Section II
Principes généraux du droit administratif
§ 6 Pouvoir législatif et pouvoir exécutif
[83] Le rapport entre l’Etat et le sujet a pour base l’inégalité au point de vue du droit. Du côté de l’Etat, il y a la puissance publique. La puissance est une faculté juridique d’imposer sa volonté à autrui. La puissance publique de l’Etat s’entend par opposition aux puissances du droit privé. Elle est, en outre la puissance publique par excellence, par opposition aux autres puissances du droit public, qui apparaissent sur le territoire et sont considérées comme dérivées d’elle, comme dérivées de la puissance souveraine1.
L’Etat peut, parfois, ne pas se servir de cette faculté et se placer sur le terrain de l’égalité de droit. Par opposition à ces cas exceptionnels on dit, de ceux qui forment la règle, que l’Etat y apparaît avec la puissance publique ou comme puissance publique, ou bien que la puissance publique y apparaît.
[84] Il est de l’essence de l’Etat régipar le droit, que la puissance publique reçoive une certaine organisation, dans laquelle elle doit produire ses effets. Nous parlons du principe, si souvent mal compris, de la séparation des pouvoirs. Nous avons adopté ce principe d’après le modèle français et il est, chez nous, en pleine activité et en pleine vigueur2.
Le nom, sous lequel cette doctrine a cours, indique assez bien l’idée fondamentale dont il s’agit. La puissance publique, la faculté générale d’imposer sa volonté est exercée, au nom de l’Etat, par les hommes qui y sont appelés. Ce pouvoir ne pouvant pas être concentré en une seule main, on le divise en pouvoirs distincts devant être exercés par des volontés humaines également distinctes.
Pour justifier ce système on a peut-être fait, autrefois, un peu de rhétorique banale, déclamant contre le tyran et l’oppresseur qui serait forcément le détenteur du pouvoir unique. Cela est possible, mais cela ne doit pas nous empêcher de reconnaître que cette manière de distinguer les trois ou plutôt les [85] eux pouvoirs a rempli dans notre droit public deux buts éminemment pratiques : d’abord, elle a fourni, dans le pouvoir législatif, la forme nécessaire pour attribuer à la représentation nationale la part que, dans la puissance souveraine, le nouveau droit constitutionnel lui destinait. De plus, pour le droit administratif, elle a réussi à donner à la souveraineté de la loi cette garantie sérieuse que l’idée de régime du droit exige : si la loi n’est qu’une forme à observer par le prince, elle n’a qu’une situation précaire, la sanction manque ; si, au contraire, le prince rencontre dans la loi la volonté de la représentation nationale, il viole les droits de celle-ci en violant la loi ; la loi a son gardien. Voilà l’utilité de l’institution ; il serait difficile de trouver un moyen plus efficace d’assurer ce but si essentiel pour notre Etat moderne3.
De ce que nous venons de dire il résulte que la séparation des pouvoirs ne signifie nullement une opposition tranchée entre deux puissances absolues et indépendantes. Les premières Constitutions du temps de la Révolution semblaient, il est vrai, vouloir attribuer tout le pouvoir législatif à la représentation nationale, tout le pouvoir exécutif au Chef de l’Etat ; mais une collaboration nécessaire était toujours supposée, pour que l’unité effective de la puissance de l’Etat restât intacte. La séparation des pouvoirs n’a pas besoin de procéder de cette façon grossière. Il suffit que le pouvoir législatif soit caractérisé d’une manière quelconque par la part qui y est attribuée à la représentation nationale4.
[86] C’était aussi une erreur de croire que ce système était incompatible avec le principe monarchique5. Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif sont les deux formes dans lesquelles notre Etat agit. La séparation des pouvoirs veut que, derrière ces deux formes, il n’y ait pas une seule et même volonté. Mais peu importe que ce soit une Assemblée nationale avec un Président de la république ou un prince avec une Chambre des députés dont le consentement lui est nécessaire pour l’exercice du pouvoir législatif. Le point de départ, pour le droit administratif, reste toujours le même : ce sont ces deux pouvoirs qui agissent. Ainsi s’explique pourquoi, le droit constitutionnel de nos Etats modernes montrant tant de divergences profondes, leur droit administratif manifeste une conformité frappante6.
Il faut enfin écarter un nouveau malentendu relatif à la valeur intrinsèque des deux pouvoirs, malentendu qu’on rencontre assez souvent chez nous. Dans l’ancienne doctrine de notre droit public, on aimait faire une classification de l’activité de l’Etat selon ses différents objets, selon la besogne qu’il fait. Nous distinguons encore, dans ce sens, la législation, l’administration, la justice, le gouvernement (Comp. ci-dessus, § 1). On croit faciliter la chose en faisant entrer la séparation des pouvoirs dans cet ordre d’idées : elle [87] ne signifierait qu’une différence des fonctions de l’Etat à exercer dans l’une et dans l’autre de ces formes, une distribution de ses affaires ; le pouvoir législatif apparaîtrait, quand l’Etat fait des règles de droit souveraines, le pouvoir exécutif, quand il les exécute ou en général (il faut bien l’ajouter) quand il fait autre chose que des lois dans ce sens. Mais, de cette manière, jamais on ne saisira la vraie portée de notre institution. Les pouvoirs séparés ne sont pas de simples compétences ; ce sont des forces juridiques. De même que la puissance publique dans son tout, de même les pouvoirs, dans lesquels elle est divisée, signifient chacun une certaine faculté d’agir, de produire une volonté d’une certaine qualité juridique. Il est vrai qu’en vertu de leurs qualités réciproques, ces pouvoirs sont aptes à remplir chacun un rôle et une fonction déterminés. Mais ils ne sont pas astreints à remplir toujours ces fonctions et rien que ces fonctions. Ils agissent librement ; et la mesure dans laquelle leurs facultés y produisent leur effet juridique, dépend de la direction que, dans cette action, leur volonté a prise, de son contenu et de son objet. Voilà ce que sont ces pouvoirs.
Nous disons donc : la volonté de l’Etat apparaît sous deux formes : la forme propre au pouvoir législatif, et la forme propre au pouvoir exécutif ; chaque fois, cette volonté a les qualités juridiques spéciales propres au pouvoir correspondant. Quelles sont ces qualités ? C’est ce que nous allons maintenant exposer.
L’organisation de la justice a servi de modèle au Rechtsstaat, nous le savons ; voyons maintenant comment ses principes ont été adaptés de manière à régir également l’administration plus libre et plus variée.
I. — La loi, dans l’Etat constitutionnel, est un acte du pouvoir législatif ou, pour parler plus strictement, [88] la manifestation de la volonté de l’Etat, qui est investie du pouvoir législatif. Cet acte se caractérise donc :
1oPar son origine : c’est la voie de la législation, la forme prescrite par la Constitution, dans laquelle, par le prince et par la représentation nationale, est produite la volonté investie, d’après la Constitution, du pouvoir législatif ;
2oPar ses facultés virtuelles : c’est la force de la loi, qui n’est autre chose que la puissance publique avec les qualités spéciales attribuées dans la séparation des pouvoirs au pouvoir législatif.
De cette origine de l’expression de la volonté de l’Etat découle cette force ; il n’en découle pas un effetdéterminé. Car savoir dans quelle mesure la loi, dans le cas spécial, a fait usage de ses facultés virtuelles, c’est une question de contenu de la volonté de l’Etat7.
[89] Cette force de la loi repose donc, en première ligne, sur ce que la volonté de l’Etat est celle de la puissance publique, et, comme telle, supérieure et obligatoire pour le sujet qu’elle rencontre. C’est ce que le pouvoir législatif a de commun avec le pouvoir exécutif.
Son caractère spécial consiste dans certaines qualités juridiques que le pouvoir législatif doit avoir, de préférence sur le pouvoir exécutif, pour les faire valoir. La loi constitutionnelle a pour mission de constituer, pour toute l’activité de l’Etat, — en particulier pour l’administration, — ce que, dans l’ancien droit, la loi n’était que pour la justice. Dans ce but, le pouvoir législatif et l’acte qui émane de lui, est investi des forces et qualités nécessaires qui, toutes, sont tirées de l’idée de l’ancienne loi.
1oDe même que l’ancienne loi sur la justice, l’acte législatif émis dans la forme constitutionnelle est placé au-dessus de toute autre activité de l’Etat, comme une volonté supérieure et juridiquement plus forte : la loi est irréfragable. En d’autres termes, la volonté de l’Etat, lorsqu’elle a cette origine, ne peut valablement être annulée, modifiée ou privée de ses effets par aucune autre voie ; de son côté, elle annule tous les actes déjà émis au nom de l’Etat, qui lui sont contraires. Nous appelons cette force la préférence de la loi.
On se sert aussi de l’expression : force formelle de la loi. On veut faire entendre par là, que cette force [90] s’attache à la forme de la loi, c’est-à-dire à l’origine propre à cette volonté de l’Etat, tandis que les effets matériels de la loi — parmi lesquels figure surtout la règle de droit — découlent du contenu de la volonté déclarée8.
Cette différence n’existe pas. Les autres forces de la loi dépendent également de l’origine spéciale de cette volonté de l’Etat ; en particulier, la règle de droit légale n’est pas seulement l’effet du contenu ; elle est aussi l’effet de la forme de la loi, qui seule donne à ce contenu la force d’agir ainsi, c’est-à-dire d’être une règle de droit.
Réciproquement, la force formelle de la loi n’est pas non plus indépendante du contenu de la loi. La loi n’a que la faculté de produire cet effet ; quant au point de savoir si, dans le cas donné, elle en a fait usage ou non, cela dépend de la volonté qu’elle a déclarée. Pour que la force de la loi de poser une règle de droit se manifeste, on exige que le contenu de la loi soit propreà représenter une règle de ce genre, à devenir obligatoire pour les sujets à la manière d’une règle de droit. Or, il en est de même de la force formelle de la loi. Pour qu’elle produise son effet, il ne faut pas, évidemment, que la loi contienne une règle de droit ; il suffit d’une volonté quelconque tendant à un résultat juridiquement valable, un acte administratif, une procuration, etc. Cet acte émis dans la forme d’une loi prévaut alors sur toute autre manifestation de la volonté de l’Etat, qui lui serait contraire. Mais des maximes politiques, des propositions doctrinales, des définitions théoriques, même si elles sont insérées dans le texte d’une loi, ne participent pas de la force formelle de la loi, pas plus qu’elles ne sont des règles de droit. Les opinions scientifiques [91] émises par le législateur peuvent, à tout moment, être réfutées et renversées par le premier professeur venu9.
Alors même que le contenu de la loi serait, par son objet, de nature à faire prévaloir celle-ci, c’est encore la loi qui dit si, dans le cas spécial, elle veut se servir ou non de cette force. Il y a, en effet, des lois qui font entendre par leur texte qu’elles ne veulent pas, comme elles le pourraient, annuler les dispositions contraires d’un acte émané d’une source moins élevée ; d’un autre côté, il y a des lois qui admettent que leurs dispositions soient modifiées par les ordres d’une autorité inférieure, des lois par conséquent qui ne veulent pas se servir de leur force dite formelle : alors cette force cesse10.
Enfin, on ne saurait pas non plus établir de différence entre la force de la loi de créer des règles de droit et sa force formelle, en ce sens que cette dernière est attachée plus rigoureusement à la seule forme de la loi. La force de faire des règles de droit, il est vrai, peut être déléguée, de sorte que nous rencontrons des règlements et des statuts « remplaçant la loi ». Sans avoir la forme de la loi, ces actes produisent l’effet de la loi. Mais cette force même de la loi, à laquelle on veut donner le nom de force formelle de la loi, peut être déléguée [92] et, en pratique, elle est déléguée : non seulement un règlement prévu par la loi peut être revêtu à l’avance par cette dernière du privilège de ne pas pouvoir être modifié autrement que par une loi, mais encore un règlement ou même un acte administratif peut être autorisé par la loi à déroger à des lois antérieures11. 2oLa loi donne à la justice le fondement indispensable de son activité ; il n’y a pas de jugement autrement que sur la base d’une règle de droit ; nulla poena sine lege. Il est impossible de tenir l’activité de l’administration dans une dépendance aussi complète. Ce n’est donc que pour certains objets particulièrement importants, qu’on a fait de la loi constitutionnelle une condition indispensable de l’activité de l’Etat. Pour tous les autres cas, le pouvoir exécutif reste libre ; il agit en vertu de sa propre force, et non pas en vertu de la loi. Nous appelons cette exclusion de l’initiative de l’exécutif — qui existe pour ces objets spécialement signalés — la réserve de la loi12.
[93] Cette réserve de la loi est indiquée, dans les chartes constitutionnelles, de différentes manières. La forme classique est l’établissement des soi-disant droits fondamentaux : droits de liberté, droits de l’homme, qui garantissent aux citoyens la liberté personnelle, l’inviolabilité de la propriété, etc., sous la réserve expresse ou tacite des atteintes que ces libertés pourront subir par la loi ou en vertu de la loi13.
D’autres Chartes ordonnent que, sans le consentement des Etats, aucune loi touchant à la liberté et à la propriété ne pourra être émise ; elles sous-entendent que, sans une loi de ce genre, le pouvoir exécutif [94] ne doit pas non plus porter atteinte à ces libertés14.
Il y a des Constitutions modernes qui vont encore plus loin et qui ne parlent pas du tout d’une telle réserve ; à leur tête, il faut citer la Constitution de l’Empire allemand. On n’y établit pas de droits fondamentaux ; on ne dit pas pour quelles matières une loi est nécessaire. Quelle en est la conséquence ? Personne ne doute que la puissance de l’Empire ne peut pas contraindre, ni imposer des charges, ni porter atteinte à la liberté et à la propriété des sujets autrement qu’en vertu d’une loi. Les principes du droit constitutionnel sont si bien entrés dans notre manière de penser, qu’on n’a plus besoin de le dire d’une manière explicite. Lorsque la Constitution de l’Empire, art. 5, dit : « La législation de l’Empire est exercée par le Bundesrath et le Reichstag de l’Empire », nous savons tous que cela signifie : l’acte constitutionnel par lequel le Bundesrat et le Reichstag de l’Empire expriment leur volonté commune a seul la force de porter atteinte à la liberté et à la propriété15.
La force spéciale de la loi — de pouvoir agir dans la sphère réservée — est la seconde attribution du pouvoir législatif. Ce que nous venons de dire de la préférence de la loi, s’applique également à cette autre manifestation de sa force. Cette force s’attache à l’origine particulière de la volonté de l’Etat comme une qualité, une faculté de celle-ci. Quant à savoir si, dans le cas spécial, elle produit ou non son effet, cela dépend du contenu de la volonté de la loi. Lorsque, par exemple, [95] la loi ordonne que chacun a le droit d’exiger, de l’administration des postes, l’expédition de ses lettres, la réserve de la loi n’est pas en question, et ce côté de la force de la loi reste caché. Dans le second point aussi, il y a conformité avec ce qu’il y avait à dire de la préférence de la loi ; cela devient ici d’importance spéciale : la loi peut déterminer elle-même les atteintes qui lui sont réservées ; mais elle peut aussi faire usage de cette force en la déléguant, pour certains cas, au pouvoir exécutif, au gouvernement et à ses fonctionnaires. Ce sont les autorisations de la loi, comme on les appelle, autorisations dont le gouvernement a besoin pour commander, imposer des charges, et, d’une manière générale, pour tout ce qui se traduit par une atteinte à la liberté ou à la propriété.
3oLa loi civile et la loi criminelle de l’ancien régime établissent les règles générales, les règles de droit qui obligent les individus et qui sont appliquées par les autorités judiciaires. De même, la loi constitutionnelle est investie de la faculté de faire des règles de droit, d’une manière générale, y compris la sphère de l’administration. Nous appelons cela la force obligatoire de la loi. Encore à cet égard, la plupart des chartes constitutionnelles restent muettes. Aux termes de loi, législation, puissance législative s’attache directement l’idée de faculté de faire des règles de droit. Nous soumettrons la nature de cette force de la loi — qui est la plus importante — à un examen plus détaillé dans le § 7 ci-dessous.
Quant à l’emploi que la loi fait de cette faculté, il en est comme pour les deux autres. Elle peut être déléguée, ainsi que le prouvent le pouvoir réglementaire et l’autonomie. Il peut, d’un autre côté, résulter du contenu de la volonté déclarée par la loi, qu’il n’en a pas été fait usage dans ce cas.
Partout, nous voyons apparaître dans la loi la puissance [96] de l’Etat ; elle agit librement, faisant usage tantôt de ses forces générales et spéciales, tantôt seulement des unes ou des autres, et tantôt d’aucune d’elles.
II. — Le pouvoir exécutif ne s’incorpore pas, comme le législatif, dans un acte constitutionnellement réglé et déterminé pour l’expression de sa volonté. Pour cette raison, il ne se présente pas sous cette forme concise et palpable. Mais aussitôt que la loi et le pouvoir législatif se sont séparés, par la force des choses, le pouvoir exécutif s’est consolidé de la même manière : il embrasse tout ce qui reste de la puissance publique ; et les manifestations de sa volonté, dans toute la variété de leurs formes, ont cependant une nature juridique commune16 :
1oPar leur origine : le pouvoir exécutif émane d’un détenteur quelconque de la puissance publique, autre que le législateur : prince, autorité, corps d’administration propre ou agent quelconque.
2oPar leurs facultés virtuelles : elles ont la force de la puissance publique, telle que, d’après le principe de la séparation des pouvoirs, cette force est spécialement déterminée pour cette branche opposée au pouvoir législatif.
Le pouvoir exécutif est, tout d’abord, la puissance publique aussi bien que le pouvoir législatif ; sa volonté est juridiquement supérieure et obligatoire [97] pour le sujet qu’elle rencontre. Mais ses qualités particulières s’opposent à celles du pouvoir législatif ; il ne s’agit pas ici de préférences juridiques, ni d’une efficacité spéciale ; ce qui fait le caractère spécial de cette partie de la puissance publique, c’est qu’elle n’est pas essentiellement libre et souveraine : elle peut être liée juridiquement ; elle peut être tenue de respecter certaines limites et de suivre les voies qui lui sont indiquées. De même que les qualités spéciales du pouvoir législatif sont tirées de la situation qu’avait la loi ancienne dans la justice, de même le pouvoir exécutif a les qualités correspondantes à la situation des autorités judiciaires ; en d’autres termes, il est dans une certaine subordination, dans une certaine dépendance juridique. Cette qualité spéciale du pouvoir exécutif, nous l’avons déjà indiquée en constatant la préférence, la réserve et la force obligatoire de la loi ; elle n’en est que le corollaire nécessaire. Mais il faut maintenant compléter ces notions ; ce n’est pas seulement par la force de la loi, que le pouvoir exécutif se trouve limité et lié ; il est encore soumis à des dépendances semblables qui viennent de différents côtés et qui dérivent toutes du modèle, de la justice.
Tout d’abord, le pouvoir exécutif doit obéir, comme la justice, à toute règle de droit, quelle que soit la source où elle prend son origine ; nous parlerons de ces différentes sortes de règles dans le § 10 ci-dessous.
De plus, le pouvoir exécutif est, d’après le modèle de la justice, lié par le droit individuelqu’il rencontre, en particulier, par celui qui appartient à la sphère du droit public ; il doit l’observer et le protéger ; comp. le § 9, III, no1 ci-dessous.
Enfin, le pouvoir exécutif, dans l’administration comme dans la justice, est lié par le jugement qu’il a [98] rendu, par chaque déclaration d’autorité où il a dit lui-même ce qui doit être de droit pour le cas individuel ; la théorie de l’acte administratif (§ 8 ci-dessous) nous fournira l’occasion d’exposer ceci plus clairement17.
Tout ceci existe et se pratique ; ce sont des faits incontestables que nous nous réservons de reprendre en détail. Mais d’où cela vient-il ? Comment se fait-il que l’Etat puisse être lié de cette manière et lié juridiquement ? En effet, l’inobservation de ces liens constitue une illégalité et une violation du droit. Ce n’est pas simplement un devoir professionneldes fonctionnaires ; sans quoi, ceux-ci pourraient en être dispensés par l’ordre de leur supérieur ; il faut dire, d’une manière tout à fait générale, que quiconque agit au nom de l’Etat ne le fait d’une manière licite qu’en observant ces règles.
Il ne s’agit pas, comme on a voulu le dire, d’une fonctionde l’Etat, d’une certaine manière d’agir qu’il se propose de suivre et dans laquelle il suit en principe ces règles. Il serait alors libre de ne pas choisir cette fonction ; la nécessité juridique resterait inexpliquée.
Ce qu’il y aurait de plus simple, ce serait de dire : il y a une règle de droit qui ordonne qu’il en soit ainsi. Mais où est cette règle de droit ? Si nous insistons, nous pouvons être sûrs de la réponse : c’est du droit coutumier — c’est le moyen bien connu d’éviter des explications gênantes.
Dans tout cela, il n’y a que des textes. Il faut l’avouer franchement, nous n’avons pas de titre à invoquer [99]; à notre avis, il va tout naturellement de soi que le pouvoir exécutif soit lié de cette manière. Pourquoi cela va-t-il de soi ? Cela s’explique uniquement par le grand principe qui forme la base de tout notre droit public, le principe de la séparation des pouvoirs.
Pour qu’un droit public soit possible, il faut que la puissance publique puisse être liée dans les formes du droit, tout en restant la puissance souveraine qu’elle est par sa nature. La séparation des pouvoirs est le moyen d’atteindre ce double but : le pouvoir législatif garde la souveraineté absolue, le pouvoir exécutif est là pour représenter le côté de l’Etat par lequel il peut être lié. C’est une idée semblable à celle qui inspirait l’ancienne doctrine du fisc ; seulement, à la place d’une fiction artificielle de deux personnes morales distinctes, on met ici une organisation ingénieuse de la puissance de l’Etat un ; au lieu d’une extension exagérée des règles du droit civil, nous avons ici pour résultat la création d’un droit administratif public.
Donc, aussitôt que le pouvoir législatif est établi à l’état distinct, le principe est également établi, comme allant de soi, que le pouvoir opposé peut être lié juridiquement ; c’est pour lui une qualité avec laquelle il est né. Les détails même de cette qualité sont donnés : de même que les Constitutions n’ont pas besoin d’être explicites pour attribuer à la loi ses forces spéciales, l’idée générale de la séparation des pouvoirs y suppléant, — de même il n’est pas nécessaire d’indiquer les différentes manières dont le pouvoir exécutif est susceptible d’être lié juridiquement : le modèle de la justice les détermine d’une manière suffisante et immuable. Lorsqu’une charte constitutionnelle se borne à dire que « le pouvoir législatif ou même la législation est exercée par le prince avec le consentement de la représentation nationale », cela comprend tout le système, tel que nous venons de l’exposer.
[100] Ce que nous avons dit de l’effet pratique des qualités spéciales de la loi s’applique également à celles du pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif ne signifie pas que ces qualités produisent leur effet dans tout ce que fait le pouvoir exécutif. Il faut considérer le contenu de son acte pour voir dans quelle mesure ces qualités trouvent l’occasion de se manifester. S’il rencontre la préférence ou la réserve de la loi, le pouvoir exécutif subit une limitation ; s’il tombe dans la sphère d’une règle de droit, d’un jugement ou d’un acte administratif, d’un droit individuel, il est lié juridiquement. Il se peut qu’il agisse dans une sphère qui est restée libre ; alors ses qualités spéciales n’apparaissent pas. Mais, dans ce cas même, il conserve toujours sa qualité générale d’être la puissance publique dont la volonté est supérieure et obligatoire pour le sujet qu’elle rencontre18.
[101] En outre, il est possible que l’action de l’Etat sorte tout à fait de la sphère de la puissance publique et tombe sous le régime du droit civil ; cela complète le système du droit public, mais cela n’en fait pas partie.
- Schmitthenner, Staatsrecht ; Weigand, dans Wörterbuch der deutsch. Synonyme, qui est cité par Schmitthenner, explique le mot Gewalt (puissance, pouvoir) par Wirkungstüchtigkeit (faculté de produire un effet), 2eéd., II, p. 342 ; Gareis, Allg. Staatsrecht, p. 27 ; V. Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 15. [↩]
- Laband, Staatsrecht (1reéd. all.), p. 517 se croit autorisé à constater qu’il y a unanimité « à repousser cette doctrine » ; v. Stein, Verw. Lehre, I, p. 18 (1869) prétend même que les Français aussi avaient enfin compris qu’il n’en était rien : « Elle a disparu de la doctrine française actuelle ». Or, dans la séance publique de l’Académie des sciences morales et politiques du 10 mai 1877, M. Aucoc, un écrivain qui fait autorité, a fait son rapport sur un ouvrage couronné, traitant de la signification actuelle du principe de la séparation des pouvoirs ; il approuvait surtout la réfutation des « critiques dont ce principe a été l’objet et qui reposent souvent sur des mal entendusou sur une tendanceau despotisme monarchique ou démocratique ». Pour ne pas parler de tendances, nous contribuons largement de notre côté aux malentendus : ce que la doctrine allemande repousse si unanimement, ce n’est pas la véritable séparation des pouvoirs, mais l’épouvantail qu’on s’est fait d’elle. Depuis que le passage a été écrit (1895), un revirement parait s’opérer dans notre doctrine. Comp. surtout Anschütz, Die gegenwärtigen Theorien über den Begriff der gesetzgebenden Gewalt (1901), p. 10, note 8, qui approuve pleinement ce que j’avais proposé à cet égard. Mais ce qui est encore plus significatif, c’est que Arndt, dans Arch. für öff. R., XV, p. 346, réclame maintenant pour lui la priorité de ces idées. [↩]
- Pour exprimer cette idée, les auteurs français aiment à répéter un mot de Monnier dans son discours sur le projet de constitution du 13 août 1789 : Les pouvoirs ne doivent pas être « entièrement séparés » ; il suffit qu’ils soient « divisés ». [↩]
- C’est ce qui est reconnu par Laband, Staatsrecht, 1reéd. all., I, p. 518 ss. D’après lui, « le droit de faire la loi ne peut pas plus être partagé que la puissance souveraine ». Donc, dans l’Empire, le Bundesrath seul est « le législateur proprement dit ». La fixation du contenu de la loi par le Reichstag n’est qu’une formalité à remplir pour l’acte de législation qui se fait par le Bundesrath seul. La forme de la loi est même directement assimilée à la forme des conventions, par exemple à celle d’un contrat passé dans la forme notariée (p. 574). Mais pour faire cette comparaison, il faudrait imaginer un acte notarié qu’on ne pourrait faire qu’après s’être entendu avec le notaire sur les clauses à y insérer ; on verrait tout de suite alors que, par-là, le notaire deviendrait un auteur de la convention même, de même que la représentation nationale est un des auteurs de la loi. Contre Laband : Haenel, Gesetz im form. und mater. Sinne, pp. 146 ss. ; v. Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 24. [↩]
- Acte final de Vienne, 1820, art, 57. [↩]
- Ducrocq, Droit administratif, no4. [↩]
- C’est ici le lieu de dire un mot de la fameuse doctrine qui distingue deux notions de la loi : la loi dans le sens formel et la loi dans le sens matériel. Laband n’en est pas l’auteur, mais le principal défenseur. Il démontre que nous appelons loi tout acte émanant du concours, réglé par la constitution, du prince et de la représentation nationale, quel que soit le contenu de l’acte ; c’est la loi dans le sens formel, caractérisée par son origine. D’un autre côté, nous appelons loi toute règle de droit, d’où qu’elle vienne ; c’est la loi dans le sens matériel. La loi dans le sens formel peut être à la fois une loi dans le sens matériel ; c’est là que les deux notions se touchent ; mais, en principe, elles sont indépendantes l’une de l’autre. Les adversaires de Laband voudraient maintenir l’identité nécessaire de ces deux choses : la loi constitutionnelle doit toujours être une règle de droit. Mais ils luttent contre l’évidence et il leur faut faire des tours de force extraordinaires pour le nier. Les uns, comme Haenel, Gesetz im form. und mater. Sinne, pp. 171, 172, avouent qu’il y a des lois faites dans la forme constitutionnelle, qui ne présentent pas de règles de droit, mais ils les qualifient d’insanités du législateur, auxquelles il ne faut pas faire attention. D’autres, sacrifiant l’idée même de la règle de droit, revendiquent comme règles de droit tout ce que le bon vouloir du législateur peut comprendre dans ses actes : autorisation de vendre un immeuble de l’Etat, subventions accordées à une entreprise de chemin de fer, etc. (v.Martitzdans Zeitschrift für Staatswiss., v. 36, p. 250).
Pour nous, il n’y a pas deux notions de la loi. La loi, c’est la loi constitutionnelle, l’acte émanant du concours du prince et de la représentation nationale dans la voie prescrite par la constitution, donc « la loi dans le sens formel ». Cet acte n’implique pas seulement une certaine forme observée pour le faire, mais aussi une certaine force qui lui est inhérente à cause de cette forme, spécialement la force d’imposer des règles de droit, des « lois dans le sens matériel ». Cela ne veut pas dire que chaque loi soit une règle de droit, mais c’est un lien juridique qui lie ces deux choses. Ce lien manque dans la théorie de Laband, où la loi constitutionnelle désigne une pure forme sans une force correspondante. Quant à la « loi dans le sens matériel », il nous semble que ce n’est pas une notion nouvelle et indépendante, mais bien une façon de parler bien connue en rhétorique, une métonymie : on appelle loi toute règle de droit parce que d’ordinaire les règles de droit sont contenues dans des lois. [↩]
- Laband, Staatsrecht., 1reédit. all., I, pp. 575 ss. (édit. franç., II, pp. 353 ss.). [↩]
- Nous dirons la même chose de tous les autres exemples de lois n’ayant pas de contenu obligatoire, qui se trouvent cités par Laband, Staatsrecht, 1reéd. all., I, pp. 567, 568 (édit. franç. II, pp. 344, 345). Elles ne sont pas plus propres à produire une force formelle qu’à produire une force matérielle. C’est ce qui a été très bien remarqué par Jellinek, Gesetz und Verord., p. 338. Laband, pour démontrer la force formelle s’est appuyé tout particulièrement sur le § 1 du Bayr. L. R. disant : « La science du droit ne consiste pas seulement dans une connaissance approfondie des droits, mais aussi dans leur application exacte ». Mais quelle force cette phrase doit-elle avoir ? Le fait que le Codex Maximilianeus l’a formulée, reste indestructible ; en ceci Laband a raison. Mais cette « force » appartient également au mot que j’écris ici. [↩]
- On trouvera des exemples dans Laband, Staatsrecht, 1reédit. all., I, p. 577 ; (édit. franç. II, p. 359) ; Bornhak, Preuss. Staatsrecht., I, p. 492. [↩]
- Dans l’un et dans l’autre sens Laband, Staatsrecht, Ireédit. all., I, p. 577, no 3 et 4 (édit. franç., II, p. 359, nos3 et 4) cite des exemples. [↩]
- Cette « réserve de la loi » est souvent confondue avec la « préférence de la loi », de sorte qu’on ne la connaît même pas et qu’on croit pouvoir expliquer tout par la préférence seule. Ainsi chez Gneist, Engl. Verw. Recht, I, p. 13 ; Engl. Verf. Gesch., pp. 163, 164, 245, 247 ss. ; Article « Verordnungsrecht » dans Holtzendorff, Rechtslexikon, il n’est question que de « la réserve des matières dont la loi s’est déjà emparée » ; c’est simplement la préférence de la loi. V.Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 36 repousse l’opinion de ceux « qui n’accordent aux organes de l’administration l’exercice de la puissance publique, c’est-à-dire le droit de commander, qu’en vertu d’une autorisation des lois administratives ». D’après lui, « il faut reconnaître, selon le droit formel de la constitution, que le pouvoir public des organes de l’administration n’est soumis à d’autre restriction que celle de ne pouvoir rien ordonner contre les lois administratives ».
Ainsi encore rien que la préférence de la loi! Si nous n’avions que nos chartes constitutionnelles et s’il n’y avait pas de loi administrative pour régler l’expropriation, la réquisition, les mesures de police, etc., si, en toutes ces matières, il n’y avait pas de « lois administratives qui s’en occupent » il s’en suivrait que le gouvernement pourrait faire ce qu’il voudrait de la propriété et de la liberté des sujets, jusqu’au jour où l’on aurait réussi à lui imposer, par une loi, des formes et des limites. Or, c’est le contraire qui est vrai : le gouvernement, en pareil cas, serait sans force –– et cela à cause de la réserve de la loi, qui est contenue dans la constitution. Du reste, v. Sarweylui-même reconnaît cette réserve à d’autres endroits ; comp. loc. cit., p. 25. Il faut approuver sur ce point Auschützdans sa polémique contre Arndt, dans Die Gegenwärtigen Theorien über den Begriff der Gesetzgebenden Gewalt, pp. 31 ss. [↩]
- Il est inexact de dire que ces droits fondamentaux sont des théories sans valeur en elles-mêmes, insusceptibles d’être mises en œuvre directement, qu’ils attendent leur « réalisation » par des « lois d’exécution » ;G. Meyer, Staatsrecht, § 217 ; Bornhak, Preuss. Staatsrecht, I, p. 276. Leur valeur est de rendre nécessaire une loi si l’on veut faire quelque chose. Ainsi, considérons la règle de la constitution : la liberté personnelle est garantie. Cela veut dire qu’il faut une loi qui autorise l’arrestation, pour qu’on puisse y procéder ; sans cela, elle ne peut pas se faire. Cette loi, il est vrai, ne nous semble pas mériter d’être désignée comme « réalisation » des droits fondamentaux et comme « loi d’exécution » de ces droits. Arndt, Verord. Recht des Deutsch. Reichs, p. 67, a complètement méconnu la portée des droits fondamentaux : d’après lui il s’agirait simplement d’empêcher que, pour la sphère réservée, des règles de droit se fassent autrement que par la voie de la législation. Mais il est beaucoup plus important d’exclure ici les voies de fait qui pourraient y porter atteinte sans être autorisées par une loi ; et c’est ce qui est visé en première ligne. En parcourant la déclaration des droits de l’homme et toutes les listes ultérieures de droits fondamentaux, on peut être frappé de ce fait qu’on n’y trouve aucune réserve, au sujet des atteintes graves qui peuvent être portées aux droits individuels par la justice, en tant que celle-ci prononce des déchéances et des condamnations, ou ordonne des mesures d’exécution. La raison en est que, pour ces Déclarations la nécessité d’une autorisation par la loi est supposée comme allant de soi. La nouvelle organisation de l’Etat, comme nous l’avons vu ci-dessus § 5, ne vise que l’administration. Pour la sphère de la justice, ces réserves sont « inhérentes » à la loi. [↩]
- Charte const. Bay., tit. VII, § 2 ; Saxe-Weimar, § 4, chiff. 2. [↩]
- Laband, Staatsrecht, édit. all., I, p. 684 ; édit. franç., II, p. 526 comble la lacune en invoquant « l’Etat moderne civilisé » et le « caractère du Rechtsstaat ». Comp. v. Sarwey, All. Ver. Recht, p. 25. Les constitutions de Lübeck et de Schaumbourg-Lippe, comme celle de l’Empire, n’établissent pas au profit de la loi de réserves expresses. Ici le mot « loi » suffit également pour constituer les réserves qui y sont ordinairement attachées. [↩]
- L.V. Stein, Verw, Lehre, I, pp. 51-57 donne une ébauche de l’historique de la notion de pouvoir exécutif. Celui que progressivement on en a fait dans la doctrine allemande, est peu édifiant. C’est toujours cette malheureuse méthode dont nous avons déjà parlé dans le § 5 note 19. On a adopté les termes techniques du droit français, pouvoir exécutif, au moyen d’une traduction littérale : ensuite, on ne s’est plus occupé de l’idée qu’ils doivent exprimer ; on s’est adressé simplement aux lettres des mots pour leur demander leur secret. Que veut dire « exécution », que veut dire « pouvoir » ? Quand on a eu bien défini ces deux choses d’après les règles de l’étymologie, on a cru savoir ce qu’est le pouvoir exécutif. Ainsi Häberlin, Staatsrecht, II, § 242 ; Goenner, Staatsrecht, § 343 ; Schmitthenner, Staatsrecht, § 84 et autres. Récemment v. Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 22 et 23 observe encore la même méthode. Naturellement, cela n’aboutit à rien. [↩]
- L. V. Stein, Verw. Lehre, I, 1 (2eéd.), pp. 47 ss. énumère les différentes formes dans lesquelles le pouvoir exécutif peut être lié juridiquement et en compose un système. Dans son Handbuch der Verw. Lehre (3eéd.), p. 112, l’ensemble de ces formes constitue même une espèce de procédure, parallèle à la procédure judiciaire. Comp. Haenel, Staatsrecht, I, pp. 123 ss. ; p. 201. [↩]
- D’après L. V. Stein, dans son Verw. Lehre I, (1reéd.), p. 6, le pouvoir exécutif ne devait être que « l’organisme de la possibilité de l’activité ou la force en soi », par opposition à l’administration dont les fonctions s’adaptent à ses objets. Mais l’auteur ne tient pas ce que cette définition promet, il reste dans les généralités, et dans la 2eéd. cette définition est presque effacée. La nouvelle doctrine, qui distingue la loi dans le sens formel et la loi dans le sens matériel, a eu son contre coup sur la notion du pouvoir exécutif. On donne au pouvoir exécutif un sens « formel » et on le caractérise exclusivement par l’origine spéciale de la volonté de l’État (Laband, St. R., 1re édit. all., I, p. 674, édit. franç., II, p. 508 ; Bornhak, Preuss. St. R., I, pp. 433, 434). Nous dirons ce que nous avons déjà dit de la loi dans le sens formel (note 5 ci-dessus) ; l’origine en dehors des formes de la loi est essentielle, mais de cette origine dépend la manifestation d’une volonté de l’État ayant des qualités juridiques déterminées. Il y a ici également dans la notion formelle, un élément qui vise l’effet à produire par cette volonté et qu’il ne faut pas ignorer. Haenel, adversaire de cette distinction, de même qu’il réclame pour tout acte émis dans la forme d’une loi la qualité d’être une règle de droit, applique ce même système à l’« exécution », opposée à la loi. La volonté de l’État, qui y apparaît est nécessairement liée : « Il faut, pour chaque acte de l’État, qui appartient à l’exécution, qu’il puisse se démontrer comme autorisé par la loi et par conséquent comme réglé par celle-ci » (Gesetz in form. und mat. Sinne), p. 497. De cette manière, il ne s’agit plus d’un pouvoir, mais d’une fonction. Haenelveut bien comprendre, sous le mot exécution, toutes les fonctions de l’État qui ne sont pas de la législation. Mais de même que les lois qui ne sont pas des règles de droit ne trouvent pas de place dans sou système (Cf. note 7 ci-dessus), de même ici tous les actes du pouvoir exécutif qui ne sont pas liés juridiquement et qui cependant existent, tombent dans le vide. [↩]
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