AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 15 février et 17 juin 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE, représentée par son maire ; la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 13 décembre 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, saisie par la société thermale d’Aix-en-Provence d’un jugement du 28 février 1997 du tribunal administratif de Marseille prononçant la résiliation du contrat de concession du 21 juin 1988 relatif à l’exploitation de l’établissement thermal et de la source thermale dite Sextius et condamnant ladite société à verser à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE une somme de 18 014 302,66 F, a confirmé la résiliation du contrat de concession mais rejeté les conclusions indemnitaires présentées par la société thermale d’Aix-en-Provence et par la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE ;
2°) statuant au fond, de prononcer la résiliation du contrat de concession aux torts de la société thermale d’Aix-en-Provence et de condamner celle-ci à lui verser une indemnité de 2 746 262,74 euros, augmentée des intérêts légaux et des intérêts des intérêts ;
3°) de condamner la société thermale d’Aix-en-Provence à lui verser une somme de 5 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 février 2004, présentée pour la société thermale d’Aix-en-Provence ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Aguila, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Thermale d’Aix-en-Provence,
– les conclusions de M. Le Chatelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un contrat du 21 juin 1988, la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE a concédé l’exploitation de l’établissement thermal et des sources thermales dites Sextius à la société Eurothermes Aix-en-Provence, devenue société thermale d’Aix-en-Provence ; que ce contrat prévoyait un programme de rénovation et d’extension de l’établissement thermal, la création d’un centre de remise en forme, le réaménagement du pavillon Sextius, la construction d’un hôtel et d’une piscine, la recomposition du parc et l’aménagement de parkings ; que, par un jugement du 28 février 1997, le tribunal administratif de Marseille a prononcé la résiliation de cette concession aux torts de la société concessionnaire et condamné celle-ci à payer à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE la somme de 18 014 302,66 F (2 746 262,74 euros), avec intérêts au taux légal à compter du 5 mars 1993 ; que, par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel a confirmé la résiliation du contrat de concession, mais rejeté les conclusions indemnitaires présentées tant par la société thermale d’Aix-en-Provence que par la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE ;
Considérant qu’aux termes de l’article 16-1 du contrat de concession du 21 juin 1988 soumis au juge du fond : Le présent contrat sera résilié si bon semble à l’une des parties en cas d’inexécution par l’autre partie de l’une quelconque de ses obligations au titre des présentes, et ce quatre-vingt-dix jours après une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée en tout ou partie sans effet pendant ce délai et sous réserve de tout dommage et intérêts ; qu’aux termes de l’article 16-3 de ce contrat : En cas de résiliation en application des dispositions de l’article 16-1 ci-dessus, le concessionnaire pourra prétendre à une indemnité égale à la valeur vénale des investissements qu’il a réalisés, déterminée à défaut d’accord entre les parties par un expert désigné par M. le Président du tribunal administratif de Marseille saisi par la partie la plus diligente, déduction faite du solde des emprunts éventuellement garantis et repris par le concédant et diminuée d’une trente-cinquième par année d’exécution du contrat, ladite indemnité étant payable après liquidation des dommages et intérêts éventuellement dus par le concessionnaire au concédant et à concurrence du montant non compensé ;
Considérant qu’en se fondant sur les stipulations de l’article 16-1 précité pour prononcer la résiliation de la concession mais rejeter les conclusions de la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE et de la société thermale d’Aix-en-Provenve tendant à ce que cette résiliation soit prononcée aux torts de l’autre partie, la cour administrative d’appel n’a pas entaché son arrêt de contradiction de motifs ni d’erreur de droit et n’a pas dénaturé les stipulations en cause, dès lors que celles-ci, qui s’imposent au juge du contrat, confèrent à chacune des parties un droit à la résiliation subordonné seulement à l’inexécution par l’autre partie de l’une quelconque de ses obligations ;
Considérant, en revanche, qu’en interprétant les stipulations de l’article 16-3 comme signifiant qu’en cas de résiliation prononcée en application de l’article 16-1, les droits à dommages et intérêts dont peut se prévaloir l’autorité concédante peuvent seulement venir en déduction des droits à indemnité du concessionnaire au titre des investissements réalisés et sont, par suite, subordonnés à l’existence de tels droits à indemnisation et limités à leur montant, la cour a dénaturé ces stipulations, qui n’ont pas d’autre objet que de prévoir que l’indemnité due le cas échéant au concessionnaire au titre des investissements réalisés ne sera versée que déduction faite des dommages et intérêts mis à sa charge ; qu’il y a lieu, par suite, d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il s’est prononcé sur les conséquences financières de la résiliation intervenue ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond en ce qui concerne les conséquences pécuniaires de la résiliation ;
Considérant qu’il est constant que lors de la remise des installations au concessionnaire, en juin 1988, celles-ci étaient en état de fonctionner ; qu’il n’est pas contesté que lors de leur restitution à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE, les locaux compris dans la concession avaient fait l’objet de démolitions partielles et avaient été saccagés et vidés de leur contenu ; qu’ainsi que l’a jugé le tribunal administratif, ces circonstances, ainsi que l’atteinte à la notoriété de la commune qui en a résulté, justifient la condamnation de la société concessionnaire à verser des dommages et intérêts à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE ; que, toutefois, les démolitions en cause étaient, pour partie au moins, nécessaires à la réalisation des travaux d’extension ; qu’il y a lieu, par ailleurs, de tenir compte de la part de responsabilité qui incombe à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE, le projet d’exploitation thermale prévu par le contrat de concession du 21 juin 1988 ayant été, en tout état de cause, compromis par le défaut d’autorisation administrative des sources Sextius et l’insuffisance de leur débit et de leur qualité micro-biologique ; qu’aux termes de l’article 16-1 de ce contrat, la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE disposait en outre de la faculté, à laquelle elle n’a pas recouru, de prendre aux frais et risques du concessionnaire les mesures nécessaires pour assurer provisoirement le service ; que, par suite, il y a lieu de procéder à un partage des responsabilités et de mettre à la charge de la société thermale d’Aix-en-Provence 50 pour cent du préjudice subi par la ville ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise, que le préjudice immobilier subi par la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE s’élève à la somme de 16 004 302,66 F comprenant notamment le coût de reconstruction des parties de bâtiments démolies ; que, le tribunal administratif a fait une juste appréciation des préjudices liés d’une part à la disparition ou à la destruction du mobilier qui équipait les locaux de l’établissement thermal et d’autre part à l’atteinte à la notoriété de la commune en les évaluant respectivement aux montants de 2 000 000 F et de 10 000 F ; qu’ainsi, c’est à bon droit que le tribunal administratif de Marseille a jugé que le préjudice indemnisable s’élevait à la somme de 18 014 302,66 F (2 746 262,74 euros) ; que, compte tenu du partage de responsabilité décidé ci-dessus, la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE a droit à une indemnité égale à la moitié de cette somme, soit 9 007 151,33 F (1 373 131,37 euros) ; qu’il y a lieu de ramener à ce montant la somme que la société thermale d’Aix-en-Provence a été condamnée à verser à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE par le jugement attaqué du tribunal administratif de Marseille ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 1 373 131,37 euros (9 007 151,33 F) à compter du 5 mars 1993, date d’enregistrement de sa demande au tribunal administratif de Marseille ; qu’il sera fait droit à sa demande de capitalisation des intérêts, présentée le 9 janvier 1995, date à laquelle était due une année entière d’intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner la société thermale d’Aix-en-Provence à verser à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE la somme de 4 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, ces dispositions font obstacle à ce que la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à payer à la société thermale d’Aix-en-Provence la somme que celle-ci demande au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 13 décembre 2001 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé en tant qu’il se prononce sur les conséquences pécuniaires de la résiliation de la convention de concession du 21 juin 1988.
Article 2 : La somme que la société thermale d’Aix-en-Provence a été condamnée à verser à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 28 février 1977 est ramené à 1 373 131,37 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 5 mars 1993. Les intérêts échus au 9 janvier 1995 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement du 28 février 1997 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : La société thermale d’Aix-en-Provence versera à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE ainsi que les conclusions de la société thermale d’Aix-en-Provence présentées devant le Conseil d’Etat et la cour administrative d’appel de Marseille sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE, à la société thermale d’Aix-en-Provence et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.