En l’affaire Engel et autres,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 48 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM. H. MOSLER, président,
A. VERDROSS,
M. ZEKIA,
J. CREMONA,
G. WIARDA,
P. O’DONOGHUE,
Mme H. PEDERSEN,
MM. T. VILHJÁLMSSON,
S. PETREN,
A. BOZER,
W.GANSHOF VAN DER MEERSCH,
Mme D. BINDSCHEDLER-ROBERT,
M. D. EVRIGENIS,
ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, et H. PETZOLD, greffier adjoint,
Après avoir délibéré en chambre du conseil les 30 et 31 octobre 1975, puis du 20 au 22 janvier et du 26 au 30 avril 1976,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire Engel et autres a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») et par le gouvernement du Royaume des Pays-Bas (« le Gouvernement »). A son origine se trouvent cinq requêtes dirigées contre le Royaume des Pays-Bas et dont les ressortissants néerlandais Cornelis J.M. Engel, Peter van der Wiel, Gerrit Jan de Wit, Johannes C. Dona et Willem A.C. Schul avaient saisi la Commission en 1971.
2. La demande de la Commission – qui s’accompagnait du rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») – et la requête du Gouvernement ont été déposées au greffe de la Cour dans le délai de trois mois institué par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47), la première le 8 octobre 1974, la seconde le 17 décembre. Elles renvoyaient aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) et à la déclaration par laquelle le Royaume des Pays-Bas a reconnu la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elles ont pour objet d’obtenir une décision de la Cour sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l’État défendeur, un manquement aux obligations qui lui incombent aux termes des articles 5, 6, 10, 11, 14, 17 et 18 de la Convention (art. 5, art. 6, art. 10, art. 11, art. 14, art. 17, art. 18).
3. Le 15 octobre 1974, le président de la Cour a procédé, en présence du greffier, au tirage au sort des noms de cinq des sept juges appelés à former la Chambre compétente, M. G.J. Wiarda, juge élu de nationalité néerlandaise, et M. H. Mosler, vice-président de la Cour, siégeant d’office aux termes de l’article 43 (art. 43) de la Convention et de l’article 21 par. 3 b) du règlement respectivement. Les cinq juges ainsi désignés étaient MM. A. Verdross, M. Zekia, P. O’Donoghue, T. Vilhjálmsson et R. Ryssdal (article 43 in fine de la Convention et article 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
En application de l’article 21 par. 5 du règlement, M. Mosler a assumé la présidence de la Chambre.
4. Le président de la Chambre a recueilli par l’intermédiaire du greffier l’opinion de l’agent du Gouvernement, de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Par une ordonnance du 31 octobre 1974, il a décidé que le Gouvernement présenterait un mémoire dans un délai devant expirer le 14 février 1975 et que les délégués auraient la faculté d’y répondre par écrit dans un délai de deux mois à compter de la réception dudit mémoire. Le 22 janvier 1975, il a prorogé jusqu’au 1er avril le délai ainsi accordé au Gouvernement.
Le mémoire du Gouvernement est arrivé au greffe le 1er avril, celui des délégués le 30 mai 1975.
5. Par une ordonnance du 30 juin 1975, le président a fixé au 28 octobre la date d’ouverture des audiences, après avoir consulté l’agent du Gouvernement et les délégués de la Commission par l’intermédiaire du greffier.
6. Réunie à huis clos le 1er octobre 1975 à Strasbourg, la Chambre a décidé, en vertu de l’article 48 du règlement, de se dessaisir, avec effet immédiat, au profit de la Cour plénière, « considérant que l’affaire soulev(ait) des questions graves qui touch(aient) à l’interprétation de la Convention (…) ». En même temps, elle a pris note de l’intention des délégués de la Commission de se faire assister pendant la procédure orale par l’ancien représentant des requérants devant la Commission, Me van der Schans, qu’elle a autorisé à s’exprimer en néerlandais (articles 29 par. 1 in fine et 27 par. 3 du règlement).
7. Le 27 octobre 1975, la Cour a tenu une réunion consacrée à la préparation de la phase orale de la procédure. A cette occasion, elle a dressé deux listes de demandes et questions qu’elle a communiquées aux comparants. Les documents ainsi demandés ont été déposés par la Commission le jour même et par le Gouvernement le 21 novembre 1975.
8. Les débats se sont déroulés en public les 28 et 29 octobre 1975 à Strasbourg, au Palais des Droits de l’Homme.
Ont comparu devant la Cour:
– pour le Gouvernement:
M. C.W. VAN SANTEN, jurisconsulte adjoint
au ministère des affaires étrangères, agent;
M. C.W. VAN BOETZELAER VAN ASPEREN, représentant
permanent des Pays-Bas
auprès du Conseil de l’Europe, agent suppléant;
M. E. DROOGLEEVER FORTUIJN, Landsadvocaat,
M. R.J. AKKERMAN, fonctionnaire
au ministère de la défense,
M. W. BREUKELAAR, fonctionnaire
au ministère de la justice,
M. J.J.E. SCHUTTE, fonctionnaire
au ministère de la justice,
M. A.D. BELINFANTE, professeur
à l’Université d’Amsterdam, conseillers;
– pour la Commission:
M. J.E.S. FAWCETT, délégué principal,
M. F. ERMACORA, délégué,
Me E. VAN DER SCHANS, ancien représentant des requérants
devant la Commission, assistant les délégués en vertu de
l’article 29 par. 1, deuxième phrase, du règlement de la
La Cour a ouï en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par elle, M. Fawcett, M. Ermacora et Me van der Schans pour la Commission et, pour le Gouvernement, MM. van Santen, Droogleever Fortuijn et Belinfante.
9. Le 30 octobre, la Commission a produit certains documents que ses représentants avaient mentionnés lors des audiences.
10. Sur les instructions de la Cour, le greffier a prié la Commission, les 3 et 13 novembre 1975, de lui fournir des précisions au sujet d’un point particulier de l’affaire; elle les lui a données les 4 et 14 novembre.
FAITS
11. Les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
12. Au moment où ils ont saisi la Commission, tous les requérants accomplissaient leur service militaire dans les forces armées néerlandaises en qualité d’homme de troupe ou de sous-officier. Leurs chefs de corps les avaient frappés, dans des circonstances distinctes, de diverses sanctions pour des infractions à la discipline militaire. Les requérants s’en étaient plaints à l’officier de recours (beklagmeerdere), puis à la Haute Cour militaire (HoogMilitairGerechtshof) qui avait confirmé pour l’essentiel les décisions attaquées, mais réduit dans deux cas la peine infligée.
LE SYSTEME DU DROIT DISCIPLINAIRE MILITAIRE AUX PAYS BAS
13. A l’époque des mesures litigieuses, le droit disciplinaire concernant l’armée néerlandaise figurait dans la loi du 27 avril 1903 sur la discipline militaire (Wetop de Krijgstucht, « la loi de 1903 »), le règlement de discipline militaire du 31 juillet 1922 (Reglementbetreffende de Krijgstucht), le code pénal militaire du 27 avril 1903 (Wetboek van MilitairStrafrecht) et le code de procédure des armées de terre et de l’air dans sa version du 9 janvier 1964 (Rechtsplegingbij de Land- en Luchtmacht).
Ce régime juridique a évolué au cours des années. En particulier certaines clauses de la loi de 1903, appliquées en l’espèce, ont été abrogées ou amendées par une loi du 12 septembre 1974, entrée en vigueur le 1er novembre 1974.
14. A côté du droit disciplinaire, il existe aux Pays-Bas un droit pénal militaire. Les procédures auxquelles donne lieu celui-ci se déroulent en première instance devant un conseil de guerre (Krijgsraad) puis, le cas échéant, en appel devant la Haute Cour militaire.
Les développements qui suivent se rapportent uniquement au droit disciplinaire militaire. Comme le droit pénal militaire, il vaut tant pour les appelés du contingent, tels les requérants, que pour les volontaires.
Les infractions disciplinaires militaires
15. Les infractions à la discipline militaire se trouvent définies à l’article 2 de la loi de 1903 comme étant:
« 1. tout acte non visé par la législation pénale, mais contraire à un ordre ou règlement officiels ou incompatible avec l’ordre et la discipline militaires;
2. toute infraction pénale relevant de la compétence du juge militaire, dans la mesure où elle est incompatible avec l’ordre et la discipline militaires, mais en même temps assez légère pour pouvoir faire l’objet d’une procédure non pénale. »
Le règlement de discipline militaire du 31 juillet 1922 énonce les principes fondamentaux de celle-ci (article 15 par. 2). D’après l’article 16 par. 1, la compatibilité du comportement d’un membre des forces armées avec l’ordre et la discipline militaires doit s’apprécier par référence aux considérations générales exposées dans la première partie dudit règlement.
Les articles 17 à 26 énumèrent – à titre d’exemples, ainsi que le précise l’article 16 par. 2 – des infractions à la discipline militaire: appartenance à des organisations extrémistes, inobservation du secret, détention et diffusion d’écrits répréhensibles, manifestation de mécontentement, manquement aux devoirs militaires, absence non autorisée, comportement incorrect ou insoumis, atteinte à la propriété, manquement au devoir d’assistance, négligence en matière d’hygiène et de propreté, manquement aux devoirs de garde et de patrouille, etc.
Plusieurs de ces actions et omissions constituent en même temps des infractions pénales réprimées par le code pénal militaire, telles l’absence non autorisée d’un jour ou plus (article 96), la non-exécution d’un ordre militaire (article 114) et la diffusion d’écrits répréhensibles (article 147).
D’après l’article 8 du code de procédure des armées de terre et de l’air, l’officier compétent prononce une sanction disciplinaire s’il estime l’intéressé coupable d’une infraction qui peut être réglée en dehors d’une procédure pénale.
Les sanctions et mesures disciplinaires militaires
16. À l’époque considérée, les dispositions relatives aux diverses sanctions encourues par les auteurs d’infractions disciplinaires figuraient aux articles 3 à 5 de la loi de 1903.
La nature des sanctions dépendait du grade du coupable. Ainsi, les principales peines disciplinaires applicables aux officiers étaient, d’après l’article 3-A, la réprimande, « les arrêts simples (lichtarrest) pendant 14 jours au maximum » et « les arrêts de rigueur (strengarrest) pendant 14 jours au maximum ». Pour les sous-officiers, l’article 4-A prévoyait notamment la réprimande, la consigne au quartier pendant la nuit, « les arrêts simples pendant 21 jours au maximum », « les arrêts aggravés (verzwaardarrest) pendant 14 jours au maximum » et « les arrêts de rigueur pendant 14 jours au maximum ». Selon l’article 5-A, les hommes de troupe étaient passibles en gros des mêmes peines que les sous-officiers plus, pour les simples soldats, « l’affectation à une unité disciplinaire » (plaatsing in eentuchtklasse). Aux termes de l’alinéa B de chacun de ces articles, tout militaire pouvait en outre se voir infliger la perte de sa solde comme « peine supplémentaire ».
17. Sous l’empire de la loi de 1903, les modalités d’exécution des peines disciplinaires variaient elles aussi en fonction du grade.
18. L’exécution des arrêts simples était régie par l’article 8:
« Les arrêts simples sont subis:
A. Par les officiers:
1. à terre: chez eux, sous leur tente ou dans leur quartier ou, en cas de bivouac, au lieu désigné par le chef de corps;
2. (…)
B. Par les sous-officiers et hommes de troupe:
1. à terre: à la caserne, au quartier ou chez eux ou, en cas de cantonnement, campement ou bivouac, au lieu désigné par le chef de corps;
2. (…)
(…)
Les militaires mis aux arrêts simples ne sont pas écartés de l’accomplissement du service. »
En conséquence, un militaire aux arrêts simples devait d’ordinaire, quel que fût son grade, rester chez lui en dehors de ses heures de service s’il ne logeait pas à la caserne; il se trouvait consigné à l’intérieur de celle-ci dans le cas contraire.
Les officiers et sous-officiers logeaient d’habitude à l’extérieur de la caserne, tandis que les hommes de troupe avaient en droit l’obligation d’y loger. En pratique, les hommes de troupe jouissaient depuis quelque temps d’une certaine liberté de mouvement le soir entre cinq heures et minuit et en fin de semaine. Ils en profitaient fréquemment pour séjourner dans leur famille, mais il n’en résultait pas qu’ils ne fussent plus astreints à loger à la caserne.
A la différence d’un officier ou sous-officier, un homme de troupe ne pouvait donc pas, en général, subir les arrêts simples chez lui, de sorte qu’il perdait le privilège de regagner ses foyers en dehors de ses heures de service. Se trouvaient dans la même situation les appelés autorisés à loger à l’extérieur de la caserne: d’après l’article 123 du règlement relatif au service dans l’armée royale de terre (Reglementop de InwendigeDienst der KoninklijkeLandmacht), l’autorisation était suspendue notamment en cas d’arrêts disciplinaires; toutefois, cette disposition, jugée contraire à la loi de 1903, a disparu en 1974.
Le militaire purgeant des arrêts simples à la caserne avait la faculté de recevoir des visites, correspondre et téléphoner; il pouvait circuler librement dans la caserne en dehors de ses heures de service et par exemple se rendre au cinéma, à la cantine ou aux autres salles de loisirs.
19. L’exécution des arrêts aggravés, lesquels valaient seulement pour les sous-officiers et hommes de troupe, obéissait à l’article 9 de la loi de 1903. Les intéressés continuaient d’assurer leur service, mais le reste du temps ils devaient demeurer, en compagnie d’autres militaires frappés de la même peine, dans un local spécialement désigné mais non fermé à clef. Ils pouvaient recevoir des visites avec l’autorisation écrite du commandant de compagnie. A la différence des arrêts simples, les arrêts aggravés ne leur laissaient pas la liberté de circuler à l’intérieur de la caserne pour se rendre au cinéma, à la cantine ou aux salles de loisirs. Les hommes de troupe devaient autant que possible être séparés de leurs camarades (afzondering) pendant la nuit.
20. Quant aux arrêts de rigueur, leur exécution faisait l’objet de l’article 10 de la loi de 1903. Les officiers les subissaient, pendant leurs heures de service comme en dehors d’elles, de la même manière que les arrêts simples, c’est-à-dire d’ordinaire en restant chez eux, alors que sous-officiers et hommes de troupe étaient enfermés dans une cellule. Les militaires de tout grade étaient écartés de l’accomplissement de leur service normal.
21. Les articles 18 et 19 de la loi de 1903 avaient trait à l’exécution de ce qui constituait à l’époque la sanction disciplinaire la plus lourde, applicable uniquement aux simples soldats: l’affectation à une unité disciplinaire (plaatsing in eentuchtklasse). Cette peine consistait à imposer au condamné une discipline plus stricte que d’habitude en l’envoyant dans un établissement spécialement désigné à cette fin (article 18). D’après l’article 19, elle valait pour une période allant de trois à six mois et fixée au moment de son prononcé. A cet égard seulement, elle se distinguait de l’affectation à une unité de correction (plaatsing in eenstrafklasse), peine complémentaire qui, d’après l’article 27 du code pénal militaire, pouvait être infligée à un militaire dans le cadre d’une procédure pénale pour une durée de trois mois à deux ans.
L’affectation à une unité disciplinaire retardait d’ordinaire le retour de l’intéressé à la vie civile lorsqu’elle survenait vers la fin de son service. Son exécution était régie par un décret du 14 juin 1971 (Besluitstraf- en tuchtklassenvoor de krijgsmacht) qui concernait à la fois l’affectation à une unité de correction et, en principe (article 57), l’affectation à une unité disciplinaire. Quiconque purgeait une telle peine était soustrait à sa propre unité pour être placé dans un groupe spécial et séparé; restreint dans sa liberté de mouvement, il y accomplissait son service militaire sous surveillance constante et l’on s’attachait à l’éduquer (articles 17, 18 et 20).
Les unités se divisaient en trois sections. Les condamnés séjournaient en principe trente jours dans chacune des deux premières, mais ces périodes pouvaient être prolongées ou abrégées selon leur comportement (articles 26 et 27). Autant que possible, ils y passaient la nuit séparés les uns des autres (afgezonderd, article 28). Dans la première section, ils pouvaient recevoir des visites deux fois par mois et étudier en dehors des heures de service (article 29). Dans la deuxième, ils jouissaient en outre d’une certaine liberté de mouvement les samedis et dimanches et pouvaient se rendre au moins deux fois par semaine à la cantine et/ou à la salle de récréation le soir après le service (article 30). Dans la troisième, ils bénéficiaient d’un régime sensiblement moins rigoureux (article 31).
22. D’après l’article 20 de la loi de 1903, un militaire condamné à être affecté à une unité disciplinaire pouvait pour ce motif être mis aux arrêts après le prononcé de peine et y rester jusqu’à son arrivée à l’établissement où il devait la subir. N’importe laquelle des trois formes d’arrêts décrites plus haut pouvait apparemment être infligée en vertu de ce texte.
Nulle disposition du droit disciplinaire militaire ne limitait, fixait par avance ou réglementait d’une autre manière la durée de ces arrêts de caractère transitoire, ni ne mentionnait la possibilité de l’imputer sur celle de l’affectation à une unité disciplinaire.
23. Les sanctions disciplinaires infligées à un militaire pouvaient être prises en considération lorsque se posait, par exemple, la question de sa promotion. En revanche, elles ne figuraient pas au casier judiciaire; selon les renseignements recueillis par la Cour à l’audience du 28 octobre 1975, elles n’entraînaient pas de conséquence juridique sur la vie civile.
24. La loi du 12 septembre 1974 a uniformisé pour tous les grades tant l’éventail des peines disciplinaires que leurs modalités d’exécution. Elle abolit les arrêts de rigueur et l’affectation à une unité disciplinaire. Avant même son entrée en vigueur (1er novembre 1974), ces peines étaient tombées en désuétude à la suite d’une instruction ministérielle.
Outre la réprimande subsistent les arrêts simples et les arrêts aggravés, mais leur durée ne peut plus excéder quatorze jours et les officiers sont désormais passibles eux aussi des arrêts aggravés (articles 3, 8 et 9 de la loi de 1974) qui constituent à présent la peine disciplinaire la plus lourde. La loi de 1974 introduit trois autres peines: un service supplémentaire d’une à deux heures par jour, l’obligation de passer la nuit à la caserne ou au cantonnement et l’amende.
La procédure disciplinaire militaire
25. Les articles 39 à 43 de la loi de 1903 précisent qui a qualité pour prononcer des peines disciplinaires. Il s’agit normalement de l’officier commandant l’unité de l’intéressé. Il instruit l’affaire et entend le militaire en cause (article 46 de la loi de 1903); il interroge des témoins et experts si cela se révèle nécessaire.
Pour chaque infraction commise, l’officier choisit parmi les diverses peines prévues par la loi celle qu’il y a lieu d’infliger. « En décidant de la nature et de la rigueur des peines disciplinaires », il doit être « à la fois juste et sévère », tenir « compte des circonstances de l’infraction ainsi que du caractère et du comportement habituel de l’auteur » et statuer « en son âme et conscience » (article 37 de la loi de 1903).
26. D’après l’article 44 de la loi de 1903, tout supérieur ayant des raisons suffisantes de penser qu’un subordonné a gravement enfreint la discipline militaire a le droit, au besoin, de lui notifier sa mise aux arrêts provisoires (voorlopigarrest), notification à laquelle l’intéressé doit se conformer aussitôt. Subis d’ordinaire selon les modalités applicables aux arrêts simples, les arrêts provisoires s’effectuent cependant de la même manière que les arrêts aggravés ou (avant la loi de 1974) de rigueur si les intérêts de l’enquête ou la défense de l’ordre l’exigent. Le militaire en question ne peut en principe assurer son service hors du lieu où il se trouve confiné. Les arrêts provisoires ne peuvent dépasser vingt-quatre heures (article 45) et le supérieur hiérarchique de l’officier qui les a imposés peut les lever après avoir entendu celui-ci (article 49). Ils peuvent être imputés, en entier ou en partie, sur la peine infligée.
27. Aux termes de l’article 61 de la loi de 1903, le militaire frappé d’une sanction disciplinaire peut, sauf si elle a été prononcée par une juridiction militaire, contester sa peine ou les motifs de celle-ci devant l’officier de recours. Il ne s’agit pas d’un officier spécialisé, mais du supérieur hiérarchique de l’officier dont émane la décision initiale; toutefois, il est en général assisté par un collègue juriste, notamment (avant la loi de 1974) dans les cas d’affectation à une unité disciplinaire.
Le plaignant doit présenter son recours dans un délai de quatre jours; s’il se trouve aux arrêts, il peut à sa demande consulter d’autres personnes désignées par lui (trois au maximum), sauf si le chef de corps estime leur présence inopportune (article 62).
L’officier de recours examine l’affaire dès que possible. Il interroge des témoins et experts dans la mesure où il le juge nécessaire; il entend le plaignant et l’officier qui l’a puni, après quoi il rend et leur communique une décision motivée (article 65).
28. Si le ministre de la défense peut différer l’exécution d’une peine disciplinaire en raison de circonstances spéciales, le recours contre la décision imposant celle-ci n’a pas d’effet suspensif. L’article 64 de la loi de 1903 prévoyait une exception pour l’affectation à une unité disciplinaire; le recours de l’intéressé n’entraînait cependant pas la suspension, ni la levée, d’arrêts transitoires ordonnés en vertu de l’article 20.
29. Si l’officier de recours n’annule pas la peine, le plaignant peut en appeler à la Haute Cour militaire dans un délai de quatre jours (article 67 de la loi de 1903).
30. Promulguée le 20 juillet 1814 mais amendée à maintes reprises depuis lors, l' »instruction provisoire » sur la Haute Cour militaire (ProvisioneleInstructievoorhetHoogMilitairGerechtshof) régit la composition et le fonctionnement de cette juridiction. D’après l’article 1, la Cour a son siège à La Haye et comprend six membres: deux civils juristes, dont un la préside, et quatre officiers. Un procureur d’État aux forces armées (advocaat-fiscaalvoor de Krijgsmacht) et un greffier lui sont affectés.
Les membres civils (article 2 de l' »instruction provisoire ») doivent être conseillers à la Cour suprême (HoogRaad) ou à la Cour d’appel (Gerechtshof) de La Haye et les articles 11, 12, 13 et 15 de la loi du 18 avril 1827 sur l’organisation judiciaire (Wetop de RechterlijkeOrganisatie), relatifs notamment à la durée des fonctions et aux motifs de destitution, valent pour eux. Ils sont nommés par le souverain sur la double recommandation des ministres de la justice et de la défense; leur mandat a la même durée que celui des conseillers à la Cour suprême ou à une cour d’appel.
Les membres militaires (article 2 a) de l' »instruction provisoire »), qui ne doivent pas avoir moins de trente ans ni plus de soixante-dix, sont également désignés par le souverain sur la double recommandation des ministres de la justice et de la défense. Ils peuvent aussi être révoqués de la sorte. En théorie, on peut donc les déplacer sans observer les strictes exigences et garanties imposées par la loi sur l’organisation judiciaire en ce qui concerne les membres civils. D’après le Gouvernement, leur nomination est d’habitude la dernière de leur carrière; dans l’exercice de cette fonction, ils ne relèvent d’aucune autorité supérieure et n’ont pas à rendre compte de leurs actes à la hiérarchie militaire.
Lors de leur entrée en fonctions, tous les membres de la Cour prêtent un serment qui les oblige notamment à être justes, honnêtes et impartiaux (article 9 de l' »instruction provisoire »). Sans doute les membres militaires continuent-ils d’appartenir aux forces armées et restent-ils liés, en cette qualité, par leur serment d’officier qui leur commande entre autres d’obéir aux ordres de leurs supérieurs, mais ce serment les astreint aussi à respecter la loi, y compris de manière générale les prescriptions applicables à la Haute Cour militaire et en particulier l’engagement d’impartialité des juges.
31. Les affaires ne sont jamais examinées par un juge unique, mais seulement par la Cour in corpore. Elle doit les traiter dès que possible; elle entend le demandeur et, au besoin, l’officier ayant infligé la peine, l’officier de recours et tout témoin ou expert dont elle désire recueillir la déposition (article 56 de l' »instruction provisoire »). Elle contrôle la décision de l’officier de recours pour les faits comme pour le droit; elle n’a en aucun cas compétence pour aggraver la sanction (article 58).
Alors qu’en matière pénale ses débats se déroulent en public (article 43 de l' »instruction provisoire » et paragraphe 14 ci-dessus), la Cour siège à huis clos en matière disciplinaire. En revanche, elle statue en public; son arrêt, motivé, est communiqué à l’officier de recours, à l’officier ayant prononcé la peine initiale et au militaire requérant (article 59).
32. A l’époque des mesures incriminées en l’espèce, aucune disposition légale ne prévoyait la représentation juridique du plaignant. Ainsi que l’explique un rapport, daté du 23 décembre 1970, du greffier en exercice de la Haute Cour militaire, celle-ci octroyait néanmoins en pratique une assistance judiciaire dans certains cas où l’on pensait que l’intéressé ne pourrait faire face lui-même aux problèmes juridiques particuliers soulevés par son recours. Tel était le cas, spécialement, quand il invoquait la Convention. L’assistance ne valait cependant que pour des problèmes juridiques de ce genre.
La situation a changé en 1973: d’après une instruction ministérielle du 7 novembre 1973 (Regelingvertrouwensman – KL), un militaire accusé d’une infraction disciplinaire peut bénéficier de l’aide d’un « homme de confiance » (vertrouwensman) à tous les stades de la procédure, voire d’un avocat si l’affaire passe devant la Haute Cour militaire (articles 1, 17 et 18 de l’instruction).
LES FAITS PROPRES A CHACUN DES REQUERANTS
M. Engel
33. En mars 1971, M. Engel servait dans l’armée néerlandaise avec le grade de sergent. Il logeait en fait à son domicile en dehors du service. Le requérant était membre de l’Association des appelés (Vereniging van DienstplichtigeMilitairen – V.V.D.M.) qui, créée en 1966, tend à défendre les intérêts des appelés. Reconnue par le Gouvernement comme interlocuteur dans ce domaine, elle groupait environ les deux tiers des appelés.
Candidat à la vice-présidence de la V.V.D.M., M. Engel pria son commandant de compagnie, le 12 mars, de lui permettre de s’absenter le 17 pour assister, à Utrecht, à une assemblée générale au cours de laquelle l’élection devait se dérouler. Il ne mentionna cependant pas sa candidature.
Par la suite, il tomba malade et resta chez lui sur les instructions de son médecin qui lui accorda congé jusqu’au 18 mars et lui permit de quitter son domicile le 17. Le 16 mars, le commandant de compagnie eut un entretien avec son chef de bataillon; ils convinrent de ne prendre aucune décision au sujet de la demande susmentionnée, en attendant d’avoir des nouvelles du requérant qui n’avait signalé ni départ ni retour. Le lendemain, toutefois, un contrôle eut lieu chez le requérant et l’on constata qu’il n’était point là. De fait, il était allé à la réunion de la V.V.D.M. et y avait été élu vice-président.
34. Le 18 mars, M. Engel réintégra son unité; le jour même, son commandant de compagnie le punit de quatre jours d’arrêts simples pour avoir été absent de son domicile la veille.
Le requérant estima que cette sanction constituait une grave ingérence dans sa vie privée en ce qu’elle l’empêchait de préparer comme il le fallait son examen de doctorat à l’Université d’Utrecht, fixé au 24 mars. Il aurait essayé plusieurs fois, le 18 mars, d’en parler à un officier, mais en vain. Pensant que d’après les règlements militaires il était loisible aux sous-officiers de subir leurs arrêts simples dans leurs foyers, il sortit de la caserne dans la soirée et demeura la nuit chez lui. Le lendemain, son commandant de compagnie lui infligea cependant trois jours d’arrêts aggravés pour avoir passé outre à sa première peine.
Le requérant, qui venait d’apprendre qu’on l’avait rétrogradé au rang de simple soldat à compter du 1er avril 1971, quitta derechef la caserne dans la soirée et regagna son domicile. Appréhendé le samedi 20 mars par la police militaire, il resta pendant approximativement deux jours aux arrêts de rigueur, à titre provisoire, en vertu de l’article 44 de la loi de 1903 (paragraphe 26 ci-dessus). Le lundi 22 mars, son commandant de compagnie le frappa de trois jours d’arrêts de rigueur pour avoir méconnu ses deux peines antérieures.
35. Une décision ministérielle suspendit l’exécution de ces peines pour laisser le requérant se présenter à son examen de doctorat qu’il réussit le 24 mars 1971. En outre, M. Engel se plaignit à l’officier de recours, les 21, 22 et 25 mars, des sanctions que son commandant de compagnie lui avait imposées. Ledit officier décida le 5 avril, après avoir entendu les parties, de ramener la première peine de quatre jours d’arrêts simples à une réprimande, la deuxième de trois jours d’arrêts aggravés à trois jours d’arrêts simples et la troisième à deux jours d’arrêts de rigueur au lieu de trois. Dans les deux derniers cas, il se fonda sur le fait qu’il avait réduit la ou les peines précédentes et sur la forte tension que le requérant avait manifestement subie en raison de l’imminence de son examen. L’officier de recours décida en outre que M. Engel serait censé avoir purgé sa peine de deux jours d’arrêts de rigueur du 20 au 22 mars, pendant ses arrêts provisoires.
36. Le 7 avril 1971, le requérant se pourvut devant la Haute Cour militaire contre la décision de l’officier de recours en invoquant entre autres la Convention en termes généraux. La Cour l’entendit et recueillit l’avis du procureur d’État aux forces armées. Le 23 juin 1971, soit trois mois environ après les mesures disciplinaires litigieuses, elle confirma la décision attaquée. Se référant à l’article 5 par. 1 b) (art. 5-1-b) de la Convention, elle jugea que la détention du requérant avait été régulière et avait pour but de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi. Le système instauré par la loi de 1903 et les règlements applicables exigeait en effet que tout militaire se pliât à la discipline militaire et contribuât à la préserver. Le respect de cette obligation pouvait être assuré par l’imposition de peines disciplinaires selon les voies prévues par ladite loi. Dès lors, les deux jours d’arrêts de rigueur infligés au requérant se justifiaient pour garantir l’exécution de ladite obligation.
A aucun stade de la procédure engagée contre lui le requérant n’avait bénéficié de l’assistance d’une personne dotée d’une formation juridique; l’examen du dossier ne permet pas de déterminer s’il l’avait demandée.
M. van der Wiel
37. Au moment où il a saisi la Commission, M. van der Wiel servait dans l’armée néerlandaise avec le grade de caporal. Dans la matinée du 30 novembre 1970, il se présenta avec environ quatre heures de retard. Sa voiture était tombée en panne pendant sa permission de fin de semaine et il l’avait fait réparer avant de rejoindre son unité, au lieu de prendre le premier train. Pour ce motif, son commandant de compagnie par intérim le frappa le jour même de quatre jours d’arrêts simples. Le lendemain, il révisa le motif précité de manière à relever que le requérant n’avait pas au préalable sollicité auprès de son commandant de compagnie l’autorisation de s’absenter.
38. Le 2 décembre, le requérant se plaignit à l’officier de recours en invoquant, entre autres, les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention. Il alléguait à ce sujet qu’il avait été privé de sa liberté par une décision qui, contrairement aux exigences de l’article 5 (art. 5), n’émanait pas d’une autorité judiciaire; qu’en outre sa cause n’avait pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial (article 6 par. 1) (art. 6-1); qu’il ne disposait pas du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (par. 3 b) de l’article 6) (art. 6-3-b), ni ne bénéficiait d’une assistance juridique (par. 3 c) de l’article 6) (art. 6-3-c).
39. Le beklagmeerdere ayant rejeté le recours le 16 décembre, le requérant se pourvut le 18 devant la Haute Cour militaire. Assisté du sergent Reintjes, avocat, il fut entendu par elle le 17 mars 1971; elle recueillit l’avis du procureur d’État aux forces armées, après quoi elle annula la décision de l’officier de recours mais confirma la peine de quatre jours d’arrêts simples infligée au requérant pour les motifs indiqués à l’origine le 30 novembre 1970.
La Cour jugea d’abord que l’article 6 (art. 6) de la Convention ne jouait pas dans une affaire où il ne s’agissait pas de statuer sur une accusation en matière pénale, ni sur une contestation relative à des droits et obligations de caractère civil. Se référant à la définition des infractions disciplinaires militaires, telle que la donne l’article 2 de la loi de 1903 (paragraphe 15 ci-dessus), elle en déduisit que la procédure disciplinaire ne tombait manifestement pas sous le coup de l’article 6 (art. 6). Elle n’estima pas non plus fondée la thèse du requérant selon laquelle une mesure disciplinaire imposée à un appelé revêtait en réalité un caractère pénal puisque le condamné n’avait pas volontairement accepté la compétence des autorités militaires.
Quant aux griefs présentés sur le terrain de l’article 5 (art. 5), la Cour commença par relever que quatre jours d’arrêts simples ne constituaient pas une « privation de liberté ». Elle ajouta en ordre subsidiaire que la peine litigieuse tendait à « garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi », au sens de l’article 5 par. 1 b) (art. 5-1-b).
40. M. van der Wiel n’avait bénéficié d’aucune assistance juridique pendant les deux premières phases de la procédure; celle qu’on lui accorda devant la Haute Cour militaire se limitait aux aspects juridiques de l’affaire, conformément à la pratique décrite plus haut (paragraphe 32 ci-dessus).
M. de Wit
41. Au moment où il a saisi la Commission, M. de Wit servait dans l’armée néerlandaise comme simple soldat. Le 22 février 1971, son commandant de compagnie le condamna à trois mois d’affectation à une unité disciplinaire pour les motifs suivants: le 11 février 1971, le requérant avait piloté une jeep d’une manière inconsidérée sur un sol accidenté, à une vitesse horaire approximative de 40 à 50 km; il n’avait pas immédiatement exécuté les ordres reçus, à savoir aller chercher un camion à un endroit donné, mais n’y avait obéi qu’une fois stoppé, questionné au sujet de sa mission et sommé de l’accomplir aussitôt; en raison de ses écarts répétés de conduite et de ses manquements réitérés à la discipline, il avait déjà été averti qu’il risquait d’être affecté à une telle unité.
Le 25 février, le requérant se plaignit à l’officier de recours en alléguant, entre autres, des violations de la Convention. Il fut entendu par cet officier le 5 mars; il se trouvait assisté du soldat Eggenkamp, avocat, membre du comité central de la V.V.D.M., assistance qu’on lui avait accordée du fait qu’il invoquait la Convention. L’officier interrogea en outre six témoins, dont un à décharge, le soldat de Vos, puis confirma la peine tout en en modifiant légèrement les motifs; quant aux griefs formulés sur le terrain de la Convention, il les rejeta en se référant à un arrêt rendu par la Haute Cour militaire le 13 mai 1970.
Le 11 mars, le requérant attaqua cette décision devant ladite Cour. En application de l’article 64 de la loi de 1903, ses recours successifs suspendirent l’exécution de sa peine (paragraphe 28 ci-dessus). La Cour ouït le requérant et son conseil juridique susmentionné; elle recueillit aussi l’avis du procureur d’État aux forces armées. Le 28 avril 1971, elle ramena la peine à douze jours d’arrêts aggravés – que l’intéressé purgea par la suite – en s’abstenant de mentionner la conduite passée du requérant; elle estima que l’affectation à une unité disciplinaire pour trois mois constituait en l’occurrence une sanction trop lourde.
42. Le requérant allègue que l’audition de deux autres témoins à décharge, les soldats Knijkers et Dokestijn, a été empêchée en l’espèce à tous les stades. Il se plaint de surcroît de n’avoir bénéficié d’une assistance judiciaire que pour les aspects juridiques de sa cause.
MM. Dona et Schul
43. Au moment où il a saisi la Commission, M. Dona servait dans l’armée néerlandaise comme simple soldat. Rédacteur d’une revue ronéotypée de la V.V.D.M., « Alarm », publiée à la caserne « Général Spoor » d’Ermelo, il avait contribué notamment à en préparer le no 8 de septembre 1971. En vertu d’un décret ministériel du 21 décembre 1967 relatif à la « diffusion d’écrits », le commandant de la caserne interdit à titre provisoire la distribution de ce numéro dont il estimait le contenu incompatible avec la discipline militaire.
Le 28 septembre, une commission de deux officiers se réunit sur les instructions du commandant pour enquêter sur la parution du numéro litigieux; elle entendit, entre autres, le requérant.
Le 8 octobre 1971, ce dernier fut condamné par son supérieur hiérarchique compétent à trois mois d’affectation à une unité disciplinaire pour avoir participé à l’édition et à la diffusion d’une publication de nature à saper la discipline. La décision se fondait sur l’article 2 par. 2 de la loi de 1903, combiné avec le premier alinéa de l’article 147 du code pénal militaire, aux termes duquel
« Est passible d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas trois ans quiconque tente de saper la discipline des forces armées au moyen d’un signal, d’un signe, d’une mimique, d’un discours, d’une chanson, d’un écrit ou d’un dessin, ou, connaissant la portée d’un tel écrit ou dessin, le diffuse, l’expose, l’affiche ou en détient des stocks afin de les diffuser. »
Intitulé « Le droit du plus fort » (Hetrecht van de sterkste), l’article incriminé du no 8 d' »Alarm » faisait allusion à une manifestation qui s’était déroulée à Ermelo le 13 août 1971, à l’initiative du comité exécutif de la V.V.D.M. Selon Me van der Schans, elle s’était achevée presque aussitôt car les manifestants avaient regagné très vite leurs quartiers, le commandant de place leur ayant promis que dans ce cas il n’y aurait pas de sanctions disciplinaires. Quelques soldats auraient cependant été mutés peu après pour avoir été mêlés à l’incident.
Les passages qui provoquèrent la sanction disciplinaire du 8 octobre 1971 se lisaient ainsi:
(a) « Un certain général Smits écrit à ses ‘inférieurs’: ‘Je ferai tout pour vous empêcher de violer la LOI’! Or c’est justement lui qui porte la responsabilité de la mutation de Daalhuisen et Duppen. Pourtant, vous le savez, des mesures ne doivent jamais revêtir la forme d’une punition déguisée. Le général a le culte de la loi … tant qu’elle lui convient. »;
(b) « (…) outre les sanctions ordinaires, les chefs de l’armée disposent d’une série complète de mesures – la mutation n’est que l’une d’elles – pour museler les soldats. Des questions parlementaires n’y mettent pas un terme; elles les rendent au mieux plus prudents. Cela ne cessera que quand ces gens, qui ne savent montrer leur autorité que par des châtiments et l’intimidation, devront chercher un travail normal. »
44. La décision ordonnant l’affectation du requérant à une unité disciplinaire se référait aux extraits précités. En outre, elle prenait en considération des circonstances aggravantes: M. Dona avait contribué à la publication du no 6 de la revue, qui avait également été interdit, en vertu du décret relatif à la « diffusion d’écrits », à cause de son contenu répréhensible; il avait participé de surcroît aux manifestations d’Ermelo et notamment publié à leur occasion un pamphlet, ce qui lui avait valu une peine d’arrêts de rigueur le 13 août 1971.
45. Simple soldat de l’armée néerlandaise au moment où il a saisi la Commission, M. Schul était lui aussi rédacteur d' »Alarm ». Les faits le concernant sont les mêmes que pour M. Dona, à ceci près que sa peine initiale s’élevait à quatre mois d’affectation à une unité disciplinaire car, circonstance aggravante supplémentaire, il avait participé à la publication d’un « bulletin d’information » destiné aux jeunes recrues et dont la diffusion avait été prohibée en raison de son contenu négatif.
46. Dès le 8 octobre 1971, les deux requérants annoncèrent qu’ils se plaindraient de leur peine. A les en croire, on leur demanda ensuite de s’abstenir de toute nouvelle publication pendant la procédure ouverte contre eux. Selon le Gouvernement, on les invita seulement à ne pas publier d’autres articles tendant à saper la discipline militaire. Les requérants ont répliqué devant la Cour qu’ils n’avaient aucunement l’intention d’écrire de tels articles et qu’ils l’avaient souligné le 28 septembre 1971 devant la commission d’enquête. Suivant le rapport de cette dernière, M. Dona avait déclaré qu’il n’avait point pour but de rédiger des articles dont il prévoyait l’interdiction, et M. Schul s’était exprimé ainsi: « Quand nous publions des pamphlets de ce genre, notre intention n’est pas qu’ils soient interdits, mais au contraire qu’ils soient lus. Le risque de les voir interdire est grand. »
Quoi qu’il en soit, les requérants refusèrent de souscrire l’engagement proposé et furent alors mis l’un et l’autre aux arrêts aggravés, en vertu de l’article 20 de la loi de 1903.
47. Les requérants se plaignirent de leur peine à l’officier de recours, mais il la confirma le 19 octobre tout en en modifiant légèrement les motifs dans le cas de M. Dona. Il rejeta leurs thèses, notamment quant aux articles 5, 6 et 10 (art. 5, art. 6, art. 10) de la Convention, en se référant, pour les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6), à une décision de la Haute Cour militaire du 13 mai 1970. Il précisa en outre que les requérants devaient rester aux arrêts transitoires en vertu de l’article 20 de la loi de 1903.
48. Invoquant les articles 5, 6 et 10 (art. 5, art. 6, art. 10) de la Convention, M. Schul saisit la Haute Cour militaire le 21 octobre, M. Dona le lendemain.
Conformément à l’article 64 de la loi de 1903, les recours successifs des intéressés suspendirent leur affectation à une unité disciplinaire, mais non leurs arrêts transitoires (paragraphe 27 ci-dessus).
Le 27 octobre 1971, la Cour ordonna l’élargissement des requérants après qu’ils eurent promis d’accepter sa sentence sur le fond de l’affaire, de s’y conformer à l’avenir et de s’abstenir, pendant la procédure ouverte contre eux, de tout acte relatif à la compilation et à la distribution d’écrits dont le contenu pourrait passer pour contraire à la discipline militaire. A les en croire, ils ne prirent cet engagement qu’in extremis et parce que nul recours légal ne s’offrait à eux pour mettre fin à leurs arrêts transitoires.
Comme M. de Wit, les requérants avaient été assistés devant la Cour par le soldat Eggenkamp, qui toutefois n’avait pu s’occuper que des aspects juridiques de leur cas (paragraphes 41-42 ci-dessus).
49. Le 17 novembre 1971, la Haute Cour militaire confirma l’affectation de M. Dona à une unité disciplinaire pour trois mois, ramena de quatre mois à trois la durée de celle de M. Schul et modifia légèrement les motifs de la peine infligée à chacun d’eux. Elle repoussa les allégations des requérants comme dénuées de fondement. Mentionnant la conduite et les condamnations antérieures de l’un et de l’autre, elle rappela notamment qu’ils avaient contribué jadis à publier et diffuser des écrits qui furent interdits sur la base du décret du 21 décembre 1967 (paragraphes 44-45 ci-dessus). En fixant la peine, elle estima que ces éléments révélaient l’attitude générale des intéressés.
La Cour examina ensuite, et rejeta de même, les moyens tirés des articles 5, 6 et 10 (art. 5, art. 6, art. 10) de la Convention.
En ce qui concerne l’article 5 (art. 5), elle jugea que l’obligation de servir dans une unité disciplinaire ne constituait pas une « privation de liberté ». En ordre subsidiaire, et par des motifs analogues à ceux de sa décision sur le recours de M. Engel (paragraphe 36 ci-dessus), elle puisa dans l’article 5 par. 1 b) (art. 5-1-b) la justification des peines litigieuses.
Au sujet de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), la Cour considéra que dans la procédure disciplinaire visant la publication de la revue « Alarm », il ne s’agissait ni de trancher une contestation sur un « droit de caractère civil », telle la liberté d’expression, ni d’apprécier « le bien-fondé d’une accusation en matière pénale »; quant au second point, elle se fonda sur des motifs voisins de ceux qu’elle avait retenus en statuant sur le recours de M. van der Wiel (paragraphe 39 ci-dessus).
Les requérants avançaient aussi que les mesures prises contre eux avaient porté atteinte à leur liberté d’expression. A ce propos, la Cour s’appuya sur le paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2): à ses yeux, les restrictions incriminées avaient été nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l’ordre dans le domaine régi par l’article 147 du code pénal militaire.
Les requérants prétendaient enfin que leurs arrêts transitoires avaient enfreint l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention et ils réclamaient de ce chef une réparation au titre de l’article 5 par. 5 (art. 5-5). La Cour constata qu’elle n’avait pas compétence pour connaître de pareille demande.
50. Quelques jours après le rejet de leur recours, MM. Dona et Schulfurent envoyés au « dépôt disciplinaire » (Depotvoor Discipline) de Nieuwersluis afin d’y subir leur peine. Ils ne furent pas autorisés à en sortir durant le premier mois; en outre, ils furent tous deux enfermés dans une cellule pendant la nuit.
51. Par delà les faits concernant spécifiquement MM. Dona et Schul, il y avait en toile de fond un conflit entre le Gouvernement et la V.V.D.M. A la mi-août 1971, par exemple, avait eu lieu à Ermelo la manifestation précitée (paragraphe 43 ci-dessus). Les requérants signalent aussi qu’avant leur punition, notamment entre le 1er janvier et le 20 octobre 1971, le ministre de la défense avait interdit nombre de publications de la V.V.D.M. En outre, d’autres militaires, rédacteurs de revues de sections de l’Association, ont été frappés, sur le plan disciplinaire ou au pénal, de sanctions diverses – arrêts aggravés, amendes et, dans un cas, détention militaire (article 6 par. 3 du code pénal militaire) – pour avoir rédigé ou diffusé des publications que l’on jugeait de nature à saper la discipline, au sens de l’article 147 du code pénal militaire.
Depuis une instruction ministérielle, datée du 19 novembre 1971 et donc postérieure aux mesures contestées en l’espèce, toute affaire concernant une éventuelle infraction à l’article 147 doit être portée devant les juridictions pénales militaires (paragraphe 14 ci-dessus) et non devant les autorités disciplinaires. Quant au décret susmentionné du 21 décembre 1967 (paragraphe 43 ci-dessus), il a été abrogé le 26 novembre 1971.
PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION
52. M. Engel a saisi la Commission le 6 juillet 1971, MM. van der Wielet de Wit le 31 mai 1971, M. Dona le 19 décembre 1971 et M. Schul le 29 décembre 1971. Le 10 février 1972, la Commission a ordonné la jonction des requêtes en vertu de l’article 39 du règlement intérieur en vigueur à l’époque.
Les requérants soutenaient tous les cinq que les sanctions prononcées contre eux avaient constitué une privation de liberté contraire à l’article 5 (art. 5) de la Convention, que la procédure suivie devant les autorités militaires et la Haute Cour militaire n’avait pas répondu aux exigences de l’article 6 (art. 6) et que la manière dont on les avait traités avait revêtu un caractère discriminatoire incompatible avec l’article 14 combiné avec les articles 5 et 6 (art. 14+5, art. 14+6).
M. Engel alléguait aussi que ses arrêts provisoires avaient enfreint l’article 5 (art. 5) et que les faits le concernant révélaient une violation de l’article 11 (art. 11).
De leur côté, MM. Dona et Schul avançaient que leurs arrêts transitoires avaient méconnu l’article 5 (art. 5) et que la peine qu’on leur avait infligée pour avoir publié et diffusé des articles censés saper la discipline militaire avait contrevenu aux articles 10, 11, 14, 17 et 18 (art. 10, art. 11, art. 14, art. 17, art. 18).
En outre, les cinq requérants demandaient réparation.
Le 17 juillet 1972, la Commission a déclaré les requêtes recevables à une exception près: elle a écarté, pour défaut manifeste de fondement (article 27 par. 2) (art. 27-2), le grief présenté par M. Engel sur le terrain de l’article 11 (art. 11).
En réponse à certaines exceptions soulevées par le Gouvernement pendant l’examen au fond, elle a décidé, le 29 mai 1973, de ne pas rejeter en vertu de l’article 29 (art. 29) deux moyens que MM. Engel, Dona et Schul avaient formulés le 21 juin 1972 à l’appui de leurs requêtes respectives.
53. Dans son rapport, daté du 19 juillet 1974, la Commission a exprimé l’avis:
– que les peines d’arrêts simples incriminées par MM. Engel et van der Wiel ne constituaient pas une privation de liberté au sens de l’article 5 (art. 5) de la Convention (onze voix, avec une abstention);
– que les autres peines disciplinaires attaquées par MM. Engel, de Wit, Dona et Schul avaient enfreint l’article 5 par. 1 (art. 5-1) car aucun des alinéas de ce texte ne les justifiait (conclusion découlant d’une série de votes acquis à des majorités diverses);
– qu’il y avait eu aussi violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) en ce qu’il n’avait pas été statué « à bref délai » sur le recours des quatre requérants susnommés contre ces mêmes peines (onze voix, avec une abstention);
– que les arrêts provisoires subis par M. Engel en application de l’article 44 de la loi de 1903 avaient, de leur côté, méconnu l’article 5 par. 1 (art. 5-1) car leur durée avait dépassé le délai fixé par l’article 45 de ladite loi (onze voix, un membre étant absent);
– que l’article 6 (art. 6) ne s’appliquait à aucune des procédures disciplinaires litigieuses (dix voix contre une, un membre étant absent);
– que dans le cas de MM. Dona et Schul il n’avait été constaté d’infraction ni à l’article 5 (art. 5), en ce qui concerne leurs arrêts transitoires (article 20 de la loi de 1903), ni aux articles 10, 11, 17 ou 18 (art. 10, art. 11, art. 17, art. 18) de la Convention (conclusions adoptées à la suite de plusieurs votes acquis à des majorités diverses);
– qu’il n’avait pas été manqué en l’espèce aux exigences de l’article 14, combiné avec les articles 5, 6, 10 ou 11 (art. 14+5, art. 14+6, art. 14+10, art. 14+11) (conclusion résultant de plusieurs votes acquis à des majorités diverses).
Le rapport contient cinq opinions séparées.
EN DROIT
54. Ainsi que Gouvernement, Commission et requérants s’accordent à le penser, la Convention vaut en principe pour les membres des forces armées et non pas uniquement pour les civils. Elle précise en ses articles 1 et 14 (art. 1, art. 14) que « toute personne relevant de (la) juridiction » des Etats contractants doit jouir, « sans distinction aucune », des droits et libertés énumérés au Titre I. L’article 4 par. 3 b) (art. 4-3-b), qui soustrait le service militaire à la prohibition du travail forcé ou obligatoire, confirme au demeurant qu’en règle générale les garanties de la Convention s’étendent aux militaires. Il en va de même de l’article 11 par. 2 (art. 11-2) in fine, qui permet aux États d’apporter des restrictions spéciales à l’exercice des libertés de réunion et d’association des membres des forces armées.
En interprétant et appliquant les normes de la Convention en l’espèce, la Cour doit cependant rester attentive aux particularités de la condition militaire et aux conséquences de celle-ci sur la situation des membres des forces armées.
55. Sous le bénéfice de ces considérations préliminaires, la Cour examinera successivement, article par article, chacun des griefs présentés par les cinq requérants ou par tel(s) d’entre eux.
I. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE L’ARTICLE 5 (art. 5)
A. Sur la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1), considéré isolément
56. Les requérants avancent les uns et les autres que la ou les sanctions et mesures disciplinaires prononcées contre eux ont enfreint l’article 5 par. 1 (art. 5-1), aux termes duquel
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi;
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci;
d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente;
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond;
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
1. Sur le droit à la liberté dans le contexte du service militaire
57. Quand ils ont élaboré puis conclu la Convention, les États contractants possédaient dans leur très grande majorité des forces de défense et, par conséquent, un système de discipline militaire impliquant, par nature, la possibilité d’apporter à certains des droits et libertés des membres de ces forces des limitations ne pouvant être imposées aux civils. L’existence de pareil système, qu’ils ont conservé depuis lors, ne se heurte pas en soi à leurs obligations.
La discipline militaire ne sort pas pour autant du domaine de l’article 5 par. 1 (art. 5-1). Non seulement ce texte doit se lire à la lumière des articles 1 et 14 (art. 1, art. 14) (paragraphe 54 ci-dessus), mais la liste des privations de liberté qu’il énumère revêt un caractère exhaustif dont témoignent les mots « sauf dans les cas suivants ». Une sanction ou mesure disciplinaire peut par conséquent violer l’article 5 par. 1 (art. 5-1); le Gouvernement le reconnaît d’ailleurs.
58. En proclamant le « droit à la liberté », le paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) vise la liberté individuelle dans son acception classique, c’est-à-dire la liberté physique de la personne. Il a pour but d’assurer que nul n’en soit dépouillé de manière arbitraire; ainsi que l’ont relevé Gouvernement et Commission, il ne concerne pas les simples restrictions à la liberté de circuler (article 2 du Protocole no 4) (P4-2). Cela ressort à la fois de l’emploi des termes « privé de sa liberté », « arrestation » et « détention », qui figurent également aux paragraphes 2 à 5, et d’une comparaison entre l’article 5 (art. 5) et les autres dispositions normatives de la Convention et des Protocoles.
59. Pour établir si quelqu’un se trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5 (art. 5), il faut partir de sa situation concrète. Tel qu’on le rencontre dans les États contractants, le service militaire ne constitue point par lui-même une privation de liberté au regard de la Convention puisqu’elle le consacre expressément en son article 4 par. 3 b) (art. 4-3-b). Or il entraîne, en raison de ses impératifs spécifiques, d’assez amples limitations à la liberté de mouvement des membres des forces armées; les restrictions normales dont il s’accompagne ne tombent donc pas davantage sous le coup de l’article 5 (art. 5).
Chaque État a compétence pour organiser son système de discipline militaire; il jouit en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Les bornes que l’article 5 (art. 5) lui enjoint de ne pas dépasser ne sont pas identiques pour les militaires et pour les civils. Une sanction ou mesure disciplinaire qui s’analyserait sans conteste en une privation de liberté si on l’appliquait à un civil peut ne pas en avoir le caractère si on l’inflige à un militaire. Elle n’échappe cependant pas à l’article 5 (art. 5) quand elle se traduit par des restrictions s’écartant nettement des conditions normales de la vie au sein des forces armées des États contractants. Pour savoir s’il en est ainsi, il y a lieu de tenir compte d’un ensemble d’éléments tels que la nature, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la sanction ou mesure considérée.
2. Sur l’existence de privations de liberté en l’espèce
60. C’est en se fondant sur ces prémisses que la Cour recherchera s’il y a eu en l’espèce une ou plusieurs privations de liberté. Selon la thèse principale du Gouvernement, la question appelle une réponse négative pour l’ensemble des sanctions et mesures litigieuses (paragraphes 15-19 du mémoire et plaidoiries), tandis qu’aux yeux de la Commission seuls les arrêts simples ne soulèvent pas de problème sur le terrain de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) (paragraphes 67-76 du rapport).
61. Aucune privation de liberté n’a découlé des trois et quatre jours d’arrêts simples prononcés respectivement contre MM. Engel (paragraphes 34-36 ci-dessus, deuxième peine) et van der Wiel(paragraphes 37-39 ci-dessus). Quoique consignés, en dehors de leurs heures de service, chez eux ou dans un bâtiment ou emplacement à usage militaire, suivant le cas, les militaires frappés d’une telle sanction ne se trouvent pas enfermés et continuent à s’acquitter de leurs tâches (article 8 de la loi de 1903 et paragraphe 18 ci-dessus); ils restent, à peu de chose près, dans le cadre ordinaire de leur existence à l’armée.
62. Les arrêts aggravés ne diffèrent des arrêts simples que sur un point: en dehors de leurs heures de service, les soldats les subissent en un local spécialement fixé qu’ils ne peuvent quitter pour se rendre à la cantine, au cinéma ou aux salles de loisirs, mais ils ne sont pas incarcérés (article 9-B de la loi de 1903 et paragraphe 19 ci-dessus). La Cour ne considère par conséquent pas non plus comme une privation de liberté les douze jours d’arrêts aggravés dont se plaint M. de Wit(paragraphe 41 ci-dessus).
63. Les arrêts de rigueur, abolis en 1974, se distinguaient des arrêts simples et aggravés en ce que les sous-officiers et hommes de troupe les purgeaient de jour et de nuit enfermés dans une cellule et, partant, étaient écartés de l’accomplissement de leur service normal (article 10-B de la loi de 1903 et paragraphe 20 ci-dessus). Ils avaient donc un caractère privatif de liberté. Ont dès lors revêtu le même caractère, malgré leur courte durée (20-22 mars 1971), les arrêts provisoires imposés à M. Engel sous la forme d’arrêts de rigueur (article 44 de la loi de 1903; paragraphes 26, 34 et 35 ci-dessus).
64. L’affectation à une unité disciplinaire, également supprimée en 1974 mais infligée en 1971 à MM. Dona et Schul, représentait la sanction la plus lourde en droit disciplinaire militaire néerlandais. Les soldats contre lesquels on l’avait ordonnée par la voie disciplinaire n’étaient pas séparés de ceux qui s’y étaient vu condamner au pénal, à titre de peine complémentaire, et pendant un mois ou davantage ils n’avaient pas le droit de sortir de l’établissement. L’affectation valait pour une période de trois à six mois, durée de beaucoup supérieure à celle des autres sanctions, y compris les arrêts de rigueur qui pouvaient être prononcés pour une période d’un à quatorze jours. Il appert en outre que MM. Dona et Schul ont passé la nuit enfermés en cellule (articles 5, 18 et 19 de la loi de 1903, ordonnance royale du 14 juin 1971 et paragraphes 21 et 50 ci-dessus). Pour ces diverses raisons, la Cour estime qu’il y a eu en l’occurrence privation de liberté.
65. Il n’en va pas de même de la mesure qui du 8 octobre au 3 novembre 1971 avait précédé ladite affectation: MM. Dona et Schulont subi leurs arrêts transitoires sous la forme d’arrêts aggravés (article 20 de la loi de 1903; paragraphes 22, 46, 48 et 52 ci-dessus).
66. La Cour arrive donc à la conclusion que ni les arrêts simples de MM. Engel et van der Wiel, ni les arrêts aggravés de M. de Wit ni les arrêts transitoires de MM. Dona et Schul n’appellent un examen plus approfondi sous l’angle du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1).
Quant à la peine de deux jours d’arrêts de rigueur infligée à M. Engel le 7 avril 1971 et confirmée par la Haute Cour militaire le 23 juin 1971, elle a coïncidé en pratique avec une mesure antérieure: l’intéressé fut censé l’avoir purgée par avance du 20 au 22 mars 1971, pendant ses arrêts provisoires (paragraphes 34-36 ci-dessus, troisième peine).
Par contre, il incombe à la Cour de vérifier si ces derniers, ainsi que l’affectation de MM. Dona et Schul à une unité disciplinaire, ont respecté l’article 5 par. 1 (art. 5-1).
3. Sur la compatibilité des privations de liberté constatées en l’espèce avec le paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1)
67. Le Gouvernement a soutenu, en ordre subsidiaire, que l’affectation de MM. Dona et Schul à une unité disciplinaire satisfaisait aux exigences de l’alinéa a) de l’article 5 par. 1 (art. 5-1-a) et que les arrêts provisoires de M. Engel répondaient à celles de l’alinéa b) (art. 5-1-b) (paragraphes 21-23 du mémoire); il n’a pas invoqué les alinéas c) à f) (art. 5-1-c, art. 5-1-d, art. 5-1-e, art. 5-1-f).
68. En son alinéa a), l’article 5 par. 1 (art. 5-1-a) autorise la détention « régulière » d’un individu « après condamnation par un tribunal compétent ».
La Cour relève, avec le Gouvernement (audience du 29 octobre 1975), que ce texte ne distingue pas selon le caractère juridique de l’infraction dont une personne a été déclarée coupable. Il s’applique à toute « condamnation » privative de liberté prononcée par un « tribunal », que le droit interne de l’Etat en cause la qualifie de pénale ou de disciplinaire.
MM. Dona et Schul ont bien été privés de leur liberté « après » leur condamnation par la Haute Cour militaire. L’article 64 de la loi de 1903 attribuait à leur recours contre les décisions de leur chef de corps (8 octobre 1971) et du beklagmeerdere (19 octobre 1971) un effet suspensif qui semble avoir échappé à la Commission (paragraphe 85 et annexe IV du rapport), mais sur lequel le Gouvernement a insisté à juste titre (paragraphe 21 du mémoire). En conséquence, leur envoi au dépôt de discipline de Nieuwersluis n’a eu lieu qu’en vertu des sentences définitives du 17 novembre 1971 (paragraphes 28, 48 et 50 ci-dessus).
Encore faut-il s’assurer que lesdites sentences émanaient d’un « tribunal compétent » au sens de l’article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a).
La Haute Cour militaire, dont la compétence n’a point prêté à discussion, constitue un tribunal du point de vue organique. Sans doute ses quatre membres militaires ne sont-ils pas inamovibles en droit, mais comme les deux membres civils ils jouissent de l’indépendance inhérente à la notion de « tribunal » telle que la conçoit la Convention (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, p. 41, par. 78, et paragraphe 30 ci-dessus).
En outre, il ne ressort pas du dossier (paragraphes 31-32 et 48-49 ci-dessus) que MM. Dona et Schul n’aient pas bénéficié auprès de la Haute Cour militaire de garanties judiciaires adéquates au regard de l’article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a), disposition autonome dont les exigences ne coïncident pas toujours avec celles de l’article 6 (art. 6); les garanties accordées aux deux requérants se révèlent « suffisantes » sous l’angle de l’article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a) si l’on tient compte de « la nature particulière des circonstances » dans lesquelles se déroulait l’instance (arrêt précité du 18 juin 1971, série A no 12, pp. 41-42, par. 78). Quant à l’article 6 (art. 6), la Cour recherchera plus loin s’il s’appliquait en l’occurrence et, dans l’affirmative, s’il a été respecté.
Enfin, la sanction prise a été ordonnée puis exécutée « régulièrement » et « selon les voies légales »; en résumé, elle n’a pas méconnu l’article 5 par. 1 (art. 5-1).
69. Les arrêts provisoires de M. Engel, eux, ne relèvent manifestement pas de l’alinéa a) de l’article 5 par. 1 (art. 5-1-a).
Le Gouvernement a tiré argument de l’alinéa b) (art. 5-1-b) en tant que ce dernier permet « une arrestation ou (…) détention régulières » destinées à « garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ».
La Cour estime que les mots « garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi » concernent seulement les cas où la loi autorise à détenir quelqu’un pour le forcer à exécuter une obligation spécifique et concrète qu’il a négligé jusqu’ici de remplir. Une interprétation extensive entraînerait des résultats incompatibles avec l’idée de prééminence du droit dont s’inspire la Convention tout entière (arrêt Golder du 21 février 1975, série A no 18, pp. 16-17, par. 34). Elle justifierait, par exemple, un internement administratif tendant à contraindre un citoyen à s’acquitter, sur un point quelconque, de son devoir général d’obéissance à la loi.
Or les arrêts provisoires de M. Engel n’avaient point pour but d’assurer à l’avenir l’exécution de pareille obligation. L’article 44 de la loi de 1903, applicable quand un officier a « des raisons suffisantes de penser qu’un subordonné a gravement enfreint la discipline militaire », a trait à un comportement passé. La mesure qu’il autorise représente une étape préparatoire de la procédure disciplinaire militaire et se place donc dans un cadre répressif. Peut-être a-t-elle aussi pour objet ou effet accessoires, à l’occasion, d’inciter un membre des forces armées à respecter désormais ses obligations, mais on ne saurait sans artifice la rattacher pour autant à l’alinéa b); à ce compte, on pourrait du reste en arriver à englober dans cet alinéa, au nom de leurs vertus dissuasives, de véritables peines privatives de liberté que l’on soustrairait de la sorte aux garanties fondamentales de l’alinéa a) (art. 5-1-a).
En réalité, ladite mesure s’apparente plutôt à celle dont parle l’alinéa c) de l’article 5 par. 1 (art. 5-1-c) de la Convention. Elle ne satisfait cependant pas, en l’espèce, à l’une des exigences de ce texte car M. Engel n’a pas été détenu, du 20 au 22 mars 1971, « en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente » (paragraphes 86-88 du rapport de la Commission).
Les arrêts provisoires de M. Engel n’ont pas davantage été réguliers au sens de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) en tant qu’ils ont excédé – de vingt-deux à trente heures, selon les renseignements recueillis à l’audience du 28 octobre 1975 – la durée maximale de vingt-quatre heures fixée par l’article 45 de la loi de 1903.
D’après le Gouvernement, l’officier de recours a corrigé après coup cette irrégularité en considérant comme purgée par avance, du 20 au 22 mars 1971, la sanction disciplinaire de deux jours d’arrêts de rigueur dont il a frappé le requérant le 5 avril 1971 et que la Haute Cour militaire a confirmée le 23 juin 1971. Il ressort toutefois de la jurisprudence de la Cour européenne que l’imputation d’une détention provisoire (Untersuchungshaft) sur une peine ultérieure ne peut éliminer une violation du paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3), mais seulement avoir une répercussion sur le terrain de l’article 50 (art. 50) pour avoir limité le préjudice causé (arrêt Stögmüller du 10 novembre 1969, série A no 9, pp. 27, 36 et 39-45; arrêts Ringeisen des 16 juillet 1971 et 22 juin 1972, série A no 13, pp. 20 et 41-45, et no 15, p. 8, par. 21; arrêt Neumeisterdu 7 mai 1974, série A no 17, pp. 18-19, paras. 40-41). La Cour n’aperçoit aucun motif d’adopter une solution différente en appréciant la compatibilité des arrêts provisoires de M. Engel avec le paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1).
En conclusion, la privation de liberté imposée à l’intéressé du 20 au 22 mars 1971 a eu lieu dans des conditions contraires à ce paragraphe.
B. Sur la violation alléguée des articles 5 par. 1 et 14 (art. 14+5-1, combinés
70. A en croire les requérants, les sanctions et mesures litigieuses ont enfreint aussi l’article 5 par. 1 combiné avec l’article 14 (art. 14+5-1), aux termes duquel
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
71. Certaines desdites sanctions et mesures n’ayant pas revêtu un caractère privatif de liberté (paragraphes 61, 62 et 65 ci-dessus), les discriminations alléguées à leur sujet ne soulèvent aucun problème au regard de l’article 14 (art. 14): elles n’ont pas porté sur la jouissance du droit reconnu à l’article 5 par. 1 (art. 5-1). Il n’en va pas de même des arrêts provisoires de M. Engel, ni de l’affectation de MM. Dona et Schul à une unité disciplinaire (paragraphes 63 et 64 ci-dessus).
72. MM. Engel, Dona et Schul se plaignent d’abord de distinctions de traitement entre militaires: d’après les articles 10 et 44 de la loi de 1903, les arrêts provisoires infligés sous la forme d’arrêts de rigueur étaient subis par les officiers chez eux, sous leur tente ou dans leurs quartiers, tandis que les sous-officiers et hommes de troupe demeuraient enfermés dans une cellule (paragraphe 20 ci-dessus); quant à l’affectation à une unité disciplinaire, seuls l’encouraient les simples soldats (articles 3 à 5 de la loi de 1903 et paragraphes 16 et 21 ci-dessus).
Une distinction fondée sur le grade peut se heurter à l’article 14 (art. 14). La liste que renferme ce texte revêt un caractère indicatif, et non limitatif, dont témoigne l’adverbe « notamment » (en anglais « anygroundsuch as »); le mot « situation » (en anglais « status ») se révèle du reste assez large pour comprendre le grade. En outre, une distinction concernant les modalités d’exécution d’une sanction ou mesure privative de liberté n’échappe pas de ce fait à l’empire de l’article 14 (art. 14) car elle ne manque pas de se répercuter sur la manière dont est « assurée » la « jouissance » du droit consacré par l’article 5 par. 1 (art. 5-1). Sur ces deux points, la Cour ne souscrit pas à la thèse du Gouvernement (paragraphe 40, premier alinéa, du rapport de la Commission); elle marque son accord avec la Commission (ibidem, paragraphes 133-134).
La Cour n’ignore pas que les législations respectives de nombre d’Etats contractants semblent évoluer, bien qu’à des degrés variés, vers une plus grande égalité entre officiers, sous-officiers et hommes de troupe en matière disciplinaire. La loi néerlandaise du 12 septembre 1974 offre un exemple frappant de cette tendance; en particulier, elle a supprimé pour l’avenir les distinctions critiquées par MM. Engel, Dona et Schul puisqu’elle abolit arrêts de rigueur et affectation à une unité disciplinaire.
Pour savoir si lesdites distinctions constituaient des discriminations contraires aux articles 5 et 14 (art. 14+5) combinés, il faut cependant se placer au moment où elles existaient. La Cour examinera la question à la lumière de son arrêt du 23 juillet 1968 dans l’affaire « linguistique belge » (série A no 6, pp. 33-35, paras. 9-10).
La structure hiérarchique inhérente aux armées entraîne des différenciations selon le rang. Aux divers grades correspondent des responsabilités dissemblables qui justifient à leur tour certaines inégalités de traitement en matière disciplinaire. De telles inégalités se rencontrent traditionnellement dans les États contractants et le droit international humanitaire s’en accommode (paragraphe 140 du rapport de la Commission: article 88 de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre). A cet égard, la Convention européenne réserve aux autorités nationales compétentes une marge considérable d’appréciation.
A l’époque dont il s’agit, les distinctions dénoncées par les trois requérants avaient leur équivalent dans l’ordre juridique interne de presque tous les États contractants. S’appuyant sur un élément par lui-même objectif, le grade, elles pouvaient être dictées par un but légitime: préserver la discipline par des méthodes adaptées à chacune des catégories de militaires. Si seuls les simples soldats risquaient de se voir affecter à une unité disciplinaire, en revanche ils ne se trouvaient évidemment pas exposés à une sanction grave menaçant les autres membres des forces armées: la dégradation. Quant à l’incarcération en cellule pendant les arrêts de rigueur, le législateur néerlandais pouvait avoir des motifs plausibles de ne pas l’appliquer aux officiers. Au total, il paraît ne pas avoir abusé en l’occurrence de la latitude que lui laissait la Convention. La Cour n’estime pas non plus que le principe de proportionnalité, tel qu’elle l’a défini dans son arrêt précité du 23 juillet 1968 (série A no 6, p. 34, par. 10, deuxième alinéa in fine), ait été transgressé en l’espèce.
73. MM. Engel, Dona et Schul s’en prennent en second lieu à des inégalités de traitement entre militaires et civils. De fait, même des civils soumis de par leur profession à un régime disciplinaire particulier ne sauraient subir aux Pays-Bas des sanctions analogues aux privations de liberté litigieuses. Il n’en résulte pourtant nulle discrimination incompatible avec la Convention, les conditions et impératifs de la vie militaire différant par nature de ceux de la vie civile (paragraphes 54 et 57 ci-dessus).
74. La Cour n’aperçoit donc aucune violation des articles 5 par. 1 et 14 (art. 14+5-1) combinés.
C. Sur la violation alléguée de l’article 5 par. 4 (art. 5-4)
75. En sus du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1), les requérants invoquent le paragraphe 4 (art. 5-4) aux termes duquel
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
76. La question ne se pose que pour l’affectation de MM. Dona et Schul à une unité disciplinaire: M. Engel ne l’a pas soulevée, même sur le terrain des faits, pour ses arrêts provisoires; quant aux autres sanctions ou mesures incriminées, elles n’ont « privé » personne « de sa liberté par arrestation ou détention » (paragraphes 61-66 ci-dessus).
77. La Cour rappelle que l’affectation de MM. Dona et Schul à une unité disciplinaire découlait de leur « condamnation par un tribunal compétent », au sens de l’article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a) (paragraphe 68 ci-dessus). Or si « l’article 5 par. 4 (art. 5-4) astreint (…) les États à ouvrir (…) un recours auprès d’un tribunal » quand « la décision privative de liberté émane d’un organe administratif », « rien n’indique qu’il en aille de même quand elle est rendue par un tribunal (…) à l’issue d’une procédure judiciaire »: « dans cette dernière hypothèse », par exemple « une ‘condamnation’ à l’emprisonnement prononcée ‘par un tribunal compétent’ (article 5 par. 1 a) de la Convention) (art. 5-1-a) », « le contrôle voulu par l’article 5 par. 4 (art. 5-4) se trouve incorporé à la décision » (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, pp. 40-41, par. 76). La Cour en déduit, avec le Gouvernement (paragraphe 21 du mémoire), qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) dans le cas de MM. Dona et Schul.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE L’ARTICLE 6 (art. 6)
A. Sur la violation alléguée de l’article 6 (art. 6) considéré isolément
78. Les cinq requérants allèguent des violations de l’article 6 (art. 6), aux termes duquel
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
79. Pour le Gouvernement et la Commission, les procédures intentées contre MM. Engel, van der Wiel, de Wit, Dona et Schul n’avaient trait ni à des « contestations sur des droits et obligations de caractère civil », ni à des « accusations en matière pénale ».
Amenée ainsi à s’interroger sur l’applicabilité de l’article 6 (art. 6) en l’espèce, la Cour examinera d’abord si lesdites procédures concernaient des « accusations en matière pénale » au sens de ce texte: quoique disciplinaires d’après la législation néerlandaise, elles tendaient à réprimer au moyen de sanctions des manquements reprochés aux requérants, objectif analogue au but général du droit pénal.
1. Sur l’applicabilité de l’article 6 (art. 6)
a) Sur l’existence d' »accusations en matière pénale »
80. Tous les États contractants distinguent de longue date, encore que sous des formes et à des degrés divers, entre poursuites disciplinaires et poursuites pénales. Pour les individus qu’elles visent, les premières offrent d’habitude sur les secondes des avantages substantiels, par exemple quant aux condamnations infligées: en général moins lourdes, celles-ci ne figurent pas au casier judiciaire et entraînent des conséquences plus limitées. Il peut cependant en aller autrement; en outre, les instances pénales s’entourent d’ordinaire de garanties supérieures.
Aussi faut-il se demander si la solution retenue en ce domaine à l’échelle nationale est ou non décisive au regard de la Convention: l’article 6 (art. 6) cesse-t-il de jouer pour peu que les organes compétents d’un État contractant qualifient de disciplinaires une action ou omission et les poursuites engagées par eux contre son auteur, ou s’applique-t-il au contraire dans certains cas nonobstant cette qualification? Le problème, soulevé à juste titre par la Commission et dont le Gouvernement reconnaît l’importance, surgit notamment quand une action ou omission s’analyse selon le droit interne de l’État défendeur en une infraction mixte, à la fois pénale et disciplinaire, et qu’il existe donc pour elle une possibilité d’option, voire de cumul, entre poursuites pénales et poursuites disciplinaires.
81. La Cour a prêté attention aux thèses respectives des requérants, du Gouvernement et de la Commission sur ce qu’ils ont dénommé l' »autonomie » de la notion d' »accusation en matière pénale », mais elle ne souscrit entièrement à aucune d’entre elles (rapport de la Commission, paragraphes 33-34, paragraphes 114-119 et opinion séparée de M. Welter; mémoire du Gouvernement, paragraphes 25-34; mémoire de la Commission, paragraphes 9-16, paragraphes 14-17 de l’annexe I et paragraphes 12-14 de l’annexe II; compte rendu des audiences des 28 et 29 octobre 1975).
Par son arrêt Neumeister du 27 juin 1968, la Cour a déjà jugé que le mot « accusation » doit se comprendre « au sens de la Convention » (série A no 8, p. 41, par. 18, à rapprocher du deuxième alinéa de la p. 28 et du premier alinéa de la p. 35; cf. aussi l’arrêt Wemhoff du 27 juin 1968, série A no 7, pp. 26-27, par. 19, et l’arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 45, par. 110).
La question de l' »autonomie » de la notion de « matière pénale » n’appelle pas exactement la même réponse.
La Convention permet sans nul doute aux États, dans l’accomplissement de leur rôle de gardiens de l’intérêt public, de maintenir ou établir une distinction entre droit pénal et droit disciplinaire ainsi que d’en fixer le tracé, mais seulement sous certaines conditions. Elle les laisse libres d’ériger en infraction pénale une action ou omission ne constituant pas l’exercice normal de l’un des droits qu’elle protège; cela ressort, spécialement, de son article 7 (art. 7). Pareil choix, qui a pour effet de rendre applicables les articles 6 et 7 (art. 6, art. 7), échappe en principe au contrôle de la Cour.
Le choix inverse, lui, obéit à des règles plus strictes. Si les États contractants pouvaient à leur guise qualifier une infraction de disciplinaire plutôt que de pénale, ou poursuivre l’auteur d’une infraction « mixte » sur le plan disciplinaire de préférence à la voie pénale, le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 (art. 6, art. 7) se trouverait subordonné à leur volonté souveraine. Une latitude aussi étendue risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec le but et l’objet de la Convention. La Cour a donc compétence pour s’assurer, sur le terrain de l’article 6 (art. 6) et en dehors même des articles 17 et 18 (art. 17, art. 18), que le disciplinaire n’empiète pas indûment sur le pénal.
En résumé, l' »autonomie » de la notion de « matière pénale » opère pour ainsi dire à sens unique.
82. Dès lors, la Cour doit préciser, en se limitant au domaine du service militaire, comment elle vérifiera si une « accusation » donnée, à laquelle l’État en cause attribue – comme en l’espèce – un caractère disciplinaire, relève néanmoins de la « matière pénale » telle que l’entend l’article 6 (art. 6).
A ce sujet, il importe d’abord de savoir si le ou les textes définissant l’infraction incriminée appartiennent, d’après la technique juridique de l’Etat défendeur, au droit pénal, au droit disciplinaire ou aux deux à la fois. Il s’agit cependant là d’un simple point de départ. L’indication qu’il fournit n’a qu’une valeur formelle et relative; il faut l’examiner à la lumière du dénominateur commun aux législations respectives des divers États contractants.
La nature même de l’infraction représente un élément d’appréciation d’un plus grand poids. Si un militaire se voit reprocher une action ou omission qui aurait transgressé une norme juridique régissant le fonctionnement des forces armées, l’État peut en principe utiliser contre lui le droit disciplinaire plutôt que le droit pénal. A cet égard, la Cour marque son accord avec le Gouvernement.
Là ne s’arrête pourtant pas le contrôle de la Cour. Il se révélerait en général illusoire s’il ne prenait pas également en considération le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Dans une société attachée à la prééminence du droit, ressortissent à la « matière pénale » les privations de liberté susceptibles d’être infligées à titre répressif, hormis celles qui par leur nature, leur durée ou leurs modalités d’exécution ne sauraient causer un préjudice important. Ainsi le veulent la gravité de l’enjeu, les traditions des États contractants et la valeur que la Convention attribue au respect de la liberté physique de la personne (cf., mutatis mutandis, l’arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, p. 36, dernier alinéa, et p. 42 in fine).
83. C’est en se fondant sur ces critères que la Cour recherchera si les requérants, ou certains d’entre eux, ont fait l’objet d’une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
En l’occurrence, l’accusation pouvant entrer en ligne de compte résidait dans la décision du chef de corps telle que l’officier de recours l’avait confirmée ou atténuée. Comme le tribunal appelé à statuer, à savoir la Haute Cour militaire, n’avait pas compétence pour ordonner une sanction plus rigoureuse (paragraphe 31 ci-dessus), c’est bien cette décision qui fixait définitivement l’enjeu.
84. Les infractions reprochées à MM. Engel, van der Wiel, de Wit, Dona et Schul tombaient sous le coup de textes appartenant au droit disciplinaire d’après la législation néerlandaise (loi de 1903 et règlement de discipline militaire), encore que celles dont avaient à répondre MM. Dona et Schul (article 147 du code pénal militaire), voire MM. Engel et de Wit (articles 96 et 114 dudit code selon Me van der Schans, audience du 28 octobre 1975), se prêtassent aussi à des poursuites pénales. En outre, elles avaient toutes transgressé, aux yeux du commandement militaire, des normes juridiques régissant le fonctionnement des forces armées néerlandaises. Le choix de la voie disciplinaire se justifiait sous ce rapport.
85. Quant à la sanction maximale que pouvait prononcer la Haute Cour militaire, elle consistait en quatre jours d’arrêts simples pour M. van der Wiel, en deux jours d’arrêts de rigueur pour M. Engel (troisième peine) et en trois ou quatre mois d’affectation à une unité disciplinaire pour MM. de Wit, Dona et Schul.
M. van der Wiel n’était donc passible que d’une peine légère et non privative de liberté (paragraphe 61 ci-dessus).
De son côté, la sanction privative de liberté dont M. Engel se voyait en théorie menacé était de trop courte durée pour ressortir à la « matière pénale »; il ne risquait du reste pas de devoir la subir à l’issue de l’instance engagée par lui devant la Haute Cour militaire le 7 avril 1971 puisqu’il l’avait déjà purgée du 20 au 22 mars (paragraphes 34-36, 63 et 66 ci-dessus).
En revanche, les « accusations » portées contre MM. de Wit, Dona et Schul relevaient bien de la « matière pénale » car elles tendaient à l’infliction de lourdes peines privatives de liberté (paragraphe 64 ci-dessus). Sans doute la Haute Cour militaire n’a-t-elle frappé M. de Wit que de douze jours d’arrêts aggravés, c’est-à-dire d’une sanction non privative de liberté (paragraphe 62 ci-dessus), mais le résultat final du recours ne saurait amoindrir l’enjeu initial.
La Convention n’astreignait certes pas les autorités compétentes à poursuivre MM. de Wit, Dona et Schul en vertu du code pénal militaire devant un conseil de guerre (paragraphe 14 ci-dessus), solution qui aurait pu se révéler moins avantageuse pour eux; elle les obligeait cependant à leur accorder les garanties de l’article 6 (art. 6).
b) Sur l’existence de « contestations » relatives à des droits « de caractère civil »
86. Trois des cinq requérants allèguent, en ordre subsidiaire, que les procédures ouvertes contre eux concernaient des « contestations » relatives à des droits « de caractère civil »: M. Engel attribue ce caractère à sa liberté de réunion et d’association (article 11) (art. 11), MM. Dona et Schul à leur liberté d’expression (article 10) (art. 10).
87. L’article 6 (art. 6) se montre moins exigeant pour de telles « contestations » que pour les « accusations en matière pénale »: si son paragraphe 1 (art. 6-1) vaut pour les unes et les autres, les paragraphes 2 et 3 (art. 6-2, art. 6-3) ne protègent que les « accusés ». Comme MM. Dona et Schul faisaient l’objet d' »accusations en matière pénale » (paragraphe 85 in fine ci-dessus), l’article 6 (art. 6) s’appliquait à eux en entier; la Cour estime superflu de rechercher si le paragraphe 1 (art. 6-1) entrait en ligne de compte à un second titre, la question n’offrant pas d’intérêt pratique.
Quant à M. Engel, qui n’avait pas la qualité d' »accusé » (paragraphe 85 ci-dessus, troisième alinéa), les poursuites intentées contre lui n’étaient déterminées que par des infractions à la discipline militaire consistant à s’être absenté de son domicile le 17 mars 1971, puis à avoir passé outre aux sanctions prononcées contre lui le lendemain et le surlendemain. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer en l’espèce sur le « caractère civil » de la liberté de réunion et d’association.
88. En résumé, il incombe à la Cour d’examiner sous l’angle de l’article 6 (art. 6) le traitement réservé à MM. de Wit, Dona et Schul, mais non celui dont se plaignent MM. Engel et van der Wiel.
2. Sur l’observation de l’article 6 (art. 6)
89. La Haute Cour militaire, devant laquelle ont comparu MM. de Wit, Dona et Schul, constitue un « tribunal indépendant et impartial établi par la loi » (paragraphes 30 et 68 ci-dessus) et rien n’indique qu’elle n’ait pas entendu leur cause « équitablement ». De son côté, le « délai » écoulé entre l' »accusation » et la décision ultime se révèle « raisonnable »: il n’a pas atteint six semaines pour MM. Dona et Schul (8 octobre – 17 novembre 1971) et n’a guère excédé deux mois pour M. de Wit(22 février – 28 avril 1971). En outre, la sentence a été « rendue publiquement ».
Par contre, les débats contradictoires s’étaient déroulés à huis clos conformément à la pratique constante de la Haute Cour militaire en matière disciplinaire (paragraphe 31 ci-dessus). A la vérité, les requérants ne semblent pas en avoir pâti; ladite Cour a d’ailleurs amélioré le sort de deux d’entre eux, M. Schul et plus encore M. de Wit. Dans le domaine qu’il régit, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) impose cependant de manière très générale la publicité de la procédure judiciaire. Sans doute ménage-t-il des exceptions qu’il énumère, mais le Gouvernement n’a pas plaidé et il ne ressort pas du dossier que l’on se trouvât en l’occurrence dans l’une des situations où il permet d’interdire « l’accès de la salle d’audience (…) à la presse et au public ». Sur ce point précis, il y a donc eu violation du paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1).
90. MM. Dona et Schul reprochent à la Haute Cour militaire d’avoir tenu compte de ce qu’ils avaient contribué à publier deux écrits antérieurs au no 8 d' »Alarm », dont la diffusion n’avait été interdite qu’à titre provisoire, en vertu du décret du 21 décembre 1967, et pour lesquels on ne les avait jamais poursuivis (paragraphe 49 ci-dessus). Elle aurait méconnu de la sorte la présomption d’innocence que proclame le paragraphe 2 de l’article 6 (art. 6-2) (rapport de la Commission, paragraphe 45, antépénultième alinéa).
En réalité, cette clause n’a pas la portée que lui prêtent les deux requérants. Ainsi que le prouve son libellé, elle a trait à la déclaration de culpabilité, non à la nature ni au taux de la peine. Elle n’empêche donc pas le juge national d’avoir égard, en se prononçant sur la sanction à infliger à un accusé qu’il a régulièrement convaincu de l’infraction soumise à son verdict, à des éléments relatifs à la personnalité de l’intéressé.
Or la Haute Cour militaire a « légalement établi » la culpabilité de MM. Dona et Schul quant au manquement dont ils répondaient devant elle (no 8 d' »Alarm »). C’est à seule fin de fixer leur peine en fonction de leur caractère et de leurs antécédents qu’elle a pris aussi en considération certains faits analogues, avérés et dont ils ne contestaient pas la matérialité; elle ne les a pas frappés pour ces faits eux-mêmes (article 37 de la loi de 1903 et mémoire adressé par le Gouvernement à la Commission le 24 août 1973).
91. MM. de Wit, Dona et Schul ne nient pas que l’on a respecté à leur endroit l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 6 (art. 6-3-a) et ils n’invoquent évidemment pas l’alinéa e) (art. 6-3-e). En revanche, ils affirment ne pas avoir joui des garanties prescrites par les alinéas b), c) et d) (art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 6-3-d).
Leurs allégations se révèlent pourtant beaucoup trop vagues pour amener la Cour à conclure qu’ils n’ont pas disposé, au sens de l’alinéa b) (art. 6-3-b), « du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense ».
D’autre part, les trois requérants ont eu la latitude de « se défendre » en personne aux divers stades de la procédure. Ils ont bénéficié en outre devant la Haute Cour militaire et, pour le premier d’entre eux, devant l’officier de recours, de « l’assistance d’un défenseur de (leur) choix », appelé du contingent mais avocat dans la vie civile. Assurément, les services de Me Eggenkamp se limitaient à l’étude des problèmes juridiques litigieux; dans les circonstances de la cause, cette restriction pouvait cependant se concilier avec les intérêts de la justice car les requérants n’étaient certes pas incapables de s’expliquer par leurs propres moyens sur les faits très simples dont on les accusait. En conséquence, aucune atteinte au droit protégé par l’alinéa c) (art. 6-3-c) ne se dégage du dossier.
Les renseignements recueillis par la Cour, notamment à l’occasion des débats des 28 et 29 octobre 1975, ne décèlent pas davantage une violation de l’alinéa d). Nonobstant l’opinion contraire des requérants, ce texte ne commande pas la convocation et l’interrogation de tout témoin à décharge. Ainsi que l’indiquent les mots « dans les mêmes conditions », il a pour but essentiel une complète « égalité des armes » en la matière; sous cette réserve, il laisse aux autorités nationales compétentes le soin de juger de la pertinence d’une offre de preuve dans la mesure compatible avec la notion de procès équitable qui domine l’ensemble de l’article 6 (art. 6). Or l’article 65 de la loi de 1903 et l’article 56 de l' »instruction provisoire » du 20 juillet 1814 placent l’accusation et la défense sur un pied d’égalité: les témoins proposés par l’une comme par l’autre ne sont cités que si l’officier de recours ou la Haute Cour militaire l’estiment nécessaire. En ce qui concerne la manière dont cette législation a été appliquée en l’espèce, la Cour relève que nulle audition de témoins à charge n’a eu lieu devant la Haute Cour militaire dans le cas de MM. de Wit, Dona et Schul et qu’il ne ressort pas du dossier que ces requérants aient demandé à ladite Cour d’entendre des témoins à décharge. Sans doute M. de Wit reproche-t-il à l’officier de recours d’avoir ouï un seul des trois témoins à décharge qu’il aurait proposés, mais ce fait ne peut en soi justifier la constatation d’une violation de l’article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d).
B. Sur la violation alléguée des articles 6 et 14 (art. 14+6) combinés
92. Selon les requérants, la procédure disciplinaire dont ils se plaignent ne cadrait pas avec les articles 6 et 14 (art. 14+-6) combinés car elle ne s’entourait pas d’autant de garanties que les instances pénales introduites contre des civils (rapport de la Commission, paragraphe 37).
Si la procédure disciplinaire militaire ne s’accompagne pas des mêmes garanties que les actions pénales intentées contre les civils, elle offre en revanche des avantages substantiels à ceux qui en font l’objet (paragraphe 80 ci-dessus). Les distinctions qui existent entre ces deux types de procédures dans la législation des États contractants s’expliquent par les différences entre les conditions de la vie militaire et celles de la vie civile. On ne peut considérer qu’elles entraînent à l’égard des membres des forces armées une discrimination au sens de l’article 14 combiné avec l’article 6 (art. 14+6).
C. Sur la violation alléguée des articles 6 et 18 (art. 18+6) combinés
93. A en croire MM. Dona et Schul, la décision de les poursuivre par la voie disciplinaire plutôt qu’au pénal a eu pour effet, voire pour but de les priver du bénéfice de l’article 6 (art. 6). Le choix des autorités compétentes aurait revêtu un caractère arbitraire inconciliable avec l’article 18 (art. 18) (rapport de la Commission, paragraphe 53).
Les conclusions auxquelles la Cour aboutit quant à l’applicabilité et à l’observation de l’article 6 (art. 6) dans le cas des deux requérants (paragraphes 85 et 89-91 ci-dessus) la dispensent de statuer sur ce grief.
III. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE L’ARTICLE 10 (art. 10)
A. Sur la violation alléguée de l’article 10 (art. 10) considéré isolément
94. MM. Dona et Schul allèguent la violation de l’article 10 (art. 10), selon lequel
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
Tel que la Commission l’a déclaré recevable, le grief concerne uniquement la peine disciplinaire que les requérants ont subie après le 17 novembre 1971 pour avoir contribué à éditer et diffuser le no 8 d' »Alarm ». Il ne porte pas sur l’interdiction dont ce numéro, le no 6 et le « bulletin d’information » destiné aux jeunes recrues avaient fait l’objet en vertu du décret du 21 décembre 1967, ni sur les arrêts de rigueur infligés aux requérants le 13 août 1971 pour avoir participé à la distribution d’un pamphlet à l’occasion des incidents d’Ermelo (paragraphes 43-45 ci-dessus).
95. La sanction litigieuse a représenté sans conteste une « ingérence » dans l’exercice de la liberté d’expression de MM. Dona et Schul, garantie par le paragraphe 1 de l’article 10 (art. 10-1); elle appelle par conséquent un contrôle sous l’angle du paragraphe 2 (art. 10-2).
96. Elle était à n’en pas douter « prévue par la loi », à savoir les articles 2 par. 2, 5-A-8o, 18, 19 et 37 de la loi de 1903, combinés avec l’article 147 du code pénal militaire. Même quant au rôle joué par les accusés dans la rédaction et la diffusion d’écrits antérieurs au no 8 d' »Alarm » et que le commandement militaire avait prohibés, elle se fondait sur la loi de 1903 (paragraphe 90 ci-dessus) et non sur le décret du 21 décembre 1967. La Cour n’a donc pas à examiner la thèse des requérants quant à la validité de ce décret (rapport de la Commission, paragraphe 45, cinquième alinéa).
97. Pour montrer que l’ingérence incriminée répondait également aux autres conditions du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2), le Gouvernement a plaidé que les mesures prises en l’espèce étaient « nécessaires, dans une société démocratique », « à la défense de l’ordre »; il n’a invoqué l’article 10 par. 2 (art. 10-2) qu’au titre de ce dernier impératif.
98. La Cour souligne d’abord, avec le Gouvernement et la Commission, que le terme « ordre », tel qu’il figure dans cette disposition, ne désigne pas seulement l' »ordre public » au sens des article 6 par. 1 et 9 par. 2 (art. 6-1, art. 9-2) de la Convention et de l’article 2 par. 3 du Protocole no 4 (P4-2-3): il vise aussi l’ordre devant régner à l’intérieur d’un groupe social particulier; il en est ainsi notamment lorsque, comme dans le cas des forces armées, le désordre dans ce groupe peut avoir des incidences sur l’ordre dans la société entière. Il en résulte que les sanctions litigieuses ont rempli cette condition si et pour autant qu’elles ont eu pour objectif la défense de l’ordre au sein des forces armées néerlandaises.
Selon MM. Dona et Schul, il est vrai, l’article 10 par. 2 (art. 10-2) ne prend en considération la « défense de l’ordre » qu’en liaison avec « la prévention du crime ». La Cour ne souscrit pas à cette opinion. Si la version française utilise la conjonction copulative « et », la version anglaise emploie la conjonction disjonctive « or »; compte tenu du contexte et de l’économie de l’article 10 (art. 10), elle fournit en l’occurrence un guide plus sûr. Dans ces conditions, la Cour estime superflu de rechercher si le traitement subi par les requérants avait pour but la « prévention du crime » en sus de la « défense de l’ordre ».
99. Reste à savoir si l’atteinte portée à la liberté d’expression de MM. Dona et Schul était « nécessaire, dans une société démocratique », « à la défense de l’ordre ».
100. Bien entendu, la liberté d’expression garantie par l’article 10 (art. 10) vaut pour les militaires comme pour les autres personnes relevant de la juridiction des États contractants. Toutefois, le fonctionnement efficace d’une armée ne se conçoit guère sans des règles juridiques destinées à les empêcher de saper la discipline militaire notamment par des écrits. L’article 147 du code pénal militaire (paragraphe 43 ci-dessus) dérive de cette exigence légitime; il ne se heurte pas en lui-même à l’article 10 (art. 10) de la Convention.
Sans doute la Cour a-t-elle compétence pour vérifier, sous l’angle de la Convention, la manière dont le droit interne des Pays-Bas a été appliqué en l’espèce, mais il ne lui faut négliger à cet égard ni les particularités de la vie militaire (paragraphe 54 in fine ci-dessus), les « devoirs » et « responsabilités » spécifiques incombant aux membres des forces armées, ni la marge d’appréciation que l’article 10 par. 2 (art. 10-2), comme l’article 8 par. 2 (art. 8-2), laisse aux États contractants (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, p. 45, par. 93, et arrêt Golder du 21 février 1975, série A no 18, p. 22).
101. La Cour constate que les requérants ont contribué, à un moment où une certaine tension régnait dans la caserne d’Ermelo, à éditer et à y diffuser un écrit dont les extraits pertinents se trouvent reproduits plus haut (paragraphes 43 et 51 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Haute Cour militaire a pu avoir des raisons fondées d’estimer qu’ils avaient tenté de saper la discipline militaire et qu’il était nécessaire à la défense de l’ordre de leur infliger la sanction dont elle les a frappés. Il ne s’agissait donc pas pour elle de les priver de leur liberté d’expression, mais uniquement de réprimer l’abus qu’ils avaient commis dans l’exercice de cette liberté. Dès lors, il n’apparaît pas que sa décision ait enfreint l’article 10 par. 2 (art. 10-2).
B. Sur la violation alléguée des articles 10 et 14 (art. 14+10) combinés
102. MM. Dona et Schul allèguent une double violation des articles 10 et 14 (art. 14+10) combinés: ils soulignent qu’aux Pays-Bas un civil ne risque pas la moindre sanction dans un cas semblable au leur; ils affirment, de surcroît, avoir été punis plus sévèrement que nombre de militaires néerlandais non affiliés à la V.V.D.M. et poursuivis, eux aussi, pour avoir rédigé ou diffusé des écrits propres à saper la discipline militaire.
103. Sur le premier point, la Cour souligne que la distinction litigieuse s’explique par les différences entre les conditions de la vie militaire et celles de la vie civile, et plus précisément par les « devoirs » et « responsabilités » propres aux membres des forces armées dans le domaine de la liberté d’expression (paragraphes 54 et 100 ci-dessus). Sur le second, elle relève qu’il ne lui appartient pas, en principe, de comparer les diverses décisions rendues, même dans des litiges de prime abord voisins, par des tribunaux nationaux dont l’indépendance s’impose à elle comme aux États contractants. A la vérité, pareille décision revêtirait un caractère discriminatoire si elle s’écartait des autres au point de constituer un déni de justice ou un abus manifeste, mais les renseignements fournis à la Cour ne permettent de déceler rien de tel.
C. Sur la violation alléguée de l’article 10 combiné avec les articles 17 et 18 (art. 17+10, art. 18+10)
104. MM. Dona et Schul prétendent encore avoir subi dans l’exercice de leur liberté d’expression, au mépris des articles 17 et 18 (art. 17, art. 18), « des limitations plus amples que celles prévues » à l’article 10 (art. 10) et poursuivant un « but » dont il ne parle pas.
Le grief ne résiste pas à l’examen, la Cour ayant déjà conclu que lesdites limitations se justifiaient au regard du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2) (paragraphes 96-101 ci-dessus).
IV. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 11 (art. 11)
105. A en croire MM. Dona et Schul, beaucoup d’appelés du contingent membres de la V.V.D.M. se sont vu, après eux, infliger des sanctions pour avoir écrit ou/et diffusé des publications de nature à saper la discipline au sens de l’article 147 du code pénal militaire. Il s’agirait de mesures systématiques destinées à entraver le fonctionnement de la V.V.D.M. et enfreignant par conséquent l’article 11 (art. 11) de la Convention, selon lequel
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article (art. 11) n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »
106. La Cour ne peut prendre en considération que le cas des deux requérants et non la situation d’autres personnes et d’une association qui ne les ont pas mandatés pour saisir la Commission en leur nom (arrêt De Becker du 27 mars 1962, série A no 4, p. 26 in fine, et arrêt Golder du 21 février 1975, série A no 18, p. 19, par. 39 in fine).
107. Pour autant que MM. Dona et Schul invoquent également leur propre liberté d’association, la Cour souligne qu’ils n’ont pas été punis en raison de leur qualité d’adhérents de la V.V.D.M., ni de leur participation à ses activités y compris la rédaction et la publication de la revue « Alarm »: si la Haute Cour militaire les a frappés, c’est uniquement parce qu’elle a estimé qu’ils avaient usé de leur liberté d’expression dans le but de saper la discipline militaire.
108. Vu l’absence de toute atteinte au droit reconnu aux deux requérants par le paragraphe 1 de l’article 11 (art. 11-1), la Cour n’a pas à se placer sur le terrain du paragraphe 2 (art. 11-2), ni sur celui des articles 14, 17 et 18 (art. 14, art. 17, art. 18).
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
109. D’après l’article 50 (art. 50) de la Convention, si la Cour déclare « qu’une décision prise ou une mesure ordonnée » par une autorité quelconque d’un État contractant « se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (…) Convention, et si le droit interne (dudit État) ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou (…) mesure », la Cour « accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable ».
Le règlement de la Cour précise que quand celle-ci « constate une violation de la Convention, elle statue par le même arrêt sur l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention si la question, après avoir été soulevée en vertu de l’article 47 bis du (…) règlement, est en état; sinon, elle la réserve en tout ou partie et détermine la procédure ultérieure » (article 50 par. 3, première phrase, combiné avec l’article 48 par. 3).
110. A l’audience du 29 octobre 1975, la Cour a invité les comparants, en vertu de l’article 47 bis de son règlement, à formuler leurs observations sur la question de l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention en l’espèce.
De la réponse du délégué principal de la Commission, il ressort que les requérants ne présentent aucune demande de réparation pour préjudice matériel; ils comptent cependant se voir octroyer une satisfaction équitable si la Cour conclut à l’existence d’un ou plusieurs manquements aux exigences de la Convention, mais n’indiquent pas pour le moment à quelle somme se monteraient leurs prétentions dans l’hypothèse où pareille satisfaction devrait revêtir la forme d’une indemnité.
Le Gouvernement a déclaré de son côté, par la bouche de son agent, s’en remettre complètement sur ce point à la sagesse de la Cour.
111. La question de l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention ne se pose pas pour M. van der Wiel, ni pour ceux des griefs de MM. Engel, de Wit, Dona et Schul que la Cour a écartés. Elle surgit en revanche pour la violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) dans le cas de M. Engel et de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) dans celui de MM. de Wit, Dona et Schul (paragraphes 69 et 89 ci-dessus). Les renseignements fournis par le délégué principal de la Commission montrent toutefois qu’elle n’est pas en état; il échet donc de la réserver et de déterminer la procédure ultérieure la concernant.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Dit, à l’unanimité, que l’article 5 (art. 5) ne s’appliquait pas aux arrêts simples de MM. Engel (deuxième peine) et van der Wiel;
2. Dit, par douze voix contre une, qu’il ne s’appliquait pas davantage aux arrêts aggravés de M. de Wit, ni aux arrêts aggravés transitoires de MM. Dona et Schul;
3. Dit, par onze voix contre deux, que l’affectation de MM. Dona et Schul à une unité disciplinaire n’a pas violé l’article 5 par. 1 (art. 5-1);
4. Dit, par neuf voix contre quatre, que les arrêts provisoires de rigueur de M. Engel ont violé l’article 5 par. 1 (art. 5-1) pendant toute leur durée, car ils ne trouvaient de justification dans aucun des alinéas de ce texte;
5. Dit, par dix voix contre trois, qu’ils ont violé d’autre part l’article 5 par. 1 (art. 5-1) en tant qu’ils ont dépassé le délai de vingt-quatre heures prescrit par l’article 45 de la loi néerlandaise du 27 avril 1903 sur la discipline militaire;
6. Dit, à l’unanimité, que l’affectation de MM. Dona et Schul à une unité disciplinaire et les arrêts provisoires de M. Engel n’ont pas violé les articles 5 par. 1 et 14 (art. 14+5-1) combinés;
7. Dit, par douze voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) quant à l’affectation de MM. Dona et Schulà une unité disciplinaire;
8. Dit, par onze voix contre deux, que l’article 6 (art. 6) ne s’appliquait pas à M. Engel au titre des mots « accusation en matière pénale »;
9. Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’appliquait pas davantage à ce requérant au titre des mots « droits et obligations de caractère civil »;
10. Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’appliquait pas non plus à M. van der Wiel;
11. Dit, par onze voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) dans le cas de MM. de Wit, Dona et Schulen tant que les débats de la Haute Cour militaire se sont déroulés à huis clos;
12. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 2 (art. 6-2) dans le cas de MM. Dona et Schul;
13. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) dans le cas de MM. de Wit, Dona et Schul;
14. Dit, par neuf voix contre quatre, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) dans le cas de ces trois requérants;
15. Dit, par neuf voix contre quatre, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) dans le cas de M. de Wit;
16. Dit, par douze voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) dans le cas de MM. Dona et Schul;
17. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation des articles 6 et 14 (art. 14+6), combinés, dans le cas de MM. de Wit, Dona et Schul;
18. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le grief tiré par MM. Dona et Schul de la violation alléguée des articles 6 et 18 (art. 18+6) combinés;
19. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 (art. 10), considéré isolément ou combiné avec les articles 14, 17 ou 18 (art. 14+10, art. 17+10, art. 18+10), dans le cas de MM. Dona et Schul;
20. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 (art. 11) dans le cas de MM. Dona et Schul;
21. Dit, à l’unanimité, que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) ne se pose pas pour M. van der Wiel, ni pour ceux des griefs de MM. Engel, de Wit, Dona et Schul que la Cour a ainsi écartés (points 1 à 3, 6 à 10 et 12 à 20 ci-dessus);
22. Dit, par douze voix contre une, qu’elle n’est pas encore en état quant aux violations constatées dans le cas de M. Engel (article 5 par. 1, points 4 et 5 ci-dessus) (art. 5-1) et dans celui de MM. de Wit, Dona et Schul (article 6 par. 1, point 11 ci-dessus) (art. 6-1);
En conséquence,
a) réserve en entier la question de l’application de l’article 50 (art. 50) telle qu’elle se pose pour ces quatre requérants;
b) invite les délégués de la Commission à formuler par écrit, dans le délai d’un mois à compter du prononcé du présent arrêt, leurs observations sur cette même question;
c) décide que le Gouvernement aura la faculté de répondre par écrit à ces observations dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle le greffier les lui aura communiquées;
d) réserve la procédure à suivre ultérieurement sur cet aspect de l’affaire.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le huit juin mil neuf cent soixante-seize.