REQUETE du département de la Moselle, représenté par le Préfet de la Moselle, dûment habilité, tendant à l’annulation d’un jugement du 18 novembre 1964, par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg l’a déclaré responsable envers le sieur Y… Aloyse et la caisse mutuelle de réassurance agricole contre l’incendie à Chaumont, des 2/3 des conséquences dommageables de l’incendie allumé le 8 mars 1959 dans la ferme du sieur Y… à Hesse Moselle par un malade de l’hôpital psychiatrique de Lorquin, placé en congé d’essai dans cette exploitation et a ordonné une expertise avant de statuer sur le montant de l’indemnité ;
Vu le Code de la Santé publique ; l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Sur la recevabilité de la demande présentée en première instance par le sieur Z… et par la Caisse mutuelle de réassurance agricole contre l’incendie de l’Est :
Considérant, d’une part, que, si la demande d’indemnité du 6 octobre 1960, dont le préfet de la Moselle a été saisi, émanait de cette caisse mutuelle, le préfet a, à la suite de cette réclamation qui portait tant sur l’indemnisation de la caisse mutuelle, assureur du sieur Y…, que sur l’indemnisation de ce dernier, refusé toute indemnité à l’un et à l’autre par décision du 4 novembre 1960 ; qu’ainsi, le contentieux a été lié non seulement à l’égard de la caisse mutuelle, mais aussi à l’égard du sieur Y… ;
Considérant, d’autre part, que la demande présentée devant le Tribunal administratif de Strasbourg par le sieur Y… et la Caisse mutuelle de réassurance agricole contre l’incendie de l’Est, qui fondaient leurs conclusions aux fins d’indemnité sur le même fait dommageable, présentait à juger les mêmes questions à l’égard des deux demandeurs sans qu’il y eût à examiner des circonstances particulières à chacun ; que ceux-ci pouvaient, dès lors, former leurs conclusions par une requête unique ;
Considérant que de ce qui précède, il résulte que les fins de non-recevoir opposées parle département de la Moselle aux demandeurs en première instance ne sauraient être retenues ;
Au fond :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que le sieur X…, interné à l’hôpital psychiatrique de Lorquin Moselle depuis le 30 juin 1958 et ultérieurement soumis au régime juridique du placement volontaire défini à l’article L. 333 du Code de la santé publique, a fait l’objet, dans les conditions prévues par une circulaire ministérielle du 4 décembre 1957, d’une décision de sortie d’essai pour une durée de trois mois prise le 3 janvier 1959 par le médecin-chef de service en considération de l’amélioration de son état de santé ; que cette décision prévoyait que l’intéressé occuperait un emploi chez un agriculteur des environs ; que le sieur Y…, exploitant agricole à Hesse, a accepté, par un acte écrit signé le 3 janvier 1959, de recevoir sous son toit le sieur X… et de lui assurer des moyens d’existence pendant la durée d’un congé de 30 jours à titre d’essai ; qu’à l’expiration de cette période de 30 jours, le sieur X… est resté employé chez le sieur Y… jusqu’au 7 mars 1959, date à laquelle il a quitté son emploi et le domicile du sieur Y… ; que le lendemain, 8 mars, vers 23 h 30, il a allumé un incendie dans les locaux du sieur Y… ;.
Considérant, en premier lieu, que le fait générateur du dommage subi par le sieur Y… s’est produit pendant une période où, bénéficiant d’une autorisation de sortie d’essai délivrée par le médecin-chef de l’hôpital psychiatrique, le sieur X… conservait juridiquement la qualité de malade interné dans cet établissement ; que, par suite, la responsabilité du département de la Moselle est, le cas échéant, susceptible d’être engagée envers le sieur Y… et la Caisse mutuelle à raison des conséquences dommageables de l’incendie allumé par le sieur X… ;
Considérant, en deuxième lieu, que l’engagement du 3 janvier 1959, par lequel le sieur Y… avait accepté que le sieur X… lui fût confié pour une durée de 30 jours, indiquait qu’à l’expiration de cette période de 30 jours, c’est-à-dire le 3 février 1959, le préfet de la Moselle prononcerait la sortie définitive du sieur X… de l’établissement psychiatrique dans lequel ce dernier était interné ; que, si, après le 3 février 1959, le sieur Y… a conservé sous son toit le sieur X… et maintenu le contrat de travail qui le liait à ce dernier, l’indication portée dans l’acte du 3 janvier 1959 lui permettait de penser que le sieur X… n’était plus, à partir du 3 février suivant, interné à l’hôpital psychiatrique ; que, dès lors, et nonobstant la . circonstance, ignorée du sieur Y…, que cette sortie définitive n’avait pas, en réalité, été prononcée par le préfet et que le sieur X… se trouvait toujours en sortie d’essai, le sieur Y… ne peut être regardé comme ayant entendu accepter tacitement la reconduction à partir du 3 février 1959 des engagements qu’il avait souscrits envers l’hôpital psychiatrique de Lorquin, en ce qui touche l’hébergement et l’emploi du sieur X…, lequel, à ses yeux, échappait désormais au régime juridique de l’internement ; qu’il s’ensuit, d’une part, que le département de la Moselle ne peut se prévaloir, en tout état de cause, pour un fait survenu le 8 mars 1959, de la clause insérée dans l’acte du 3 janvier 1959 et par laquelle le sieur Y… dégageait la responsabilité du département pour tous les actes dommageables causés parle sieur X…, alors que cet acte n’a pas fait l’objet d’une tacite reconduction, et, d’autre part, que, à la même date du 8 mars 1959, le sieur Y… n’était plus lié par aucun engagement envers l’hôpital et avait la qualité de tiers par rapport au département ;
Considérant en troisième lieu, que les sorties d’essai organisées par la circulaire ministérielle du 4 décembre 1957 font partie des traitements propres à assurer la réadaptation progressive des malades mentaux à des conditions normales de vie ; que cette méthode thérapeutique crée un risque spécial pour les tiers, lesquels ne bénéficient plus des garanties de sécurité inhérentes aux méthodes habituelles d’internement ; que, par suite, le sieur Y… et la Caisse mutuelle sont fondés à soutenir, à l’appui de leur appel incident, que l’incendie allumé par le sieur X… et qui est en relation directe avec la sortie d’essai dont ce dernier continuait à bénéficier le 8 mars 1959, est de nature à engager sans faute la responsabilité du département à leur égard ;
Considérant enfin que le sieur Y… ayant été amené à penser, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, que le sieur X… échappait dès le 3 février 1959 au régime juridique des malades internés et n’était plus placé à l’hôpital psychiatrique de Lorquin, n’a commis de faute ni en ne se préoccupant pas, pendant la période où il a continué à l’employer, de faire préciser la situation administrative de l’intéressé à l’égard de l’hôpital ou de tenir les autorités hospitalières informées de l’évolution du comportement du sieur X…, ni en s’abstenant de signaler immédiatement à l’hôpital le départ du sieur Arnette le 7 mars 1959 ; qu’ainsi aucune faute du sieur Y… victime du dommage litigieux, ne peut, en l’espèce, dégager ou atténuer la responsabilité du département ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que, si le département de la Moselle, n’est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif a retenu sa responsabilité partielle envers le sieur Y… et la Caisse mutuelle, le recours incident de ces derniers tendant à faire supporter par le département l’entière responsabilité de l’incendie doit, en revanche, être accueilli ;
Sur les dépens de première instance :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’affaire, de mettre les dépens de première instance à la charge du département de la Moselle ; … Département de la Moselle déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables subies par le sieur Y… et la Caisse mutuelle de réassurance agricole contre l’incendie de l’Est à Chaumont à l’occasion du sinistre provoqué le 8 mars 1959 par le sieur X… ; réformation dans ce sens de l’article 1er du jugement ; rejet de la requête du département de la Moselle ; dépens de première instance et d’appel mis à sa charge .