolution des besoins de trésorerie des caisses.
II – L’impact de la crise sur les dépenses des administrations de sécurité sociale
Le coût de la prise en charge du chômage partiel est, à la mi-juin 2020, de 30,8 Mds. Cette somme est assumée pour 20,5 Mds par le budget de l’Etat qui a créé à cet effet le programme n°356 dans la mission plan d’urgence face à la crise sanitaire, et pour le reste, par l’UNEDIC (10,3 Mds). Pour faire simple 20 Mds pour l’État et 10 pour l’assurance chômage (2/3-1/3). Cette mesure du gouvernement a permis d’indemniser à hauteur de 84% du salaire net les salariés du secteur privé dont les revenus ne dépassent pas 4,5 fois le SMIC. Cette mesure a concerné plus de 12 millions de salariés, qui en sont les premiers bénéficiaires, mais aussi les entreprises, car ce dispositif a été modifié pour que son coût intégral soit pris en charge jusqu’à fin mai, sans aucune participation financière des entreprises. Mais depuis le 1er juin, les Finances publiques n’assument plus 100% mais 85% de ce dispositif, ce qui pose problème. L’État a également mis en sommeil les réformes de l’assurance chômage qui étaient en cours et qui auraient dû permettre d’économiser des dépenses pour redresser la situation de l’UNEDIC. Enfin, on sait que les dépenses d’indemnisation du chômage ont augmenté très nettement à partir de la mi-mai ce qui devrait se poursuivre.
L’ONDAM voté au sein de la Loi de Financement de la sécurité sociale pour 2020 a été fixé à 205,6 Mds ce qui représentait un taux de +2,45% par rapport à la base. Or la crise sanitaire a causé une augmentation des indemnités journalières maladie avec une série d’autres nouvelles dépenses, ce qui devrait aboutir à une hausse de l’ONDAM de +7% (soit un supplément de +4,55% chiffré à 8 Mds). Bien sûr le poste le plus important correspond aux indemnités journalières maladie qui ont été accordées à tous les parents pour garder leurs enfants à la maison pendant le confinement. Pour permettre au plus grand nombre d’assurés de bénéficier de ces indemnités, leurs règles ont été assouplies. Afin de faciliter les consultations médicales pendant le confinement sans risquer la contamination, les téléconsultations ont été autorisées. Après les assurés, ce sont les professionnels de santé qui ont bénéficié de mesures nouvelles avec notamment une prime aux soignants pouvant atteindre 1 500€ dans les 28 départements les plus touchés, des majorations de 50% des heures supplémentaires au personnel hospitalier et la prise en charge des indemnités journalières des professions libérales du secteur santé. Enfin, un dernier paquet de mesures a été pris pour améliorer notre système de soins : achats de masques et de matériel (respirateurs artificiels) et garantie de financement des hôpitaux. Au total, il y a de fortes chances que l’ONDAM soit dépassé de plus de 8 Mds.
Aux dépenses de l’assurance chômage et de l’assurance maladie s’ajouteront inévitablement des suppléments concernant les branches famille (aides au logement et aides aux gardes d’enfant) et dans une moindre mesure vieillesse, ce qui portera les dépenses des administrations de sécurité sociale à 10 + 8 + 2 = 20 Mds à la fin de l’année 2020.
III – L’impact de la crise sur la dette sociale
L’UNEDIC risque de voir sa dette se creuser de 37 Mds (fin 2019) à 47 Mds (fin 2020) du fait de la crise sanitaire. Le conseil des ministres du 27 mai 2020 a tiré les conséquences des déficits sociaux en prévoyant la plus importante reprise de dette jamais enregistrée en France à hauteur de 136 Mds (la reprise de dette de 2011 était de 130 Mds). La somme totale se décompose en 3 éléments : 31 Mds de reprise de la dette courante du régime général et du FSV portée par l’ACOSS entre 2016 et 2019 + 13 Mds de dette hospitalière + 92 Mds de déficits prévisionnels des années 2020 à 2023. On voit bien que sur 136 Mds de dette sociale reprise, il y a 44 Mds de dette passée + probablement 50 Mds de dette correspondant à l’année 2020 et 42 Mds de dette future. Par conséquent, la crise du COVID-19 est une bonne raison pour reprendre des dettes sans rapport direct avec la crise sanitaire (44 + 42 Mds = 86 Mds soit 63% de la somme totale). Pour financer l’amortissement de cette somme, il est proposé de voter une Loi organique reportant le terme de la CADES du 31 janvier 2024 au 31 décembre 2033 (presque 10 ans). Afin de pérenniser le financement de la CADES, il est proposé de prolonger les versements du FRR à la CADES, qui étaient de 2,1 Mds par an jusqu’à 2024, à 1,45 Md par an jusqu’en 2033. La dette sociale qui avait commencé à se réduire va donc augmenter à nouveau en étant reportée sur les générations futures qui devront la financer jusqu’à la fin de l’année 2033. L’exigence d’une Loi organique qui requiert un vote des deux chambres en termes identiques donnera l’occasion au Sénat de jouer un rôle politique. Un projet de Loi ordinaire vient compléter le projet de Loi organique. Il devrait être adopté d’autant plus facilement qu’il contient une mesure attendue depuis la canicule de 2003.
IV – Le prétexte à la création de la 5ème branche du régime général
Le projet de loi ordinaire adopté en conseil des ministres a prévu le dépôt au parlement avant le 30 septembre 2020 d’un rapport sur la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale couvrant le risque de perte d’autonomie des personnes âgées et handicapées. Cette réforme devra figurer dans le projet de LFSS pour 2021. Pour financer la nouvelle branche que constituera la CNSA, le gouvernement a prévu d’affecter de manière pérenne à compter de 2024 une fraction supplémentaire de 0,15% de la CSG qui sera retirée à la CADES (2,3 Mds par an). Pour la période allant de 2021 à 2023, le financement de la perte d’autonomie sera décidé par des mesures transitoires.
La crise du COVID-19 a donc impacté les recettes et les dépenses sociales, ce qui occasionne une reprise de dette hors du commun et la création d’une 5ème branche du régime général destinée à faire passer la pilule. Les conséquences sont donc structurelles sur l’organisation de la sécurité sociale.
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