La procédure fiscale présente de nombreuses particularités combinant la mise en œuvre de règles administratives d’application générale avec des normes dérogatoires qui sont propres à cette matière ce qui n’est pas sans occasionner des solutions parfois surprenantes.
M. Hoarau, qui exerce la profession d’avocat, a fait l’objet d’un contrôle sur pièces de ses déclarations de revenus pour les années 1998 à 2000. L’administration fiscale lui a alors notifié une proposition de rectification de ses cotisations au titre de l’impôt sur le revenu et des impositions sociales.
Celui-ci a alors formulé des observations en réponse contestant les rehaussements envisagés le 19 novembre 2001, en application des dispositions de l’article L.57 du livre des procédures fiscales, auxquelles l’administration n’a pas répondu et a ensuite mis en recouvrement les impositions litigieuses.
Il saisit alors le Tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à la décharge de l’ensemble de ces droits supplémentaires et des pénalités y afférentes qui sera intégralement rejetée par un jugement du 9 juillet 2009. Le litige est ensuite porté devant la Cour administrative d’appel de Paris qui y fera partiellement droit le 29 mars 2011 (arrêt n° 09PA04877).
M. Hoarau se pourvoit alors devant le Conseil d’Etat invoquant principalement la méconnaissance de l’article L.57 du livre des procédures fiscales en ce que l’administration aurait été tenue de répondre à ses observations de manière motivée ce qu’elle n’a pas fait.
Le Conseil d’Etat va confirmer la solution des seconds juges estimant que l’obligation de motivation qui pèse sur l’administration doit s’apprécier, ici, au regard de l’argumentation du contribuable vérifié et peut, sous certaines conditions, ne pas impliquer de réponse expresse.
Ce faisant, la Haute juridiction ne fait que prolonger une solution qui est déjà consacrée par certaines règles de procédure fiscale et qui se distingue de la solution retenue en procédure administrative non contentieuse de droit commun.
L’obligation de motivation des actes administratifs trouve sa source dans la loi n° 79‑587 du 11 juillet 1979 et a donné lieu à une jurisprudence abondante. La matière fiscale n’y échappe pas et fait même l’objet de nombreuses précisions textuelles à ce titre compte tenu de son autonomie et de ses particularités.
1°) Au cas présent, le contribuable avait formulé des observations auprès de l’administration fiscale qu’en ce qui concerne la procédure d’imposition suivie et non sur le bien fondé du redressement. Il convient de préciser qu’il s’agit là de deux causes juridiques distinctes, au sens de la jurisprudence Intercopie (Conseil d’Etat, Section, 20 février 1953, Société Intercopie, requête numéro 9772 Rec. p. 88, GACA n° 49‑II ; Conseil d’Etat, Section, 14 juin 1974, Société immobilière et mobilière de Basse-Bretagne, requêtes numéro 89865 et 89866, Rec. p. 341), bien que cette considération soit ici totalement inopérante devant l’administration active (solution de droit commun : Conseil d’Etat, Section, 18 novembre 2005, Houlbreque, requête numéro 270075, Rec. p. 513, GACA n° 41 ; Conseil d’Etat, SSR., 21 mars 2007, Garnier, requête numéro 284586, Rec. p. 128). Elle le serait a fortiori devant le juge de l’impôt puisque le litige porte sur l’assiette des impositions (solution dérogatoire à la jurisprudence Intercopie : cf. article L.199 C du livre des procédures fiscales).
Cependant, la procédure fiscale distingue les deux causes dans le traitement qui leur est accordé avant la mise en recouvrement des cotisations supplémentaires. En effet, tant que le redressement n’est pas mis en recouvrement, il n’y a pas encore de « litige fiscal ». L’administration est donc totalement libre d’abandonner la procédure de rectification ou de la reprendre (Conseil d’Etat, SSR., 14 décembre 1984, X., n° 37199, concl. Bissara Droit fiscal 1985 n° 1185) sous la double réserve de ne méconnaître aucune garantie légale établie au profit du contribuable ni de faire obstacle aux règles régissant la prescription.
En matière de procédure, l’administration peut parfaitement maintenir celle-ci sans avoir à se justifier et n’est jamais tenue de répondre aux arguments tendant à la contestation de sa régularité avant son achèvement sauf texte contraire (Conseil d’Etat, SSR., 4 février 2008, Guidez, requête numéro 296651, concl. N. Escaut Droit fiscal 2008 n° 250). Il appartient ensuite au directeur des services fiscaux, saisi dans le cadre de l’article R.190‑1 du livre des procédures fiscales, puis au juge de l’impôt d’apprécier la régularité de la procédure suivie. Ceci peut conduire, en cas de violation de la garantie procédurale accordée par le législateur, à un dégrèvement ou une décharge de l’intégralité des droits et pénalités en litige.
En matière de bien-fondé, les garanties accordées aux contribuables sont plus importantes qu’en matière de contrôle de la procédure fiscale. A ce titre, le législateur a conféré le droit de saisir divers organes administratifs dès le stade de la procédure de contrôle qui ne sont cependant compétents que pour les questions de fait et non de droit (cf. pour les commissions départementales des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires : Conseil d’Etat, SSR., 5 juillet 1999, Idéart, requête numéro 179711 concl. J. Arrighi de Casanova Droit fiscal 1999 n° 930) ce qui exclut donc le contrôle de la procédure fiscale elle-même (CE, 21 juillet 1972, X., n° 82603).
Le Conseil d’Etat a, par sa décision du 11 avril 2014, prolongé ses jurisprudences.
2°) Le contribuable n’avait ici pas discuté du bien fondé des rehaussements litigieux. Or la procédure régie par l’article L.57 du livre des procédures fiscales n’impose un « dialogue » avec l’administration que sur ce point ce que ne pouvait ignorer l’avocat qu’était le contribuable. Dans le cadre non fiscal, une décision tacite de rejet aurait pu être formulée (article 21 de la loi n° 2000‑321 du 12 avril 2000 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013‑1005 du 12 novembre 2013) mais ici le texte législatif applicable imposait à l’administration de répondre en motivant sa réponse.
Le contribuable peut parfaitement notifier son désaccord d’une manière motivée ou sommaire (CAA Nantes, 26 janvier 1994, requête numéro 92NT00744, Droit fiscal 1994 n° 1337), mais les obligations qui pèsent sur l’administration dépendent directement des arguments qui lui sont opposés : elle n’a pas à répondre à des éléments qui ne sont ni discutés, ni même argumentés.
La jurisprudence antérieure considérait que même si le refus du redressement n’était pas motivé, l’administration était tenue d’y répondre (Conseil d’Etat, SSR., 28 juillet 1999, Dulac, requête numéro 179607). Cette réponse était en ce cas plus que sommaire puisque si l’administration est tenue de la motiver, comment peut-elle objectivement, motiver une décision de refus en l’absence de tout argument ? Les formulées stéréotypées étaient donc possibles contrairement à la règle de droit commun (Conseil d’Etat, Section, 24 juillet 1981, Belasri, requête numéro 31488, Rec. p 322).
Le Conseil d’Etat a franchi ici une étape et dispense l’administration de devoir répondre à une demande qui ne contient aucun moyen opérant relatif au bien fondé des redressements. Ce faisant, la Haute juridiction a permis de sauver partiellement la procédure suivie à l’égard du contribuable en allégeant les obligations procédurales qui pèsent sur elle.
En opportunité, on ne peut qu’approuver cette solution lorsqu’elle s’applique à des observations dépourvues de toute motivation ou argument, il est en effet inutile d’imposer une réponse « vide » de tout contenu et de toute motivation à une demande « vide » de tout argument qui ne saurait influer sur la suite de la procédure.
En revanche, il convient de se montrer plus réservé sur l’application de ce raisonnement à des observations qui ne contiendraient que des éléments de procédure pour lesquelles l’administration n’est pas alors tenue de motiver sa réponse. En effet, indépendamment du pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale, la solution retenue implique que les services fiscaux distinguent, au cas par cas, les observations au regard de leur contenu. C’est quelque part vider de sens la garantie instauré par l’article L.57 qui vise à ce que le contribuable soit informé des motifs de droit et de fait qui justifient le rejet de ses observations. Une réponse motivée sur l’inopérance du moyen serait plus appropriée… quand bien même le contribuable-avocat le saurait parfaitement et cherche en réalité à « piéger » l’administration.