Conseil d’État
N° 408374
ECLI:FR:CECHR:2017:408374.20171016
Publié au recueil Lebon
2ème – 7ème chambres réunies
M. François Weil, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
lecture du lundi 16 octobre 2017
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
M. A…D…et Mme C…B…, agissant en leur nom personnel et au nom de leur fils mineur, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France sur le recours qu’ils ont formé contre la décision de l’ambassadeur de France en Afghanistan refusant de leur délivrer un visa et d’enjoindre à l’autorité administrative de réexaminer leur demande de visa dans un délai de 15 jours, sous une astreinte de 50 euros par jour de retard.
Par une ordonnance n° 1609268 du 22 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 février, 14 mars et 5 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. D…et Mme B…demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. François Weil, conseiller d’Etat,
– les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. D…et de Mme B…;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 octobre 2017, présentée par M. D… et Mme B…;
1. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M.D…, ressortissant afghan, a été entre le 7 avril et le 31 août 2011 interprète auprès des forces armées françaises alors déployées en Afghanistan ; que les autorités françaises ont annoncé au mois de mai 2012 le retrait des forces françaises d’Afghanistan à partir du mois de juillet ; que M. D…a déposé une demande de visa auprès de l’ambassade de France en Afghanistan le 19 mars 2013, laquelle a été implicitement rejetée ; que M. D…a déposé une nouvelle demande au mois de juin 2015, pour lui-même, son épouse Mme C…B…et leur fils Aman ; qu’un refus de visa lui ayant été opposé le 24 avril 2016, il a saisi le 10 juin 2016 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France ; que sa demande ayant fait l’objet d’une décision implicite de rejet, M. D…a demandé le 8 octobre 2016 à la commission la communication des motifs du rejet de sa demande ; que M. D… et Mme B…ont formé le 8 octobre 2016 un recours contre ce refus de visa devant le tribunal administratif de Nantes ; qu’après avoir reçu communication des motifs de refus, ils ont, parallèlement, demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution du refus de visa ; que, par une ordonnance du 22 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté leur demande de suspension, aux motifs que les moyens soulevés n’étaient pas propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; que M. D…et Mme B…se pourvoient en cassation contre cette ordonnance ;
3. Considérant, en premier lieu, qu’en jugeant que n’était pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de ce que la réponse apportée par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France à la demande de M. D…n’était pas suffisamment motivée, le juge des référés s’est livré à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dénaturation, et n’a pas commis d’erreur de droit ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes du quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le Préambule de la Constitution : » Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République » ; que si le droit constitutionnel d’asile a pour corollaire le droit de solliciter en France la qualité de réfugié, les garanties attachées à ce droit reconnu aux étrangers se trouvant sur le territoire de la République n’emportent aucun droit à la délivrance d’un visa en vue de déposer une demande d’asile en France ou pour y demander le bénéfice de la protection subsidiaire prévue à l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; que, de même, l’invocation des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à raison de menaces susceptibles d’être encourues à l’étranger ne saurait impliquer de droit à la délivrance d’un visa d’entrée en France ; que le juge des référés n’a, dès lors, pas commis d’erreur de droit et n’a pas dénaturé les pièces du dossier en jugeant que les moyens tirés de la méconnaissance du droit d’asile, de la protection subsidiaire et des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’étaient pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ;
5. Considérant, en troisième lieu, que le juge des référés a pu estimer, sans commettre d’erreur de droit, eu égard à l’office que lui attribuent les articles L. 511-1 et L. 521-1 du code de justice administrative, ni dénaturer les pièces du dossier, que n’était pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision de refus de visa contestée le moyen tiré de la méconnaissance des obligations qui incombent à l’Etat au titre de la protection qu’il doit à ses agents ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que dans les cas où l’administration peut légalement disposer d’un large pouvoir d’appréciation pour prendre une mesure au bénéfice de laquelle l’intéressé ne peut faire valoir aucun droit, il est loisible à l’autorité compétente de définir des orientations générales pour l’octroi de ce type de mesures sans que l’intéressé puisse se prévaloir de telles orientations à l’appui d’un recours formé devant le juge administratif ; qu’il s’ensuit que les orientations générales arrêtées par les autorités françaises en vue de l’accueil en France de certains personnels civils recrutés localement pour servir auprès des forces françaises en Afghanistan ne peuvent être invoquées à l’appui d’un recours devant le juge administratif ; qu’en estimant que le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des critères définis par le dispositif de relocalisation mis en place par les autorités françaises n’était pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, le juge des référés, qui ne s’est pas mépris sur la portée des écritures du requérant, n’a pas commis d’erreur de droit et s’est livré à une appréciation souveraine des faits de l’espèce qui n’est pas entachée de dénaturation ;
7. Considérant, en cinquième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. D…a servi en qualité d’interprète franco-dari auprès des forces françaises au sein du camp de Nijrab dans la province de Kapisa du 7 avril au 31 août 2011 ; qu’il vit désormais à Kaboul ; qu’il indique avoir participé à des patrouilles et opérations à l’extérieur du camp, guidant les forces françaises et les mettant en contact avec la population locale ; que le rôle qu’il a joué en 2014 et en 2015 pour alerter les autorités françaises sur la situation des ex-interprètes et son exposition médiatique à cette occasion, accroissent selon lui le risque qu’il soit victime de représailles ; qu’il affirme avoir fait l’objet, ainsi que ses proches, de menaces de la part des talibans depuis la fin de son contrat ; que le ministre conteste toutefois sa participation à des opérations sur le terrain comme l’existence et la gravité des menaces dont M. D… affirme faire l’objet ; qu’en jugeant, en l’état de l’instruction menée devant lui, que les allégations de l’intéressé n’étaient pas suffisantes pour créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit et s’est livré, sans les dénaturer, à une appréciation souveraine des faits de l’espèce ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. D…et Mme B… ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’ordonnance qu’ils attaquent ; que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu’être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. D…et de Mme B…est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A…D…, à Mme C…B…et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur.