Une troisième loi de simplification du droit (Loi numéro 2007-1787, 20 décembre 2007, article 1er, JO 21 décembre 2007, p. 20639) a inséré dans la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (Loi numéro 2000-321, 12 avril 2000, article 16-1, JO 13 avril 2000, p. 5646) un nouvel article. Celui-ci dispose que « l’autorité administrative est tenue, d’office ou à la demande d’une personne intéressée, d’abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publication du règlement ou qu’elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ». Cette disposition s’inscrit pleinement dans un processus de « toilettage normatif » et de bonne administration déjà entamé par la jurisprudence et relayé par le pourvoir réglementaire. Le législateur poursuit cette entreprise en conférant une valeur législative au principe de l’abrogation des règlements illégaux et exige une plus grande vigilance des autorités administratives. Toutefois, la loi laisse quelques doutes quant à l’innovation qu’elle introduit.
L’énonciation du principe de l’abrogation des dispositions réglementaires devenues illégales revient au juge administratif. En effet, dès 1930, le Conseil d’État considère dans l’arrêt Despujol (CE Sect., 10 janvier 1930, Despujol : rec. p. 30) qu’une autorité administrative est soumise à une obligation de modifier ou d’abroger un règlement illégal en raison d’une modification des circonstances de droit ou de fait qui ont présidées à son édiction. Cette jurisprudence ambitionnait essentiellement de pallier les inconvénients du délai de recours contentieux qui, sécurisant l’acte administratif, conduisait à immuniser un règlement devenu illégal postérieurement au délai de deux mois et qui ne pouvait plus être remis en cause que par la voie de l’exception, certes de manière perpétuelle (CE 24 janvier 1902, Avezard, rec. p. 44).
Cette jurisprudence apporte un renfort et un complément au principe selon lequel une autorité administrative est tenue de ne pas appliquer un règlement illégal (CE Sect., 14 novembre 1958, Ponard : rec. p. 554).
Partant de la jurisprudence Despujol, et suite à l’hésitation du Conseil d’État sur l’existence (CE, 12 mai 1976, Leboucher et Tarandon, requête numéro 96436 : rec. p. 246) ou l’absence (CE Sect., 30 janvier 1981, Ministre du travail et de la participation c/ Société France Afrique Transaction, requête numéro 16148 : rec. p. 32) de compétence liée pour abroger, le pouvoir réglementaire a dégagé une règle plus large que l’on retrouve en filigrane dans l’article 16-1 de la loi du 12 avril 2000 : « L’autorité compétente est tenue de faire droit à toute demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, soit que le règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte des circonstance de droit ou de fait postérieurement à cette date » (Décret numéro 83-1025, 28 novembre 1983, article 3, JO 3 décembre 1983, p. 3492).
Le Conseil d’État a identifié dans cette « codification » réglementaire, dont la légalité était plus qu’incertaine, la traduction d’un simple « principe ». Dans l’arrêt Alitalia (CE Ass., 3 février 1989, Compagnie Alitalia, requête numéro 74052 : rec. p. 44), il énonce que « l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date » (CE Ass., 3 février 1989, Compagnie Alitalia, requête numéro 74052 : rec. p. 44). En définitive, l’énoncé ne diffère pas de beaucoup entre la disposition réglementaire et le considérant jurisprudentiel mais il s’agissait surtout pour le Conseil d’État d’élever la règle au rang de principe supra-décrétal. Dès lors, l’article 3 du décret du 28 novembre 1983 ne présentait plus guère d’intérêt. Il aura pourtant fallu attendre un décret du 8 juin 2006 pour qu’il soit abrogé en raison de son obsolescence (Décret numéro 2006-672, 8 juin 2006, article 20, JO 9 juin 2006, p. 8706).
Pour l’essentiel, l’article 16-1 de la loi du 12 avril 2000 permet la « codification » législative de ce principe et n’en bouleverse pas la substance. On peut reprendre point par point la nouvelle disposition afin d’en préciser les éléments de continuité et ceux plus novateurs.
Les autorité concernées par l’obligation d’abroger. Tout d’abord, concernant le champ de l’article 16-1, seules les « autorités administratives » sont visées par l’obligation d’abroger un règlement illégal. Cela semble exclure l’action administrative des personnes privées (sur ce point : CE Ass., 31 juillet 1942, Monpeurt, rec. p. 239 ; CE Sect., 13 janvier 1961, Magnier, rec. p. 33) à moins que l’on puisse considérer, ce qui semble logique, qu’elles sont des « autorités administratives » lorsqu’elles adoptent des actes administratifs.
S’il n’en va pas ainsi, et dans le silence de la loi, ce sera encore la jurisprudence Alitalia qui s’appliquera à l’ « autorité compétente » qui ne serait pas une « autorité administrative ».
Notons que l’autorité concernée par l’obligation d’abroger est celle qui est compétente au moment de l’abrogation et non de l’adoption de l’acte (CE Ass., 11 décembre 2006, Conseil national de l’ordre des médecins, requête numéro 279517, rec. p. 510 : à propos des ordonnances de l’article 38 ; CE Sect. 30 septembre 2005, Ilouane, requête numéro 280605, rec. p. 402) sauf lorsqu’une autorité initialement incompétente abroge l’acte qu’elle avait incompétemment adopté (CE, 22 février 2008, Mme Uhlrich-Mallet e. a., requête numéro 312550, requête numéro 312737).
Les personnes ayant intérêt à demander l’abrogation. Ensuite, seule une « personne intéressée » peut en faire la demande. Même si la condition procédurale d’intérêt à agir n’apparaît pas expressément ici, le législateur a sans doute voulu limiter aux seules personnes présentant un intérêt pour agir la possibilité de demander l’abrogation d’un règlement illégal. Ainsi, la loi s’inscrit, une fois de plus, dans le droit-fil de la jurisprudence (CE Ass., 20 décembre 1995, Mme Vedel et M. Jannot, requête numéro 132183 : rec. p. 440). Il existe un corollaire manifeste entre l’intérêt à l’abrogation d’un règlement illégal et l’intérêt à l’annulation d’un refus d’abroger ce règlement.
Les actes concernés par l’obligation d’abroger. Par ailleurs, l’article 16-1 ne régit que les actes réglementaires. Dès lors, les demandes d’abrogation des décisions non réglementaires demeurent sous l’égide de la jurisprudence antérieure (CE Sect., 30 novembre 1990, Association « Les Verts », requête numéro 103889 : rec. p. 339).
Les motifs imposant l’abrogation. De façon remarquable, le législateur entend lutter contre les normes tombées en désuétude et encombrant l’ordonnancement juridique. En effet, si la loi conserve évidemment les deux cas d’illégalité (initiale et intervenue postérieurement à son édiction) entachant l’acte réglementaire, elle y ajoute une nouvelle hypothèse : l’acte légal sans objet. Cette intégration illustre la plus grande exigence qui pèse sur l’autorité administrative. À l’instar de l’illégalité, il pourra s’agir, plus fréquemment, d’une perte d’objet, mais l’article n’exclut pas les règlements portant sur un objet inexistant, ce cas paraît néanmoins rarissime.
Les conditions de l’abrogation. Ensuite, et fidèlement à la jurisprudence Alitalia, lorsque l’autorité administrative est saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, elle se trouve dans une situation de compétence liée. Aucun choix ne lui est laissé, elle doit s’exécuter (sa responsabilité pouvant donc être engagée à de strictes conditions : CE Sect., 5 mai 1986, Fontanilles-Laurelli, requête numéro 61219 : rec. p. 127). Sur ce point, le législateur en précise les formes : l’abrogation devra intervenir expressis verbis. L’autorité administrative ne peut donc se contenter d’une abrogation implicite par l’édiction d’un nouveau texte remplaçant l’ancien. Dans un souci de clarté de l’action administrative, une mention de l’abrogation devra toujours être exigée. Remarquons également ici que le juge veille aux manœuvres de l’administration qui, ayant abrogé expressément un règlement illégal, reprend dans un nouvel acte des dispositions identiques en ne leur apportant que des modifications de pure forme (CE Sect., 5 octobre 2007, Ordre des avocats du Barreau d’Évreux, requête numéro 282321).
Notons que l’obligation d’abroger continuera de céder devant l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme qui prévoit que l’illégalité pour vice de forme ou de procédure d’un règlement ou d’un document d’urbanisme ne peut plus être invoquée par voie d’exception passé un délai de six mois (v. pour une articulation de ce principe avec l’obligation de ne pas appliquer les règlements illégaux : CE, Avis, 9 mai 2005, Marangio, requête numéro 277280).
Enfin, et il s’agit sans doute du point le plus intriguant, l’article 16-1 semble introduire une modification d’envergure en prévoyant que l’autorité administrative est tenue d’abroger « d’office » un règlement illégal. Jusqu’alors il était évident que l’autorité administrative pouvait toujours se saisir d’un acte réglementaire illégal et l’abroger de son propre chef. Mais rien ne l’obligeait à le faire spontanément. Cette nouvelle disposition laisse à penser que désormais pèsera sur l’autorité administrative l’obligation d’abroger spontanément un règlement illégal. Quoi qu’il en soit, cette disposition risque fort de soulever des difficultés d’application et l’innovation être purement symbolique, puisque l’abstention de l’administration d’abroger d’office ne pourra être remise en cause que par un recours exercé par une personne intéressée (v. l’analyse très critique de Bertrand SEILLER, « Pourquoi ne rien voter quand on peut adopter une loi inutile ? », AJDA 2008, n° 8, p. 402)