Contexte : Par cet arrêt rendu le 31 octobre 2012, la Cour de cassation rappelle que le chirurgien dentiste n’est responsable qu’en cas de faute prouvée lorsque la qualité des soins prodigués est mise en cause et non la conception ou la fabrication des prothèses dentaires.
Litige : Courant 1993, un patient s’adresse à un chirurgien-dentiste pour qu’il remédie à un problème esthétique. Avec son accord, le praticien dévitalise douze dents puis met en place douze prothèses. Le patient souffre ensuite de saignements et de gonflements des gencives, d’un décollement des prothèses et de l’apparition de kystes. Il consulte à nouveau son chirurgien dentiste, puis plusieurs autres praticiens jusqu’à ce que l’un d’entre eux le soigne avec succès en reprenant en totalité le travail initialement réalisé pour procéder à une obturation complète des canaux qui étaient à l’origine des infections et des kystes. Le patient recherche ensuite la responsabilité du premier chirurgien-dentiste sur le fondement de l’article 1147 du Code civil. Les premiers juges puis la Cour d’appel rejettent sa demande en considérant qu’il ne rapporte pas la preuve d’une faute d’imprudence, d’inattention ou de négligence commise par le praticien dans l’accomplissement de l’acte médical. Le patient se pourvoit en cassation.
Solution : La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes en énonçant que cette dernière avait relevé, d’une part, que l’attitude du chirurgien-dentiste ne pouvait lui être reprochée puisqu’il n’avait pas ignoré les problèmes inflammatoires et infectieux après la pose des prothèses et avait prescrit à son patient un traitement antibiotique et anti-inflammatoire puis l’avait adressé, après constat de l’inefficacité de ses traitements, à un spécialiste stomatologiste et, d’autre part, que le nombre d’intervenants spécialisés, dont la compétence n’est pas mise en cause, qui se sont succédé avec reprise des traitements canalaires et confection de nouvelles prothèses, démontre que le choix de la solution thérapeutique finalement adoptée n’était pas évidente. La première chambre civile a ensuite jugé qu’appréciant souverainement les constatations de l’expert, la Cour d’appel a estimé que le défaut de prise en charge thérapeutique n’était pas constitué et a pu en déduire qu’aucune faute n’a été commise par le chirurgien-dentiste dans les soins prodigués, et que ce dernier n’engage pas sa responsabilité envers le patient, ses constatations excluant en outre que le dommage fût dû à un défaut de conception ou de fabrication des prothèses ou à une maladresse du praticien.
Analyse : Cette décision de la première chambre civile de la Cour de cassation s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel constant antérieur à l’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, qui n’était pas applicable en l’espèce en raison de la date de l’acte médical en cause, opérant une distinction selon l’origine des dommages imputés au chirurgien-dentiste.
Il est, en effet, acquis que si un chirurgien-dentiste est tenu à une obligation de résultat comme fournisseur d’une prothèse, devant délivrer un appareil sans défaut (Cass. 1re civ., 15 nov. 1988, n° 86-16443 : Bull. I, n° 319.- Cass. 1re civ., 17 oct. 1995, n° 93-14939 : Bull. I, n° 369.- Cass. 1re civ., 23 nov. 2004, n° 03-12146 : Bull. I, n° 286 ; D. 2005, pan. p. 406, obs. J. Penneau ; RTD civ. 2005, p. 139, obs. P. Jourdain), il n’est tenu que d’une obligation de moyens quant aux soins qu’il prodigue (Cass. 1re civ., 29 oct. 1985, n° 83-17091 : Bull. I, n° 273 ; D. 1986, p. 417, obs. J. Penneau. – Cass. 1re civ., 15 nov. 1988, précit. – Cass. 1re civ., 12 juin 1990, n° 89-11909 : Bull. I, n° 162). Cette solution s’impose, y compris lorsque les soins ont été dispensés à des fins esthétiques, comme c’était le cas en l’espèce. Pour déterminer si le dommage relève des soins ou de la prothèse elle-même, les juges doivent rechercher si les difficultés d’adaptation de la prothèse pouvaient être corrigées à l’occasion d’une consultation (Cass. 1re civ., 10 déc. 1996, n° 95-13154 : Bull. I, n° 445).
En l’espèce, les dommages trouvant leur origine, non pas dans le défaut de fabrication ou de conception des prothèses fournies par le praticien, mais dans la qualité des soins prodigués, il appartenait au patient de rapporter la preuve d’une faute. Sur ce terrain, l’arrêt traduit une relative clémence à l’égard du professionnel de santé. En effet, l’expert avait relevé des manquements dans le suivi post-opératoire en considérant que les phénomènes infectieux auraient dû conduire à la dépose des prothèses puis la reprise des traitements canalaires et la confection de nouvelles prothèses. Pourtant les juges du fond ont jugé que cette décision thérapeutique n’était pas « évidente ». Sur la base de telles constatations et appréciations souveraines, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir considéré qu’aucun comportement fautif ne pouvait être retenu à l’encontre du chirurgien-dentiste.