L’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale (Assemblée nationale, Proposition de loi n° 3452, octobre 2020, p. 29), prévoyant, initialement, de sanctionner « d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police » a suscité bien des polémiques dans le pays jusqu’à conduire la majorité parlementaire à annoncer « une nouvelle écriture complète de l’article 24 » malgré son vote en première lecture à l’Assemblée Nationale (« La majorité va proposer « une nouvelle écriture complète de l’article 24 » de la loi « sécurité globale », Le Monde, 30.11.2020). Au coeur des débats relatifs à ces polémiques se trouve le droit de filmer policiers et gendarmes en intervention et plus globalement le droit d’informer (« Yaël Braun-Pivet et l’article 24 de la loi Sécurité globale : « évidemment qu’il faut revoir notre copie » », France Inter, 29.11.2020) et de la liberté de la presse (« « Pas acceptable » : La Défenseure des droits demande le retrait de l’article 24 de la loi « Sécurité globale » », BFMTV-RMC, 20.11.2020).
En effet, suite à des incidents graves mettant en cause des fonctionnaires de police, l’importance de la liberté de la presse a même été rappelée par le président de la République dans un message diffusé suite aux actes de violences commis sur le producteur Michel Zecler dans lequel il souligne : « Liberté d’expression et liberté de la presse. Je n’ai jamais cessé de défendre ces principes et tous ceux qui l’incarnent » (Message de M. Emmanuel Macron, Facebook, 27.11.2020, site de la Présidence de la République, consulté le 12 décembre 2020). Le sujet de la liberté de la presse a d’autant été mis en lumière un mois plus tôt, la question de la présence de la presse, des journalistes au sein des manifestations avait donné lieu à un quiproquo entre les journalistes et le ministre de l’Intérieur, sur l’interprétation à donner au schéma national du maintien de l’ordre, présenté par M. Darmanin. En effet, selon les médias, lors d’une conférence de presse tenue le 18 novembre 2020, le ministre aurait affirmé « lorsqu’ils couvrent les manifestations, les journalistes « doivent se rapprocher des autorités, en l’occurrence les préfets de départements, singulièrement ici le préfet de police de Paris, pour se signaler, pour être protégés par les forces de l’ordre, pour pouvoir rendre compte, faire leur travail de journaliste dans les manifestations », avait développé le ministre, s’appuyant sur le nouveau SNMO » (Le Monde, 18.11.2020).
Les propos ministériels avaient soulevé des prises de positions de plusieurs responsables de rédactions de la presse écrite ou audiovisuelle (« Nous n’accréditerons pas nos journalistes pour couvrir les manifestations », France Info, 20.11.2020). Le ministre apportant ensuite des précisions à son propos, considérant que les journalistes pouvaient se déclarer auprès des autorités, sans y être obligés. (« Pour Gérald Darmanin, les journalistes « peuvent, sans en avoir l’obligation » se rapprocher des autorités avant de couvrir des manifestations », Le Monde, 18.11.2020).
D’évidence, la « couverture » des manifestations est particulièrement sensible, notamment depuis la présentation par le ministre de l’Intérieur du schéma national du maintien de l’ordre (SNMO).
C’est le 16 juin 2019 que le ministre de l’Intérieur lançait « une réflexion pour faire évoluer » le maintien de l’ordre devant aboutir à la publication d’un nouveau schéma national, soulignant alors que « les méthodes et outils de maintien de l’ordre doivent évoluer » (« Christophe Castaner lance une réflexion pour faire « évoluer » le maintien de l’ordre », Le Monde, 18.06.2019).
Le document ainsi rédigé a été rendu public le 16 septembre 2020, posant les nouvelles modalités de mise en œuvre du maintien de l’ordre par les autorités publiques, notamment au plan opérationnel.
Ce schéma s’impose ainsi aux services du ministère de l’Intérieur auxquels il est avant tout destiné.
Emanant de leur ministre en personne, largement médiatisé, ce schéma a forcément une très forte portée, un effet particulièrement fort auprès des fonctionnaires et militaires à qui il est essentiellement destiné.
Mais il appartiendra au juge de clarifier son statut juridique. Circulaire, orientation générale, ligne directrice…, ce document, à ce jour au cadre juridique inédit, méritera des précisions quant à sa valeur. Sous réserve du respect des règles de publicité (art. L. 312-2 et suivants et R. 312-3-1 du Code des relations entre le public et l’administration), il a toute l’apparence d’une circulaire impérative du ministre à ses services dans l’esprit de la jurisprudence Duvignières (Conseil d’Etat, Section, 18 décembre 2002, Dame Duvignères, requête numéro 233618, publié au recueil). Dans son « Edito » le ministre de l’Intérieur souligne ainsi que le « schéma national du maintien de l’ordre entérine ces évolutions (l’infiltration plus systématique de casseurs au sein des cortèges conduisant les forces à adapter leur doctrine) et fixe un nouveau cadre d’exercice du maintien de l’ordre » (SNMO, p 3). Il a aussi » vocation à traiter l’ensemble des configurations de manifestations rencontrées sur le territoire national (…). Les principes qui y sont développés doivent ainsi être en permanence adaptés à la situation et à l’adversité rencontrée ou anticipée » (SNMO, p. 6). Comme l’écrivait M. Ticot dans ses conclusions sur l’arrêt » Institution Notre-Dame du Kreisker » (Conseil d’Etat, Assemblée, 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker, requête numéro 07134, rec. p. 64) « la circulaire est un pavillon qui peut recouvrir toutes sortes de marchandises ». Que ce soit alors un schéma, une orientation ou une directive nationale, ce document, régulièrement publié, serait de nature impérative et donc susceptible de faire grief.
Par ailleurs, et c’est le sujet central de la présente analyse, il vise aussi à réduire les tensions et à mieux communiquer tant avec les manifestants et la population qu’avec les journalistes. Un dispositif particulier de liaison et d’information est ainsi prévu. Ce sujet devient vite source de crispation pour la presse « Le nouveau schéma national du maintien de l’ordre inquiète la presse », le Monde, 23.09.2020).
Cette question est aussi le point focal de l’ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d’État le 27 octobre 2020.
Elle est, en effet, le sujet essentiel débattu devant celui-ci, saisi de requêtes contre ce schéma national du maintien de l’ordre émanant de syndicats de journalistes, de la Ligue des droits de l’homme, et de la Confédération générale du travail.
Ces derniers sollicitent du juge la suspension du schéma national du maintien de l’ordre (SNMO). Excipant de l’urgence de la situation, le SNMO devant être mis en œuvre dès les prochaines manifestations, ils soulèvent, notamment, plusieurs moyens révélant selon eux un doute sérieux quant à la légalité du document querellé.
En premier lieu les requérantes dénonçaient une atteinte au droit des journalistes d’exercer librement leur profession et au droit d’information du public garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (art. 11) et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 10 et 11).
En second lieu le SNMO aurait constitué un obstacle à l’accomplissement de la mission des journalistes en leur interdisant de se maintenir sur les lieux d’un attroupement et d’y relater les conditions d’intervention de la force publique, en autorisant les forces de l’ordre d’user de mesures de contraintes à leur égard et en ne garantissant aucunement leur protection.
En troisième lieu le SNMO introduirait une rupture d’égalité en faisant une distinction de traitement entre journalistes titulaires d’une carte de presse et les autres. Les requérants estimaient en outre que le schéma imposait aux journalistes des obligations d’accréditation et d’identification manifestement inadaptées aux objectifs qu’il se donne lui-même.
Enfin le schéma aurait porté des restrictions injustifiées et inadaptées au droit des journalistes de porter des équipements de protection lors des manifestations.
Si le juge administratif rejette les prétentions suspensives des requérants en estimant que la condition d’urgence n’est pas satisfaite et « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence de moyens de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des énonciations contestées » (point 12 de l’ordonnance), il précise tout de même des points essentiels du schéma national du maintien de l’ordre qui, à ce stade de la procédure, ne portent pas atteinte gravement et immédiatement à l’exercice de la profession de journalistes (I), d’autant plus qu’il ne prévoit pas (point 11), contrairement à ce qui était soutenu par les requérants, que les journalistes soient écartés du dispositif de maintien de l’ordre (II).
I.- Le schéma national du maintien de l’ordre ne porte pas une atteinte grave et immédiate à l’exercice de la profession de journaliste
Il ressort de la démonstration du juge que les énonciations du schéma visent plutôt à protéger les journalistes couvrant des manifestations. Elles leur permettent de porter des équipements de protection dès lors qu’ils sont identifiables par la force publique et que leur comportement est exempt de toute infraction ou provocation (point 7 de l’ordonnance) (A). Par ailleurs, le statut particulier proposé aux journalistes accrédités et porteur d’une carte de presse ne préjudicie pas gravement et immédiatement à l’exercice de la profession (points 8 et 9 de l’ordonnance) (B).
A.- Les journalistes identifiables peuvent porter des équipements de protection et doivent être protégés
La question est d’importance. En effet, tout un dispositif répressif est prévu en cas de dissimulation du visage lors d’une manifestation. L’article 431-9-1 du code pénal punit ainsi de peines délictuelles la personne qui, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis, dissimule volontairement tout ou partie de son visage (C. cass. crim., 15.01.2019, n° 17-87185, C. cass. crim., 21.05.2019, n° 18-84004 et CAA Lyon, 06.04.1996, n° 92LY00191).
En outre, l’article R. 645-14 du code pénal punit d’une contravention de la 5e classe le fait pour une personne, dans les mêmes conditions, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public. Une circulaire du 2 mars 2011 relative à la mise en œuvre de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (NOR : PRMC1106214C, JO 03.03.2011, texte n°1), précise, très clairement, que l’interdiction concerne les tenues destinées à dissimuler le visage, c’est-à-dire de rendre impossible l’identification de la personne, sans pour autant qu’il soit nécessaire que le visage soit intégralement dissimulé. Sont alors « notamment interdits, sans prétendre à l’exhaustivité, le port de cagoules, de voiles intégraux (…), de masques ou de tout autre accessoire ou vêtement ayant pour effet, pris isolément ou associé avec d’autres, de dissimuler le visage ». La circulaire souligne, par ailleurs, que l’interdiction ne s’applique pas « si la tenue est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels ».
C’est cette interprétation que confirme le juge des référés.
Le SNMO affirme la nécessité « d’assurer une prise en compte optimale des journalistes et de protéger ainsi le droit d’informer » (SNM O, 2.2., p. 16). Il réaffirme aussi « la nécessité de préserver l’intégrité physique des journalistes sur le terrain. Eu égard à l’environnement dans lequel ils évoluent, les journalistes peuvent porter des équipements de protection (…) » (SNMO, 2.2.1., p. 16).
Le Conseil d’État souligne alors que cette « énonciation a pour objet de rappeler que les journalistes, lorsqu’ils sont présents dans une manifestation pour les besoins de l’exercice de leur profession, disposent en principe d’un motif légitime, tenant à la nécessité de garantir leur intégrité physique pour porter des équipements de sécurité, notamment des masques et des lunettes, sans que soit caractérisée l’infraction, prévue et réprimée par l’article 431-9-1 du code pénal (…) » (point 7 de l’ordonnance et voir supra).
Cette décision du juge, si elle peut apparaître anodine, en confirmant les termes de la circulaire du 2 mars 2011, n’en demeure pas moins importante pour la protection des journalistes et la liberté de la presse.
D’abord, elle rappelle solennellement le droit des journalistes, dans l’exercice de leur mission de couverture médiatique d’une manifestation de disposer, du fait de la spécificité de leur profession, de matériels de protection qui sont proscrits à tous les autres citoyens et ce afin de les protéger.
Ensuite, elle fait écho à une crainte déjà exprimée par l’Assemblée Nationale. En effet, le rapport fait par la commission d’enquête « chargée d’établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation ainsi que de protection des personnes et des biens », citant le directeur général de « Reporters sans frontières », relevait que « le comportement des forces de l’ordre n’est pas le problème le plus crucial pour les journalistes qui couvrent les manifestations (…). En revanche, bien plus graves sont les comportements des manifestants ou groupes de manifestants à l’égard des journalistes » (rapport AN, 21.05.2015, p. 88).
La haute juridiction, en référé, conforte aussi la nécessaire protection due aux journalistes dans l’exercice de leur profession.
En assujettissant ce statut particulier dont doivent bénéficier les journalistes à la possibilité pour les forces de l’ordre d’avoir connaissance de leur qualité, sans que le schéma ne précise d’ailleurs « les modalités selon lesquelles cette connaissance peut être assurée », (point 7 de l’ordonnance) et en l’absence de participation active des intéressés à des troubles à l’ordre public, le schéma n’a pas porté atteinte de façon grave et immédiate aux conditions d’exercice de la profession de journaliste (point 7 de l’ordonnance).
Il en est de même s’agissant du statut particulier des journalistes « accrédités » et « titulaires d’une carte de presse ».
B.- Le statut particulier de journaliste « accrédité » lors d’un dispositif de maintien de l’ordre et porteur d’une carte de presse ne porte pas une atteinte grave et immédiate à l’exercice de la profession
La question en litige concerne le point 2.2.2. du SNMO (p. 16) qui prévoit que dans « la prise en compte optimale des journalistes », « un officier référent peut être utilement désigné au sein des forces et un canal d’échange dédié mis en place, tout au long de la manifestation, avec les journalistes, titulaires d’une carte de presse, accrédités auprès des autorités ».
L’argument essentiel des requérants repose sur la «rupture d’égalité injustifiée entre les journalistes » (point 9 de l’ordonnance).
Le point querellé fait effectivement naître un double questionnement juridique.
La détention de la carte de presse est-elle indispensable à la reconnaissance de la qualité de journaliste et l’accréditation suggérée par le SNMO rompt-elle l’égalité entre les journalistes souhaitant couvrir une manifestation entre ceux qui seraient accrédités et les autres ?
S’agissant de la qualité de journaliste, l’article L. 7111-1 du Code du travail souligne que « le journaliste professionnel dispose d’une carte d’identité professionnelle » délivrée par la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels. Cette « carte de presse » ne peut alors « être délivrée qu’aux personnes qui sont journalistes professionnels ou sont assimilés à des journalistes professionnels » (art. R. 7111-1 du Code du travail). L’article 6 de la Convention collective des journalistes précise encore plus la place de la carte professionnelle au sein du monde de la presse en prescrivant :
« qu’aucune entreprise visée par la présente convention ne pourra employer plus de trois mois des journalistes professionnels et assimilés qui ne seraient pas titulaires de la carte professionnelle de l’année en cours ou pour lesquels cette carte n’avait pas été demandée » (Convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976, refondue le 27 octobre 1987, étendue par arrêté du 2 février 1988, JO du 13.02.1988).
Il peut être alors tiré de ces textes une première conclusion : pour obtenir la carte de presse le demandeur doit établir qu’il est journaliste professionnel. Mais il ne devient pas journaliste professionnel parce qu’il détient une carte de presse, « sa détention est en elle-même insuffisante à établir que son titulaire possède bien la qualité de journaliste (…) » (C. cass. soc., 17.10.2012, n° 11-14302). Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la reconnaissance de la qualité de journaliste professionnel qui suppose « premièrement, que l’intéressé exerce une activité dans une entreprise de presse, une publication quotidienne ou périodique, une agence de presse, ou une entreprise de communication au public par voie électronique, deuxièmement, qu’il ait pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession et en tire le principal de ses ressources ; […] le mode de diffusion d’informations par voie électronique, notamment sur un site internet, ne fait pas, par lui-même, obstacle à la qualification de publication (…) » (Conseil d’État, SSR, 16 octobre 2015, requête numéro 377177).
Il ressort alors de ces éléments qu’une personne peut détenir une carte de presse sans être journaliste, mais aussi qu’un individu sans carte de presse peut être journaliste dans la mesure où:
– il exerce sa profession comme activité principale régulière et rétribuée dans une ou plusieurs structures de presse (entreprises, publications, agences…),
– et qu’il en tire le principal de ses ressources (Cass. soc.;, 17.10.2012, précité).
S’agissant de l’accréditation, le juge démontre que son absence n’empêche nullement l’exercice professionnel journalistique. Même au stade du référé, le juge porte un regard « in concreto » sur la question qu’il est appelé à trancher. En effet, il analyse très concrètement les « avantages » conférés aux journalistes accrédités par rapport aux autres. La désignation d’un « officier référent » ouvre la possibilité aux journalistes accrédités d’obtenir par un canal de communication spécifique, via le réseau « Whatsapp », « des informations relatives au déroulement de cette manifestation » alors « plus précises que celles mises à la disposition du public par la voie de canaux ouverts, tels qu’un compte tweeter » (point 8 de l’ordonnance). Mais il ressort, des échanges durant l’audience publique, confirmant l’analyse approfondie et concrète du juge, même à ce stade du contentieux, « que l’accès aux informations susceptibles d’être échangées par la voie de ce canal (spécifique) n’était pas indispensable à l’accomplissement par les journalistes de leur mission d’information ».
Ainsi, et c’est la seconde conclusion que permet de tirer cette décision, les journalistes, soit non encore titulaires de la carte de presse, soit qui ne souhaitent pas saisir la proposition d’être accrédités et de bénéficier de ce « service dédié », sont libres de leur choix et de suivre autrement, selon leur propre arbitre, le déroulement des événements, le dispositif mis en place par la SNMO n’apparaissant pas, à ce stade de la procédure, de nature à porter par lui-même une atteinte grave et immédiate aux conditions d’exercice de la profession de journaliste (point 9 de l’ordonnance).
Si les journalistes, quel que soit leur statut, accrédités ou pas, peuvent suivre la manifestation, la seconde question importante que règle, au stade du référé, cette ordonnance, est la place accordée aux journalistes au sein du dispositif de maintien de l’ordre public. Le juge considère que la loi réglementant ce sujet leur est aussi applicable, tout en leur permettant d’être présents durant les opérations de maintien de l’ordre.
II.- Le droit commun de la dispersion en maintien de l’ordre public s’applique aux journalistes
Si les journalistes se voient appliquer le droit commun en matière de dispersion des attroupements, ils ne sont pas pour autant sont privés de la possibilité de « couvrir » l’événement.
A.- Les journalistes doivent respecter les injonctions de dispersion d’un attroupement après sommations
Confrontée à un attroupement susceptible de troubler l’ordre public, défini à l’article 431-3 du code pénal, l’autorité administrative prévue à l’article L. 211.9 du Code de la sécurité intérieure (CSI, voir infra) va ordonner par sommations sa dispersion. En cas de refus de se plier aux injonctions de l’autorité publique, cette dernière pourra faire intervenir la force publique pour disperser l’attroupement.
Préalablement à l’usage de la force il est en effet obligatoire de prononcer des sommations indiquant aux personnes attroupées qu’elles se trouvent en illégalité et que la force va être employée pour leur dispersion, comme le souligne l’article L. 211-9 du (CSI) :
« Un attroupement peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet, adressées, lorsqu’ils sont porteurs des insignes de leur fonction, par :
1.- le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police ;
2.- sauf à Paris, le maire ou l’un de ses adjoints ;
3.- tout officier de police judiciaire responsable de la sécurité publique, ou tout autre officier de police judiciaire.
Il est procédé à ces sommations suivant des modalités propres à informer les personnes participant à l’attroupement de l’obligation de se disperser sans délai ».
L’article 431-4 du code pénal incrimine au plan délictuel le fait de continuer à participer à un attroupement après les sommations (C. cass.crim., 23.01.2019, n° 18-81219).
Le SNMO prévoit expressément que ces textes s’appliquent aux journalistes qui ne bénéficient pas d’un régime dérogatoire à cet égard.
Le point 2.2.4.- du SNMO (p. 16) relève qu’il « importe (…) de rappeler que le délit (….) ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations. Dès lors qu’ils sont au cœur d’un attroupement, ils doivent comme n’importe quel citoyen obtempérer aux injonctions des représentants des forces de l’ordre en se positionnant en dehors des manifestants ».
En revanche, le juge des référés se trouve bien dans ses compétences judiciaires relevant de l’urgence. Il n’exclut pas, a priori, les autres voies juridictionnelles permettant éventuellement d’ouvrir l’analyse juridique quant à la conformité constitutionnelle ou conventionnelle du schéma. Au titre de son contrôle, il se borne de relever que le SNMO ne fait qu’appliquer l’article 431-4 du Code pénal. L’argumentaire visant à soutenir que la loi pénale exclurait les journalistes de son champ d’application en vertu des dispositions de l’ article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne justifie pas la suspension en urgence d’un document se contentant de réitérer les termes de la loi ( point 11 de l’ordonnance) .
S’agissant du contrôle de constitutionnalité, naturellement le juge des référés ne peut se prononcer quant à la bonne prise en compte par la loi pénale de l’article 11 (libre communication des pensées et des opinions) de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, partie intégrante du bloc de constitutionnalité (Conseil Constitutionnel, Décision n° 71-44 du 16.07.1971, relative à la loi complétant les dispositions de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association). Depuis toujours, le juge administratif refuse d’exercer un contrôle de constitutionnalité de la loi, le faisant entrer en conflit avec le Législateur (Conseil d’Etat, Section, 6 novembre 1936, Arrighi, recueil p. 966 ou CE ass., 20.10.1989, Roujansky). Il ne pourrait qu’appartenir au juge du fond, saisi éventuellement en ce sens, et s’il devait estimer la requête fondée sur un moyen sérieux, d’interroger le juge constitutionnel quant à la constitutionnalité de l’article 431-4 du code pénal. Il pourrait alors, dans cette hypothèse, conformément à l’article 61-1 de la Constitution et de l’article 23-5 aliéna 1er de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au juge constitutionnel relative à la conformité de l’article 431-4 du code pénal à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Relevons, à cet égard, que le Conseil d’État a déjà considéré que les contestations relatives à la constitutionnalité de l’article 431-3 du code pénal ( rappelons que l’article 431-3 du CP définit l’attroupement et donne les modalités de sa dispersion, voir supra) ne reposaient pas sur des moyens sérieux, estimant qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité alors soulevée (Conseil d’État, CHR, 12 avril 2019, Ligue des droits de l’homme, requête numéro 427638).
S’agissant du contrôle de conventionnalité, même si depuis 1989 (Conseil d’Etat, Assemblée, 20 octobre 1989, Nicolo, requête numéro 108243, rec. p. 190), le Conseil d’État écarte une loi qui serait contraire à un traité, le présent juge des référés ne tranche pas cette question. Pourtant, si le Conseil d’État a considéré initialement qu’il n’entrait pas dans son office d’apprécier la conventionnalité d’une loi en tant que juge des référés (Conseil d´Etat, SSR, 30 décembre 2002, Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, requête numéro 240430), cette prise de position a été abandonnée s’agissant d’une procédure de référé – liberté (Conseil d’Etat, Assemblée, 31 mai 2016, Gonzalez-Gomez, requête numéro 396848). Mais dans la présente affaire, le juge se contente d’évoquer le sujet, -sans entrer dans l’analyse du moyen, s’en tenant à l’absence d’urgence- en jugeant que la suspension des dispositions du SNMO, ne « réitérant (que) les termes (d’une) (…) disposition législative », ne se justifiait pas (point 11 de l’ordonnance). Le jugement de cette question relèvera éventuellement du juge du fond.
Si les journalistes se voient appliquer le droit commun en matière d’obligation de dissipation après sommations, cette règle n’empêche pas la presse de faire son travail puisqu’elle n’est pas pas exclue du dispositif de maintien de l’ordre public.
B.- La presse n’est pas exclue du dispositif de maintien de l’ordre public
Si, à ce stade du contentieux, il apparaît que la presse se voit imposer les règles de droit commun relativement à l’obligation de dissipation d’un attroupement, après sommations, sous peine de poursuites pénales (voir supra), les journalistes ne sont pas, pour autant, dépourvus de moyens pour remplir leur mission.
En effet, le schéma se contentant d’indiquer que les personnes se trouvant au sein d’un attroupement doivent, après sommations, « se positionner en dehors des manifestants appelés à se disperser » n’oblige en rien les journalistes, contrairement à ce qui et soutenu dans la requête, à devoir « se tenir à l’extérieur du cordon des forces de l’ordre entourant la manifestation ». (point 11 de l’ordonnance). La simple prudence conduit effectivement les journalistes présents et qui ne sont pas, évidemment, des manifestants, à s’écarter de l’attroupement, pour ne pas être éventuellement confrontés à l’emploi de la force qui ne leur est pas destinée.
Cette démonstration juridique du juge le conduit à conclure qu’« il résulte de tout ce qui précède que la condition d’urgence n’étant pas satisfaite, les demandes de suspension ne peuvent qu’être rejetées, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur « l’existence de moyens de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité » (point 12 de l’ordonnance) des termes du schéma national du maintien de l’ordre contestés.
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