♦ Elle approuve les juges du fond d’avoir écarté la demande en réparation du dommage matériel résultant du licenciement du coureur cycliste, en jugeant que :
« qu’ayant constaté qu’il ressortait du dossier de M. X… qu’il avait été licencié par son équipe pour faute grave, en raison du non-respect des obligations contractuelles qui découlaient à la fois de son contrat de travail et des règles de bonne conduite, ratifiées par l’ensemble des coureurs et qui consistaient notamment à informer le médecin de l’équipe et le manager s’il souhaitait être suivi par un médecin personnel ainsi qu’à informer le médecin responsable de toute médication prescrite par le médecin personnel, et que, faisant fi des instructions reçues sur les dangers du dopage et des mesures strictes de prévention intégrées dans les règles de fonctionnement de son équipe, en consultant Mme Y… dans des conditions suspectes, au mépris des règles de bonne conduite et de fonctionnement du Vélo Club de Paris, et en obtenant, par l’effet d’une consultation clandestine, la prescription d’un produit contre-indiqué à un moment où sa participation au Tour de France 2008 risquait d’être compromise par ses problèmes de santé, il avait adopté un comportement déloyal, la cour d’appel a pu en déduire que son préjudice matériel résultait exclusivement de sa propre faute« .
« qu’après avoir énoncé que Mme Y… avait commis une faute en administrant un traitement par Heptaminol sans vérification suffisante de la situation de M. X…, qui lui avait donné connaissance de son activité sportive professionnelle, et qu’elle ne justifiait pas avoir communiqué à celui-ci les informations médicales concernant les effets et contre-indications de ce médicament, la cour d’appel a rejeté la demande en réparation du préjudice moral que M. X… prétendait avoir subi, au motif que celui-ci, coureur aguerri, bien informé des incidences de ses actes et des risques encourus en matière de dopage, ne pouvait sérieusement soutenir que le non-respect du devoir d’information du médecin lui aurait causé un quelconque préjudice indemnisable ».
En réalité, la faute de la victime est rarement retenue pour exonérer le médecin de sa responsabilité mais plutôt pour légalement justifier l’affirmation que le médecin n’a pas causé le dommage ou que le patient n’a subi aucun préjudice.
♦ C’est ainsi qu’en l’espèce, les éléments relevés par la cour d’appel font clairement apparaître que le préjudice découlant du licenciement du coureur cycliste professionnel a pour origine ses propres manquements à son contrat de travail et aux règles de bonne conduite applicables dans son milieu professionnel puisqu’il a consulté son médecin personnel, dans des conditions suspectes, pour obtenir la prescription d’un produit contre-indiqué à un moment où sa participation au Tour de France était compromise en raison de son état de santé.
La faute du médecin, consistant à ne pas l’avoir informé des effets et contre-indications du médicament prescrit, n’est donc pas la cause de son dommage, lequel résulte « exclusivement de sa propre faute ». Le comportement du coureur prive la faute du médecin d’un lien de causalité direct et certain avec le préjudice subi.
Cette décision s’ajoute ainsi à celles qui ont précédemment exclu tout lien causal entre le dommage invoqué par le patient et le fait du professionnel de santé. C’est ce qui a été par exemple jugé, en cas de déformation du tibia postérieure à une intervention chirurgicale du genou lorsque, contrairement aux indications du chirurgien orthopédiste prescrivant l’utilisation de cannes, le patient a soutenu avoir recommencé à prendre un appui partiel et progressif sur le membre opéré tout en admettant avoir repris une activité normale en pratiquant notamment le golf et l’équitation, ce qui expliquait la déformation du tibia (Civ. 1re, 26 oct. 2004, n° 02-20747). De même, le comportement du patient, consistant notamment dans le fait de ne pas avoir respecté les recommandations médicales après l’hospitalisation, a pu conduire des juges à refuser de reconnaître le caractère nosocomial de l’infection (Civ. 1re, 27 mars 2001, n° 99-17672 : Bull. I, n° 87 ; JCP G 2001, IV, 1972 ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. 195 ; RTD civ. 2001, p. 596, obs. P. Jourdain ; Contrats, conc. consom. 2001, p. 195, note L. Leveneur).
♦ De façon apparemment contradictoire, la Cour de cassation invite censure cependant les juges du fond qui ont écarté la réparation du préjudice découlant du non-respect du devoir d’information du médecin sur les effets et contre-indications du médicament prescrit.
Pourtant, comme l’a relevé la cour d’appel, le demandeur en réparation connaissait manifestement les risques encourus par la prescription d’un médicament contenant une substance dopante. Elle en avait donc déduit que « que Monsieur X…, cycliste professionnel depuis plusieurs années, qui s’est affranchi délibérément d’obligations élémentaires qu’il connaissait parfaitement, en obtenant par l’effet d’une consultation clandestine du Docteur Y…, non portée à la connaissance de son employeur et du médecin de l’équipe, la prescription d’un produit contre-indiqué à un moment où sa participation au Tour de France 2008 risquait d’être compromise par ses problèmes de santé, est lui-même responsable de l’intégralité des conséquences du manquement reproché au Docteur Y…, consulté dans des conditions pour le moins suspectes, au mépris des règles de bonne conduite et de fonctionnement du Vélo Club de Paris ».
Il paraît devoir s’évincer de ces énonciations que le coureur cycliste professionnel, parfaitement averti des conséquences de la prescription du médicament, n’a subi aucun préjudice.
En censurant néanmoins l’arrêt, après avoir rappelé, selon une formule désormais consacrée (Cass. 1re civ., 3 juin 2010, n° 09-13.591 : Bull. civ. 2010, I, n° 128 ; Resp. civ. et assur. 2010, comm. 222, note S. Hocquet-Berg ; JCP G 2010, p. 788, note S. Porchy-Simon ; Gaz. Pal. 16-17 juin 2010, n° 168, p. 9, avis A. Legoux ; D. 2010, p. 1484, obs. I. Gallmeister ; ibid. p. 1522, note P. Sargos ; ibid. 1801, point de vue D. Bert ; ibid. 2092, chron. N. Auroy et C. Creton ; RTD civ. 2010, p. 571, obs. P. Jourdain ; RDC 2010, p. 1235, obs. J.-S. Borghetti ; Petites Affiches 18 août 2010, p. 9, note R. Mislawski ; Lexbase hebdo n° 401, (n° A1522EYZ), note Ch. Radé . Adde notre étude http://www.riseo.fr/-Revue,51-?p=68#page68), que « le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice, que le juge ne peut laisser sans réparation », la Cour de cassation conforte l’idée qu’il s’agit davantage de « punir » le médecin ayant manqué à son devoir d’informer que de « réparer » les conséquences préjudiciables subies par le patient.
La marge de manœuvre des juges du fond apparaît donc très étroite en cas de manquement avéré au devoir d’informé. Ils doivent condamner le médecin à indemniser le patient, peu important les connaissances personnelles de ce dernier en la matière et ils ne peuvent manifestement pas nier l’existence d’un préjudice.