Le droit administratif offre parfois des solutions surprenantes en matière politique tant les modes d’appréciation sont divergents entre les autorités élues et le juge de la légalité.
L’aéroport du « Grand Ouest – Notre-Dame-des-Landes » a été étudié dès 1963 par la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) avant d’être mis en sommeil, puis relancé au début des années 2000. Il a vocation à constituer une nouvelle plateforme aéroportuaire de desserte de l’Ouest de la France qui permettrait de remplacer l’actuelle plateforme de Nantes-Atlantique et de servir d’élément structurant pour la desserte de la France. Il a été rapidement l’objet de contestations politiques multiples tant au regard de son utilité intrinsèque que de sa localisation. Néanmoins, il a été déclaré d’utilité publique par un décret du 9 février 2008 (Décret du 9 février 2008 déclarant d’utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation du projet d’aéroport pour le Grand Ouest – Notre-Dame-des-Landes et de sa desserte routière et emportant approbation des nouvelles dispositions des plans locaux d’urbanisme des communes de Fay-de-Bretagne, Grandchamp-des-Fontaines, Notre-Dame-des-Landes, Treillières, Vigneux-de-Bretagne dans le département de la Loire-Atlantique, JO p. 2503) avant d’être concédé à une société privée (Décret n° 2010‑1699 du 29 décembre 2010 approuvant la convention passée entre l’État et la société concessionnaire Aéroports du Grand Ouest pour la concession des aérodromes de Notre-Dame-des-Landes, Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire – Montoir et le cahier des charges annexé à cette convention, JO p. 23376).
Bien que les recours dirigés contre l’acte déclaratif d’utilité publique (CE Sect., 31 juillet 2009, Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres, n° 314.955 ; CE Sect., 27 janvier 2010, Commune de Vigneux-de-Bretagne, n° 319.241 ; CE, 17 octobre 2013, Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres, n° 358.633) et contre les contrats de concessions aient tous été rejetés (CE, 13 juillet 2012, Communauté de communes d’Erdre et Gesvres et autres, n° 347.073 ;), le site retenu est l’objet d’occupations irrégulières en vue de faire obstacle à la réalisation du projet approuvé et concédé (A. Bolis, « Notre-Dame-des-Landes : petite histoire de « la plus vieille lutte de France » », Le Monde daté du 18 février 2016). Afin de légitimer cette réalisation, le Président de la République a souhaité organiser une « consultation locale » proche d’un référendum (Interview télévisée du 11 février 2016).
Une telle possibilité n’étant pas prévue par le droit positif (Les articles L.1112‑15 et s. du code général des collectivités territoriales ne s’appliquent qu’aux collectivités territoriales et les dispositions constitutionnelles ne prévoient pas une telle consultation de portée locale), le Gouvernement a été contraint de le modifier. La loi « Macron » du 6 août 2015 (Loi n° 2015‑990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, JO p. 13337) avait autorisé le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer les procédures consultatives en matière environnementale. Une ordonnance spécialement rédigée à cette fin sera alors promulguée le 21 avril 2016 (Ordonnance n° 2016‑488 du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement). Elle sera suivie, deux jours plus tard, d’un décret (Décret n° 2016‑503 du 23 avril 2016 relatif à la consultation des électeurs des communes de la Loire-Atlantique sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes) convoquant les électeurs de Loire-Atlantique (Sont concernés les électeurs inscrits sur les listes électorales de nationalité française ou européenne) le 26 juin 2016 afin de se prononcer sur ce projet aéroportuaire.
Eu égard au contexte de « guérilla judiciaire » entre les opposants au projet et les autorités publiques, le Conseil d’État (La Haute juridiction est ici compétente en premier et dernier ressort en vertu de l’article R.311‑1 du code de justice administrative) a été saisi par l’association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres de deux recours tendant, pour le premier, à l’annulation de ce décret et, pour le second, à sa suspension dans les conditions prévues par l’article L.521‑1 du code de justice administrative.
Le juge des référés du Conseil d’État va alors renvoyer l’examen du référé-suspension à une formation collégiale qui, par une décision des première et sixième chambres réunies (Anciennement sous-sections), va joindre les deux requêtes, statuer sur le fond du recours pour excès de pouvoir et constater le non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins de référés.
En procédant ainsi, le juge administratif suprême démontre, sur la forme, sa maîtrise de la procédure et de son office en l’adaptant aux nécessités de l’instance et, sur le fond, l’effectivité du contrôle qu’il exerce sur les actes préparatoires aux opérations électorales.
1°) Le Conseil d’État demeure un juge qui est « maître du temps » (R. Denoix de Saint Marc, « Le temps du juge », RA 2000 n° spécial p. 25). En vertu du pouvoir de fixation de son rôle (Article R.712‑1 du code de justice administrative), il détermine seul l’ordre de passage des affaires en séance publique. Il n’existe donc en la matière nulle obligation particulière, hormis une obligation générale de célérité applicable à toute juridiction administrative (CE Ass., 28 juin 2002, Magiera), même si les rapports annuels du Conseil d’État mentionnent régulièrement les délais statistiques de traitement des affaires et que ce dernier constitue l’un des indicateurs qualitatifs de la justice administrative.
Pour palier les conséquences, parfois dramatiques, de l’aléa temporel, il a été instauré des procédures accélérées tendant à permettre l’adoption de toute mesures conservatoires utiles. Le sursis à exécution (L. Philip, « Le sursis à l’exécution des décisions administratives », D. 1965.219), d’un prononcé rare, a ainsi été remplacé par les référés « nouveaux » instaurés depuis le 1er janvier 2001 (Loi n° 2000‑597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, JO p. 9948) et vise à permettre de régler les situations d’urgence les plus criantes.
Toutefois, si l’utilisation des deux principaux référés d’urgence (Référé-suspension et référé-liberté, articles L.521‑1 et 2 du code de justice administrative), est de nature à résoudre la plupart des difficultés, force est de constater que dans certaines hypothèses particulières, l’office réduit du juge des référés peut induire à une impossibilité pratique de prononcer des mesures utiles. Sauf à estimer normal, dans un État de droit, la situation résultant de l’absence de voie juridictionnelle utile et efficace pour la garantie des droits des administrés, ce qui n’est pas sans soulever d’ailleurs des interrogations sur le plan conventionnel (Articles 5, 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme), deux solutions peuvent être alors envisagées.
La première solution consiste à « élargir », à titre exceptionnel, l’office du juge des référés pour lui permettre d’apporter une réponse utile et efficace aux enjeux d’une affaire. Ceci n’est pratiqué qu’avec la plus extrême prudence par le Conseil d’État pour des litiges mettant en œuvre des questions juridiques fondamentales (CE Ass., 14 février 2014, Mme Lambert et autres (« Lambert I »), n° 375081, 375090 et 375091 ; CE Ass., 24 juin 2014, Mme Lambert et autres (« Lambert II »), n° 375081, 375090 et 375091). En effet, toute pratique systématique de ce procédé viendrait à modifier profondément le sens et la portée de dispositions législatives de nature procédurale. Si le Conseil d’État peut se résoudre à y procéder pour garantir les droits fondamentaux des citoyens lorsque cela s’impose, il ne peut admettre une banalisation du procédé sauf à faire du juge un administrateur de plein exercice (Le juge administratif a une réticence naturelle à faire œuvre d’administrateur actif en l’absence de texte lui imposant cette fonction).
La seconde solution consiste à accélérer, également à titre exceptionnel, le calendrier d’instruction d’une affaire particulière afin que la solution rendue par le juge puisse être utile et effective (Il existe à cet égard divers procédés régis par le code de justice administrative pour accélérer l’instruction). Rien n’est en effet plus dommageable à l’œuvre de justice qu’une décision qui n’a aucune conséquence (CE, 28 décembre 1949, Société des automobiles Berliet, note Weil D. 1950.383), qui perd tout intérêt pratique (CE Ass., 19 octobre 1962, Canal et autres, Rec. p. 552) ou qui ne pourra jamais être exécutée. Ce procédé est ancien (CE, 10 mai 1957, Sous-secrétaire d’État à la Marine marchande, concl. Lasry AJDA 1957.II.246) et a même été imposée au juge en matière électorale (Article 2 du décret du 8 septembre 1934 relatif aux conseils de préfecture, JO p. 9372) et vise, en réalité, à satisfaire la bonne administration de la Justice.
Au cas présent, il se devait d’être relevé que le juge des référés ne pouvait, sans excéder son office, que suspendre le décret litigieux, qui régit la consultation du 26 juin 2016 et non l’annuler. Ceci soulevait des difficultés contentieuses multiples. En effet, en cas de rejet des conclusions au fond, que le juge peut toujours prononcer ultérieurement (Article L.511‑1 du code de justice administrative), la date de convocation des électeurs serait dépassée.
En conséquence, il a donc été décidé par le juge des référés de renvoyer l’examen de la requête en référé à la même formation collégiale que celle appelée à statuer sur le recours pour excès de pouvoir (Article R.611‑20 du code de justice administrative). Ainsi, le « doublet » en cause pouvait parfaitement combiner les offices du juge des référés et celui du juge du fond suivant la configuration du litige qui résulterait de l’instruction, de l’audience ou du délibéré. Un tel acte est en effet susceptible d’un recours indépendamment d’une éventuelle protestation électorale (CE, 9 février 1983, Esdras, Rec. p. 48) qui aurait relevé du Tribunal administratif de Nantes (Article L.132‑32 du code de l’environnement).
En sa qualité de juge des référés, il pouvait soit suspendre, partiellement ou intégralement, le décret litigieux, soit rejeter la seule demande de suspension, soit constater le non lieu à statuer si le juge du fond se prononçait entre-temps (CE Sect., 23 novembre 2001, Aberbri, Rec. p. 575).
En sa qualité de juge du fond, il demeurait libre de rejeter la requête ou d’annuler l’acte litigieux en cas d’illégalité dans la mesure où son intervention serait antérieure aux opérations électorales. En effet, la jurisprudence en la matière considère qu’il y a non lieu à statuer sur les conclusions aux fins d’annulation d’un acte préparatoire aux opérations électorales lorsque le peuple s’est prononcé (CE, 28 janvier 1994, Élections de Saint-Tropez, n° 148596). Il était donc impératif qu’une décision juridictionnelle soit adoptée avant le 26 juin pour avoir un effet utile.
Cela pourrait néanmoins apparaître comme un traitement de « faveur » qui aurait été accordé aux requérants. En réalité, à partir du moment où le juge des référés avait renvoyé l’examen des conclusions aux fins de suspension à une formation collégiale, cette dernière était incitée, de fait et non de droit, à statuer directement sur les mérites du recours en annulation.
2°) Après avoir constaté que le décret attaqué rentrait bien dans le champ d’application des dispositions de l’article L.123‑20 du code de l’environnement, issue de l’ordonnance ad hoc (Ordonnance n° 2016‑488 du 21 avril 2016 précitée), et non dans celui de la loi d’habilitation elle-même, le Conseil d’État se devait d’examiner les conditions d’organisation de la « consultation » pour statuer sur la légalité du décret contesté.
En effet, ces dispositions évoquent une « consultation » et non un « référendum » à raison de son caractère non décisoire (Le référendum décisoire local est régi par les articles L.O.1112-1 et s. du code général des collectivités territoriales) ce qui ne faisait pas pour autant obstacle au contrôle du juge sur ses modalités d’organisation (CE, 4 décembre 2003, Feler, Rec. p. 491).
Ainsi, c’est bien un avis consultatif qui est sollicité auprès de certains électeurs et l’État demeure au cas présent seul décisionnaire des suites juridiques à y donner même si, politiquement, il serait particulièrement hasardeux d’aller à l’encontre du résultat des urnes. Il en résulte deux séries de conséquences pratiques qui influent directement sur le contrôle du juge sur le décret litigieux et, par suite, sur les opérations électorales elles-mêmes.
En premier lieu, la procédure électorale ici mise en place est strictement indépendante des procédures administratives antérieures. Le résultat de la démocratie administrative (débat public, enquêtes publiques, etc) et les documents sur la base desquels les procédures antérieures ont été menées sont donc ici sans incidence. Il en résulte que la légalité ou le résultat de l’une des procédures ne saurait influer sur l’autre.
En second lieu, la question de la sincérité du scrutin se trouve encadrée par ce prisme. En effet, les procédures consultatives antérieures ont été menées dans un cadre « départemental », par voie de conséquence, il était logique que le Gouvernement se tienne à ce cadre démocratique. Les requérants invoquaient en effet le fait que Nantes était également une préfecture de Région ce qui aurait impliqué l’extension du périmètre à l’intégralité de la Région (En réalité ce moyen tentait de tirer parti d’une fusion de commune opérée entre-temps. La commune du Fresne-sur-Loire était désormais intégrée à celle d’Ingrandes (Maine-et-Loire)). Au delà de l’aspect politique, le Conseil d’État ne censure pas ce choix du Gouvernement car il demeure cohérent avec le cadre des autres procédures suivies antérieurement. On peut toutefois s’interroger sur la contrariété entre la vocation d’un aéroport, parfois présenté comme d’intérêt national dans certains documents préparatoires, et la tenue d’une enquête publique strictement locale ; le droit permet parfaitement cela ce qui n’est pas forcément très satisfaisant.
Cependant, le Conseil d’État va s’inspirer du contrôle qu’opère le Conseil constitutionnel (CC, 2 juin 1987, « Consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie », n° 87‑226 DC) sur la tenue des référendums nationaux pour apprécier la sincérité des opérations électorales projetées suivant la démarche déjà mise en œuvre pour les autres référendums locaux relevant de sa compétence.
A cet égard, seul le projet préalablement déclaré d’utilité publique par le décret du 9 février 2008 est l’objet de la consultation électorale. Ceci écarte du débat tout projet alternatif soit sur le plan technique (nombres et configuration des pistes, etc), soit sur le plan de l’implantation géographique (en particulier au regard de l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique). Il est fort probable que l’appréciation du Conseil d’État aurait été différente si aucun choix préalable n’avait été opéré à la suite d’une enquête publique. Ceci confirme la réticence habituelle du juge administratif à examiner les projets alternatifs à celui qui est déclaré d’utilité publique (CE, 3 décembre 1990, Ville d’Amiens, Rec. p. 344) qui est ici transposée au cas particulier d’une consultation locale.
De même, l’intitulé de la question posée aux électeurs (« Êtes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? ») et les réponses possibles (« oui » ou « non ») ont été contrôlées par le Conseil d’État (Comme le Conseil constitutionnel y procède lui-même dans son domaine de compétence : CC, 2 juin 1987, « Consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie », op. cit.).
On notera qu’il y a là un choix politique préalable ; le Gouvernement ne souhaite pas voir trancher telle ou telle hypothèse alternative (tels qu’un transfert partiel de l’aéroport ou un réaménagement des installations existantes) mais le projet en cours de réalisation, tel qu’il est l’objet de contrats signés, dans sa globalité.
Si sur le plan de la régularité administrative, la solution rendue par le Conseil d’État ne peut qu’être approuvée compte tenu de la loi « Macron » et de l’ordonnance du 21 avril 2016, elle ne peut que susciter les plus grandes réserves sur le plan de la gestion administrative.
En effet, le choix de réaliser un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes a été formalisé à la suite de débats publics organisés par une Commission particulière du débat public (Cf. <http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-aeroport-ndl/sommaire.htm>). Des enquêtes publiques (au titre de l’acte déclaratif d’utilité publique, au titre de la loi sur l’eau et au titre des réglementations d’urbanisme) ont été également menées en 2006. Un appel public à la concurrence a été publié et à l’issue de la procédure applicable, des contrats ont été signés avec divers opérateurs privés.
Il apparaît donc particulièrement incongru qu’un tel « référendum » n’intervienne qu’après la conclusion des contrats –et donc en fin de chaîne décisionnelle- sauf à ce que le pouvoir politique ne recherche un « alibi » pour fonder la rupture unilatérale des convention et pouvoir ainsi se justifier des lourdes pénalités et indemnités qui seront versées de ce fait. Nul doute que la Cour des comptes examinera ceci avec la plus grande attention quant à la gouvernance publique et la bonne utilisation des deniers publics.