Le groupement d’irrigation a été autorisé par arrêté préfectoral à exploiter un site de forages. Il a introduit un recours gracieux pour obtenir la modification des prescriptions dont était assortie l’autorisation. Le préfet lui ayant opposé un refus, le groupement a formé un recours devant la juridiction administrative. La difficulté consistait à déterminer si le recours administratif préalable avait eu un effet suspensif sur l’écoulement du délai de recours contentieux. L’article 29 de la loi numéro 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau (JO 4 janvier 1992, p. 187), codifié aux articles L. 211-6, L. 214-10 et L. 216-2 du code de l’environnement, transpose en cette matière les règles contentieuses édictées à l’article 14 de la loi numéro 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (JO 20 juillet 1976, p. 4320), qui soumet les décisions prises sur le fondement de cette loi à un contentieux de pleine juridiction. Les exploitants disposent d’un délai de deux mois à compter de la notification de l’acte pour former un recours, tandis que les tiers peuvent contester ces actes pendant quatre ans. La jurisprudence a complété cette règle en retenant qu’un recours administratif ne peut avoir pour effet de proroger les délais de recours devant la juridiction. Les décisions prises sur le fondement de la loi de 1992 sont donc soumises à un contentieux de pleine juridiction et à un régime dérogatoire de délais de recours (CE, 31 juillet 1996, Gotti, requête numéro 167686 : rec. t. 797-884). Le juge peut compléter les prescriptions de l’arrêté d’autorisation ou substituer aux prescriptions édictées d’autres prescriptions techniques (CE, 3 mars 2004, Epoux Gaston, requête numéro 259001 : rec. t. 702, 808).
Les requérants ne contestent pas ici la règle relative à l’absence d’interruption du délai de recours par l’introduction d’un recours administratif, mais font valoir que dans le cas d’espèce, la lettre de notification de l’acte mentionnait la possibilité d’effectuer un recours gracieux ou hiérarchique prorogeant le délai de recours contentieux. En principe, un recours administratif est ouvert même sans texte et a pour effet de proroger le délai de recours contentieux (pour le recours hiérarchique : CE, 13 avril 1881 Bansais : rec. p. 430 ; pour le recours gracieux : CE 12 janvier 1917, Marchelli : rec. p. 42). La faculté de présenter un recours hiérarchique constitue un principe général du droit (CE Sect., 30 juin 1950, Quéralt : rec. p. 413). Les règles propres à certains contentieux peuvent prévoir que la présentation d’un recours administratif n’aura pas pour effet d’interrompre le délai de recours. Cette particularité peut découler implicitement de la procédure de décision dans certaines matières, comme en matière d’installations classées. Le juge a ainsi retenu (CE, 16 février 1940, Société de pyrotechnie du Sud-est : rec. p. 64) que les procédures particulières, qui instituaient une contestation précontentieuse, justifiaient le caractère non-suspensif des recours administratifs. Si la loi numéro 76-663 du 19 juillet 1976 (JO 20 juillet 1976, p. 4320) a modifié cette procédure en supprimant la phase de contestation précontentieuse, la Section des travaux publics du Conseil d’État a confirmé par un avis du 18 juin 1985 l’applicabilité de la solution dégagée précédemment aux décisions prises sous l’empire de la nouvelle loi. Cette solution a été réaffirmée par la suite (CE, 16 novembre 1998, Ministre de l’environnement c/ SA Compagnie des bases lubrifiantes, requête numéro 182816 : rec. p. 411 ; CE, 3 décembre 2003, M. Roels, requête numéro 242115 : rec. t. 874).
Le Commissaire du gouvernement Guyomar, concluant sur cette affaire, souligne que la difficulté de maintenir une exception à une règle garantissant le droit au recours, alors qu’elle ne ressort qu’implicitement de la loi, pourrait justifier une évolution jurisprudentielle, compte tenu, notamment, du rôle important joué par le juge administratif en plein contentieux et de la circonstance qu’il statue en tenant compte de l’évolution des circonstances de fait et de droit, alors que l’autorité administrative ne peut se prononcer qu’au vu des circonstances existant au moment de la décision. En somme, le recours juridictionnel paraît bien plus efficace en la matière que le recours administratif. La possibilité d’exercer un recours administratif ayant pour effet de suspendre les délais de recours ne s’impose cependant pas, dès lors que l’exploitant est consulté aux différents stades de la procédure.
En l’espèce, les délais de recours ne pouvaient pas être regardés comme étant expirés, dès lors que la notification mentionnait la possibilité de former un recours administratif. Dans la jurisprudence administrative, l’erreur de l’administration dans l’indication des voies et délais de recours profite à l’administré. Ainsi, la notification d’une décision portant l’indication d’un délai plus long que celui prévu par les textes en vigueur emporte l’application de ce délai erroné (CE, 8 janvier 1992, Masses, requête numéro 113114 : rec. t. 1204). Cette jurisprudence est fondée sur le droit à l’exercice d’un recours effectif, découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et consacré par la jurisprudence comme un principe général du droit (CE Ass., 30 octobre 1998, Sarran et Levacher, requête numéro 200286 : rec. p. 368), et comme un principe à valeur constitutionnelle (CE, 29 juillet 1998, Syndicat des avocats de France, requête numéro 188715 : rec. p. 313). Le Conseil d’État retient la même analyse, en faisant prévaloir les indications erronées portées sur la notification, en vertu desquelles le recours administratif aurait un caractère suspensif, sur la règle de principe.