Vu la décision en date du 4 février 2004 par laquelle le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, sur la requête présentée pour la SOCIETE DE GROOT EN SLOT ALLIUM BV et la SOCIETE BEJO ZADEN BV enregistrée sous le n° 234560 et tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et du ministre de l’agriculture et de la pêche, rejetant leur recours gracieux du 26 février 2001 tendant à l’abrogation de l’arrêté ministériel du 17 mai 1990 relatif à la commercialisation des échalotes, a sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice des communautés européennes se soit prononcée sur la question de savoir si les dispositions combinées des directives n° 70/458 et n° 92/33 doivent être interprétées comme réservant la possibilité d’inscrire sur le catalogue commun des variétés les seules variétés d’échalotes qui se reproduisent sans semence, par multiplication végétative, et par suite, si les variétés matador et ambition ont pu être légalement inscrites sur le catalogue commun dans la rubrique consacrée aux échalotes ;
Vu l’arrêt en date du 10 janvier 2006 rendu par la Cour de justice des Communautés européennes ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité de Rome instituant la communauté économique européenne devenue la Communauté européenne (traité CE) ;
Vu le traité sur l’Union européenne ;
Vu la directive 70/458 CEE du conseil du 29 septembre 1970 ;
Vu la directive 92/33/CEE du conseil du 28 avril 1992 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Gilles Bardou, Conseiller d’Etat,
– les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE DE GROOT EN SLOT ALLIUM BV,
– les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les sociétés DE GROOT EN SLOT ALLIUM BV et BEJO ZADEN BV demandent l’annulation de la décision par laquelle le ministre de l’agriculture et le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ont refusé d’abroger l’article 1er de l’arrêté interministériel du 17 mai 1990, aux termes duquel : Ne peuvent être transportées, détenues en vue de la vente, mises en vente ou vendues sous le nom d’échalotes que les variétés de Allium cepa L.var. ascolonicum à multiplication végétative par bulbes présentant les caractéristiques suivantes : – de nombreux bourgeons auxiliaires (bulbes inclus) ; – une cicatrice du plateau de la touffe ; – une asymétrie par rapport à l’axe de la touffe et à la coupe transversale du bulbe ;
Considérant qu’à l’appui de leur recours pour excès de pouvoir, les requérantes ont soutenu à titre principal que la décision attaquée méconnaissait l’obligation faite aux Etats membres, par l’article 16 de la directive n° 70/458 du Conseil du 29 septembre 1970 concernant la commercialisation des semences de légumes, de ne soumettre à aucune restriction de commercialisation les variétés des espèces de légumes inscrites sur le catalogue commun des semences et plants de légumes, publié au Journal officiel des communautés, lequel comporte depuis 1998, sous le nom d’espèce échalote , les semences des variétés Matador et Ambition ; qu’elles ont également soutenu, à titre subsidiaire, qu’à supposer que l’inscription desdites variétés sur le catalogue commun n’ait pas été effectuée conformément aux dispositions de la directive susmentionnée, la décision attaquée était en tout état de cause contraire à l’article 28 du traité CE, en ce qu’elle maintenait une mesure d’effet équivalent à une interdiction d’importation, disproportionnée par rapport aux exigences de la protection des consommateurs ;
Considérant qu’à cette étape de la procédure, le Conseil d’Etat a estimé que la légalité de la décision attaquée dépendait nécessairement de la question de savoir si les variétés Ambition et Matador avaient pu légalement être inscrites sous le nom d’espèce échalote sur le catalogue commun des semences et plants de légume ; qu’en conséquence, par sa décision du 4 février 2004, il a posé à la Cour de justice la question de la validité de la décision de la Commission d’inscrire les variétés Ambition et Matador, sous le nom d’espèce échalote, sur ce catalogue commun ;
Considérant que, dans son arrêt du 10 janvier 2006, la Cour de justice, après avoir jugé que l’inscription des deux variétés litigieuses sur le catalogue commun, sous le nom d’échalote, était contraire au droit communautaire, s’est saisie de la question relative au bien fondé du moyen subsidiaire présenté par les requérantes ; qu’interprétant l’article 28 du traité et les deux directives susmentionnées régissant respectivement le commerce des plants et celui des semences de légumes, elle a dit pour droit que l’illégalité de ladite inscription n’autorisait pas un Etat membre à interdire qu’un légume puisse être vendu sur son territoire sous le nom d’espèce échalote, au seul motif qu’il se reproduit par semis et non par plant ; qu’il n’en irait ainsi que si les différences entre ce légume et les échalotes à reproduction végétative étaient à ce point importantes qu’il ne saurait être considéré comme relevant de la même catégorie, susceptible d’être vendu sous la même dénomination avec un étiquetage adéquat pour fournir les renseignements nécessaires au consommateur ; qu’alors même qu’elle ne faisait pas l’objet du renvoi préjudiciel, cette interprétation du traité et des actes communautaires, que la Cour était compétente pour donner en vertu du a) et du b) de l’article 234 du traité CE, s’impose au Conseil d’Etat ; qu’il appartient ensuite à la juridiction nationale, saisie du principal, éclairée par l’arrêt de la Cour, de qualifier les faits, en procédant, le cas échéant, aux investigations contradictoires qu’elle est à même d’ordonner, afin d’apprécier si les variétés Ambition et Matador présentent, par rapport aux échalotes de plant, non pas tant par leurs aspects extérieurs, dont il est constant qu’ils sont très proches, mais surtout par leurs propriétés organoleptiques et gustatives, des différences suffisamment réduites pour qu’elles puissent être reconnues comme appartenant à la catégorie des échalotes, avec un étiquetage adéquat propre à renseigner suffisamment le consommateur sur ces différences ;
Considérant que du supplément d’instruction ordonné par le Conseil d’Etat en juin 2006, qui a conduit notamment les parties à produire des témoignages de chefs cuisiniers et les résultats de tests de dégustation, à l’aveugle ou non, portant sur la comparaison, avant ou après cuisson, soit des variétés Ambition ou Matador par rapport à plusieurs variétés d’échalotes de plant, soit de l’ensemble des légumes précédents par rapport à des oignons, il résulte qu’outre des différences de propriétés organoleptiques, en particulier dans la teneur en matière sèche après passage en étuve, c’est principalement au regard des propriétés gustatives que les gourmets distinguent les échalotes de plant, reconnues, surtout après cuisson, comme plus parfumées, plus puissantes et corsées, longues en bouche, par rapport aux produits des requérantes, à la saveur moins prononcée et typée, plus neutre et fade ; que toutefois, il résulte également du dossier que ces deux produits partagent avec certaines variétés d’échalotes de plant traditionnelles de nombreuses propriétés, qui les distinguent ensemble des oignons ; que par suite, les requérantes sont fondées à soutenir qu’en interdisant la vente de leurs produits sous le nom d’échalote, alors qu’un étiquetage adéquat, dont il appartient à l’administration d’édicter le contenu, suffirait à renseigner les consommateurs sur les différences qui séparent leurs produits des échalotes traditionnelles, l’arrêté litigieux constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, interdite entre les Etats membres par l’article 28 du traité CE ; que cet arrêté est par suite entaché d’illégalité ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la décision par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et le ministre de l’agriculture ont refusé de déférer à la demande présentée le 26 janvier 2001 par les sociétés DE GROOT EN SLOT ALLIUM BV et BEJO ZADEN BV tendant à l’abrogation de l’article 1er de l’arrêté du 17 mai 1990 doit être annulée ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant qu’il appartient aux ministres auteurs de l’acte, en conséquence de la présente décision, d’abroger les dispositions de l’article 1er de l’arrêté du 17 mai 1990 dans le délai de deux mois à compter de la notification de ladite décision ; qu’il y a lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l’expiration de ce délai ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que le CERAFEL a la qualité d’intervenant et non celle de partie ; que par suite, alors même que son intervention au soutien de l’Etat défendeur aurait contribué à augmenter les frais supportés par les requérantes et non compris dans les dépens, les dispositions de cet article ne permettent de mettre à la charge du CERAFEL le versement d’aucune somme à ce titre ; que pour les mêmes motifs les conclusions du CERAFEL tendant au remboursement des frais qu’il a supportés doivent être rejetées ;
Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de mettre à la charge de l’Etat le paiement à chacune des SOCIETES DE GROOT EN SLOT ALLIUM BV et BEJO ZADEN BV de la somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision implicite par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et le ministre de l’agriculture et de la pêche ont refusé d’abroger les dispositions de l’article 1er de l’arrêté du 17 mai 1990 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au ministre de l’agriculture et de la pêche d’abroger les dispositions de l’article 1er de l’arrêté du 17 mai 1990 dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision. Une astreinte de 500 euros par jour est prononcée à l’encontre de l’Etat, s’il ne justifie pas dans ce délai avoir procédé à cette abrogation et jusqu’à la date de cette abrogation.
Article 3 : L’Etat versera à chacune des sociétés DE GROOT EN SLOT ALLIUM BV et BEJO ZADEN BV une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requérantes et les conclusions du CERAFEL sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée aux sociétés DE GROOT EN SLOT ALLIUM BV et BEJO ZADEN BV, au CERAFEL, à la Commission européenne, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au ministre de l’agriculture et de la pêche.