La solennité de cet arrêt d’Assemblée contraste avec la banalité de l’espèce. Ayant dissimulé une pension de retraite perçue au titre de ses fonctions de greffier auprès de la Cour internationale de justice, un fonctionnaire a fait l’objet d’une procédure de redressement fiscal. En effet, la combinaison des articles 4A et 79 du Code général des impôts permet d’assujettir à l’impôt sur les revenus les personnes ayant établi leur domicile fiscal en France et recevant une pension de retraite. Contestant ces impositions, le requérant a vu sa requête rejetée par le tribunal administratif de Marseille, puis par la cour administrative de Lyon (CAA Lyon, 5 avril 1993, Aquarone, requête numéro 91LY00251 : rec. p. 438). Le requérant demande au juge administratif de faire application de la jurisprudence Nicolo (CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, requête numéro 108243 : rec. p. 190), laquelle consacre la supériorité des traités internationaux sur la loi, même si cette dernière est postérieure à la norme internationale. Sur ce fondement, il soutient que les dispositions législatives du Code général des impôts sont incompatibles avec, d’une part, le statut de la Cour internationale de justice et d’autre part, une coutume internationale.
1°) Le Conseil d’État a tiré les conséquences attendues de la jurisprudence Nicolo (CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, requête numéro 108243, préc.) au sujet des normes de droit communautaire. Tout d’abord, l’application d’une loi doit être écartée si celle-ci s’avère incompatible avec un règlement communautaire (CE, 24 septembre 1990, Boisdet, requête numéro 58657 : rec. p. 251). La prévalence du droit communautaire dérivé sur les dispositions législatives a ensuite été étendue aux directives communautaires (CE Ass., 28 février 1992, SA Rothmans International France et SA Philip Morris France, requête numéro 56776 : rec. p. 78), non sans quelques réserves (CE Ass., 22 février 1978, Cohn-Bendit, requête numéro 11604 : rec. p. 524 ; CE Ass., 6 février 1998, Tête, requête numéro 138777, requête numéro 147424, requête numéro 147425 : rec. p. 30). Enfin, le juge administratif a parachevé cette construction en reconnaissant aux principes généraux du droit communautaire une autorité identique à celle du traité sur l’Union européenne (CE, 3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique (SNIP) et autres, requête numéro 226514 : rec. p. 624).
2°) Le moyen tenant à la méconnaissance d’une coutume internationale s’avère plus délicat. La jurisprudence administrative avait déjà montré son intérêt pour le droit coutumier international (CE, 18 juillet 1941, Rovera, requête numéro 61987, rec. p. 141). La haute juridiction affirme, certes de façon implicite, l’applicabilité de la coutume internationale en droit interne, dissipant les doutes nés d’une décision antérieure (CE Sect., 23 octobre 1987, Société Nachfolger Navigation Compagny LTD, requête numéro 72951 : rec. p. 319).
Cette solution semble être fondée sur l’alinéa 14 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Bien qu’il ne soit pas mentionné dans les considérants, il apparaît dans les visas de la décision. Selon les termes de cet alinéa : « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ». L’introduction des normes coutumières internationales trouve ici une solide justification. On pourra toutefois émettre certaines réserves quant au verbe « conforme » puisque le contrôle exercé par le juge est de simple compatibilité.
3°) Une fois l’applicabilité de la coutume internationale assurée en droit interne, il restait à déterminer sa valeur juridique. Cette question revenait pour le juge administratif à s’interroger sur le champ d’application de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958. La formulation adoptée par le Conseil d’État démontre sa précaution : aucune disposition constitutionnelle « n’implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi ». En vérité, le juge ne consacre pas la supériorité de la loi sur la coutume internationale. Cela n’aurait pas beaucoup de sens en raison de l’assimilation de la coutume internationale au traité international. Plus rigoureusement, le juge administratif n’est pas constitutionnellement habilité pour faire respecter la primauté de la coutume internationale sur la loi en droit interne. À l’inverse, on peut raisonnablement considérer qu’il le serait en cas de conflit entre un règlement et une coutume internationale.
Le Conseil d’État a confirmé cette jurisprudence pour les principes généraux du droit international (CE, 28 juillet 2000, Paulin, requête numéro 178834 : rec. p. 317). Il établit donc une dissymétrie – rigoureuse en l’état du droit – entre, d’une part, la coutume internationale et les principes généraux du droit international, et, d’autre part, les principes généraux du droit communautaire (CE, 3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique (SNIP) et autres, requête numéro 226514 : rec. p. 624). Toutefois, on peut conserver un certain scepticisme quant à la cohérence du contrôle de conventionnalité opéré par le juge administratif. Sans doute mériterait-il une extension du bloc de conventionnalité afin d’en parfaire le contenu et de lui rendre toute sa logique.