Le contentieux de l’urbanisme présente souvent, à l’image du contentieux fiscal, des solutions novatrices que le contentieux général peut chercher à systématiser par la suite mais l’inverse n’est pas toujours exclu comme c’est ici le cas.
Mme Ciaudo a procédé à une déclaration préalable (Articles R.421‑9 à 12 du code de l’urbanisme) aux fins de procéder au ravalement d’un immeuble dont elle est propriétaire à Nice. Le maire de cette commune a alors adopté un arrêté par lequel il ne s’est pas opposé à sa déclaration préalable mais a également complété son dispositif par l’édiction d’une prescription (Article L.421‑7 du code de l’urbanisme) aux termes de laquelle les volets devront être peints avec la même teinte que l’extérieur de ses fenêtres.
Un recours gracieux sera intenté, sans succès, avant que le Tribunal administratif de Nice ne soit saisi de ce litige. Cependant, c’est par une simple ordonnance d’irrecevabilité manifeste (Article R.222‑1 du code de justice administrative), rendue deux années après la saisine du juge de l’excès de pouvoir, que sa requête sera rejetée le 26 janvier 2012 (TA Nice ord., 26 janvier 2012, Ciaudo, n° 10‑01615) à raison de l’absence de notification de son recours (Article R.600‑1 du code de l’urbanisme).
Le Conseil d’État sera alors saisi d’un pourvoi contre cette ordonnance qui statuait en dernier ressort (Le décret n° 2013‑730 du 13 août 2013 portant modification du code de justice administrative n’ouvrira la voie de l’appel en la matière qu’à compter du 1er janvier 2014. Ceci explique que la Cour administrative d’appel de Marseille ait été contrainte de renvoyer le recours formé devant elle qui lui avait été adressé à tort à la suite d’une mauvaise information du greffe du Tribunal administratif de Nice en application de l’article R.351‑2 du code de justice administrative) et c’est par une décision solennelle de la Section du contentieux que le juge administratif suprême va être amené à faire évoluer le régime procédural du contentieux des autorisations d’urbanisme.
La solution rendue dépasse en effet le simple cas des arrêtés d’opposition aux déclarations préalables et permet d’envisager de nouvelles opportunités contentieuses tout en en simplifiant le régime sur le plan de la notification préalable des recours et sur celui des conclusions tendant à l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme.
La cassation prononcée, le Conseil d’État renverra le litige au Tribunal administratif de Nice pour qu’il y soit statué bien que le litige soit né il y a près de 6 ans.
1°) La première difficulté qui sera tranchée par le Palais-Royal portait sur les conditions dans lesquelles les dispositions de l’article R.600‑1 du code de l’urbanisme avaient été mises en œuvre. Il convient de rappeler que ces dispositions, originellement issues de la loi du 10 février 1994 (Loi n° 94‑112 du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction) et qui ont été recodifiées dans la partie réglementaire du code de l’urbanisme (Codification issue du de l’article 4 du décret n° 2000‑389 du 4 mai 2000 relatif à la partie Réglementaire du code de justice administrative à l’article R.600‑1 du code de l’urbanisme), visent à imposer la notification de tout recours (administratif ou contentieux) dirigé contre une décision d’urbanisme ou une décision juridictionnelle statuant sur la légalité de cette dernière à son bénéficiaire et à l’auteur de l’acte dans un délai très bref de 15 jours.
La finalité de ce dispositif était de garantir la sécurité juridique en imposant une connaissance immédiate des voies de droit exercées, qui ne sont pas suspensives (Article L.4 du code de justice administrative), afin d’éviter qu’un bénéficiaire ne réalise une construction alors que l’autorisation d’urbanisme contestée pourrait être annulée ce qui serait de nature à justifier une démolition de l’ouvrage par voie de conséquence (Article L.480‑13 du code de l’urbanisme). La lourdeur de ce dispositif n’est pas cependant sans avantages ni inconvénients.
En premier lieu, si à l’origine les recours contre les actes réglementaires d’urbanisme étaient couverts par cette obligation, cette sujétion a été supprimée depuis (Article 12 du décret n° 2007‑18 du 5 janvier 2007 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2005‑1527 du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme). Il n’était en effet pas logique d’informer spécialement l’autorité compétente de tels recours alors qu’elle était réputée compétente pour y statuer, le cas échéant après transmission (Article 20 de la loi n° 2000‑321 du 12 avril 2000), ou parce qu’elle était nécessairement destinataire du recours contentieux (Article R.611‑1 du code de justice administrative).
En deuxième lieu, ce mécanisme assure une information immédiate des pétitionnaires qui pourraient n’être informés que tardivement des recours exercés. Si cela peut se comprendre en matière non contentieuse, compte tenu de la multiplicité des acteurs de l’urbanisme, cela est plus difficilement justifiable en matière contentieuse dès lors que les juridictions administratives sont normalement tenues de communiquer les requêtes qui leur sont présentées dans un bref délai (Ibid). En réalité, cette formalité doit être regardée comme un palliatif aux possibles carences du greffe ou de l’administration.
En troisième lieu, le Conseil d’État lui-même a entendu restreindre la portée de ce mécanisme en s’inspirant de la finalité même de la volonté initiale du législateur.
S’agissant d’un dispositif tendant à assurer la sécurité juridique des pétitionnaires, le Conseil d’État a réduit l’exigence de cette procédure aux seules hypothèses dans lesquelles la présence d’un droit à construire pourrait être restreint par la saisine du juge. Ceci vise les recours contre les refus d’autorisation (CE avis, 6 mai 1995, Société Nicolas Hill immobilier, n° 178.426), les appels et pourvois dirigés contre des décisions juridictionnelles d’annulation d’une autorisation d’urbanisme (CE, 18 octobre 2006, Ministre de l’Intérieur, n° 264292, Rec. p. T. 1011 ;CE, 6 décembre 2013, Bannerot, n° 354.703, Rec. p. T.802). A contrario, toute autre décision positive créatrice de droits à construire (CE avis, 1er avril 2010, Roques, n° 334.113, Rec. p. T. 1022) y serait soumise.
En quatrième lieu, les recours de droit privé dirigés contre une autorisation d’urbanisme devant le juge judiciaire n’y sont pas soumis (CA Colmar, 14 novembre 2002, SCI Est, obs. Pierre Soler-Couteaux RDI 2003 p. 201). Cette solution apparaît comme en décalage sur le plan théorique –la communication des actes de procédure est un principe commun aux deux ordres de juridiction- mais résulte en réalité du fait qu’il appartient au requérant d’assigner son adversaire devant le juge civil alors qu’en matière administrative la juridiction est chargée des communications et échanges ; elle n’est toutefois pas totalement convaincante.
Au cas présent, le Conseil d’État va juger cette obligation inapplicable à un recours qui ne vise qu’à contester, non le principe même de la non opposition à une déclaration préalable, mais les prescriptions qui en sont l’accessoire ; il en irait autrement si le recours tendait à obtenir l’annulation intégrale de l’arrêté (CE, 5 avril 2006, Gaillard), ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
2°) La seconde difficulté avait trait à la divisibilité de l’acte administratif portant autorisation d’urbanisme (M. Staub, L’indivisibilité en droit administratif, LGDJ, 1999, 1064 p.).
En effet, au cas présent cette question était délicate à appréhender puisque l’arrêté contesté ne s’opposait pas aux travaux projetés mais, à titre accessoire, y adjoignait des prescriptions complémentaires. Autrement dit, sur l’essentiel, l’acte attaqué était favorable à la demande de l’intéressée. Or, un justiciable n’a pas intérêt à agir à l’encontre d’un acte qui fait droit à sa demande (CE, 22 mars 1985, Mido, Rec. p. 723 ; CAA Nantes, 17 décembre 1997, Colosiez, RFDA 2000 p. 168). Néanmoins, lorsque l’acte n’est pas intégralement favorable, il est possible soit d’attaquer la fraction de l’acte qui est défavorable, si l’acte est divisible, soit l’acte en entier, si ce dernier n’est pas divisible (CE Sect., 14 mars 1958, Etienne et autres, Rec. p. 167 ; CE Ass., 27 avril 1973, Serre, Rec. p. 302 ; CE Sect., 20 janvier 1978, Syndicat national de l’enseignement technique agricole, Rec. p. 22).
Mme Ciaudo n’avait attaqué l’arrêté municipal qu’en tant qu’il édicte une prescription et non l’intégralité de l’acte. Cela soulevait donc une autre question préalable fondamentale de recevabilité.
En effet, si l’arrêté querellé était divisible, il était possible de former un tel recours (Ibid) ; si tel n’était pas le cas, le juge ne pouvant statuer ultra petita (CE, 8 août 1919, Delacour, Rec. p. 739), le rejet pour irrecevabilité s’imposait (CE Sect., 2 avril 1954, Thévenot et Saumont, concl. Laurent Rec. p. 210 ; CE Sect., 10 décembre 1971, Quetin, Rec. p. 757).
Traditionnellement, le juge de l’excès de pouvoir considérait les autorisations d’urbanisme comme non divisibles (CE Sect., 12 octobre 1962, Ministre de la reconstruction, Rec. p. 537) à l’exception des cessions de terrains (CE Sect., 8 février 1985, Raballand, Rec. p. 36) et des participations financières (CE Sect., 13 novembre 1981, Plunion, concl. Labetoulle, Rec. p. 413) mais ces solutions particulières se justifiaient par des dispositions législatives (Article L.332‑7 et ancien article L.332‑6‑1 du code de l’urbanisme).
Cette solution avait néanmoins une certaine cohérence au regard des pouvoirs de l’administration. Celle-ci statue en droit sur la compatibilité globale d’un projet au regard de la législation d’urbanisme selon les volontés du pétitionnaire qui demeure libre de corriger son projet et de formuler une modification de l’autorisation accordée (Article L.514‑6 du code de l’environnement). Accepter la divisibilité de l’acte au cas présent impliquait que le juge accepte de nier cette approche globale et unitaire pour un approche plus limitée (La tradition juridique anglo-saxonne privilégie une telle approche « clause par clause » alors que la tradition continentale s’en écarte).
On relèvera qu’en matière d’installations classées pour la défense de l’environnement, le juge admet sans difficulté la divisibilité de l’acte mais cela se justifie par le fait qu’il peut lui même le corriger en tant que de besoin (CAA Lyon, 16 novembre 2006, Sté Carrière et Matériaux, n° 03LY01778) ; son office et ses pouvoirs sont plus larges du fait de la volonté du législateur.
Par la décision ici commentée, le juge administratif suprême rapproche la solution applicable en droit de l’urbanisme de la solution de droit commun.
Désormais, il est possible d’attaquer la seule prescription édictée et non l’acte en son entier : l’autorisation d’urbanisme est désormais réputée divisible ce qui prolonge le mouvement récemment initié par le législateur (Loi n° 2006‑872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement créant un article L.600‑5 au code de l’urbanisme).
Toutefois, en permettant un recours partiel contre une autorisation d’urbanisme « en tant qu’elle » édicte telle ou telle prescription, le Conseil d’État implique le risque d’un byzantinisme juridique dans lequel les administrés risquent de se perdre et de voir leurs requêtes rejetées.
En effet, s’il est possible d’invoquer à cette occasion tout moyen de légalité, les conclusions en annulation partielle ne pourront être satisfaisantes que dans l’hypothèse où le moyen qui serait retenu ne serait pas de nature à vicier l’acte dans son intégralité mais uniquement l’élément dont la légalité est contestée.
On voit donc apparaître un asymétrisme entre les moyens qui pourront toujours être satisfaits et ceux qui ne pourront éventuellement l’être qu’au cas par cas suivant leurs effets. Ainsi, un défaut de motivation quant à la prescription édictée pourrait être de nature à justifier une annulation et une injonction de réexamen, un vice procédural, tel qu’un défaut de consultation préalable de l’Architecte des bâtiments de France, ne pourra jamais être satisfait dans le cadre d’un recours partiel.
Ceci n’est pas sans rappeler la logique contentieuse subjective qui s’attache au plein contentieux contractuel désormais (CE Ass., 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, n° 358994 ; CE Sect., 3 octobre 2008, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l’élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe, concl. B. Dacosta, n° 305.420, Rec. p. 324, obs. P. Delvolvé RFDA 2008 p. 1128, GACA n° 16).
La solution retenue nous apparaît cependant comme bonne car elle permet de faire sanctionner certains excès d’une manière ciblée et, en cas de référé, rapide. Maintenant elle va également ajouter de la complexité au contentieux de l’urbanisme qui demeure, ici, bien à l’étroit dans le costume de l’excès de pouvoir. Un plaideur avisé ne manquera d’ailleurs pas, en pareilles circonstances, de solliciter à titre subsidiaire l’annulation intégrale de l’autorisation querellée.
Une véritable avancée serait de permettre au juge administratif de statuer en matière d’autorisation d’urbanisme, comme cela se pratique en Allemagne (Cf. M. Ruffert, « Les droits publics subjectifs dans l’Allemagne contemporaine », Actes du colloque de l’AFDA des 10 et 11 juin 2010, Lexisnexis, 2011 p. 149 ; M. Fromont, Droit administratif des États européens, Puf, 2006, p. 177 et s) ou en France pour la matière des installations classées pour la protection de l’environnement (Article L.514‑6 du code de l’environnement) : il réforme, complète l’acte en tant que de besoin. Certes, c’est faire œuvre d’administrateur, et non de simple censeur, mais juger l’administration, n’est-ce pas encore administrer ?