Section II
Principes généraux du droit administratif
§ 11 Rapports des institutions juridiques administratives avec le droit civil
(174) Le droit administratif et le droit civil ont entre eux des points de contact très nombreux, dont il faut nous rendre compte afin de fixer les endroits où les deux sphères se touchent, et de tracer la ligne qui les sépare.
I. — La science juridique, pour dominer la matière immense que lui offrent les relations juridiques des individus, réduit ces relations à des unités constantes dont la répétition et la combinaison forment cet ensemble. Nous appelons ces unités des institutions juridiques (Rechtsinstitute). La science du droit administratif, comme celle du droit civil, use de ce procédé ; mais la nature des éléments dont elle le compose est très différente.
Dans le droit civil ; il s’agit de fixer les limites du pouvoir juridique réciproque des individus entre eux. Ici, les institutions juridiques trouvent leur noyau naturel dans les différentes espèces de droits individuels. On développe leur origine, leur effet, leur modification et leur fin ; c’est ainsi que se forme le système du droit civil.
Dans le droit administratif, au contraire, les droits individuels ne jouent qu’un rôle accessoire. L’essentiel, c’est la puissance publique et la manière dont son action est déterminée par l’organisation du droit public. Pour la science du droit administratif, les (175) institutions juridiques sont les formes constantes qui en résultent pour les manifestations de la puissance publique.
Il s’agit d’une science relativement jeune. Nous sommes encore en plein travail d’élaboration du système de nos institutions juridiques ; et le grand adversaire contre lequel nous avons à lutter, c’est notre passé.
Le régime de la police ne faisait guère attention au détail de ce qu’il appelait droit public. Il y a un ordre, un commandement, il faut obéir. Ici il s’agit de différencier. Le commandement, exactement défini, ne devient qu’une de nos formes constantes ; à côté de lui se développe toute une foule d’autres formes de manifestations de la puissance publique, formes très prononcées et bien délimitées1.
D’un autre côté, nous nous heurtons à la grande extension que le régime de la police avait donnée au droit civil. C’était un expédient qui devient inutile dès que le droit public administratif apparaît, et qui est devenu impossible dès que la doctrine du fisc qui lui servait de moyen a disparu. Il s’agit maintenant (176) de refouler le droit civil dans ses limites naturelles et de lui enlever quantité d’institutions juridiques dont le droit civil s’était chargé à son désavantage et aussi au désavantage de ces institutions, parce qu’elles ne peuvent être bien comprises que placées dans la sphère du droit public2.
Les traces de cette évolution se trouvent dans notre terminologie ; nous parlons de domaine public, de servitudes publiques, de contrats administratifs, d’indemnités de droit public et autres créances de ce genre. Cela a toujours commencé par être une désignation extérieure et sans conséquence, par laquelle on voulait indiquer qu’il y avait là quelque chose d’extraordinaire et qui ne s’explique pas par les règles ordinaires du droit civil. Nous en faisons des vérités en écartant complètement le droit civil et en mettant dans ces formes l’idée de la puissance publique3.
(177) II. — Toutes les activités de l’administration ne revêtent pas les formes des institutions juridiques du droit administratif. Le principe est resté que l’Etat et les corps d’administration propre sont, dans une certaine mesure, soumis au droit civil.
La limite n’est pas très difficile à fixer, à la condition qu’on sache ce qu’est le droit public et ce qui est propre aux formes des institutions du droit public.
On n’a plus besoin aujourd’hui de recourir au droit civil comme au seul moyen d’avoir un ordre juridique dans les rapports entre l’Etat et le sujet.
La raison pour laquelle le droit civil est applicable à l’Etat est simplement qu’il est bon et naturel de présumer que ce qui est égal par nature doit aussi être réglé également. Nous voyons donc qu’il n’est pas nécessaire que la loi civile déclare expressément (178) qu’elle s’appliquera à l’Etat lui-même. Il va sans dire que la règle de la loi civile touche l’Etat, dès que l’Etat est dans les conditions pour lesquelles la loi a établi ses prescriptions.
La loi civile ne vise directement que les rapports des particuliers entre eux ; il faut donc que l’Etat, pour que le droit civil lui soit applicable, entre dans un rapport identique à celui qui s’établit entre particuliers.
Il ne peut s’agir ici que de l’application des règles du droit pécuniaire ; car pour les droits de famille, des personnes et des successions, l’administration ne se présente jamais dans les rapports correspondants. Mais, en disant que le droit civil pécuniaire seul peut devenir applicable, nous n’admettons pas qu’on dénature cette règle, en déclarant que l’Etat est soumis au droit civil toutes les fois qu’il s’agit de sa fortune, d’une question d’argent et de ce qui s’achète à prix d’argent.
Il y a, pour les matières de ce genre, des règles du droit civil et des règles du droit administratif. Pour que les premières trouvent leur application, il faut que l’Etat, dans le rapport économique à régler au point de vue du droit pécuniaire, se soit conduit comme un particulier : il faut qu’il ait fait un acte d’économie privée.
Il est incontestable que la sphère d’action du droit civil par rapport à l’Etat est délimitée dans le sens que nous venons de dire. On exprime cette idée de différentes manières ; pour l’essentiel, on revient toujours au même point4.
(179) Mais ce serait une erreur que de croire avoir ainsi une formule permettant de résoudre toutes les difficultés de délimitation réciproque.
Quand l’Etat fait-il des actes d’économie privée comme un particulier ? Lorsque, par exemple, l’Etat vend des marchandises, la chose est facile à reconnaître ; et vice-versa, quand 1’Etat impose des contributions, la solution contraire se manifeste clairement. La difficulté apparaît lorsque l’on se trouve dans la sphère intermédiaire : quand 1’Etat prend des individus à son service, lorsqu’il concède des entreprises publiques ou des avantages spéciaux sur des choses publiques, lorsqu’il admet les individus à profiter de ses services publics et leur fait payer des taxes, lorsqu’il devient lui-même débiteur d’indemnités, lorsqu’il accorde des subventions, etc., alors notre formule générale devient insuffisante.
On peut bien l’appliquer, mais dans un sens aussi bien que dans l’autre : celui qui prétend que l’Etat fait partout ici des actes d’économie privée, peut le soutenir mordicus ; et celui qui dit le contraire ne peut pas non plus être réfuté. Ainsi, nous constatons que, malgré l’accord que nous avons rencontré dans la formule qui doit régir la distinction, il y a, toutes les fois qu’on se pose pratiquement la question de l’attribution à l’une ou à l’autre des sphères, une discordance flagrante.
Pour nous qui croyons qu’il ne s’agit pas ici d’une simple différence de nom, mais d’une différence interne et fondamentale, la question ne peut pas être laissée sans solution. Mais l’idée même de l’institution (180) de droit administratif, qui nous oblige à résoudre le problème, nous fournit aussi le critérium que nous cherchons.
La formule trop générale et qui semble laisser le champ libre à toutes les opinions est interprétée et complétée d’une manière suffisante par les réalités du droit pratique. En réalité, nous n’avons pas à apprécier des faits isolés ; toute la marche des services publics suit un cours bien réglé et bien fixé dans tous les détails. Nous n’avons pas à la régler par nos théories ; nous n’avons qu’à comprendre la régularité qui s’y trouve.
Nous savons comment les choses se passent dans la sphère du droit civil ; nous prétendons aussi savoir comment elles doivent se passer quand les rapports sont régis par les principes du droit public. Dans ce livre nous voulons contribuer à rendre encore plus claires et plus reconnaissables les formes caractéristiques des institutions du droit administratif. Ce qu’il y a à faire est simple. A quoi servirait la science du droit, sinon à faire mieux comprendre les réalités ? Donc, au cas où l’on peut douter si l’on est en présence d’une institution du droit civil ou d’une institution du droit public, nous appliquerons à cette réalité l’une et l’autre des deux formules que nous connaissons.
Celle-là sera la vraie qui expliquera le plus naturellement et le plus simplement tous les détails donnés, et laissera subsister le moins d’exceptions et de contradictions. D’après le résultat de cet examen, le droit actuel présentera soit une institution du droit civil, soit une institution du droit public5.
(181) La partie spéciale de ce livre fera apparaître l’utilité pratique de cette méthode.
III. — A la distinction des sphères respectives des institutions civiles et des institutions publiques se rattachent deux notions appartenant spécialement à l’une et à l’autre de ces deux sphères, sans se confondre tout à fait avec elles. C’est, d’une part, l’administration publique, et, d’autre part, le fisc.
1) L’administration de l’Etat et celle des corps d’administration propre poursuivant les buts de ces corps, c’est l’activité dirigée en vue de satisfaire des intérêts publics. Que, dans le cas donné, elle agisse à la manière de l’économie privée ou à la manière de la puissance publique, il est indifférent de la qualifier. Mais il n’en est plus ainsi, quand la chose commune, par toute une branche de son activité, prend nettement la situation d’un entrepreneur privé poursuivant ses intérêts économiques à côté des intérêts publics. L’Etat se fait propriétaire rural, commerçant, industriel ; ou bien il exerce un métier, il exploite une possession, un capital comme un particulier. Pour tous les rapports qui en résultent, l’application du droit civil est naturelle. Mais par toute (182) cette activité, l’Etat sort de son rôle général. C’est encore de l’administration, mais c’est plutôt une administration comme celle d’un particulier qui gère ses affaires. On parle ici d’administrations fiscales. La chose commune poursuit ici, dit-on, non pas des intérêts publics, mais ses intérêts privés6.
Pour marquer la différence, nous désignons ce qui reste — par suite toute l’administration que l’Etat ne fait pas comme entrepreneur privé — sous le nom d’administration publique. Cela a de l’importance : c’est seulement dans cette mesure, — par conséquent après l’exclusion de ces branches d’activité spéciales — que l’administration manifeste son caractère propre en ce qui concerne le droit à lui appliquer ; c’est seulement de l’administration publique qu’il est vrai de dire que le droit public est le droit qui est naturel à l’Etat et qui lui convient. Il y a une présomption que c’est le droit public qui est applicable. Ici encore, des rapports isolés pourront se présenter, ayant un caractère d’économie privée et qui, par conséquent, soumettent l’Etat au droit civil. Mais, pour la sphère de l’administration publique, ce sont des cas exceptionnels, qui, chaque fois, devront être justifiés spécialement7.
2) Le Fisc n’est plus ce qu’il était au temps du régime de la police (§ 4, III, no 2 ci-dessus). Il est inexact de soutenir qu’on comprend mieux aujourd’hui la nature du fisc. Le fisc avait été, en réalité, (183) une personne morale distincte de l’Etat ; la pratique du droit avait tiré de cette idée toutes les conséquences. Aujourd’hui, on s’accorde à reconnaître que le fisc est simplement l’Etat lui-même considéré d’un certain côté. On parait même s’entendre sur la nature spéciale de ce côté de l’Etat : le fisc, dit-on, c’est l’Etat en tant que personne morale à laquelle appartient la fortune publique ; c’est l’Etat poursuivant ses intérêts pécuniaires8.
Mais dès qu’il s’agit de démontrer l’utilité pratique de cette notion — car il faut qu’une notion scientifique ait une utilité pratique — nous voyons surgir les divergences.
On peut s’en tenir strictement à la définition. Alors l’utilité de la notion de fisc est minime. Nous avons vu que, pour l’application du droit civil, il faut supposer que des intérêts pécuniaires de l’Etat sont en jeu. Cette première condition serait donc remplie, lorsque l’on sait que l’on est en présence du fisc. Mais cela ne nous avance guère. Car on n’obtient même pas une présomption pour l’application du droit civil. C’est l’administration fiscale, telle que nous l’avons définie, qui entraîne cette présomption ; mais nous trouvons aussi des intérêts pécuniaires dans la sphère de l’administration publique qui impose des contributions, qui paie des salaires, etc. ; et, pour l’administration publique, il y a la présomption contraire.
Dès lors, une notion du fisc, qui embrasse les deux sortes d’administration, n’implique pas cette présomption.
Pour avoir un résultat pratique, on va un peu plus loin ; on déclare que le fisc c’est l’Etat en tant que personne du droit privé, ou l’Etat au point de vue civil9. On veut dire que le fisc est toujours soumis (184) au droit civil et que l’Etat s’appelle ainsi quand le droit civil doit lui être appliqué. C’est une délimitation qui diffère de la précédente ; ici, il n’y a pas de fisc, lorsque l’Etat, pour ses intérêts pécuniaires, agit dans la sphère du droit public.
La distinction est très importante et très nécessaire. Mais le fisc n’est alors qu’un nom, un titre donné à l’Etat toutes les fois que l’on constate qu’il est soumis au droit civil. Il faut avoir déjà fait cette constatation, pour parler du fisc. C’est une manière de s’exprimer qui s’explique par les précédents historiques.
Nous rencontrons dans le langage de nos tribunaux un troisième sens du mot fisc ; il est peut être plus conforme aux traditions historiques et à la logique. Ce qui est égal doit être réglé également, telle est l’idée qui a fait appliquer le droit civil à l’Etat. Or, l’Etat qui, en poursuivant ses intérêts pécuniaires, prend la situation d’un simple particulier, provoque, par cela même, l’application des règles qui visent les individus. Le droit public réagit sur l’Etat aussi bien que le droit civil ; les institutions du droit administratif se retournent contre l’Etat ; l’Etat est exproprié, il est imposé par la commune, par la province, il participe aux charges d’entretien des écoles et des chemins, il est tenu par des règlements de police et il encourt des responsabilités en matière pénale. Pour constater que, dans le cas spécial, la réaction du droit public se produit, on appelle encore l’Etat le fisc10.
(185) Naturellement, les exemples les plus simples nous sont fournis par les administrations fiscales ; mais la réaction se produit aussi vis-à-vis de l’administration publique, partout où les manifestations de l’activité de celle-ci sont identiques à celles d’un particulier, et toutes les fois qu’elle ne représente pas un intérêt public de valeur égale ou supérieure. Dans ce dernier cas, on se plaît à dire que ce n’est pas le fisc que l’on a devant soi, mais bien l’autorité, ou un droit de supériorité, ou l’Etat11.
Si le terme technique de fisc n’existait pas, on ne (186) se donnerait certes pas la peine d’inventer un nom spécial pour désigner l’Etat quand il est entré dans certaines relations. Mais depuis la disparition de la doctrine du fisc, ce terme est devenu disponible. C’est une âme qui cherche son corps ; c’est là une cause de nombreuses tribulations pour notre littérature.
IV. — Sous le régime de la police, une chose assez naturelle et qui se présentait fréquemment, c’était l’institution de droit mixte. Dans un seul et même acte l’Etat agissait, vis-à-vis du sujet, à la fois comme soumis au droit civil et comme jouissant du droit public dans le sens qu’on attachait alors à ces mots, c’est-à-dire comme libre de toute détermination juridique ; par conséquent, l’effet de l’acte était de nature mixte.
L’Etat prend le fonctionnaire à son service et le fisc s’engage en même temps par contrat, à lui payer un salaire ; l’Etat exproprie, transfère par là au fisc une propriété du droit civil et le charge d’une obligation civile de payer une indemnité à l’individu exproprié. La personnalité double, sous laquelle l’Etat apparaissait alors, rendait possible le double caractère de son acte. Cela n’est plus possible depuis que nous avons fondu l’Etat proprement dit et le fisc en une seule et même personne.
Nos institutions juridiques sont nécessairement de nature uniforme ; elles sont, ou bien de droit civil, ou bien de droit public. Il n’y a pas d’institutions mixtes, parce qu’il n’est pas possible que cette même personne, l’Etat, se présente à la fois comme puissance supérieure et comme simple particulier12.
Cela ne veut pas dire que, par la suite, des effets de (187) droit civil ne peuvent pas être produits par l’acte de droit public. Mais il ne s’agit pas alors de deux parties d’un même acte et dans lesquelles l’auteur de l’acte, serait apprécié de deux manières différentes ; il s’agit de rapports nouveaux dans lesquels entre l’auteur de l’acte, ou de rapports d’autres personnes. Nous distinguons les cas suivants :
1) Les rapports de droit public, créés dans la forme de l’institution du droit public, peuvent, après coup, à la suite de changements survenus subir une transformation et prendre la forme des droits individuels civils correspondants : le domaine public, par exemple, devient, à la suite d’un acte de déclassement, la propriété privée de l’Etat13.
2) L’institution du droit public peut directement donner naissance à un ensemble de rapports nouveaux qui, par leur nature, appartiennent au droit civil. C’est ce qui arrive régulièrement quand un pouvoir juridique sur des choses corporelles a été créé par un acte de droit public : expropriation, confiscation, paiement forcé ou volontaire d’impôts ; et vice versa, paiement de salaires, d’indemnités d’expropriation. Ces actes font naître un état de choses dont la création est l’effet fiscal de l’institution du droit public ; cet état de choses lui-même, pour tous les rapports qui peuvent en découler, est désormais régi par les règles de la propriété privée14.
3) Il est des institutions qui ont directement pour but d’opérer, par la force de la puissance publique, un changement dans les rapports de droit civil qui existent entre des sujets. C’est ce que fait la justice dans la procédure de partage et dans l’annulation (188) d’un titre au moyen de la procédure provocatoire ; l’administration agit ainsi pour abolir les charges féodales, pour arrondir des terres cultivables, créer des droits de jouissance sur des cours d’eau privés, etc. L’acte administratif en lui-même appartient au droit public, de même que le jugement de partage et les droits individuels qu’il crée appartiennent au droit civil ; donc toutes ces institutions, à la différence de celles dont nous venons de parler, sont des institutions du droit civil15.
4) Il se peut qu’aux effets de l’institution du droit public, qui se sont produits entre l’Etat et le sujet, se rattachent, pour le sujet et pour d’autres personnes, des rapports de droit civil qui dépendent de ces effets, comme de leur condition, mais qui ont pour cause directe une règle de droit civil. Nous citerons comme exemple l’indemnité dont on peut devenir débiteur pour le dommage causé à un particulier par suite de l’inobservation d’une prescription de police ; de même, la responsabilité civile des fonctionnaires à raison des fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions16.
- Ce travail de différenciation avance quelquefois très vite. Ainsi, par exemple, Laband, Staatsrecht (1re éd. allemande), II, p. 216 affirme encore : « En tant que l’Etat exerce des droits de supériorité sur le territoire et sur les hommes, le commandement est la forme dans laquelle se manifeste l’activité des autorités ». De même dans Arch. f. oeff. R. II, p.159. Dans son Staatsrecht (2e éd. allemande) I, p. 690 la place du commandement a été prise par la disposition connue sous le nom d’ « acte juridique unilatéral du droit public ». Il est dit (p. 691) : « Le contenu de la disposition ne doit pas nécessairement être un commandement. Toute la variété de rapports juridiques, qui sont réglés par la loi in abstracto, peut être in concreto la matière de la disposition ». Suit une énumération des espèces et des sous-espèces de la disposition, où nous retrouvons un nombre considérable de nos institutions juridiques. Au contraire, c’est par un vestige de son ancienne manière de voir que G. Meyer, Verw. Recht, I, p. 32, énumérant les différentes espèces d’actes administratifs, indique, sous la rubrique du commandement, non seulement l’ordre de police, mais aussi l’imposition des contributions et la conscription pour le service militaire. Dès que la notion de commandement reçoit la détermination plus exacte qui lui est due, ces choses se différencient d’elles-mêmes. [↩]
- Dans notre littérature et dans les cours professés dans nos Universités, le « Droit privé allemand » a joué un grand rôle, rôle qui a été diminué sensiblement par le Code civil allemand. On y réunissait toutes les parties de notre droit civil, qui n’étaient pas du droit Romain ; on y ajoutait — et on y ajoute encore — quantité d’institutions juridiques du droit public, dont on ne comprenait pas la nature véritable et que nous revendiquons. Tout ce qui concerne le domaine public et les servitudes publiques, la commune et les associations syndicales, pas mal de créances pécuniaires sur l’Etat, l’expropriation pour cause d’utilité publique surtout, toutes ces matières devront nous être rendues. L’affranchissement de toutes ces institutions ne sera définitif que lorsque l’on aura fait disparaître des cerveaux de nos juristes cette idée absolument fausse, que rapports pécuniaires et rapports de droit civil sont identiques. Seydel, Grundlinien einer allg. St. Lehre, p. 38, a raison d’appeler cela une « idée fixe ». C’est un héritage de la manière de penser du régime de la police. Comp. la réfutation détaillée donnée par Wach, C. Pr. R., I, p. 55 ss. [↩]
- En ce sens, Jellinek, Ges. u. Verord, p. 248 : « Un acte administratif peut créer un rapport plus ou moins analogue aux rapports juridiques existants ». Il nous sera permis de comprendre par « rapports existants » des rapports de droit civil, et par « analogue » ce qui ne ressemble à ces rapports qu’extérieurement. Dans BI. f. adm. Pr. 1870, p. 333, il est déclaré que c’est une erreur de croire que toutes les institutions juridiques dont traite le droit civil appartenaient exclusivement au droit privé ; il y a « des servitudes de droit public, une prescription de droit public pour les créances, des obligations ex lege et des titres d’acquisition de la propriété, qui appartiennent au droit public ». Il ne faut pas se faire illusion : l’auteur est d’avis qu’au fond ces institutions gardent la nature du droit civil ; il veut seulement leur appliquer l’épithète de droit public, parce qu’ « elles rentrent dans le domaine du droit public ». C’est ce que dit encore plus naïvement Funke, Verw. in ihrem Verh. zur Just., p. 46 : Le droit public « comprend aussi les relations concernant l’Etat, dans lesquelles, quoiqu’elles appartiennent extérieurement au droit public, prédomine le caractère du droit privé ». Il cite comme exemple le contrat de service public (Staatsdienstvertrag). Dans Arch. f. oeff. R., III, p. 3 ss., j’ai essayé de démontrer toute l’importance de la différence : le contrat de service public, par cela même qu’il appartient au droit public, n’est pas et ne peut pas être un contrat dans le sens du droit civil. G. Meyer, qui au fond est d’accord avec moi, fait remarquer qu’il serait logique de renoncer au terme de contrat (Verw. R., p. 34 note 8). Je ne le conteste pas. On pourrait inventer des termes techniques tout à fait logiques ; mais il y aurait toujours des difficultés à les faire entrer dans nos usages.
En effet, le droit public aime à emprunter sa terminologie au droit civil. Cela se faisait déjà ainsi dans le droit romain (voir sur les soi-disant « contrats censoriens », Heyrowsky, Über die rechtliche Grundlage der leges contractus) ; le droit français connaît également ses « contrats administratifs », qui, en réalité, n’ont rien du contrat (Dalloz, 1849, 1, 113 ; Arch. f. oeff. R., III, p. 15 ss.). Quand, une fois, on sait bien ce qu’est le droit public et quelle est la nature générale de ses institutions, cette terminologie ne peut devenir la cause d’aucun malentendu. [↩]
- On trouvera une collection des différentes formules dont on se sert, dans Arch. f. öff. R., III, p. 35. Comp. Brater, dans Bl. f. adm. Pr., V, p. 101 : « Un rapport juridique qui est possible dans les relations privées des particuliers ». Leuthold, dans Annalen 1884, p. 361 : « des rapports juridiques susceptibles, d’après leur contenu, de pouvoir exister aussi entre personnes privées ». Très souvent, il est vrai, avec ces définitions, on tourne dans un cercle vicieux, puisqu’on exige, pour que le droit civil soit applicable, que l’Etat se soit déjà comporté à la manière du droit civil ; il fallait dire : à la manière de l’économie privée. Voyez surtout Thon, Rechtsnorm, p. 140, et Math, Beiträge zur Lehre v. d. Pfarrgemeinden, I, p. 21, où il est parlé de la « règle, presque généralement reconnue comme bien établie, dans la sphère du droit privé, que l’église est soumise au droit civil ». [↩]
- Dans le système que nous venons d’exposer, nous ne voulons pas déterminer les rapports que l’Etat doit traiter de rapports juridiques du droit public : nous nous bornons à constater ce qu’il a fait à cet égard. Jellinek, Subj. öff. R., p. 50 ss., nous semble exagérer cette idée en disant que l’Etat, par un acte formel, peut attribuer aux rapports le caractère de dépendances du droit public ou du droit privé. L’Etat peut, d’après lui, « transformer formellement des prétentions de droit privé en prétentions de droit public » ; il a le pouvoir de déclarer « formellement ces prétentions comme appartenant soit au droit privé, soit au droit public ». Il n’en est rien ; l’Etat ne fait pas de théorie ; il agit ; et il nous fournit ainsi les éléments d’appréciation. Quelquefois, il est vrai, l’Etat déclare formellement que telle chose appartient aux tribunaux civils, telle autre aux tribunaux administratifs ; de là nous pouvons tirer une présomption sur l’opinion du législateur touchant un caractère matériel. Mais on ne doit pas confondre les deux choses ; Jellinek suppose même le cas où certaines prétentions devraient « en vertu d’un ordre positif être jugées selon les règles du droit public, qu’elles aient ou non la nature de prétentions de droit public ». A notre avis, si vraiment pareil ordre existait, il ne serait pas permis au théoricien d’élever un doute sur le point de savoir si ce qui doit être jugé d’après le droit public appartient sérieusement au droit public. [↩]
- Neumann, dans Annalen 1886, p. 363 ; O. V. G., 4 nov. 1878 (Samml. IV, p. 67 note) ; V. G. H., 1er fév. 1881. Dans le même sens on distingue des « fonctions régiminales et économiques » ; Reger, VIII, p. 118. [↩]
- C’est là tout l’intérêt de la distinction. On a essayé d’aller plus loin et de faire reposer le droit public sur l’idée des intérêts publics ; cela fournirait la ligne de démarcation vis-à-vis du droit civil : Rehm, dans Annalen, 1885, p. 90 ; Neumann, dans Annalen, 1886, p. 416. Leuthold, dans Annalen, 1884, p. 355, nous semble avoir très bien réfuté cette doctrine. Elle n’est d’aucune utilité. [↩]
- Jellinek, Subj. öff. R., p. 56 ss. ; Wach, C. Pr. R., I, p. 92. [↩]
- Laband, Staatsrecht, éd. all., Il, p. 839 ss. ; Zorn, St. R., II, p. 220. Il est inexact de dire que l’Etat peut devenir une personne morale du droit privé ; il reste ce qu’il est par sa nature : la personne morale suprême du droit public, même dans le cas où, par certains de ses actes, le droit civil devient applicable. [↩]
- O. V. G., 24 mars 1877 (Samml. II, p. 132) : « le fisc est obligé de contribuer aux charges communales de la même manière qu’un cultivateur ». De même O. V. G., 14 juin 1879, 18 mai 1881, 21 juin 1882, 22 juin 1886, 23 avril 1887. O. V. G., 29 nov. 1876 : l’administration de la police municipale oblige le fisc, par la voie de contrainte, de contribuer au nettoyage de la vie ; O. V. G. 16 fév. 1884 : le fisc comme propriétaire du chemin, dont l’autorité prend possession dans l’intérêt de la communication publique. Bl. f. adm. Pr. 1877, p. 287 « le Trésor (synonyme de fisc) est considéré comme récalcitrant en ce qui concerne son obligation d’éloigner tout ce qui formerait obstacle au libre écoulement des eaux du ruisseau » ; en conséquence, il est condamné par l’autorité administrative à changer le cours de la rigole. O. V. G., 22 févr. 1882 (Samml. VIII, p. 104) : les rescrits contre le « Bauernlegen » (pour la conservation de la petite propriété rurale) s’appliquent aussi au fisc. O. V. G., 5 sept. 1878 (Samml. V, p. 328) : le fisc, « comme tout autre particulier », a besoin d’une permission de police pour construire ; de même, le fisc militaire, pour construire une usine à poudre ; les inspecteurs de fabrique ont compétence par rapport aux établissements industriels du fisc. R. G., 12 déc. 1882 (Reger, IV, p. 111) : l’art. 367, no 14 du Code pénal oblige aussi le fisc qui construit. Lobe, Zollstraf R., p. 134 : les règlements de douane s’appliquent également aux entrepôts de la marine, p. 109 : dans les condamnations pour délit de douane, il faut, déclarer responsable des amendes non pas les directions, mais l’administration fiscale du chemin de fer, c’est-à-dire le fisc. Comp. aussi J. J. Mayer, Grunds., p. 17 ; Bornhak, Preuss. Staatsrecht, III, p. 139. [↩]
- O. V. G., 5 sept. 1878 (Samml. V, p. 332) ; autorité de police contre autorité de police, donc pas de fisc. O. V. G., 5 mai 1877 (Samml. II, p. 400) : la police veut fermer un champ de tir militaire ; mais ce n’est pas « le fisc comme tel », mais « l’exercice de la supériorité (en matière militaire) de l’Etat, semblable au pouvoir de police ». O.V.G., 25 juin 1877 (Samml.V, p. 398) : la permission de construire une maison de garde-barrière n’est pas nécessaire, parce qu’on ne construit pas dans « l’intérêt du fisc » mais dans l’intérêt du service du chemin de fer. O. V. G., 2 nov. 1885 (Samml. XII, p. 246) : l’autorité locale enjoint au fisc des rivières (Stromfiskus) de construire un pont ; mais il ne s’agit pas du fisc, c’est une atteinte aux droits de supériorité de l’Etat ». O. Tr., 1er mai 1877 (Str. 97, p. 204) connait même un fisc de la police (Polizeifiskus) : c’est l’Etat, quand il est obligé de plaider devant les tribunaux civils pour un ordre de police argué de nullité. Ici toute idée d’intérêt pécuniaire a disparu ; seule, la réaction des lois de procédure sur l’Etat justifie l’expression de fisc. [↩]
- Récemment, Rehm, dans Annalen, 1885, p. 122 ss. a encore tenté de faire accepter l’idée de l’institution juridique mixte, en l’appliquant spécialement à la nomination à une fonction publique. [↩]
- Comp., § 9, II, et note 17 ci-dessus. [↩]
- Comp., § 34, no 4 ci-dessous. Il y a cette différence avec l’hypothèse précédente, qu’il ne se produit pas ici un état de choses appartenant au droit public et qui, plus tard, passe dans le droit civil ; dès que l’institution du droit public a produit son effet et est achevée, le droit civil s’applique. [↩]
- G. Meyer, V. R., I, §§ 101 et 103 comprend les actes les plus importants de cette nature sous la rubrique : « Réglementation de la propriété rurale » ; dans le § 108, il ajoute des actes analogues concernant la réglementation de l’usage de l’eau courante. Il appelle ces actes : « des dispositions révoquant et créant des droits individuels » ; il les assimile à l’expropriation. Mais l’expropriation est un acte tout différent. Elle s’empare des immeubles pour les besoins propres de l’administration. Au contraire, quand la puissance publique règle la propriété rurale et l’usage des eaux courantes, elle se contente de créer des effets juridiques entre les sujets. Quant à ce qui en adviendra, elle s’en remet au jeu normal entre les sujets des faits juridiques du droit civil. C’est la manière d’agir de la loi civile. Ces actes manifestent une activité auxiliaire des autorités administratives dans la sphère du droit civil, semblable aux actes de la juridiction gracieuse ; seulement, au lieu de conserver et de maintenir le droit civil, comme le fait la juridiction gracieuse, ils le modifient. [↩]
- A. L. R., I, 6, § 26 : obligation civile de payer des dommages-intérêts pour inobservation d’une loi de police ; de même, Code Civil, § 823, al. 2. Code réglementaire de police municipale des droits civils du voisin. Nous traiterons dans le § 17 ci-dessous de la responsabilité civile des fonctionnaires à raison de leurs actes. [↩]
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