AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen relevé d’office, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile :
Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X… et M. Claude Y… se sont mariés le 6 septembre 1969 et qu’une fille, née le 15 août 1973, est issue de leur union ; qu’après leur divorce, prononcé le 7 octobre 1980, Mme X… a épousé le père de son ex-mari, Raymond Y…, le 17 septembre 1983 ; qu’après avoir consenti à sa petite-fille une donation le 31 octobre 1990, ce dernier est décédé le 24 mars 2005 en laissant pour lui succéder son fils unique et en l’état d’un testament instituant son épouse légataire universelle ; qu’en 2006, M. Claude Y… a, sur le fondement de l’article 161 du code civil, assigné Mme X… en annulation du mariage contracté avec Raymond Y… ;
Attendu que, pour accueillir cette demande, l’arrêt, par motifs propres et adoptés, après avoir relevé qu’ainsi que l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt récent, les limitations apportées au droit au mariage par les lois nationales des Etats signataires ne doivent pas restreindre ou réduire ce droit d’une manière telle que l’on porte atteinte à l’essence même du droit, retient que la prohibition prévue par l’article 161 du code civil subsiste lorsque l’union avec la personne qui a créé l’alliance est dissoute par divorce, que l’empêchement à mariage entre un beau-père et sa bru qui, aux termes de l’article 164 du même code, peut être levé par le Président de la République en cas de décès de la personne qui a créé l’alliance, est justifié en ce qu’il répond à des finalités légitimes de sauvegarde de l’homogénéité de la famille en maintenant des relations saines et stables à l’intérieur du cercle familial, que cette interdiction permet également de préserver les enfants, qui peuvent être affectés, voire perturbés, par le changement de statut et des liens entre les adultes autour
d’eux, que, contrairement à ce que soutient Mme X…, il ressort des conclusions de sa fille que le mariage célébré le 17 septembre 1983, alors qu’elle n’était âgée que de dix ans, a opéré dans son esprit une regrettable confusion entre son père et son grand-père, que l’article 187 dudit code interdit l’action en nullité aux parents collatéraux et aux enfants nés d’un autre mariage non pas après le décès de l’un des époux, mais du vivant des deux époux, qu’enfin, la présence d’un conjoint survivant, même si l’union a été contractée sous le régime de la séparation de biens, entraîne nécessairement pour M. Claude Y…, unique enfant et héritier réservataire de Raymond Y…, des conséquences préjudiciables quant à ses droits successoraux, la donation consentie à Mme Fleur Y… et la qualité de Mme Denise X… en vertu du testament du défunt étant sans incidence sur cette situation, de sorte que M. Claude Y… a un intérêt né et actuel à agir en nullité du mariage contracté par son père ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le prononcé de la nullité du mariage de Raymond Y… avec Mme Denise X… revêtait, à l’égard de cette dernière, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition prononçant l’annulation du mariage célébré le 17 septembre 1983 entre Raymond Y… et Mme Denise X…, ainsi qu’en sa disposition allouant une somme à M. Claude Y… sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 21 juin 2012, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Déboute M. Claude Y… de sa demande en annulation du mariage célébré le 17 septembre 1983 entre Raymond Y… et Mme Denise X… ;
Condamne M. Claude Y… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Claude Y…, le condamne à payer à Mme X… la somme de 3 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat aux Conseils, pour Mme X….
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir prononcé la nullité du mariage intervenu le 17 septembre 1983 entre M. Raymond Y… et Mme Denise X… ;
AUX MOTIFS QUE la prohibition prévue par l’article 161 du code civil subsiste lorsque l’union avec la personne qui a créé l’alliance est dissoute par le divorce ; que, l’empêchement à mariage entre un beau-père et sa bru, qui aux termes de l’article 164, peut être levé par le Président de la République en cas de décès de la personne qui a créé l’alliance, est justifié en ce qu’il répond à des finalités légitimes de sauvegarde de l’homogénéité de la famille en maintenant des relations stables à l’intérieur du cercle familial ; que dans ses conclusions de première instance, Fleur Y… a indiqué « avoir en réalité été élevée par son grand-père, M. Raymond Y… et sa mère Mme Denise X…, ne voyant que très occasionnellement M. Clause Y… » ; qu’il ressort des conclusions de Fleur Y… que le mariage célébré le 17 septembre 1983, alors qu’elle n’était âgée que de dix ans, a opéré dans son esprit une regrettable confusion entre son père et son grand-père ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE l’article 161 du code civil énonce qu’en ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne ; que certes, ainsi que le rappelle la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt récent, les limitations apportées au droit au mariage par les lois nationales des Etats signataires ne doivent pas restreindre ou réduire ce droit d’une manière telle que l’on porte atteinte à l’essence même de ce droit ; que cependant, la restriction apportée au mariage entre un beau-père et sa bru est destinée à la sauvegarde de l’homogénéité de la famille, en empêchant la rivalité entre parents et enfants et en maintenant des relations saines et stables à l’intérieur du cercle familial ; que cette interdiction permet également de préserver les enfants, qui peuvent être affectés voire perturbés par le changement de statut et des liens entre les adultes autour d’eux ; qu’ainsi, l’empêchement à mariage entre un beau-père et sa bru est justifié en ce qu’il répond à des finalités légitimes ; qu’il convient donc de prononcer la nullité du mariage intervenu le 17 septembre 1983 entre Mme Denise X… et son beau-père , M. Raymond Y… ;
ALORS QUE l’article 161 du code civil, en ce qu’il interdit de manière absolue le mariage entre alliés en ligne directe en l’absence de décès de la personne qui a créé l’alliance, porte atteinte à la substance même du droit au mariage ; qu’en faisant application de ces dispositions pour annuler le mariage célébré entre une belle-fille, Mme X…, et son beau-père, M. Raymond Y…, la cour d’appel a violé ce texte par fausse application et l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme par refus d’application.