L’article de l’autrice s’inscrit dans le cadre d’une réflexion menée sur le statut des enfants incestueux par le groupe « Les enfants de Jocaste » qui réunit des universitaires et des professionnels du droit sous la direction de Mélanie Jaoul.
Cela fait quelques années que l’inceste est malheureusement au cœur de l’actualité : à la suite d’affaires pénales médiatisées fin 2017 et 2020, à la suite de révélations touchant des personnalités publiques (la sortie des livres « La Consolation » de Flavie Flament1 ou « La familia grande » de Camille Kouchner2 et à la suite de l’emballement des réseaux sociaux encourageant les victimes à libérer la parole via #Metooinceste. C’est dans ce contexte que vient d’être promulguée la loi n° 2021-428 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste. Pour ce faire, le législateur a créé notamment de nouvelles infractions sexuelles telles que le crime de viol incestueux sur mineur (art. 222-23-2 C. pén.) ou le délit d’agression sexuelle incestueuse sur mineur (art. 222-29-3). S’il ne peut être reproché au législateur de vouloir protéger les victimes de l’inceste, il ne faut pas oublier que cette relation charnelle peut aboutir à la naissance d’un enfant. Au-delà de la honte que cet enfant pourra ressentir si la vérité est révélée quant à ses origines – l’inceste étant un tabou universel – ce dernier subira également la relation « coupable » de ses parents en termes de droit de successions dans la mesure où, lorsque l’inceste est absolu, un seul lien de filiation pourra être établi, ce qui le prive de la qualité d’héritier « privilégié » à l’égard de l’un d’eux. L’inceste est qualifié d’absolu lorsqu’il existe un des empêchements à mariage des articles 161 et 162 du Code civil qui ne souffrent d’aucune dispense, c’est-à-dire lorsque la relation se produit entre ascendants, descendants, entre alliés dans la même ligne (Sauf s’il s’agit d’alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée – art. 163 C.civ.), et collatéraux privilégiés. Il est vrai que dans un certain nombre d’hypothèses, l’enfant n’aurait été de toute façon reconnu que par sa mère. En raison de l’adage mater semper certa est faisant de la maternité une conséquence directe de l’accouchement (art. 311-25 C. civ.), dans la plupart des situations, c’est le lien de filiation maternel qui sera établi en premier et qui empêchera le lien paternel d’être tissé juridiquement. Il est également vrai que cette même mère préférera parfois cacher à l’enfant les circonstances de sa naissance, notamment lorsqu’il s’agira d’un inceste subi. Cependant, il peut également arriver que l’inceste soit rendu public et que l’enfant connaisse la vérité sur ses origines, par exemple parce qu’un procès pénal s’est tenu entre l’auteur de l’inceste et sa victime. En outre, même si au premier abord, il est difficile de le concevoir, l’inceste est parfois consenti notamment dans le cadre d’une relation entre collatéraux privilégiés ou entre un beau-fils/une belle-fille et son beau-parent divorcé. L’image de Peau d’âne échappant à son père a pu laisser place à celle des jumeaux de Westeros, Cersei et Jaime Lannister, dans Game of Thrones dont la relation consentie aboutit à la naissance de trois enfants (J. Burel, Les rouages juridiques de l’inceste à l’épreuve de Game of Thrones, in Q. Le Pluard et P. Plouhinec, Du droit dans Game of Thrones, Libre Droit, Paris : Mare et Martin, 2019, p. 135). Or, même dans ces hypothèses, ce « vide d’une filiation » prive l’enfant du droit à succéder envers l’un ou l’autre de ses deux parents (Sur cette question, voir : F. Granet-Lambrechts, J.-Cl. Civil Code, art. 310-1 et 310-2, V° Filiation, Dispositions générales, Modes d’établissement de la filiation, Restrictions à l’établissement de la filiation incestueuse, 2019, fasc. unique. La seule possibilité serait que son second géniteur recourt au legs mais la quotité disponible ne devra pas être dépassée – art. 913 et 914-1 C. civ. – et l’enfant biologique sera soumis à une taxation moins favorable – art. 777 CGI) (I). Aussi, sans vouloir lever la prohibition du mariage en matière d’inceste absolu, il est proposé de limiter les effets de son interdiction quant à l’enfant qui en est le fruit en lui ouvrant une action en reconnaissance de la qualité d’héritier « privilégié » (II).
I. L’état du droit des successions face à l’enfant né de l’inceste absolu
A la lecture des articles 733 et 735 du Code civil tels qu’écrits à la suite de la loi du 3 décembre 2001 (Loi n° 2001-1135 du 3 déc. 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, JO 4 déc. 2001, p. 19279. Sur cette loi, voir : M. Bouvier, « L’égalité des filiations », Gaz. Pal. 3 oct. 2002, p. 4 ; P. Gourdon, « Aperçu rapide – quelques observations sur l’évolution du régime successoral des enfants adultérins et ses conséquences imprévues », JCP éd. N 2001, p. 1647 ; F. Sauvage, « La réforme du droit des successions enfin adoptée », JCP éd. N 2001, p. 1727), il semble régner une égalité parfaite pour les enfants en matière de droit des successions. Le premier de ces articles dispose que : « la loi ne distingue pas selon les modes d’établissement de la filiation pour déterminer les parents appelés à succéder », alors que le second prévoit que : « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes ». Par ailleurs, depuis 2006 (Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, JO 24 juin 2006, p. 9513), si la filiation n’est établie qu’après le décès du parent et que la succession a déjà été partagée, le nouvel héritier disposera de l’action en nullité du partage dès lors qu’il a été omis de la succession ou de la possibilité de demander la distribution de la part oubliée par les autres héritiers (Art. 887-1 C. civ.) ; il disposera d’un délai de cinq ans à compter du décès pour intenter l’action.
Si en théorie, l’égalité des filiations paraît acquise, en pratique des inégalités demeurent : pour l’enfant adultérin de jadis comme pour l’enfant adopté sous la forme simple (Sur cette question, voir : A. Niemiec, Les droits de succession de l’enfant à l’épreuve de sa conception, p. 215, in B. Mallevaey et A. Fretin (dir.), L’enfant et le sexe, coll. Thèmes, Commentaires et Actes, Paris : Dalloz, 2021). En outre, pour que ces articles puissent s’appliquer, encore faut-il que le lien de filiation soit établi, par l’effet de la loi, par la reconnaissance, par la possession d’état, ou par jugement. Or, pour l’enfant né d’un inceste absolu, l’interdit de l’inceste empêche la double filiation. En effet, l’article 310-2 du Code civil modifié par l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation (Ord. n° 2005-759 du 4 juill. 2005 portant réforme de la filiation, JO 6 juill. 2005, p. 11159) prévoit que cet enfant ne peut être filialement rattaché à ses deux parents biologiques, par quelque moyen que ce soit, consacrant ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation interdisant au parent biologique de passer par la voie de l’adoption pour faire établir le second lien de filiation (Cass. 1re civ., 6 janv. 2004, pourvoi n° 01-01.600, Bull. civ. I, n° 2 ; D. 2004, p. 362, note J. Sainte-Rose et D. Vigneau ; JCP éd. G 2004, p. 783, note C. Labrusse-Riou ; Petites affiches 8 avr. 2004, p. 13, note V. Voisin ; RTD civ. 2004, p. 75, note J. Hauser). Avec une telle disposition légale, l’enfant incestueux se trouve donc privé obligatoirement d’un lien de filiation et par conséquent de la qualité d’héritier « privilégié » à l’égard de l’un de ses deux parents.
Prenons deux exemples illustratifs :
1. Un enfant né de l’union entre un père et sa fille, établissement du lien de filiation avec la mère
L’enfant sera considéré comme un petit-fils à l’égard de son père biologique.
– Si sa mère est encore vivante au moment du décès de son père biologique/grand-père juridique, il ne viendra pas à la succession (s’ils sont tous les deux du 1er ordre, en vertu des règles des degrés, sa mère sera du 1er degré, lui du 2e degré, c’est donc sa mère qui héritera de la totalité de la succession – Art. 734 et 744 C .civ.).
Si sa mère est prédécédée au moment du décès de son père biologique/grand-père juridique, l’enfant pourra venir soit de son propre chef à la succession, soit par représentation (en fonction de la qualité des autres héritiers – Art. 752 et 753 C. civ.). Si sa mère n’avait pas d’autre enfant, il ne sera pas lésé par l’impossibilité d’avoir établi sa filiation puisqu’il récupérera la part qui devait échoir à sa mère. En revanche, s’il est en concurrence avec ses propres frères et sœurs, ses droits dans la succession de son père biologique/grand-père juridique seront nécessairement réduits ; la part revenant à la mère étant divisée entre le nombre de ses propres enfants (Art. 734 et 744 C. civ.). De plus, l’abattement dont il pourra bénéficier est moins intéressant que celui d’un enfant : il sera de 100 000 euros à partager entre tous les enfants de la mère alors que s’il était intervenu à la succession en tant qu’enfant, cet abattement aurait été de 100 000 euros par enfant (Art. 779 CGI). Enfin, dans cette situation, il pourra profiter de la réserve héréditaire de sa mère prédécédée (Art. 913-1 C. civ.). Néanmoins, s’il a des frères et sœurs, cette réserve héréditaire sera moins intéressante pour lui puisque l’ensemble de la fratrie disposera de la réserve héréditaire de leur mère, à partager à part égale entre eux alors que si l’enfant incestueux était venu en tant qu’enfant, il bénéficierait de sa propre réserve héréditaire.
2. Un enfant né de l’union entre un frère et une sœur, établissement du lien de filiation par sa mère
L’enfant sera considéré comme un neveu à l’égard de son père biologique.
Si son père biologique a lui-même des enfants, ni la mère de l’enfant (sœur du défunt), ni l’enfant (en tant que neveu) n’ont vocation à intervenir à la succession (ils seront considérés comme héritiers de 2e ordre face à des héritiers de 1er ordre – Art. 734 C. civ.). Si le père biologique n’a pas d’enfants mais un conjoint successible, ni la mère de l’enfant (sœur du défunt), ni l’enfant en tant que neveu n’a vocation à intervenir à la succession (les héritiers seront le conjoint et les éventuels parents du défunt – Art. 757-1 C. civ.).
Si le père biologique n’a pas d’enfants, pas de conjoint successible mais des parents encore en vie, la mère de l’enfant (sœur du défunt) récupérera la moitié de la succession, ¾ si un seul des parents est en vie et la totalité si les deux parents sont prédécédés (Art. 738 C. civ.). Si elle a elle-même des frères et sœurs, la part en question sera divisée en autant de frères et sœurs (Art. 744 C. civ.). Dans tous les cas, l’enfant en tant que neveu n’interviendra pas à la succession (sa mère étant héritière de 2e ordre, 2e degré alors que lui est héritier du 2e ordre mais de 3e degré). Dans cette hypothèse, la mère de l’enfant (sœur du défunt) n’a pas la qualité d’héritier réservataire. Il est donc possible que le défunt se départisse de ses biens en faveur d’autres individus. Si cette mère est prédécédée et qu’elle n’avait pas d’autres enfants, l’enfant né de l’inceste récupérera la part qui devait échoir à sa mère. Cependant, s’il est en concurrence avec ses propres frères et sœurs, ses droits dans la succession de son père biologique/oncle juridique seront nécessairement réduits ; la part revenant à la mère étant divisée entre le nombre de ses propres enfants. De plus, l’abattement dont il pourra bénéficier est moins intéressant que celui d’un enfant : il sera de 15 932 euros s’il vient en représentation de sa mère prédécédée alors que s’il était intervenu à la succession en tant qu’enfant, cet abattement aurait été de 100 000 euros (Art. 779 CGI). Le barème d’imposition est également bien plus important que s’il était venu en tant qu’enfant (55% alors qu’en ligne directe, le taux varie entre 5% et 45% en fonction du montant de la succession – Art. 777 CGI).
Ces deux exemples suffisent à démontrer que l’enfant né d’un inceste absolu pâtit de l’absence du double lien de filiation en sa qualité d’héritier. La part qui lui échoira pourra se retrouver réduite en fonction de la configuration des héritiers au moment de la succession voire être supprimée s’il ne bénéficie pas de la réserve héréditaire. Quand Antigone n’hérite pas d’Œdipe… Pour accentuer cette inégalité, comme nous l’avons précédemment évoqué, le lien de filiation est le plus souvent établi envers la mère de l’enfant. Mais à lire la démonstration réalisée dans « Le genre du capital » (C. Bessière et S. Gollac, Le genre du capital, comment la famille reproduit les inégalités, SH L’envers des faits, Paris : La Découverte, 2020, 336 p.), le patrimoine le plus conséquent se trouve du côté de la gent masculine. De fait, l’enfant se trouve donc privé de la succession généralement la plus garnie.
Rappelons qu’avant la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 (Loi n° 2001-1135 du 3 déc. 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, JO 4 déc. 2001, p. 19279), l’enfant adultérin était également lésé dans ses droits de succession puisqu’il ne bénéficiait que de la moitié des droits qu’il aurait eus s’il n’était pas d’une relation considérée comme « fautive ». Au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du citoyen (CEDH, 13 juin 1979, Marckx c/ Belgique, req. n° 6833/74 _ CEDH, 1er fév. 2000, Mazurek c/ France, req. n° 34406/97, Dr. et Patrimoine mai 2000, p. 56, note Ph. Stoffel-Munck ; Dr. et Patrimoine juill. 2001, p. 43, note F. Vauvillé ; RJPF mars 2000, p. 24, note J. Casey), le législateur français a mis fin à cette inégalité. Il conviendrait d’adopter cette même démarche pour l’enfant né d’un inceste absolu, victime collatérale de la relation de ses parents. Que l’on s’entende : il ne s’agit pas ici de lever les prohibitions à mariage, mais de reconnaître à l’enfant, déjà né, les mêmes droits que les autres enfants biologiques, au moins en ce qui concerne ses droits de succession. De plus, ne pas lui reconnaître la qualité d’héritier « privilégié » paraît hypocrite puisque l’action aux fins de subsides, qui permet de réclamer des aliments à celui qui a eu des relations avec la mère pendant la période légale de conception de l’enfant, lui est déjà ouverte (Art. 342 C. civ.). L’intérêt économique prime alors sur ce « principe fondateur du droit de la famille » (A. Batteur, « L’interdit de l’inceste. Principe fondateur de la famille », RTD civ. 2000, p. 759) qu’est la prohibition de l’inceste. Par ailleurs, il est à noter que l’enfant né d’un inceste relatif (c’est-à-dire les situations où la prohibition du mariage peut être levée par dispense du Président de la République, pour motifs graves : oncle/tante avec neveu/nièce ou ascendant/descendant avec un allié en ligne directe lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée – Art 164 C. civ.) quant à lui peut faire établir le double lien de filiation.
Le risque de l’état actuel de la législation française est une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation des articles 8 sur la vie privée et familiale et 14 sur le principe de non-discrimination de la CEDH comme cela avait été le cas pour l’enfant adultérin, voire même sur le fondement de l’article 1er relatif au droit de propriété. En outre, la législation actuelle présente le défaut de ne pas se placer du point de vue de l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit pourtant, selon l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, à laquelle la France est partie, être la considération primordiale (Décret n° 90-917 du 12 oct. 1990 portant publication de la Convention relative aux droits de l’enfant, signée à New-York le 26 janv. 1990, JO 12 oct. 1990, p. 12363. Cette idée est reprise à l’art. L.112-4 CASF). En réalité, si la prohibition des mariages entre certains membres de la même famille s’explique par des considérations d’ordre moral et sociétales, par le tabou qu’est l’inceste, la discrimination qui en ressort pour l’enfant d’un point de vue de ses droits successoraux semble injustifiée : dans ces situations, l’inceste est déjà réalisé, il ne s’agit donc plus de prévenir, et le préjudice qui en ressort n’est pas subi par les personnes responsables de la relation considérée comme répréhensible mais par l’enfant, fruit de cette union.
A titre comparatif, la Cour constitutionnelle Belge, dans un arrêt en date du 9 août 2012, saisie sur la conformité de l’article 325 du Code civil prohibant le double lien de filiation de l’enfant issu de l’inceste absolu, avait répondu que cette disposition était contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution belge consacrant l’égalité devant la loi et la prohibition de toute discrimination. La Cour avait alors censuré cette disposition considérant qu’elle empêche dans tous les cas le juge de faire droit à la demande même s’il constate que l’établissement de la filiation correspond à l’intérêt supérieur de l’enfant. Malgré cette prise de position, le législateur belge n’a pas procédé à la modification de l’article 325 du Code civil.
En ce qui concerne la jurisprudence française, il faut noter une certaine inflexion. Ainsi, dans une affaire d’inceste entre frère et sœur, où la mère de l’enfant avait vu son lien de filiation annulé à la demande du Procureur de la République, les juges d’appel de Caen avaient admis la validité du double lien de filiation de l’enfant considérant que l’intérêt de l’enfant s’opposait à l’annulation d’un lien de filiation sur lequel s’est construite jusqu’à présent sa place dans l’histoire familiale. De même, la Cour de cassation régulatrice, dans un arrêt en date du 4 décembre 2013, avait refusé d’annuler le mariage d’un beau-père et sa belle-fille, pourtant en l’espèce constitutif d’un empêchement dirimant, considérant que le mariage ayant duré vingt ans, l’annulation ne serait pas proportionnée au but poursuivi par le législateur à savoir la confusion des générations (Cass., 1re civ., 4 déc. 2013, pourvoi n° 12-26.066, Bull. civ. I, n° 234 ; RJPF fév. 2019, p. 23, note J.-R. Binet ; Dr. fam. janv. 2014, comm. 1, note M. Lamarche.).
II. Les modifications législatives proposées pour établir l’égalité successorale des enfants nés de l’inceste absolu
Comme l’a indiqué récemment Aline Cheynet de Beaupré, « L’enfant incestueux est issu d’une relation incestueuse et non pas un participant à la relation sexuelle, il n’est pas acteur mais fruit victime de la relation. À l’instar d’Antigone, il portera ce tabou sur ses épaules » (A. Cheynet de Beaupré, « L’inceste, un tabou civil », RJPF avr. 2021, p. 5). Actuellement lésé en droit des successions, il ne pourra profiter que des moyens offerts au bénéfice de tout tiers pour espérer obtenir une partie du patrimoine de son géniteur non reconnu juridiquement : libéralités entre vifs – donation – ou testamentaires – legs (Art. 893 et suiv. C. civ.), bénéfice d’une assurance-vie. L’auteur de la libéralité sera néanmoins contraint par la quotité disponible s’il existe des descendants (art. 913 C. civ.) ou un conjoint successible (art. 914-1 C. civ.) et un risque de requalification de l’assurance-vie en donation directe plane sur l’opération envisagée hors succession (Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, pourvoi n°01-13.592, Bull. mixte, n° 4 ; AJDA 2004. 2302, obs. M.-C. Montecler et P. Seydoux ; D. 2004. 3192 ; ibid. 2005. 1317, obs. H. Groutel ; RDI 2005. 11, obs. L. Grynbaum ; RTD civ. 2005. 88, obs. R. Encinas de Munagorri ; ibid. 434, obs. M. Grimaldi ; LPA, n° 10, 2005. 6, note P. Grosjean ; RJPF, 2/47, 2005. 25, note P. Delmas Saint-Hilaire ; Rev. contrats 2005. 297, note A. Bénabent).
Aussi, afin de remédier à la discrimination dont sont victimes les enfants nés d’un inceste absolu, il est proposé d’insérer une nouvelle action aux fins d’établir la filiation après le décès du parent envers qui la filiation n’a pas pu être établie. Cette action servirait à l’enfant uniquement à se faire reconnaître la qualité d’héritier et ainsi à venir à la succession du défunt.
Elle pourrait être intégrée dans la section 2 « des actions aux fins d’établissement de la filiation », dans le chapitre III « des actions relatives à la filiation » du Titre VII « de la filiation », du livre 1er du Code civil « des personnes » dans un nouvel article 331-1 du Code civil. La rédaction proposée est la suivante : « L’enfant né d’un inceste absolu a la possibilité de faire établir sa filiation à l’égard du parent qui n’a pas pu faire établir sa filiation uniquement lorsque ce dernier est décédé afin de venir à sa succession ». De ce fait, l’article 310-2 du Code civil devrait également être modifié. Il pourrait être ajouté : « Sauf la situation visée à l’article 331-1 du Code civil, s’il existe entre les père et mère de l’enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l’égard de l’un, il est interdit d’établir la filiation à l’égard de l’autre par quelque moyen que ce soit ». De même, à l’article 331 du Code civil, la formule « Lorsqu’une action est exercée en application de la présente section » pourrait être remplacée par « Lorsqu’une action est exercée en vertu des textes ci-dessus de la présente section ».
Cette solution présenterait l’avantage de ne « reconnaître » l’inceste absolu qu’au moment du décès du parent qui n’a pas établi sa filiation. Ainsi, si le contexte de la filiation a toujours été caché à l’enfant, cette action ne contreviendrait pas au secret de ses origines puisque dans cette hypothèse, l’action ne sera pas engagée. En outre, si l’enfant à qui a été révélé l’inceste ne souhaite pas se manifester à la succession de son second parent en faisant établir sa filiation en raison de la honte ressentie ou pour la paix familiale, ce souhait pourra être respecté puisque là encore aucune action ne sera engagée. Par ailleurs, cette solution ménagerait l’interdit de l’inceste dans la mesure où elle n’aurait pas de conséquences sur l’autorité parentale des parents, sur l’attribution du nom de l’enfant ou encore sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (sur ce point, l’action relative aux subsides prendra le relais). Elle n’aura pas d’impact non plus sur une quelconque obligation alimentaire de l’enfant à l’égard de ce parent (ce parent étant décédé au moment de l’établissement de la filiation) et la succession se fera nécessairement dans le sens parent-enfant puisque ce parent devra être décédé pour que l’enfant fasse établir sa filiation. Le sort patrimonial de l’enfant serait bien distinct de la relation sexuelle coupable de ses géniteurs (D. Fenouillet, « L’adoption de l’enfant incestueux par le demi-frère de sa mère, ou comment l’intérêt prétendu de l’enfant tient seule de règle de droit », », Dr. fam. 2003, chron. 29, p. 4.). Ce serait reconnaître à l’engendrement de simples effets patrimoniaux (Sur la réécriture des articles relatifs à la filiation et sur la notion d’engendrement, voir : V. Deschamps, Le fondement de la filiation : de la biologie à l’engendrement, étude sur la cohérence du titre VII du livre premier du Code civil, Issy-les-Moulineaux : LGDJ, 2019, XXI-844 p.) créant ainsi une filiation « putative », à l’instar du mariage putatif, mariage nul produisant néanmoins des effets à l’égard des enfants nés de l’union (Art. 202 C. civ.).
Pour toutes ces raisons, cette action s’inscrit pleinement du point de vue de l’intérêt supérieur de l’enfant qui se verra attribuer la seule qualité d’héritier. Il est proposé de prévoir un délai de cinq ans à compter du décès pour faire établir la filiation. L’enfant sera alors dans la même situation que l’héritier omis lors d’un partage et aura cinq ans pour agir à compter du décès. Si les deux actions sont soumises au même délai, il suffira à l’enfant d’intenter les deux actions de manière simultanée et que le juge de la succession (Tribunal judiciaire – Art. R.211-3-26 COJ) sursoit à statuer en attendant l’établissement ou non de la filiation par le juge de la filiation (Tribunal judiciaire statuant en matière civile – art. 318-1 C. civ.). En cas de décès de l’enfant avant l’établissement de la filiation, l’action judiciaire intentée pourra être poursuivie par ses propres héritiers comme le prévoit l’article 724 du Code civil.
Deux inconvénients générés par cette nouvelle action peuvent néanmoins être soulevés. Le premier résulte de la difficulté à apporter la preuve de la réalité de la filiation pour l’enfant envers son parent biologique. En effet, les tests post-mortem sont interdits en France (art. 16-11 C. civ.) ; aussi cette filiation ne pourra être prouvée génétiquement. Il faudra alors apporter la preuve par tout autre moyen : des témoignages ou encore des preuves écrites ménagées par le parent biologique (testament authentique qui a l’avantage de ne pas prendre effet qu’à cause de mort) envers qui la filiation n’a pas pu être établie (ce qui pourrait être le cas en cas d’inceste consenti). Le second réside dans le fait que cette action générera un allongement des délais pour clôturer la succession du parent décédé : il faudra d’abord faire établir la filiation avant de pouvoir statuer sur l’action en omission d’héritier. A noter que ce risque existe déjà lorsque la filiation d’un enfant à l’égard d’un parent n’est établie qu’après le décès de ce dernier.
Il ne reste plus qu’au législateur de se saisir de l’inceste non plus sous le prisme de la relation entre deux personnes mais sous celui des droits de l’enfant, victime cachée d’un tabou social justifiant de nier jusqu’à ses droits de succession.
- F. Flament, La Consolation, LGF : Paris, 2017, 256 p. [↩]
- C. Kouchner, La familia grande, Cadre Rouge, Seuil : Paris, 2021, 208 p. [↩]
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