Comme beaucoup, l’activité du juge financier a été saisie par la crise sanitaire du Covid-19. Son activité, notamment juridictionnelle s’est considérablement ralentie (https://www.ccomptes.fr/fr/actualites/covid-19-les-juridictions-financieres-continuent-dassurer-leurs-missions) tandis que les rendez-vous essentiels dans le contrôle de l’emploi des fonds publics ont été respectés (Certification des comptes de l’Etat et Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’Etat en avril ; certifications des comptes de l’Assemblée nationale, du Sénat et du régime général de la sécurité sociale en mai).
En parallèle, la Cour des comptes a pu vivre cette période si particulière, comme une résurgence de l’examen de la gestion de la crise sanitaire de 2009 – alors que des critiques nombreuses ont accompagné la gestion, par l’actuel gouvernement, de cette crise. Une problématique sur laquelle la Cour des comptes s’était déjà penchée dans son rapport consacré à la gestion de la précédente crise et dont les conclusions ont bénéficié d’un regain d’actualité.
Autre point d’intérêt résultant des ordonnances adoptées par le Gouvernement durant cette période : le filet de sécurité mis en place pour limiter la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics. Le Covid-19 est présenté comme une circonstance de force majeure conduisant à limiter les cas d’engagement de cette responsabilité et à restreindre d’autant l’office du juge des comptes.
I – Le Covid-19, résurgence de l’examen de la gestion de la crise sanitaire de 2009
La gestion de la crise sanitaire de 2009 (grippe H1N1) avait été vivement critiquée alors qu’une campagne nationale de vaccination de la population française avait été engagée par la ministre de la santé de l’époque, Roselyne Bachelot. En parallèle, des mesures avaient été mises en place afin que la gestion des crises à venir soit facilitée. Dans les années qui ont suivi, ces mesures et en particulier leur coût, ont été remis en cause. Roselyne Bachelot avait alors essuyé de nombreuses critiques et reproches concernant son emploi des fonds publics.
Le temps aidant, les précautions qui avaient été prises, ont été levées successivement. En particulier, le stock de masques a été revu à la baisse. Avec le recul, c’était manifestement une erreur. Plus largement, cet enchainement a conduit à réhabiliter la gestion de la crise telle qu’opérée par Roselyne Bachelot. L’occasion pour cette dernière de rappeler à quel point elle avait pu être mise en cause à l’époque par les politiques de tout bord, par les médias et également par… la Cour des comptes
(https://www.franceculture.fr/politique/penurie-de-masques-les-raisons-dun-scandale-detat).
Très rapidement, la Cour des comptes a entendu revenir sur ce qu’elle a considéré comme une Fakenews. Dans un tweet du 22 mars, la Cour des comptes contestait avoir critiqué la constitution de stocks de masques de protection contre la grippe et au contraire, indiquait que dans son rapport 2011, elle avait estimé que « l’acquisition importantes quantités de masques (…) s’est avérée pertinente » (https://twitter.com/Courdescomptes/status/1241709919163777025).
Effectivement, la lecture de ce rapport ne laisse aucun doute sur le sujet (https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/59342_grippe_A_H1N1.pdf) : la Cour des comptes y retrace la politique d’achats et de gestion de stocks de masques depuis l’apparition de la menace d’une pandémie de grippe aviaire en 2003-2004 et y regrette, d’ailleurs, que « de manière contre-intuitive, la survenance du risque de pandémie n’a pas conduit à majorer les acquisitions de masques de protection (…) mais au contraire à les diminuer »… Une observation qui prend une tonalité supplémentaire dans le cadre de la gestion de la pandémie de covid-19. En parallèle, ce même rapport regrettait toutefois le coût de certaines mesures prises à l’époque et notamment celui de la campagne de vaccination alors que des vaccins avaient été achetés en quantités jugées excessives (94 millions de doses pour 44,5 millions utilisées).
Cet épisode a conduit la Cour des comptes à proposer la relecture de plusieurs rapports en lien avec la situation d’urgence sanitaire ou l’état des finances publiques au moyen d’une page dédiée, consacrée à l’urgence sanitaire et à l’éclairage apporté par la Cour des comptes au travers de ses recommandations et autres observations qu’elle a pu formuler depuis 2011.
(https://www.ccomptes.fr/fr/actualites/urgence-sanitaire-les-juridictions-financieres-vous-eclairent?fbclid=IwAR2LJkXKgiL1xoDvMFCACxKiJ8NoaDglkOnxg2mYy5FlYbxMDiyfaAnFy0o)
Des actions de communication d’autant plus indispensables que la cour des comptes est encore très contestée dans l’efficacité de ses actions alors même que l’indicateur de suivi des observations fait état d’un taux de 75 % d’observations suivies d’effets.
Indispensable alors que les observations peuvent également, et la crise actuelle l’illustre, être instrumentalisées ou dévoyées dans leur contenu.
II – Le Covid-19, circonstance de force majeure
Sans surprise, le juge des comptes a réduit son activité juridictionnelle au strict nécessaire durant la période de confinement. Après 6 arrêts rendus en mars et aucun en avril, l’activité reprend progressivement depuis mai.
A posteriori, le Covid-19 rattrapera le juge des comptes lorsque seront en examen, les comptes des comptables publics pour les périodes concernées par cette crise sanitaire.
Le Gouvernement a d’emblée pris les devants avec l’ordonnance n° 2020-326 du 25 mars 2020 relative à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics et son article 1er qui précise que « pour l’appréciation de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, les mesures de restriction de circulation et de confinement décidées par le Gouvernement à compter du 12 mars 2020 ainsi que l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 (d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19) sont constitutifs d’une circonstance de force majeure telle que prévue au V de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 ».
Ces dispositions permettent, en effet, au juge financier de prendre en considération les circonstances de force majeure pour atténuer d’autant la responsabilité du comptable public.
Rappelons qu’en la matière, le comptable public supporte une responsabilité particulière : lorsqu’un manquement est reproché au comptable et qu’il occasionne un préjudice financier, le comptable est condamné – au moyen d’un débet – à rembourser le préjudice financier constaté dans la caisse publique. Sa responsabilité peut toutefois être écartée lorsque le juge des comptes constate l’existence de circonstances de force majeure.
L’ordonnance précise que « pour les opérations réalisées durant cette période, il n’est pas fait application des deux dernières phrases du troisième alinéa du même V ».
Sur le principe, les déficits résultant de circonstances de force majeure sont supportés par le budget de l’organisme intéressé. Ces déficits sont toutefois pris en charge par l’Etat lorsque le comptable intéressé est un comptable public de l’Etat ou d’un établissement public local d’enseignement. Etant précisé que l’Etat est subrogé dans tous les droits des organismes publics à concurrence des sommes qu’il a prises en charge. Ce sont ces deux dernières dispositions qui sont écartées le temps du confinement et de la gestion de la crise sanitaire. Ceci implique que les déficits constatés durant cette période, résultant de circonstances de force majeure, seront pris en charge par le budget de l’organisme intéressé, toute possibilité de prise en charge par l’Etat étant écartée. Le parapluie est ainsi ouvert à son maximum…
Il faut se souvenir que les désordres comptables occasionnés par la catastrophe de l’AZF à Toulouse n’avaient pas été considérés comme résultant de circonstances de force majeure. Plus globalement, il faut retenir que la position du juge des comptes en matière de circonstances de force majeure est très restrictive et que rares sont les décisions aux termes desquelles le comptable se trouve exonéré de responsabilité en raison de telles circonstances (Gestion et fin. publ. 2012 n° 10, p. 87, Chron. Damarey, Lascombe et Vandendriessche, Gestion et fin. publ. 2015 n° 11/12, p. 139, Chron. Damarey, Lascombe et Vandendriessche).
C’est indéniablement cette approche jurisprudentielle restrictive qui a conduit Bercy à anticiper les interventions du juge des comptes afin d’éviter que la responsabilité des comptables publics soit engagée pour les opérations réalisées durant cette crise sanitaire – et alors que les acquisitions à réaliser en urgence (masques, gel hydroalcooliques, respirateurs…) risquent de s’écarter des règles imposées par la commande publique et la comptabilité publique. C’est d’ailleurs ce qu’explique le rapport adressé au Président de la République en accompagnement de cette ordonnance, évoquant « l’impossibilité pour certains comptables d’effectuer les contrôles prescrits par la réglementation » et notamment l’impossibilité « d’obtenir certaines pièces justificatives permettant de vérifier la régularité de la dépense » et alors qu’assurer « l’indispensable continuité des services publics » conduira certains comptables « à réaliser des opérations qui ne relèvent pas de leur périmètre géographique ». Plus largement, alors qu’il convient d’ « engager le plus rapidement et le plus souplement possible, les dépenses indispensables au traitement de la crise sanitaire et au soutien de l’économie ». Le cas des entreprises mises en difficulté à l’occasion de cette crise est également évoqué alors qu’assurer la survie de ces dernières, conduira les comptables « à s’abstenir de réaliser certaines mesures de recouvrement forcé des impôts et autres recettes publiques ». L’ordonnance précise toutefois que cette protection ne peut concerner que les cas dans lesquels un lien de causalité sera établi entre la crise sanitaire et l’éventuel manquement du comptable ».
Table des matières