Contexte : Par cet arrêt rendu le 10 avril 2013, la Cour de cassation retient que le manquement par un médecin à son devoir d’information peut toujours donner lieu à une indemnisation au titre de la perte de chance d’échapper aux lésions corporelles qui se sont réalisées, mais que celle-ci ne saurait cependant s’étendre à l’entier dommage.
Litige : Le 23 mai 1995, une patiente subit une intervention combinée de la cataracte et d’un glaucome de l’œil gauche, œil atteint d’une très forte myopie. Cette intervention est suivie d’un décollement de la rétine qui a nécessité une seconde intervention quelques mois plus tard. L’apparition de complications évolutives nécessite l’éviscération de l’œil gauche le 12 mars 2002. La patiente recherche la responsabilité du chirurgien ayant réalisé l’intervention en 1995. Les juges du fond retiennent la responsabilité du médecin sur le fondement d’un manquement à son devoir d’information et le condamnent à réparer l’intégralité des dommages subis par la patiente. Le chirurgien forme un pourvoi en cassation en reprochant à la cour d’appel de Colmar de l’avoir condamné à réparer l’ensemble des préjudices de la patiente.
Solution : La première chambre civile de la Cour de cassation donne raison au chirurgien et casse l’arrêt de la cour d’appel de Colmar aux motifs que :
« Qu’en statuant ainsi, alors qu’ayant ainsi nécessairement caractérisé un lien entre la faute commise et une perte de chance pour Mme Y…d’éviter le dommage en renonçant à l’intervention, il lui appartenait de déterminer la fraction de l’indemnité devant être mise à la charge de M. X…, la cour d’appel a violé (l’article L. 1111-2 du code de la santé publique) ».
Analyse : Il est a priori surprenant que la cassation ait été ici prononcée pour violation de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique puisque ce texte est issu de la loi du 4 mars 2002, dont les dispositions ne sont applicables qu’aux actes médicaux pratiqués à compter du 5 septembre 2001. Le dommage invoqué en l’espèce résultant d’un acte chirurgical pratiqué en 1995, l’article 1147 du code civil aurait dû être plutôt visé.
Toutefois, le visa de ce texte ne modifie en rien le contenu du principe jurisprudentiel énoncé dans l’arrêt qui était également applicable avant la réforme Kouchner (V. par ex. Cass. 1re civ., 7 déc. 2004, n° 02-10.957 : Bull. I, n° 302 ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. 60 ; D. 2005, p. 406, obs. J. Penneau ; Cass. 1re civ., 14 juin 2005, 04-14.878) :
« Lorsque le défaut d’information sur les risques d’une intervention chirurgicale a fait perdre au patient une chance d’éviter le dommage résultant de la réalisation d’un de ces risques, en refusant définitivement ou temporairement l’intervention projetée, l’indemnité qui lui est due doit être déterminée en fonction de son état et de toutes les conséquences qui en découlent pour lui et correspondre à une fraction, souverainement évaluée, de son dommage ».
Sans doute pouvait-on se demander si le revirement de jurisprudence réalisé par l’arrêt du 3 juin 2010 (Cass. 1re civ., 3 juin 2010, n° 09-13591 : Bull. I, n° 128 ; Resp. civ. et assur. 2010, comm. 313, note S. Hocquet-Berg) n’avait pas implicitement condamné le raisonnement sur le terrain de la perte de chance en cas de défaut d’information. En effet, le défaut d’information faisant désormais naître un préjudice que le juge ne peut laisser sans réparation, l’indemnité allouée à ce titre pouvait être censée réparer toute l’atteinte qui en est découlée.
Cependant, comme le rappelle implicitement l’arrêt commenté (V. déjà en ce sens, Cass. 1re, civ., 9 févr. 2012, n° 10-25.915), le préjudice spécifique n’exclut pas celui auquel le patient peut toujours prétendre au titre de la perte de chance d’échapper aux lésions corporelles qui se sont réalisées, en renonçant à l’acte médical projeté.
En tout état de cause, la réparation de ce préjudice de perte de chance ne saurait s’étendre à l’intégralité des conséquences corporelles subies par la victime mais est nécessairement limitée à une fraction de celles-ci que la cour d’appel de renvoi sera tenue d’évaluer. En effet, comme le prescrit la Cour de cassation, les juges du fond doivent déterminer « les effets qu’aurait pu avoir une telle information quant au consentement ou au refus du patient » (Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-23046 : Bull. I, n° 193 ; JCP G 2000, IV, 2385 ; D. 2000, somm. comm. p. 471, obs. P. Jourdain ; Defrénois 2000, p. 1121, obs. D. Mazeaud).