REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête présentée pour l’Office public d’habitations à loyers modérés du département de la Seine, dont le siège social est à Paris, quai des Célestins n° 32, ladite requête, enregistrée au secrétariat du contentieux le 1er mars 1956 et tendant à ce qu’il plaise au Conseil annuler une ordonnance en date du 10 février 1956 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que le sieur Y…, entrepreneur, et le sieur X…, liquidateur judiciaire, soient condamnés à rapporter sur le chantier de Plant-Champigny les moules nécessaires à la fabrication des panneaux préfabriqués, et ce, dans un délai de trois jours et sous une astreinte de 20.000 francs par jour en cas de retard ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ; Vu la loi du 22 juillet 1889, notamment son article 24 modifié par la loi du 28 novembre 1955 ; Vu l’ordonnance du 31 juillet 1945 ; Vu le décret du 30 septembre 1953 ;
Considérant qu’aux termes de l’article 24 de la loi du 22 juillet 1889, modifié par l’article 1er de la loi du 28 novembre 1955, « dans tous les cas d’urgence, et sauf pour les litiges intéressant l’ordre et la sécurité publique, le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut ordonner toutes mesures utiles sans faire préjudice au principal et sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative. Notification de la requête est immédiatement faite au défendeur éventuel, avec fixation d’un délai de réponse. La décision du président du tribunal administratif qui est exécutoire par provision, est susceptible d’appel devant le Conseil d’Etat dans la quinzaine de sa notification. Dans ce cas le président de la section du contentieux peut immédiatement et à titre provisoire suspendre l’exécution de sa décision » ;
Considérant qu’il résulte des pièces versées au dossier que l’office public d’habitations à loyers modérés du département de la Seine a passé le 28 avril 1954 avec le sieur Y…, entrepreneur de travaux publics au Perreux Seine , un marché pour la construction à Champigny-sur-Marne, au lieu dit « Le Plant », de 570 logements pour le prix forfaitaire de 667.557.947 francs ; que, l’entrepreneur ayant été mis en état de liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce du 13 décembre 1955, l’office a décidé, le 6 janvier 1956, par application de l’article 39 du cahier des clauses spéciales applicables aux marchés de travaux du bâtiment, de passer un nouveau marché aux risques et périls de l’entrepreneur défaillant ; que, le 6 janvier 1956 également, l’entrepreneur a enlevé du chantier et transporté au siège de son entreprise au Perreux des moules destinés à la fabrication des panneaux préfabriqués spécialement conçus en vue de l’exécution de divers bâtiments faisant l’objet du marché. Que l’office a alors demandé au sieur Y… de rapporter les moules sur le chantier en invoquant les dispositions du 4° alinéa de l’article 39 précité aux termes duquel, en cas de résiliation pure et simple ou de passation d’un nouveau marché aux risques et périls de l’entrepreneur défaillant, « l’entrepreneur ne peut se refuser à céder à l’office, si la demande lui en est présentée, les ouvrages provisoires dont les dispositions ont été agréées par ce dernier, le matériel construit spécialement pour l’exécution de l’entreprise et non susceptible d’être réemployé d’une manière courante sur d’autres chantiers, ainsi d’ailleurs que les matériaux approvisionnés, soit sur le chantier, soit en usine ou en magasin pour l’exécution des travaux ordonnés ». Que, devant le refus de restitution de l’entrepreneur qui, par ailleurs croyait devoir préciser par une lettre du 19 janvier 1956 qu’il ne se servait en aucune façon des moules pour autre chose, l’office a saisi le 6 février 1956 le président du tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à ce que, par application des dispositions de l’article 24 ci-dessus rappelé, il ordonne au sieur Y… de rapporter les moules dont s’agit sur le chantier dans un délai de trois jours et sous peine d’une astreinte de 20.000 francs par jour de retard, en vue de permettre la continuation des travaux ; que la requête susvisée de l’office est dirigée contre l’ordonnance en date du 10 février 1956 par laquelle le juge des référés a rejeté cette demande ;
Considérant que, s’il n’appartient pas au juge administratif d’intervenir dans la gestion du service public en adressant sous menace de sanctions pécuniaires, des injonctions à ceux qui ont contracté avec l’administration, lorsque celle-ci dispose à l’égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du marché, il en va autrement quand l’administration ne peut user de moyens de contrainte à l’encontre de son co-contractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle ; qu’en pareille hypothèse le juge du contrat est en droit de prononcer, à l’encontre du co-contractant de l’administration, une condamnation sous astreinte à une obligation de faire ; qu’en cas d’urgence le juge des référés peut de même, sans faire préjudice au principal, ordonner sous astreinte audit co-contractant, dans le cadre des obligations prévues au contrat, toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ;
Considérant que le matériel dont l’office d’habitations à loyers modérés du département de la Seine a demandé la restitution à l’entreprise Y… en vertu de la disposition susrappelée de l’alinéa 4 de l’article 30 du cahier des clauses spéciales du marché résilié est indispensable à la continuation des travaux faisant l’objet dudit marché ; que, si l’entreprise Y… a contesté que le matériel dont s’agit fût au nombre de ceux dont l’office peut exiger la cession en vertu de la clause précitée, la prétention de l’office présente un caractère sérieux ; que, d’autre part, l’office ne dispose d’aucun moyen lui permettant de contraindre par la voie administrative l’entreprise Y… à lui remettre ledit matériel ; que, dès lors, l’office était fondé à demander, dans l’attente de la solution du litige sur le fond, et à titre de mesure provisoire et urgente, la condamnation de l’entreprise sous astreinte à rapporter sur le chantier le matériel en cause, toutes réserves étant faites sur les conséquences pécuniaires de cette mesure ; que c’est à tort que le juge des référés, par l’ordonnance attaquée, a refusé de faire droit à cette demande ;
Sur les dépens de première instance : Considérant que, dans les circonstances de l’affaire, les dépens de première instance doivent être supportés par l’entreprise Y… ;
DECIDE : Article 1er : L’ordonnance susvisée du juge des référés du Tribunal administratif de Paris en date du 10 février 1956 est annulée. Article 2 : Le sieur Y… rapportera à Champigny-sur-Marne sur le chantier susdésigné les moules dont s’agit dans un délai de trois jours à compter de la notification de la présente décision, sous peine d’une astreinte de 20.000 francs par jour de retard. Article 3 : Les dépens de première instance et d’appel sont mis à la charge du sieur Y…. Article 4 : Expédition de la présente décision sera transmise au secrétaire d’Etat à la Reconstruction et au Logement Service juridique et financier .