REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mars 1998 et 12 juin 1998 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’ASSOCIATION DE PATIENTS DE LA MEDECINE D’ORIENTATION ANTHROPOSOPHIQUE, dont le siège est …, l’ASSOCIATION POUR LA RECHERCHE ET L’ETUDE DE LA MEDECINE ANTHROPOSOPHIQUE, dont le siège est … et l’ASSOCIATION MEDICALE ANTROPOSHPHIQUE EN FRANCE, dont le siège est à Saint-Laurent, L’Ormoy (18330) ; l’ASSOCIATION DE PATIENTS DE LA MEDECINE D’ORIENTATION ANTHROPOSOPHIQUE et autres demandent au Conseil d’Etat l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 98-52 du 28 janvier 1998 relatif aux conditions de la mise sur le marché des médicaments homéopathiques et modifiant le code de la santé publique (deuxième partie : Décrets en Conseil d’Etat) ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive n° 65/65/CEE du Conseil du 26 janvier 1965 ;
Vu la directive n° 92/73/CEE du Conseil du 22 septembre 1992 ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. Eoche-Duval, Auditeur,
– les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de l’ASSOCIATION DE PATIENTS DE LA MEDECINE D’ORIENTATION ANTHROPOSOPHIQUE et autres,
– les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie :
Sur le moyen relatif à la régularité de la procédure :
Considérant qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et à la concurrence, le Conseil de la concurrence est obligatoirement consulté par le gouvernement sur tout projet de texte réglementaire ayant directement pour effet : (…) « 3. D’imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente » ; que, dans la mesure où les dispositions du décret n° 98-52 du 28 janvier 1998 comportent des règles relatives à la publicité des médicaments homéopathiques ainsi qu’à l’étiquetage desdits médicaments, elles ont pour effet « d’imposer des pratiques uniformes en matière (…) de conditions de vente » et devaient à ce titre être soumises à l’avis du Conseil de la concurrence conformément aux dispositions précitées de l’article 6 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu’il est constant que la consultation de cet organisme a eu lieu préalablement à l’intervention du décret attaqué et que ledit organisme a été mis à même d’exprimer son avis sur l’ensemble des questions soulevées par ce décret qui ressortissent à sa compétence ;
Considérant que la circonstance que le gouvernement a été conduit, postérieurement à l’avis du Conseil de la concurrence, à disjoindre du texte sur lequel ce dernier avait été consulté, pour des motifs de légalité tenant au respect des articles 7 et 9 de la directive n° 92/73/CEE du Conseil des Communautés européennes du 22 septembre 1992, les dispositions qui prévoyaient que les médicaments homéopathiques, dont la voie d’administration ne serait ni orale ni externe, seraient soumis à la procédure d’enregistrement simplifiée, n’exigeait pas, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, qu’il fût procédé à une nouvelle consultation du Conseil de la concurrence ;
Sur le moyen tiré du défaut de mise en oeuvre de l’article L. 601-4 du code de la santé publique :
Considérant que l’article L. 601-3 ajouté au code de la santé publique par l’article 12-II de la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection socialeprévoit que les médicaments homéopathiques qui satisfont à l’ensemble des conditions qu’il énumère et notamment à la nécessité de leur administration par voie orale ou externe, sont soumis, non au régime d’autorisation régissant les spécialités pharmaceutiques en vertu de l’article L. 601 du code, mais à une procédure d’enregistrement simplifiée auprès de l’Agence du médicament ;
Considérant que l’article L. 601-4 également ajouté au code de la santé publique par l’article 12-II de la loi du 18 janvier 1994 dispose que : « Les médicaments homéopathiques ne correspondant pas aux voies d’administration visées à l’article L. 601-3, notamment ceux administrés par voie injectable sous-cutanée, peuvent faire l’objet d’un enregistrement selon des règles particulières » ; que selon le 12°) ajouté à l’article L. 605 du même code par l’article 12-III de la loi précitée, des décrets en Conseil d’Etat précisent les conditions d’application des articles L. 601 à L. 604 et notamment « les modalités de présentation des demandes tendant à obtenir l’enregistrement des médicaments homéopathiques prévu aux articles L. 601-3 et L. 601-4 (…) » ;
Considérant toutefois, que le paragraphe 1er de l’article 7 de la directive n° 92/73/CEE du 22 septembre 1992 fixant des dispositions complémentaires pour les médicaments homéopathiques dispose que la procédure d’enregistrement simplifiée spéciale » que les Etats membres sont en droit d’instituer est réservée aux médicaments satisfaisant à « toutes les conditions énumérées » audit paragraphe, au nombre desquelles figure l’exigence d’une « administration orale ou externe » ; que selon l’article 9 de la même directive, les médicaments homéopathiques, autres que ceux visés à l’article 7, « sont autorisés et étiquetés » conformément aux règles définies par la directive n° 65/65/CEE du 26 janvier 1965 relative aux spécialités pharmaceutiques ;
Considérant qu’il suit de là que les dispositions précitées de l’article L. 601-4 du code de la santé publique, en ce qu’elles étendent le champ d’application de la procédure simplifiée d’enregistrement au-delà des objectifs définis par la directive, sont incompatibles avec ceux-ci ; que, par suite, en ne prenant pas les mesures réglementaires destinées à permettre la mise en oeuvre de l’article L. 601-4 du code de la santé publique, le gouvernement s’est conformé, ainsi qu’il y était tenu, aux exigences inhérentes à la hiérarchie des normes dans l’ordre juridique interne, telles qu’elles découlent de l’article 55 de la Constitution ; que, dans ces conditions, les associations requérantes ne peuvent valablement soutenir que le décret attaqué serait illégal, faute d’assurer l’application des dispositions de l’article L. 601-4 du code de la santé publique ;
Sur les moyens dirigés contre l’article R. 5133 du code de la santé publique :
Considérant qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 9 de la directive n° 92/73/CEE du 22 septembre 1992 : « Un Etat membre peut introduire ou maintenir sur son territoire des règles particulières pour les essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques des médicaments homéopathiques autres que ceux visés à l’article 7, paragraphe 1, conformément aux principes et aux particularités de la médecine homéopathique pratiquée dans cet Etat membre » ;
Considérant qu’il ressort clairement de ces dispositions que les autorités compétentes des Etats membres ont la faculté, pour répondre à un objectif de santé publique et en fonction de la différence que présente au regard de la poursuite de cet objectif l’administration par voie sous-cutanée par rapport à d’autres modes, de prévoir une information renforcée de l’autorité administrative responsable, concernant des médicaments homéopathiquesinjectables ; qu’en édictant des prescriptions en ce sens, l’article R. 5133 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l’article 2 du décret attaqué, n’a méconnu ni les objectifs définis par la directive ni la portée de l’habilitation donnée par l’article L. 605 du code de la santé publique au gouvernement, agissant par voie de décret en Conseil d’Etat, et n’a pas davantage porté atteinte au principe d’égalité ;
Sur les moyens dirigés contre l’article R. 5143-15 (alinéa 2) du code de la santé publique :
Considérant qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article R. 5143-15 ajouté au code de la santé publique par l’article 6 du décret attaqué, le directeur général de l’Agence du médicament notifie à l’intéressé sa décision sur la demande d’enregistrement « dans un délai de 210 jours à compter de la présentation d’un dossier complet et régulier » ; qu’il est spécifié que « le silence gardé par le directeur général vaut refus d’enregistrement à l’expiration d’un délai de 210 jours à compter de la date de réception de cette demande » ;
En ce qui concerne la durée du délai d’instruction :
Considérant que le paragraphe 4 de l’article 7 de la directive n° 92/73/CEE du 22 septembre 1992 dispose que les critères et règles de procédure de la directive n° 65/65/CEE du 26 janvier 1965 relative aux spécialités pharmaceutiques « sont applicables par analogie à la procédure d’enregistrement simplifiée spéciale des médicaments homéopathiques à l’exception de la preuve de l’effet thérapeutique » ; qu’au nombre des dispositions auxquelles il est fait ainsi référence, figure le paragraphe 1er de l’article 7 de la directive n° 65/65/CEE aux termes duquel « Les Etats membres prennent toutes les dispositions utiles pour que la durée de la procédure pour l’octroi de l’autorisation (…) n’excède pas un délai de deux cent dix jours à compter de la présentation d’une demande valide » ;
Considérant qu’en faisant usage de la faculté ainsi ouverte pour l’institution de la procédure d’enregistrement des médicaments homéopathiques susceptibles d’y être soumis, le gouvernement n’a pas méconnu les objectifs définis par les directives susmentionnées ; que la circonstance que le délai d’instruction applicable à la procédure d’enregistrement des médicaments homéopathiques soit fixé uniformément à 210 jours, alors que dans le cadre de la procédure d’autorisation de mise sur le marché d’une spécialité pharmaceutique le délai imparti à l’Agence du médicament est, en vertu de l’article R. 5135 du code de la santé publique, de 120 jours susceptible d’être prorogé une fois de 90 jours, n’implique pas que le délai retenu par le décret attaqué soit entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ;
En ce qui concerne le moyen tiré de l’incompatibilité entre un régime de décision implicite de rejet et une obligation de motivation :
Considérant qu’il résulte du renvoi opéré par le paragraphe 4 de l’article 7 de la directive n° 92/73/CEE du 22 septembre 1992 à l’article 12 de la directive n° 65/65/CEE du 26 janvier 1965, que toute décision de refus d’enregistrement d’un médicament homéopathique « devra être motivée de façon précise » ;
Considérant que la transposition de cet objectif dans l’ordre juridique interne est assurée par les dispositions de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, telle qu’elle a été modifiée par la loi du 17 janvier 1986, qui font obligation à l’autorité administrative de motiver les décisions de refus d’autorisation ; que le rappel de cette exigence est effectué par l’article R. 5143-20 ajouté au code de la santé publique par le décretattaqué ;
Considérant que si les associations requérantes soutiennent que l’obligation de motiver ainsi prévue serait méconnue par les dispositions du deuxième alinéa de l’article R. 5143-15 du code en vertu desquelles le silence gardé à l’expiration du délai de 210 jours « vaut refus d’enregistrement », un tel moyen ne peut qu’être écarté dès lors que l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 prévoit qu’en cas de décision implicite de rejet, les motifs de cette décision doivent être communiqués à l’intéressé, dans le mois suivant la demande présentée par lui ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête dirigées contre le décret n° 98-52 du 28 janvier 1998 ne peuvent qu’être écartées ;
Sur les conclusions de la requête tendant à l’application de l’article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer aux associations requérantes la somme qu’elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de l’ASSOCIATION DE PATIENTS DE LA MEDECINE D’ORIENTATION ANTHROPOSOPHIQUE, de l’ASSOCIATION POUR LA RECHERCHE ET L’ETUDE DE LA MEDECINE ANTHROPOSOPHIQUE et de l’ASSOCIATION MEDICALE ANTHROPOSOPHIQUE EN FRANCE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION DE PATIENTS DE LA MEDECINE D’ORIENTATION ANTHROPOSOPHIQUE, à l’ASSOCIATION POUR LA RECHERCHE ET L’ETUDE DE LA MEDECINE ANTHROPOSOPHIQUE, à l’ASSOCIATION MEDICALE ANTHROPOSOPHIQUE EN FRANCE, au Premier ministre, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au ministre de l’emploi et de la solidarité.