Le 10 mars 2020, avant même le déploiement des premières mesures nationales de confinement, le Conseil européen, réuni en vidéoconférence, fait figurer, parmi les quatre priorités de l’action européenne visant à faire face à la pandémie, celle de répondre aux conséquences socio-économiques « en recourant à tous les instruments nécessaires ». Trois jours plus tard, non sans lucidité quant à l’ampleur du choc économique symétrique auquel l’ensemble des membres sera donc confronté, la Commission européenne présente une communication portant sur la réaction économique concertée et dans laquelle elle affirme que « la croissance du PIB réel pourrait tomber bien en deçà de zéro, voire être fortement négative à cause du COVID-19 » (COM (2020) 112 final, p. 3), ce que confirmeront les prévisions de croissance du printemps annonçant pour 2020 une contraction particulièrement sévère – de plus de 7 % – du PIB de l’UE. Forte du soutien des Chefs d’Etat et de Gouvernement et sans désemparer, la Commission européenne prend alors ou suggère, selon les cas, trois types de mesures parfaitement emblématiques de l’intrication des compétences et des politiques au sein d’une UE dotée d’une capacité budgétaire des plus limitées.
I – Autoriser les Etats membres à massivement aider les entreprises quitte à ce qu’ils s’écartent temporairement de leur trajectoire d’ajustement
Ainsi, ne se berçant pas d’illusions, la Commission affirme d’emblée que « compte tenu des limites du budget de l’UE, la principale réaction budgétaire au coronavirus proviendra des budgets nationaux ». L’UE prend donc logiquement les mesures dérogatoires et temporaires pour permettre, dans ce contexte de crise, à ses membres de recourir utilement et de manière relativement coordonnée à l’instrument budgétaire aux fins de préserver l’économie européenne.
Non sans avoir rappelé qu’il est en tout état de cause loisible aux Etats membres de prendre toute une série de mesures applicables à l’ensemble des entreprises (subventions salariales, suspension de l’impôt sur les sociétés etc.) et échappant par conséquent au champ d’application de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’UE (FUE), la Commission adopte dès le 20 mars 2020 un encadrement temporaire des mesures d’aides d’Etat visant à soutenir l’économie (JOUE n° C 91 du 20 mars 2020) dont elle étend le périmètre à deux reprises en avril (JOUE n° C 112 du 4 avril 2020, p. 1) puis en mai (JOUE n° C 164 du 13 mai 2020). Dans sa communication, la gardienne des traités relève tout d’abord que, sous réserve de notification et donc sous son contrôle, les Etat membres sont autorisés, conformément à l’article 107 § 2 sous c) FUE relatif aux « aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres évènements extraordinaires », à indemniser les préjudices subis par les entreprises de secteurs particulièrement touchés par la flambée épidémique tels que les transports, le tourisme, la culture, l’hôtellerie/ restauration. Mais, étendant le champ des possibles, l’encadrement temporaire a surtout pour objet de tirer parti, comme en 2008 lors de la crise financière, du § 3 sous b) de l’art. 107 FUE qui offre la faculté d’autoriser des aides destinées « à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un Etat membre ». Compte tenu de l’impact des mesures de confinement sur les entreprises, la Commission considère que, durant une période limitée s’achevant en principe le 31 déc. 2020, sont compatibles les aides d’Etat visant à remédier au manque de liquidité des entreprises et prenant différentes formes (subventions directes, avances remboursables, avantages fiscaux, garanties sur les prêts, taux d’intérêts bonifiés, aide à la recapitalisation etc.). Notifiés par l’ensemble des Etats membres, ce sont plus d’une centaine de régimes d’aides qui ont été instruits en urgence 7 jours sur 7 et approuvés dans des délais extrêmement brefs par la Commission.
Il reste que ce levier ne pouvait être efficacement actionné qu’à la condition que, sur le plan budgétaire, les Etats membres soient en mesure d’apporter les aides nécessaires, ce qui impliquait pour l’UE d’agir également dans le domaine de la coordination des politiques économiques et, plus précisément, de son volet relatif à la discipline budgétaire. C’est ainsi qu’une mesure, aussi remarquable qu’inédite, est annoncée dès le Conseil européen « distanciel » du 17 mars 2020 par la présidente de la Commission. Il s’agit, pour reprendre la phraséologie bruxelloise, de « l’activation de la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance ». Introduite dans la législation européenne en 2011 dans le cadre du Six-Pack, cette disposition ne conduit nullement à suspendre la surveillance multilatérale mais à autoriser les Etats membres à s’écarter temporairement de leur trajectoire d’ajustement vers l’objectif budgétaire à moyen terme « lors d’une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l’Etat membre concerné ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ou en période de grave récession économique affectant la zone euro ou l’ensemble de l’Union » (cf. par ex. l’art. 5 § 1 dernier alinéa du règlement n°1466/97 tel que modifié par le règlement n°1175/2011, JOUE n° L 306 du 23 novembre 2011). Alternatives, les deux circonstances justifiant l’activation sont en l’occurrence indéniablement réunies, ce qui ne saurait cependant suffire, compte tenu de la formulation retenue par le législateur : « les Etats membres peuvent être autorisés à s’écarter ». Encore faut-il donc que soit accordée cette autorisation qui n’est manifestement pas de droit. Or la législation européenne ne définit pas précisément de procédure applicable en la matière de sorte qu’aux fins de « clarifier la situation pour les Etats membres », la Commission a invité le Conseil à approuver une (simple) communication dans laquelle la gardienne des traités « considère que les conditions d’activation de la clause dérogatoire générale sont remplies pour la première fois depuis son instauration en 2011 » (COM (2020) 123 final). Dès le 23 mars 2020, les ministres des finances approuvent cette analyse et, tout en réaffirmant leur plein attachement au pacte de stabilité et de croissance, déclarent que le recours à la clause dérogatoire offre la flexibilité nécessaire pour permettre non seulement de soutenir les systèmes de santé mais de protéger les économies « notamment par de nouvelles mesures discrétionnaires de relance ».
II – Aider les Etats membres à faire face aux conséquences financières de la pandémie
Les institutions européennes ont en outre très rapidement mis en en place différentes formes d’assistance directe ou indirecte permettant aux Etats membres, en première ligne dans la gestion des répercussions notamment économiques de la pandémie, de se financer à bas voire à très bas coûts.
Dès le 18 mars, la Banque centrale européenne met en place, pour contrer les risques graves que fait courir la pandémie pour l’union monétaire, un programme temporaire d’achats d’urgence de titres d’actifs des secteurs privés comme publics (PEPP). Pourvue initialement de 750 milliards €, l’enveloppe est portée le 4 juin 2020 à 1 350 milliards et le programme prolongé jusqu’en juin 2021.
Parallèlement, l’Eurogroupe décide de faire appel au mécanisme européen de stabilité (MES) si bien que l’institution financière chargée de fournir un soutien à la stabilité aux membres de la zone euro connaissant de graves problèmes de financement ouvre, au titre de l’assistance de précaution, une ligne de crédit qui, disponible jusqu’à fin 2022 et s’élevant à 2 % du PIB de chacun des membres (soit 240 milliards d’euros), est susceptible d’être sollicitée en vue de financer les dépenses directes ou indirectes en matière sanitaire dues à la pandémie, et ce sans conditionnalité supplémentaire.
A cela s’ajoute l’instrument européen de soutien temporaire à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence (SURE) qui, proposé par la Commission début avril 2020 et adopté par le Conseil dès le 19 mai (règlement n°2020/672, JOUE n° L 159 du 20 mai 2020), s’analyse en réalité comme un dispositif d’assistance financière fondé, à l’instar du mécanisme européen de stabilisation financière (MESF) établi en 2008, sur l’article 122 FUE. Cet instrument permet à l’UE, à titre temporaire (jusqu’au 31 décembre 2022), d’accorder jusqu’à 100 milliards € de prêts aux Etats membres (hors Royaume-Uni, et ce nonobstant la période de transition). Ces prêts seront financés par des emprunts émis par l’organisation, garantis en première lieu par son budget et contre-garantis en deuxième ligne et à hauteur de 25 % par ses membres. L’activation de cette opération d’emprunts-prêts est d’ailleurs conditionnée à ce que la contre-garantie soit accordée par chacun des Etats membres.
Au-delà, dès fin mars 2020, les colégislateurs se sont entendus, en une quinzaine de jours, pour étendre l’objet du Fonds de solidarité de l’UE (Règlement 2020/461, JOUE n° L 99 du 31 mars 2020) qui, établi en 2002 pour apporter une aide financière aux Etats membres frappés par une catastrophe naturelle majeure, permet dorénavant d’attribuer également un tel soutien « dans le cas d’une urgence de santé publique majeure », ce qui devrait permettre à l’UE, compte tenu de la pandémie et des montants disponibles au titre de l’exercice, de verser globalement un milliard € environ aux membres affectés ainsi qu’aux Etats en négociation d’adhésion.
III – Contribuer directement à la préservation de l’économie et à la relance
Dans le cadre de sa politique de cohésion, l’Union a par ailleurs cherché à ce que la soudaine concentration des liquidités et des fonds publics dans le système de santé ne freine pas les investissements qui s’imposent. En l’espace de moins d’un mois, elle a ainsi amendé à deux reprises sa législation afférente aux fonds structurels de manière à la rendre plus flexible (Règlement 2020/460, JOUE n° L 99 du 31 mars 2020 et règlement 2020/558, JOUE n° L 130 du 24 avril 2020). Non content d’autoriser le FEDER à soutenir en cas de besoin le financement des fonds de roulement des PME, le législateur de l’UE a décidé qu’au titre des comptes présentés en 2020, les quelques huit milliards € de préfinancements non utilisés n’auront pas à être remboursés par les membres qui pourront ainsi les mobiliser en vue d’accélérer les investissements éligibles et liés à la pandémie, qu’exceptionnellement les dépenses déclarées pour la période allant de juillet 2020 à juin 2021 pourraient bénéficier d’un cofinancement de 100 % et que les ressources financières disponibles au titre de 2020 pourraient, sur demande des Etats concernés, être transférées entre catégories de fonds et de régions. En outre, dans le cadre de son fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI) et de son programme pour la compétitivité des entreprises, la Commission a, à partir du budget de l’UE, débloqué un milliard € en vue d’apporter au fonds européen d’investissement (FEI), établi avec la Banque européenne d’investissement (BEI), la garantie nécessaire pour permettre à ce dernier de fournir à son tour aux banques les garanties leur permettant de mettre à disposition des PME, dans des conditions singulièrement attractives, environ 8 milliards € de financement. Par ailleurs, la BEI s’est dotée fin mai d’un nouveau fonds de garantie paneuropéen doté de 25 milliards € et permettant de financer, à hauteur de 200 milliards €, les entreprises, en particulier les PME, viables sur le long terme mais rencontrant des difficultés dans le contexte de la crise sanitaire. Enfin, la Commission a présenté le 27 mai 2020 un ambitieux plan de relance pour l’Europe (COM (2020) 442 final) mais qui est encore en cours de discussion au sein des instances de l’organisation.
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